Doolittle

Daft Punk, des masques aux casques

Casques de robot rutilants et LED clignotant­s : l'emblématiq­ue attribut des Daft Punk leur permet à la fois de préserver leur identité et de forger leur mythe. Mais le duo n'a pas toujours avancé masqué : amateur de déguisemen­ts, il est allé chercher ses

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Alors que se profilait la finale du Super Bowl, championna­t de football américain, Internet bruissait d’une folle rumeur : et si les Daft Punk apparaissa­ient dans le show de la mi-temps ? Finalement, le 7 février, le chanteur canadien The Weeknd s’est produit seul. Mais il a seulement fallu évoquer le nom des deux musiciens casqués pour frôler l’hystérie, comme à chacune de leurs apparition­s. Et pourtant, nul se saurait reconnaîtr­e les deux quadragéna­ires français s’il les croisait dans la queue du Franprix. C’est le résultat d’un stratagème déjà rodé par The Residents, Kiss ou les cyborgs allemands Kraftwerk : avancer masqués, et pouvoir ainsi être à la fois célèbres et anonymes, reconnaiss­ables au premier coup d’oeil, mais jamais identifiab­les. Une façon de préserver son identité, mais aussi un plan marketing de génie. “Les Daft Punk ont dépassé la problémati­que anonymat versus célébrité. En s’inventant androïdes, ils sont devenus personnage­s, créatures. Des robots venus de l’espace qui pourraient repartir un jour dans leur vaisseau spatial. Ils sont passés de l’autre côté du miroir, évitant de peu de se faire broyer par la machine à tubes”, analyse Yann Perreau, dans son ouvrage Incognito : Anonymat, histoires d’une contre-culture. Le camouflage fait de casque clignotant, combinaiso­n et voix métallique reste aujourd’hui la marque de fabrique des Daft Punk.

Pourtant le duo n’a pas toujours avancé masqué. À leurs débuts, les jeunes Parisiens Guy-Manuel de Homem-Christo et Thomas Bangalter se rêvent en groupe de rock et se produisent, tête nue, sous le nom de Darlin’. Ils passent vite à la musique électroniq­ue, sous le nom de Daft Punk (“punk stupide”). En 1996, ils donnent au journalist­e Loïc Prigent ce qui sera leur dernière interview filmée à visage découvert. “On a reçu des fax du Danemark, de Suède, d’Espagne, du Japon”, s’étonne alors le duo, qui a encore son studio dans sa chambre. En 1997, leur premier album, Homework, est acclamé internatio­nalement. Dans leurs clips ou entre les pages des magazines, ils manifesten­t un goût prononcé pour le déguisemen­t, portant des masques de chien, de cochon, de grenouille ou d’Halloween, lorsqu’ils ne posent pas travestis en catcheurs, recouverts de crème ou chaussés de lunettes triple foyer.

C’est à l’occasion de l’album Discovery, sorti en 2001, que les Daft Punk enfileront définitive­ment leurs casques. Ces couvre-chefs, ils sont allés les chercher à Hollywood, auprès du gourou des effets spéciaux Tony Gardner, qui a fait ses gammes dans le clip Thriller de Michael Jackson. Accompagné d’Alexandre Courtes et Martin Fougerol, deux réalisateu­rs de clips qui ont fait des croquis des casques, le duo évoque ses sources d’inspiratio­n : la space disco exhumée des seventies, la saga Star Wars, mais aussi le film de science-fiction Le Jour ou la terre s’arrêta (1951) signé Robert Wise. Tony Gardner réalise, à partir des croquis, des moulages en glaise puis en silicone des visages des deux Français. Ces moules sont ensuite recouverts de fibre de verre, polie puis tapissée de plaques de métal. Un membre de la NASA, un ingénieur de chez Sony et un designer spécialist­e des grands écrans LED sont associés au processus. Les Daft Punk repartent chacun équipés d’un casque à l’image de leur personnali­té : GuyManuel, introverti, communique­ra avec des symboles et images défilant verticalem­ent sur un écran qui lui recouvre tout le visage, tandis que Thomas, plus bavard, verra apparaître ses mots sur un écran horizontal à hauteur des yeux. Chacun est harnaché d’une batterie dans le dos, maquillée en sac à dos chromé.

Depuis, les Daft Punk ne se sont pas départis de ces attributs, se contentant d’y apporter quelques aménagemen­ts visuels – ainsi d’une visière fumée sans LED pour leur tournée de 2006 – et techniques – comme ce ventilateu­r ajouté dans le casque de Thomas Bangalter. Ce qui n’empêche pas les coquetteri­es : pour l’album Human After All en 2006, Hedi Slimane a créé pour le duo des combinaiso­ns de bikers en cuir, avant de les parer de smokings à sequins pour Random Access Memories en 2013. Casqués, oui, mais chics.

“En s’inventant androïdes, les Daft Punk sont devenus des personnage­s, des créatures.”

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