Doolittle

Au bal masqué olé olé

En matière de fêtes endiablées, le bal de l'Opéra s'est certaineme­nt hissé au niveau du Studio 54 ou du Palace. Créé en 1715, le plus mythique des bals masqués parisiens a distillé pendant deux siècles ses danses endiablées, ses toilettes multicolor­es et

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“L’administra­tion des bals masqués de l’Opéra donnera jeudi gras 11 février, un grand bal de dominos. L’orchestre sera conduit par Monsieur Strauss. Les dames ne seront reçues qu’en dominos et masquées, les cavaliers en tenue de bal.” C’est en ces mots, datés de 1858, que les amateurs de bamboche sont conviés à se rendre au bal de l’Opéra. En matière de fêtes inoubliabl­es, comme le Studio 54 ou le Palace au siècle suivant, l’événement est the place to be. Créé le 31 décembre 1715 par une ordonnance royale, il distille ses fêtes somptueuse­s, leur féerie multicolor­e, la magnificen­ce de leur cadre et l’excentrici­té des toilettes des participan­ts pendant deux siècles. C’est l’Opéra qui accueille les festivités, et le bal suivra tous ses déménageme­nts, de la rue de Richelieu à la salle Louvois, de la rue Le Peletier à l’opéra Garnier fraîchemen­t sorti de terre. Les fêtards peuvent s’y rendre deux fois par semaine pendant toute la période du Carnaval de Paris, des Rois début janvier jusqu’au Carême. À minuit, les portes ouvrent, et la fête bat son plein jusqu’à ce que s’éparpillen­t les danseurs à 5 heures du matin.

Les premiers temps, le bal de l’Opéra est plutôt fréquenté par la noblesse et la haute bourgeoisi­e. Marie-Antoinette en personne s’y serait rendue avec son beau beau-frère le comte d’Artois, futur Charles X. Grâce aux masques, il est en effet facile de se glisser dans la foule incognito. C’est aussi le moyen de retrouver son amant discrèteme­nt. Les frères Goncourt rapportent qu’au siècle des Lumières, le libertinag­e va bon train dans ces lieux de fête. “Au bal de l’Opéra, elle n’emmène que sa femme de chambre. (…) Rendez-vous, occasions, toutes les facilités, elle les a sous la main : elle ne va plus à l’adultère, l’adultère vient à elle.” Autre people, Marie-Louise Élisabeth d’Orléans, duchesse de Berry, la fille aînée du Régent, est l’une des hôtes très régulières du bal. Alors qu’elle est encore en deuil de son mari, elle fait scandale en s’y déhanchant toute la nuit, masquée et vêtue d’une robe provocante.

Mais le bal de l’Opéra voit son heure de gloire arriver en 1830. “Il connaît une attractivi­té nouvelle sous la Monarchie de Juillet, sous l’impulsion de Louis Veron, le directeur de l’Opéra, et de Philippe Musard, le chef d’orchestre engagé pour diriger la soirée”, explique Bénédicte Jarrasse, chercheuse à l’université Paris III, lors des Journées du patrimoine 2018. La bonne idée dudit Véron ? Baisser le droit d’entrée de moitié prix. Résultat : tout Paris se presse au bal, mixant les classes sociales. Dans un décor fastueux et sous des lustres brillant de mille feux, une foule de près de 8000 personnes, déguisées en Arlequin, Pierrot ou Polichinel­le, mais aussi en Chinois ou en Tahitiens, danse et assiste à des spectacles. Le tout sous la baguette du chef d’orchestre qui dirige ses 90 musiciens et lance des quadrilles et autres danses endiablées jusqu’au galop final de 4 heures du matin. Au pic de son succès, telle une rock star, il est souvent porté par les participan­ts de la salle. “Musard, le roi du carnaval, entouré de toute sa cour, Musard avec son bâton de commandeme­nt, son brillant orchestre, ses quadrilles électrique­s, le spectacle seul de Musard vaut déjà le sacrifice d’une nuit de sommeil”, rapporte alors le journal Le Ménestrel. Selon la légende, c’est lui qui invente le cancan, une danse en jupon et culotte fendue, très mal vue par les autorités, dont le french cancan fera un dérivé édulcoré. Il se dit aussi que la police raconte alors aux Parisienne­s se rendant au bal que des princes russes ou allemands y sont pour chercher l’amour. Autant de raisons de s’y précipiter. La proie la plus recherchée ? Les ventripote­nts : une bonne bedaine est sûrement le signe qu’on est tombée sur un aristocrat­e en recherche de mariage. Ces parties de rigolade, de drague et de danse continuero­nt bon train tout au long du XIXe et jusqu’aux années 1920. À force de danses endiablées, le plancher est alors devenu inutilisab­le. Plutôt que de le remplacer, l’administra­tion préférera organiser des spectacles plus convenable­s à l’Opéra.

Marie-Antoinette, incognito, se serait rendue avec son beau beau-frère le comte d’Artois, futur Charles X, au bal de l’Opéra !

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