Ejercito del Aire (armée de l’air) Armée de l’Air 13. ITALIE Aeronautica Militare Tornad o:57 Aviazione Navale VVS (armée de l’air)
DSI • Hors-série • no 54 (© Areion/CAPRI)
L’armée de l’Air ne manque pas de missions : entre la dissuasion, les OPEX, les
déploiements de souveraineté, la posture permanente aérienne et même « Sentinelle », les forces ne chôment pas. Le « système armée de l’Air » tient-il le coup ?
André Lanata : Oui, nous sommes effectivement sur tous les fronts simultanément, sur le territoire national et loin de nos frontières, de l’opération «Sentinelle» sur le sol français aux opérations au Levant et dans la bande sahélo-saharienne, de la dissuasion nucléaire à la protection de l’espace aérien national. Le système de combat de l’armée de l’Air tient donc le coup, parce que les aviateurs lui donnent tout : leurs heures de jour et de nuit, leurs compétences extraordinaires, et parfois leur vie. Ils répondent présents en opérations, et ils mettent tout en oeuvre pour poursuivre l’adaptation de l’armée de l’Air à l’évolution brutale du contexte sécuritaire que nous connaissons depuis 2015 et à l’engagement inédit des armées qui en a résulté, y compris sur le territoire national, des mesures de réassurance en Europe de l’Est aux missions de présence et d’assistance dans le Pacifique.
Pour autant, et malgré les efforts d’adaptation internes (le plan stratégique «Unis
pour faire face») et externes (ajustements budgétaires en 2015 et 2016), le «système armée de l’Air» parvient en limite de cohérence pour deux raisons. Si l’armée de l’Air
conséquence le vieillissement accéléré des avions, réduit le temps consacré à l’entraînement et à la préparation opérationnelle des équipages. Dans les circonstances actuelles, ce phénomène de vase communiquant atteint des proportions trop importantes. Avec des vols de plus de six heures au-dessus de l’Irak et de la Syrie, les avions de chasse déployés sur notre base aérienne projetée en Jordanie consomment quatre fois plus de potentiel technique qu’en métropole. Mes pilotes et navigateurs y réalisent en deux mois plus de la moitié de leur allocation annuelle d’heures de vol. Il leur en reste donc peu pour se maintenir au niveau de qualification requis pour les autres missions qui leur sont dévolues, et qui ne sont pas des moindres : défense aérienne, dissuasion, et formation des plus jeunes. Ce dernier point est très problématique, car il handicape la régénération de notre vivier de pilotes opérationnels. En effet, le système d’armes Rafale, très polyvalent – modèle que nous avions souhaité afin d’autoriser une réduction du format de l’aviation de combat –, est très exigeant sur le plan de l’entraînement. Il faut en effet maîtriser l’expertise de l’entrée en premier, des dispositifs aériens complexes, du combat airair, du bombardement conventionnel (dont l’assaut laser) et nucléaire, de la reconnaissance aérienne, mais aussi de l’assistance aux aéronefs en difficulté. Les heures de vol consacrées à l’entraînement sur l’avion sont indispensables pour acquérir puis maintenir ces expertises. La programmation des exercices aériens fait donc l’objet d’une optimisation toute particulière, qu’ils soient
“À moyen terme, l’aviation de chasse doit faire face à des enjeux qualitatifs, au premier rang desquels on trouve le renouvellement de la composante aéroportée. Les décisions qui seront prises dans les années à venir (choix du type de missile et choix du type de porteur de l’arme nucléaire) sont structurantes pour l’aviation de combat, et pour l’armée de l’Air
en général.
