LUXEUIL UNE BASE DYNAMIQUE
Luxeuil est une très belle base avec un potentiel de croissance avéré. Comment
voyez-vous son évolution dans les années à venir ?
Jean-Patrice Le Saint : Seule base aérienne de la région Bourgogne-Franche-Comté et unique emprise défense de Haute-Saône, la BA 116 possède la seule piste «en dur» du département. Elle est le quatrième employeur local, son personnel et ses familles représentent 10% de la population du Paysde-Luxeuil. Ce sont des paramètres qui comptent, en termes opérationnels, d’aménagement du territoire et de lien armée-Nation.
Le périmètre de responsabilité de la BA 116 s’est élargi à l’été 2016. Après la fermeture de la base de Dijon, elle a hérité de la tutelle du site de mise en oeuvre du système GRAVES (1), installé à Broyes-lès-Pesmes (Haute-Saône). Elle a par ailleurs accueilli l’unité d’instruction sol du Mirage 2000, qui dispense une formation théorique à l’ensemble des utilisateurs de l’avion, dans toutes ses versions. Cette unité d’une quarantaine de cadres instruit environ 350 stagiaires par an. Son arrivée a constitué un signal très positif pour la base et son environnement local. Elle occupe actuellement des locaux provisoires, en attendant la livraison de ses infrastructures définitives à
l’automne 2018.
L’avenir de la base à moyen terme s’inscrit dans les travaux de l’état-major de l’armée de l’Air, mais il est clair qu’elle offre
Avec le colonel Jean-Patrice LE SAINT
Commandant de la base aérienne 116 de Luxeuil-Saint-Sauveur, commandant de la base de défense d’Épinal-Luxeuil et délégué militaire départemental de Haute-Saône.
“Quarante-cinq années au service de la mission nucléaire (19662011) ont demandé des investissements importants : les infrastructures de la base sont fonctionnelles, elles
ont été constamment
entretenues et présentent un très bon état général.
(agressors) – est essentielle. (© 2e escadre)
un fort potentiel de croissance. Aujourd’hui, 1 150 personnes y opèrent, presque deux fois moins qu’il y a dix ans. Quarante-cinq années au service de la mission nucléaire (1966-2011) ont demandé des investissements importants : ses infrastructures sont fonctionnelles, elles ont été constamment entretenues et présentent un très bon état général. Dans ce contexte, j’entrevois trois options de densification – non exclusives.
La première est naturellement l’accueil de nouvelles unités aériennes. La BA 116 met en oeuvre une vingtaine de monoplaces Mirage 2000-5, au sein d’un unique escadron. Ayant hébergé jusqu’à quatre escadrons dans les années 1960 et, plus récemment, deux escadrons de biplaces (2), elle est capable d’accueillir 65 avions sous abri. L’activité aérienne est en outre parfaitement acceptée par la population locale : seulement six plaintes pour gêne sonore ont été déposées
„en 2015! Pleinement conscient des atouts
opérationnels de la BA 116, l’état-major étudie différents scénarios, mais c’est l’évolution du format de l’aviation de combat qui déterminera celle du plan d’implantation des unités aériennes.
La deuxième option de densification est l’accueil d’unités relevant d’autres armées, directions et services interarmées. J’ai rencontré récemment un officier du commandement Terre pour le territoire national (COM TN), qui faisait le tour des bases de
Photo ci-dessus :
À l’entraînement avec la RAF. Dans le domaine aéronautique, la confrontation aux autres forces aériennes – et à leurs capacités «red air»
défense de la région de défense Nord-Est pour étudier la possibilité d’y implanter une compagnie de réservistes. Ici encore, la BA 116 présente des atouts : ses capacités d’accueil, des infrastructures militaires et sportives complètes (installations sportives, piste d’audace, champ de tir) et la proximité du 1er régiment de tirailleurs, second pôle de la base de défense.
Troisième et dernier axe, l’ouverture à d’autres services de l’État, voire à des entreprises privées. Je suis plus réservé sur cette option, non par principe, mais par pragmatisme. Les démarches engagées par mes prédécesseurs n’ont pas été concluantes, et la présence sur site d’installations sensibles générerait de nouvelles contraintes, a fortiori dans le contexte actuel.
Nous sommes dans une situation stratégique complexe, face à un ennemi djihadiste, avec une menace qui pèse aussi sur les installations militaires. La protection de la base vous inquiète-t-elle ?
La première de mes responsabilités opérationnelles est la préservation des capacités dont je suis dépositaire. La protection du personnel et des infrastructures de la base est à ce titre un point de vigilance majeure. Installation prioritaire de défense, la base de Luxeuil couvre une superficie de 477 ha, délimitée par 15 km de clôture. Sa protection est un défi de chaque instant, relevé en permanence par des unités spécialisées : gendarmes de l’air, qui opèrent en étroite collaboration avec la gendarmerie départementale, et fusiliers-commandos de l’escadron de protection.
