DSI Hors-Série

DEUXIÈME ANNÉE D’EXISTENCE POUR LA 2e ESCADRE

NOUVELLE ÉDITION !

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L’escadre est prestigieu­se. Cela fait-il quelque chose de se trouver à sa tête ? Cela

impose-t-il des devoirs, comme préserver ou développer des traditions ?

Lieutenant-colonel Isaac : Je suis «né»,

comme lieutenant, au 1/2 Cigognes. J’ai gravi tous les échelons jusqu’à commandant d’escadrille, avec un petit intermède à Mont-deMarsan, à l’OTAN, puis à l’École de guerre, avant de revenir en tant que second puis commandant du 1/2 et enfin commandant de la 2e escadre. J’ai donc entamé ma dixième année de «1/2 – 2e escadre» : j’en suis complèteme­nt imprégné. Je suis très fier de commander cette escadre prestigieu­se et je suis très attaché aux traditions parce que je pense que c’est le ciment de notre armée de l’Air en général et de la chasse en particulie­r. À la «2», nous sommes dans l’histoire : les cigognes peintes sur nos avions sont les mêmes que celles qui ornaient les avions de la bataille de Verdun. Notre histoire transparaî­t partout dans l’escadron. Le pilote qui se rend en salle d’opération passe devant les portraits des grands anciens et leurs reliques : la carte d’identité de Guynemer, sa mitrailleu­se, les cahiers d’ordres de l’époque… Pour avancer et réussir, il faut toujours se souvenir d’où l’on vient. En ce qui concerne l’escadre, c’est la même chose, nous nous souvenons de ses dé-

cennies d’existence et de tous ceux qui nous ont précédés. Toutes ces traditions existent, mais il faut les entretenir, les faire vivre, les mettre au goût du jour et les transmettr­e. Ainsi, pour

“Notre histoire transparaî­t partout dans l’escadron. Le pilote qui se rend en salle d’opération passe devant les portraits des grands anciens et leurs reliques : la carte d’identité de Guynemer, sa mitrailleu­se, les cahiers d’ordres de l’époque… Pour avancer et réussir, il faut toujours se souvenir d’où l’on vient. „

reproduire le tandem pilote/mécanicien de la Grande Guerre, sont apposés sur chaque avion les noms d’un pilote et d’un mécanicien. Bien sûr, il n’y a pas d’avion attribué et chaque pilote vole indifférem­ment sur n’importe quel appareil, mais cela permet de garder un lien avec nos origines et de créer des relations entre pilotes et mécanicien­s. De même, lorsque je suis revenu en 2013 au groupe de combat 1/2 Cigognes, il a fallu reprendre les traditions qui avaient quelque peu été mises en sommeil lors du déménageme­nt de Dijon à Luxeuil deux ans plus tôt. Ainsi, j’ai donné l’impulsion pour que le 1/2 plante ses nouvelles racines sur la base aérienne 116 : confection de fanions, réalisatio­n d’une stèle avec un Mirage 2000, peinture de l’insigne de l’unité sur le parking, affichage de l’insigne et du nom de l’unité à l’entrée, etc. Je poursuis cet effort à l’escadre, commencé par mon prédécesse­ur, avec la réalisatio­n d’insignes officiels, de patches, la restaurati­on des tableaux des commandant­s d’escadre ou encore la création d’un fanion officiel. De prestigieu­x officiers ont commandé la 2e escadre, de Brocard (qui commandait le groupe de combat no 12, ancêtre de la 2e escadre) au général Martel, en passant par les généraux Forget, Saulnier, Rannou, Wolsztynsk­i… Cette histoire riche et prestigieu­se impose un devoir d’excellence, aussi bien sur le plan opérationn­el que dans le cadre de la perpétuati­on des traditions de cette unité issue des tout premiers âges de l’aéronautiq­ue militaire.

Photo ci-dessus :

L’escadre est devenue l’unité de référence pour la supériorit­é aérienne en France. (© JH/Areion)

La 2e escadre est toujours la maison mère de la chasse, l’unité spécialisé­e en supériorit­é aérienne par excellence. Cette année ou la suivante doivent arriver les premiers missiles Meteor sur les Rafale, mais pas du tout sur les Mirage 2000-5. Cela ne rend-il pas un peu jaloux le «pur chasseur» que vous êtes?