nationaux, comme les manoeuvres aériennes pour entraîner la composante aéroportée de la dissuasion, impressionnante de réalisme et de complexité, ou internationaux, compte tenu de notre implication dans les coalitions comme au Levant. À ce sujet, nous invitons systématiquement des armées de l’air étrangères à prendre part à nos exercices de préparation opérationnelle. En mars 2016, « Serpentex » a ainsi rassemblé sur la base aérienne de Solenzara des équipages et des
contrôleurs aériens avancés de douze nations pour une répétition générale avant leur déploiement en opérations. Réciproquement, nous participons à l’étranger à des entraînements à haute valeur ajoutée, comme la dernière édition de l’exercice trilatéral qui a réuni aux États-Unis les meilleurs chasseurs français (Rafale), anglais (Typhoon) et américains (F-22 et F-35) autour de scénarios extrêmement complexes d’entrée en premier en haute intensité. Cette initiative trilatérale est à la fois un gage de confiance extraordinaire de nos alliés et une véritable reconnaissance de notre crédibilité opérationnelle. Nous avons encore l’une des meilleures armées de l’air au monde. Sa performance repose sur la qualité, l’expérience et le savoir-faire des aviateurs. Mon obsession est de ne pas perdre cette pépite inestimable.
En ce qui concerne la flotte d’appareils, plusieurs programmes sont maintenant bien engagés. Lequel vous paraît le plus problématique – ou, à tout le moins, devant faire l’objet de la surveillance la plus rapprochée ?
Compte tenu de notre niveau d’engagement, et du défi posé par notre capacité à durer, je vous répondrai que ma surveillance est à 360 degrés ! Elle concerne tout autant la qualité que la quantité des parcs aériens qui motivent les programmes en cours ou à venir.
La flotte d’avions de chasse retient évidemment toute mon attention, car il s’agit d’un marqueur d’une armée de l’Air, participant au statut de puissance de la France, et parce que j’y observe des signes évidents
La flotte de (K)C-135 est littéralement à bout de souffle : l’A330 Phénix (ici, un MRTT australien) devient impératif pour assurer la continuité des capacités de projection de l’armée de l’Air. (© Airbus Defense & Security)
et inquiétants d’épuisement. Je distingue deux types de besoins. Le premier est d’ordre quantitatif, puisqu’il s’agit de disposer au plus tôt des avions déjà commandés, mais aussi d’augmenter leur parc, afin de pouvoir continuer à répondre à la hausse constatée de nos contrats opérationnels. J’associe à cette évolution quantitative de l’aviation de chasse les équipements qui sont nécessaires à ses missions (augmentation des stocks de munitions aéroportées, des missiles air-air, des nacelles de désignation laser). Ensuite, à moyen terme, l’aviation de chasse doit faire face à des enjeux qualitatifs, au premier rang desquels on trouve le renouvellement de la composante aéroportée. Les décisions qui seront prises dans les années à venir (choix du type de missile et choix du type de porteur de l’arme nucléaire) sont structurantes pour l’aviation de combat, et pour l’armée de l’Air en général.
Ensuite, le choix de retarder depuis de trop nombreuses années la modernisation de la flotte de ravitailleurs en vol, qui contribue à la mission de dissuasion, mais qui représente également une capacité indispensable aux opérations extérieures et à la mobilité stratégique, place cette flotte dans une situation très préoccupante. L’âge moyen du parc de nos ravitailleurs – commandés du temps du général de Gaulle, il y a 55 ans ! – en contraint fortement la disponibilité. Compte tenu de cette fragilité, la réussite de nos opérations repose beaucoup sur le soutien apporté par nos alliés. Je suis donc particulièrement vigilant au respect du calendrier de livraison du premier MRTT Phénix dès septembre 2018. Mais j’estime aussi que le risque qui pèse sur cette capacité nécessite d’accélérer la suite des livraisons et d’arriver à un nombre d’avions de ravitaillement en vol cohérent avec la hausse du niveau d’engagement.
La flotte d’aéronefs de transport est également essentielle à nos armées pour garantir leur mobilité sur ou vers un théâtre d’opérations. Au Sahel en particulier, la mobilité tactique des troupes et du matériel reste le seul recours face au défi des étendues à couvrir. Cette capacité a constitué une lacune importante acceptée en loi de programmation militaire, aggravée par les difficultés initiales du programme A400M et l’accélération corollaire du vieillissement des flottes C-130 et C-160. Nous avons pris des mesures, nous avons mis en place un dialogue efficace avec l’industriel, et je suis persuadé que nous allons vers du mieux. La situation devrait s’améliorer progressivement à partir de 2017 avec la sortie de l’ornière du programme A400M, les travaux d’amélioration de la disponibilité des C-130H et l’arrivée des premiers C-130J (commandés en urgence dans le cadre de l’actualisation budgétaire
en 2015). Notre industrie doit absolument poursuivre les efforts entrepris pour faire de l’A400M Atlas l’avion de transport dont les armées françaises ont besoin.