À l’instar de l’ensemble des bases aériennes, la situation sécuritaire actuelle nous a conduits à relever notre niveau de vigilance et à renforcer notre posture. Il ne vous a sans doute pas échappé que le général Lanata a fait de la protection-dé-
“Partout dans le monde, l’acquisition de moyens de lutte – et de défense – dans la troisième dimension est un secteur d’investissement prioritaire, ce qui confirme le positionnement central de l’arme aérienne dans les stratégies de puissance et d’influence. „
fense l’une des capacités socles de l’armée de l’Air. Nous avons à cet égard élargi et densifié nos interactions avec les services de l’État, au premier rang desquels la préfecture de Haute-Saône et les forces de sécurité et d’intervention départementales, mais aussi avec les délégations militaires des départements limitrophes. Nous disposons ainsi d’une évaluation plus fine de la menace, que nous appréhendons de manière plus globale. Des exercices combinés nous permettent de nous préparer à tout
type de scénario. Nous avons également très sensiblement renforcé le dispositif de protection de la base, pour prévenir, circonscrire et, le cas échéant, neutraliser toute velléité d’agression. L’élément le plus notable de cette évolution est la participation de l’ensemble du personnel de la base à la mission de protection, en appui des unités spécialisées. Des sous-officiers de toutes spécialités sont désormais intégrés aux équipes d’intervention des fusiliers-commandos. Le recrutement, la formation et l’emploi des réservistes opérationnels sont aujourd’hui prioritairement orientés vers cette mission. Ici aussi, des exercices quasi quotidiens permettent d’évaluer tout ou partie du dispositif, et d’en améliorer l’efficacité. L’ensemble du personnel a saisi l’enjeu et adhère : c’est un prérequis fondamental et un critère de succès, car la sécurité collective est réellement l’affaire de chacun.
La dernière question ne s’adresse pas seulement au commandant de base, mais aussi au stratégiste (3). Que vous inspire l’évolution de la distribution de la puissance aérienne depuis que vous êtes dans les forces ?
Vaste question! La première réflexion qu’elle m’inspire est celle d’une extension considérable du champ d’application de la puissance aérienne. Cette extension est d’abord géographique : partout dans le monde, l’acquisition de moyens de lutte – et de défense – dans la troisième dimension est un secteur d’investissement prioritaire, ce qui confirme le positionnement central de l’arme aérienne dans les stratégies de puissance et
Les déploiements au départ de la base sont nombreux, et ne concernent pas que les avions de combat. L’ESTA est en pointe dans plusieurs spécialités et ses membres sont engagés sur plusieurs théâtres. (© 2e escadre)
Après avoir été au coeur des Forces aériennes stratégiques et de la dissuasion, Luxeuil est devenue la «maison mère» de la supériorité aérienne. (© 2e escadre)
d’influence. Cette extension est également thématique. Jusqu’à récemment monopole des États, engagée principalement dans un cadre conventionnel, la puissance aérienne est aujourd’hui investie, utilisée, voire contournée par des acteurs non étatiques, ce qui entraîne une diversification des menaces à prendre en compte et une certaine « dérégulation » de son emploi. En outre, l’arme aérienne a atteint un niveau d’efficacité inédit (action tout temps, hyperprécision, endurance), mais, comme les autres formes de la puissance militaire, son application est devenue plus délicate. Les dommages collatéraux liés au bombardement aérien, dont les effets sont amplifiés par une surexposition médiatique, font d’ailleurs perdre de vue une réalité avérée : l’arme aérienne est le plus discriminant des outils militaires. Quoi qu’il en soit, cette « démocratisation » de la puissance aérienne n’est plus un concept, mais une réalité que nous intégrons dans nos plans d’opération. Cette extension est enfin capacitaire. Figure classique de la guerre aérienne, l’aéronef de combat habité reste prépondérant, mais il n’est de nos jours qu’un élément parmi d’autres
d’un champ de bataille de plus en plus complexe. Le combat moderne n’est plus seulement aéroterrestre, aéromaritime ou aérospatial, il est aussi cybernétique et informationnel. Plus que jamais, c’est la capacité à connecter les différents intervenants et à synchroniser leur action dans une manoeuvre d’ensemble cohérente qui fait la différence. La diversification des capacités pour couvrir le maximum de possibilités, la réacquisition d’une certaine «épaisseur capacitaire» pour agir dans la simultanéité et la durée, l’interopérabilité technique des systèmes et l’agilité cognitive de ceux qui les opèrent seront de plus en plus déterminantes. Aujourd’hui, même s’ils sont eux-mêmes face au défi de ce nouveau paradigme, ce sont toujours les États-Unis qui incarnent le mieux la notion d’Airpower, en établissant une bijection presque parfaite entre les caractéristiques intrinsèques du milieu aérospatial et les capacités qui les exploitent. Mais, fort heureusement, la puissance aérienne se conçoit autrement que dans l’absolu. Pionnière dans l’aventure aéronautique et spatiale, dotée d’une industrie aérospatiale de tout premier rang et de capacités militaires constamment
éprouvées, la France est l’une des premières puissances aériennes. S’il s’appuie sur des moyens comptés, son engagement sur les théâtres d’opérations, dans le cadre du droit international, produit des effets militaires significatifs, renforce sa crédibilité dans les coalitions et lui permet de peser sur le plan diplomatique. Ne perdons pas de vue les fondamentaux : la force brute n’a jamais généré de paix durable; c’est la capacité à transformer l’action militaire en liberté d’action politique qui caractérise la puissance. C’est dans ce cadre, en déclinant ce qui fait notre singularité, que se conçoit le futur de la puissance aérospatiale nationale, au service du chef des armées. g
Propos recueillis par Joseph Henrotin, le 5 mai 2017
Notes
(1) Grand Réseau Adapté à la Veille Spatiale.
(2) EC 1/4 Dauphiné jusqu’en 2010, EC 2/4 La Fayette jusqu’en 2011.
(3) NDLR : le colonel Le Saint a publié plusieurs articles de stratégie aérienne. Il a également traduit l’ouvrage Bombing to Win, du politologue américain Robert Pape (Bombarder pour vaincre. Puissance aérienne et coercition dans la guerre, La Documentation française, Paris, 2011).