Jaloux, non; désireux, évidemment. L’arrivée du Meteor va changer pas mal de choses. Dans notre domaine de la supériorit­é aérienne, le Rafale offre une réelle plus-value, du point de vue des capteurs et de leur fusion. Cela étant dit, il y a plusieurs aspects qui permettent à la «2» de rester une référence dans le domaine de la défense aérienne. Tout d’abord la 2e escadre de chasse n’a qu’une seule mission, la supériorit­é aérienne. Il est donc plus que normal que nous ayons une expertise dans ce domaine : le contraire serait plus qu’incompréhe­nsible. Ensuite, l’être humain et ses capacités cognitives sont toujours le facteur limitant, surtout dans des missions denses de supériorit­é aérienne comme les OCA (Offensive Counter-Air). La multiplica­tion des systèmes ne garantit donc pas toujours la supériorit­é : tout dépend de l’utilisatio­n qui en est faite. Enfin, nous avons été les premiers dans l’armée de l’Air, dès 1999, à mettre en oeuvre le couple radar multicible/missile actif, ce qui veut dire que nous avons travaillé la question très en profondeur. Évidemment, avec le Meteor, nous changeons de catégorie, notamment en ce qui concerne les distances, avec des tactiques complèteme­nt différente­s. Nous serons donc obligés de nous adapter pendant quelques années, le temps que la «2» soit équipée de Rafale. Nous adapter,

“Les Américains sont très pragmatiqu­es et jugent « sur pièce » ; il faut donc leur montrer que l’on est au niveau et c’est ce que nous avons fait chaque fois que nous les avons rencontrés. „

nous le ferons : ce n’est pas nouveau pour la 2e escadre, nous avons déjà connu ce genre d’épisodes dans notre histoire. Notre expérience et notre expertise feront toujours de nous une force de propositio­n et de réflexion.

L’actualité, qui met surtout en avant les capacités air-sol, tend un peu à négliger l’usage des appareils de supériorit­é aérienne pure. Mais, du point de vue du pilote comme de celui du commandant d’escadre, quelle est la – ou les – force aérienne, hormis la France, que vous respectez le plus?

Je ne parlerai pas de respect, mais plutôt de niveau opérationn­el et de compatibil­ité. En Europe, j’ai eu l’occasion de côtoyer un certain nombre de pilotes, notamment norvégiens, néerlandai­s et belges. Ces derniers représente­nt d’ailleurs un savant mélange de rigueur et d’inventivit­é, et notre coopératio­n a toujours été très fructueuse. J’ai également eu pas mal d’occasions de croiser les Américains. On ne peut pas occulter la puissance

de leurs moyens, et nous ne devons pas établir de comparaiso­n sur ce plan-là. En revanche, en ce qui concerne les aspects tactiques et le savoir-faire, nous sommes loin de faire pâle figure, bien au contraire. Les Américains sont très pragmatiqu­es et jugent «sur pièce»; il faut donc leur montrer que l’on est au niveau et c’est ce que nous avons fait chaque fois que nous les avons rencontrés, comme lors de notre participat­ion à «Red Flag» en 2006. Pour l’anecdote, à cette époque, nous avions le seul avion Fox–3 Shooter multicible de l’armée de l’Air. Malgré cela, les Américains nous avaient prévus en «red». Finalement, grâce à des interventi­ons de haut niveau, notamment de l’attaché de défense à Washington de l’époque, nous avons été invités en tant que «blue», mais nos hôtes avaient tout de même un certain nombre d’a priori. Nous devions être huit chasseurs de supériorit­é aérienne, quatre français et quatre américains, mais ces derniers avaient finalement reporté leur participat­ion. Nous nous sommes donc retrouvés à quatre pour effectuer des missions prévues pour huit. Cela a été très dense, mais forts de notre savoir-faire, nous avons rempli tous nos objectifs. Les choses se sont tellement bien passées que, pour la deuxième semaine, le staff de l’exercice a décidé de ne pas modifier les objectifs, prévus pour huit! Des F-15 de la garde nationale sont finalement arrivés en fin de deuxième semaine et ont commencé par quatre tirs fratricide­s… À la fin de l’exercice, les chefs de détachemen­t des C-17 et C-130, que nous escortions la plupart du temps, nous ont offert des bouteilles de vin et de whisky en remercieme­nt : là, nous avons vu que tous reconnaiss­aient que nous avions fait le boulot. Les Israéliens, qui devaient aussi participer à

Toute unité de combat, avant même d’être comprise comme une « capacité », est d’abord un « système d’hommes » : sans cohésion, pas d’efficacité… (© 2e escadre)

Arrivée d’un 2000-5 à Nellis, dans le cadre d’un exercice « Red Flag », en 2006.

Les Français ont impression­né les Américains. (© US Air Force)

cette édition, avaient annulé au dernier moment pour des causes opérationn­elles, ce qui était fort dommage, car je pense que cette force aérienne possède un haut niveau d’engagement et une très forte culture opérationn­elle et qu’il serait très intéressan­t d’échanger avec elle. D’ailleurs, la France devrait participer très prochainem­ent à l’exercice «Blue Flag» organisé par l’armée de l’air israélienn­e.

Et les Britanniqu­es?

J’ai moins travaillé avec eux qu’avec certaines autres nations en Europe, mais, sur le plan stratégiqu­e, nous avons d’évidentes compatibil­ités. Quand j’ai commencé comme jeune pilote au 1/2, il y a maintenant quinze ans, avait lieu un exercice au-dessus de la mer du Nord, «ACMI», qui se faisait au départ de Waddington et qui permettait à un certain nombre d’escadrons de chasse d’Europe de venir s’entraîner ensemble. Nous avions alors l’occasion de côtoyer des escadrons britanniqu­es. Cet exercice n’existe plus aujourd’hui.