En outre, les opérations actuelles démontrent que l’effort doit être accentué dans le domaine de l’ISR. L’étendue des théâtres et les modes d’action ennemis (fugace, ou au contraire, imbriqué avec la population civile) nécessitent davantage de permanence
Je suis particulièrement “vigilant au respect du calendrier de livraison du premier MRTT Phénix dès septembre 2018. Mais j’estime aussi que l’intensité de nos opérations nécessite d’accélérer la suite des livraisons. „
du renseignement et de mise en réseau des acteurs de l’opération jusqu’à la frappe aérienne éventuelle. L’utilisation extensive des drones MALE mis en oeuvre par l’armée de l’Air confirme cette tendance marquée en même temps que cette lacune. Dans ce registre, l’armement de ces drones MALE constituerait une plus-value indéniable en termes de
réactivité et d’efficacité opérationnelle. Enfin, au-delà des programmes, je n’oublie pas le financement des heures de vol et du maintien en condition opérationnelle des aéronefs. Mais la priorité de mes priorités demeure la ressource humaine. En définitive, ce sont bien les aviateurs qui transforment de simples avions – aussi performants soient-ils – en véritables systèmes d’armes, et l’armée de l’Air dans son ensemble en un redoutable système de combat.
Plusieurs défis majeurs pointent à l’horizon, comme le SCAF. Le lancement du développement du Rafale F4 a par ailleurs été annoncé le 22 mars. Comment voyez-vous le SCAF ? Le F4 sera-t-il son vecteur ? Envisagez-vous des évolutions de l’armement embarqué au-delà de ce qui est déjà planifié ?
Le standard F4 du Rafale a effectivement été lancé en mars dernier. Les deux principaux volets de ce nouveau standard, schématiquement, seront d’une part d’améliorer la connectivité du Rafale, et d’autre part de diversifier et de moderniser son panel d’armements air-air et air-sol. Concernant l’armement air-sol, l’idée générale est bien d’élargir le panel des effets de nos munitions, comme le requièrent nos opérations aériennes au Sahel ou au Levant. Sur un même théâtre, les effets à obtenir peuvent être très différents d’une mission à l’autre, voire au cours de la même mission. L’engagement de nos chasseurs en milieu urbain, comme à Mossoul par exemple, est particulièrement exigeant. Aussi, le standard F4 du Rafale contribuera-t-il incontestablement à
Le Rafale F4 doit voir une évolution de ses armements comme de sa connectivité. L’enjeu premier est évidemment l’adaptation, tant aux opérations qu’à l’interopérabilité avec nos alliés les plus proches. (© Alex Paringaux/Dassault Aviation)
Le PC-21, ici en livrée constructeur et en bonne compagnie, va complètement changer la formation au combat : plus économique, il est surtout plus adapté à la formation aux flottes d’appareils tels que le Rafale. (© Pilatus)
répondre aux exigences des théâtres d’opérations actuels, mais également à leurs perspectives d’évolution. Nos équipages évoluent en effet dans des espaces aériens de plus en plus contestés, comme en Syrie par exemple, où sont déployés des systèmes sol-air très performants (S-300). Plus généralement, dans le monde (Asie, mais aussi pourtour méditerranéen), des stratégies de déni d’accès se développent, de plus en plus efficaces, de plus en plus intégrées, de plus en plus connectées. Je constate que les arsenaux aériens et antiaériens de nos adversaires potentiels, mais aussi de nos partenaires, ont tous fait des efforts de modernisation. J’estime que le risque de déclassement stratégique est réel si nous retardons encore la nôtre.
