Doolittle

La cause du Pif

Le célèbre magazine fut longtemps un outil de propagande pour le PCF.

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Se souvenir de Pif Gadget, c'est d'abord se rappeler une époque où le PCF possédait l'un des principaux groupes d'édition dans l'Hexagone. Il sera même particuliè­rement prospère à l'orée des années 1970 sous la houlette de Claude Compeyron, un ancien prof d'EPS qui en avait accepté la charge à contrecoeu­r, mais s'avérera un excellent gestionnai­re et un roi du marketing. Un empire de papier au service du prolétaria­t français, avec Pif Gadget, son joyau, et sa poule aux oeufs d'or, censé transforme­r les jeunes lecteurs en futurs électeurs de Georges Marchais. Depuis toujours la presse enfants est un espace d'affronteme­nt et d'influence entre familles politiques, qui n'ont jamais aussi bien porté leur nom. La République des hussards noirs de l'éducation nationale avait volé la jeunesse à l'église, cette dernière essayait de la ramener dans ses filets avec ses publicatio­ns colorées. Avec l'arrivée des communiste­s dans le game, le niveau grimpe d'un coup. Les bolcheviks ont en effet le goût de la propagande et un certain sens de l'image. Puisqu'il faut chercher la jeunesse où elle se trouve à une époque où elle n'a pas encore les yeux rivés sur les écrans ou même devant la télé à chaîne unique de l'ORTF, on ira l'arracher aux BD de l'ennemie de classe, et tant pis si pour cela on en passe par des astuces de camelot et donc des gadgets, qui débarquent avec le numéro 11. L'aventure commence dès la Libération avec Vaillant, où titube un certain Gotlib. La bataille de l'imaginaire est engagée, et elle ne fera que prendre de l'ampleur avec la guerre froide. Pif est d'abord l'enfant de José Cabrero Arnal, un ancien républicai­n espagnol, déporté à Mauthausen. Mais la concurrenc­e est déjà rude. En face, par exemple, Le Journal de Spirou, lancé par le très catholique Dupuis qui, étrangemen­t, lui aussi essaie de sauver les enfants de l'influence grandissan­te de l'oncle Sam, notamment par l'intermédia­ire du Journal de Mickey. Un temps la victoire et les lendemains qui chantent sembleront à portée de main de Pif et ses haricots sauteurs. Dans les années 1970, certains numéros phares se vendront même à 1 000 000 d'exemplaire­s. Mais il s'agit d'une illusion. Le magazine ne pourra rien face à la chute du mur de Berlin, et n'empêchera pas la chute de son parrain à la faucille. Reste la nostalgie, qui est paraît-il apolitique. — Nicolas Kssis Martov

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