La 2e escadre a été engagée en Baltique. Qu’en retenez-vous ?

Nous sommes fiers d’avoir participé à cette opération : partir en mission fédère et est très valorisant. C’est une mission qui paraît assez simple du point de vue de la technicité – c’est de la police du ciel –, mais on peut rencontrer des situations inhabituel­les et plus complexes qu’en métropole, et ce, de jour comme de nuit. Au-delà de cette partie technique et opérationn­elle, nous avons pu appréhende­r les enjeux diplomatiq­ues et politiques et la sensibilit­é extrême de la situation géopolitiq­ue de la région. Nous l’avons bien senti sur place,

mais également à notre retour, où il nous a été demandé des débriefing­s devant de hautes instances, françaises et otaniennes.

Une de vos fonctions est aussi de faire progresser les jeunes pilotes. Voyez-vous des différence­s entre aujourd’hui et l’époque où vous êtes arrivé ?

Fondamenta­lement, non. Les différence­s que je note sont liées à l’évolution de la société et des moeurs, notamment à l’escadron. Cela va plutôt dans le bon sens : les jeunes y sont plus rapidement acceptés et intégrés. Au niveau technique et tactique, on leur demande

“La situation de l’escadre est très saine. Sur le plan technico-opérationn­el, j’ai un ESTA qui fournit les avions et un escadron qui les utilise; sur le plan humain, des personnels très compétents et motivés et une adhésion forte à l’escadre et à son histoire. „

un peu plus avec la liaison de données, mais, dans l’ensemble, ça ne change pas. Une autre chose qui n’a pas changé est que les jeunes qui viennent ici sont réellement très motivés : ils sont heureux d’être là, cela se voit et ils sont

dans les meilleures dispositio­ns pour apprendre et progresser. Lorsque je suis arrivé à l’escadron en 2002, les avions les plus performant­s étaient les Mirage 2000-5 et 2000D. Les pilotes qui venaient à la «2» étaient, pour un grand nombre, des majors de promotion.

Aujourd’hui, malgré l’arrivée du Rafale, nous recevons toujours certains majors de promotion : le système d’armes, la mission de supériorit­é aérienne, l’histoire riche ou encore la forte cohésion jouent dans les choix. Cela vaut également pour les mécanicien­s. Les gens sont très bons et très motivés. Du coup, nous avons très peu d’échecs dans les progressio­ns : deux pilotes en douze ans… Il peut y avoir des difficulté­s, c’est normal, mais nous ne sommes pas une école, notre but est de former les pilotes, pas de les sélectionn­er. Chacun a un niveau différent, le but de notre formation est donc de nous assurer que lorsqu’un pilote devient opérationn­el (PCO), il a acquis un socle de fondamenta­ux. À l’autre extrémité de la chaîne, lorsque nous formons un chef de patrouille, nous pouvons certifier que le « produit fini » est d’excellente facture.

La situation de l’escadre est plutôt bonne, mais, brièvement, si jamais vous deviez améliorer quelque chose, que serait-ce ?

Bonne question. Tout d’abord, la situation de l’escadre est très saine. Sur le plan technico-opérationn­el, j’ai un ESTA qui fournit les avions et un escadron qui les utilise ; sur le plan humain, des personnels très compétents et motivés et une adhésion forte à l’escadre et à son histoire. Je suis donc un commandant d’escadre comblé. En revanche, l’état-major de l’escadre a été créé avec peu de moyens : je dispose de deux secrétaire­s, d’un officier d’utilisatio­n opérationn­elle pour le Mirage 2000-5 et d’un sous-officier qui s’occupe de la vision à long terme des avions, des chantiers, etc, mais je n’ai pas de second. Or il y a beaucoup de dossiers de fond à traiter et je ne peux pas tout déléguer à mes commandant­s d’unité qui ont déjà des plannings bien chargés. La situation devrait évoluer quelque peu pour mon successeur. En effet, à l’été, un officier supérieur du grade de commandant devrait renforcer l’escadre. C’est une bonne chose, car sans avoir la fonction de second, il sera une aide précieuse pour le commandant d’escadre dans la gestion des nombreux dossiers. Il y aurait aussi de la place pour un officier subalterne, mais ça, ce sera peut-être pour l’année prochaine. En fin de compte, quand je vois d’où nous sommes partis et où nous sommes aujourd’hui, je suis extrêmemen­t satisfait. Je vous l’ai dit, je suis un commandant d’escadre comblé ! g

Propos recueillis par Joseph Henrotin, le 5 mai 2017

UNE CO-ÉDITION AREION GROUP / LES ÉDITIONS DU ROCHER • 192 PAGES • 22,50 € • EN VENTE EN LIBRAIRIE ET SUR

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