Par ailleurs, j’observe qu’au Sahel, par exemple, il s’agit de trouver et de traiter une menace extrêmement fugace sur un territoire grand comme l’Europe. Les résultats opérationnels ne peuvent être l’oeuvre d’un seul avion ou GTIA, aussi performants soientils. Les succès que nous obtenons face aux groupes terroristes sont bien le fruit d’une combinaison de modules de forces interarmées, connectés entre eux et réarticulés en fonction de la situation : drones, avions de chasse, mais aussi avions de transport, de renseignement, forces spéciales, hélicoptères de transport ou de combat et, bien sûr, centres de commandement au sol partagent le flux d’information en temps réel. Le dispositif éphémère ainsi constitué est en mesure de concentrer dans une fenêtre de temps extrêmement étroite une combinaison de leurs effets pour trouver, traquer et enfin affronter
les groupes djihadistes armés. Dans ces deux contextes opérationnels pourtant bien différents, il n’est donc pas possible de continuer à raisonner en ne considérant que les performances des « plates-formes » (les avions) prises individuellement. Il faut penser de manière globale, en incluant la capacité C2 et le dialogue entre les différentes plates-formes dans nos réflexions et nos développements. Ainsi, au-delà du standard F4 du Rafale, nous réfléchissons bien évidemment à l’évolution de notre aviation de combat, c’est-à-dire au système de combat aérien futur : le SCAF.
“Le SCAF ne sera ni un avion ni un drone, comme je le répète souvent, mais bien un ensemble de systèmes mis en réseau, qui constitueront l’architecture de l’aviation de combat du futur. Il s’agit donc d’une véritable évolution culturelle. „
Système de systèmes connectés, agiles, redondants, ouverts et sécurisés, il devra garantir la supériorité aérienne et plus généralement l’utilisation de la troisième dimension à notre avantage à l’horizon 2030+. C’est pourquoi il est essentiel de faire
progresser l’ensemble de nos systèmes actuels et futurs dans le domaine de la permanence, de la survivabilité en environnement non permissif, et dans celui de la connectivité (combat cloud). Le SCAF ne sera ni un avion ni un drone, comme je le répète souvent, mais bien un ensemble de systèmes mis en réseau, qui constitueront l’architecture de l’aviation de combat du futur. Il s’agit donc d’une véritable évolution culturelle, car le vrai défi est bien là : penser le système de combat aérien futur dans sa globalité. Le défi est de taille, puisque nous devrons faire évoluer nos processus et passer d’une approche centrée sur la plate-forme à une approche centrée sur le système.
Dans ce système, l’information, c’est-à-dire les data, doit constituer la base de notre réflexion, pour définir l’architecture du futur C2, à mon sens. Grâce à l’apport des nouvelles technologies (numérique, intelligence artificielle, systèmes d’aide à la décision…), l’enjeu est de créer un système ouvert et collaboratif, capable de collecter et stocker des quantités très importantes de données (big data), de les protéger, de les échanger, de les fusionner. Il s’agit à la fin d’être en mesure de saisir toutes les occasions de produire le meilleur effet militaire, au meilleur moment, avec le meilleur senseur, et le meilleur tireur. En fin de compte, je dirais que c’est réellement ce concept de « Data to Decision » qui doit conduire notre démarche à ce stade de la réflexion. Cette première étape est donc un préalable indispensable pour éclairer les choix à venir concernant le remplacement de tel ou tel vecteur (Rafale, AWACS…).
Des PC-21 ont été commandés pour le compte de l’armée de l’Air et permettront de mettre en oeuvre l’entraînement différencié. Mais la question du remplacement des Alpha Jet ne tardera pas à se poser… Avez-vous déjà des options en la matière ?
Le projet FOMEDEC (Formation Modernisée et Entraînement Différencié des Équipages de Chasse) est lancé. Nous recevrons ainsi les premiers PC-21 dès l’été 2018. La phase de montée en puissance durera jusqu’en 2021. Avant de trancher de manière définitive le remplacement de l’Alpha Jet, il est nécessaire de bénéficier des premiers RETEX faisant suite à l’utilisation du PC-21 dans la formation de nos jeunes équipages. Cela nous permettra de définir finement le besoin de remplacement de l’Alpha Jet à l’horizon 2020. En toute hypothèse, les réflexions vont commencer très prochainement. Je souhaite que ce sujet soit inscrit dans les travaux de la prochaine loi de programmation militaire. g
Propos recueillis par Joseph Henrotin, le 17 mai 2017