SPÉCIFICITÉS ET ÉVOLUTIONS DU C2 DES OPÉRATIONS AÉRIENNES AUX ORIGINES DU C2
Le 20 septembre 2016, le général Goldfein, nouveau chef d’état-major de l’USAF,
faisait connaître les trois priorités qui gouverneraient son action à venir(1). Outre la «revitalisation» des escadrons au terme d’années d’engagements opérationnels, ses deux autres axes portent sur le domaine du Command and Control (C2).
Il s’est tout d’abord agi de son évolution vers une fonction « multi-domaine », au sens donné par les lexiques américain et de l’OTAN (2). Jusqu’en 2016, quatre domaines étaient reconnus (terre, mer, air puis espace), le cyber y étant ensuite ajouté . Ensuite, c’est la question de l’accès accru des officiers de l’USAF, généraux en particulier, à des postes de responsabilité dans des structures interarmées qui a été soulevée. C’est donc bien et assez logiquement le C2 qui se trouve au centre des préoccupations du nouveau chef d’état-major américain, comme d’ailleurs de bon nombre de ses collègues. Mais encore faut-il s’entendre sur ce que signifie et recouvre cette abréviation et comment l’envisager dans le milieu aérien.
LES SPÉCIFICITÉS AÉRIENNES
Une des particularités du C2 aéronautique est liée au maintien des communications audelà des lignes puis des espaces contrôlés
Division veille et études stratégiques -
“La perte de liaison ou de communication avec le commandement est un état physique dès le décollage. Et au sein d’une même formation, le lien entre les unités ne peut passer que par des moyens artificiels : la radio puis toutes les liaisons développées dans un souci d’efficacité (débit),
de sûreté (chiffrement) et de robustesse. „
Bureau Plans de l’EMAA.
à l’échelle mondiale maintenant, dans la profondeur du dispositif adverse, action que l’aviation est la seule à pouvoir entreprendre physiquement et massivement, dans ses moyens comme dans ses effets, y compris en présence de fronts continus. Cet aspect renforce la notion de contrôle, bien moins présente naturellement pour les deux autres armées. En effet, les communications et la liaison à tous les niveaux sont toujours possibles pour l’armée de terre, pour laquelle être «coupé» est déjà un signe de dysfonctionnement, nonobstant les opérations particulières derrière les lignes ennemies (3). Tandis que c’est longtemps un état « naturel » dans la marine, compte tenu de l’immensité du théâtre des opérations.
L’armée de l’air connaît les mêmes problèmes que la marine, mais poussés à leur paroxysme. La perte de liaison ou de communication avec le commandement est un état physique dès le décollage. Et au sein d’une même formation, le lien entre les unités ne peut passer, hors les quelques gestes de base de la Première Guerre mondiale, que par des moyens artificiels : la radio puis toutes les liaisons développées dans un souci d’efficacité (débit), de sûreté (chiffrement) et de robustesse. Dès lors, la séparation physique entre le commandeur, quel que soit son niveau de responsabilité, et ses subordonnés accentue le besoin de contrôle par le biais d’importants outils techniques, comme
Photoci-dessus:
Vue du CAOC d’Al-Udeid (Qatar),d’où sont conduites les opérations contre l’État islamique.(© DoD)
expression du commandement réel, c’està-dire de la faculté de coordonner les actions entreprises (4).
Le problème ne se pose pas seulement dans la communication des ordres du commandement aux subordonnés, mais aussi dans la transmission à la hiérarchie des informations nécessaires à la prise de décision : c’est la connaissance de la situation (situation awareness). Or la décision étant physiquement déportée, le commandant n’est pas au coeur de l’action et le partage d’informations est d’autant plus nécessaire. Cela explique le caractère éminemment technologique de l’armée de l’air, obligée de trouver, à commencer par le vol lui-même, des médias pour pallier l’inadaptation naturelle de l’être humain au milieu où elle opère. Le milieu, et donc les conditions d’exercice de la mission, a logiquement une conséquence sur la pratique, les conceptions et même la culture propre à chaque armée. Il a des conséquences profondes sur leur C2, notamment l’insistance particulière des domaines aéronautique et spatial sur l’importance du contrôle. Celui-ci pourrait, peu ou prou, supplanter la notion même de commandement, pourtant centrale, car il est porteur des dimensions de conception, de conduite et d’analyse générale des opérations aériennes qui sont les conditions premières du succès.
La question du commandement et du contrôle des opérations aériennes semble être apparue, en tant que telle et en France, lors de la bataille de Verdun. En effet, l’Allemagne, dès février 1916, engage des moyens supérieurs(5) dans le but d’empêcher la