DSI Hors-Série

PSDC : UNE FENÊTRE D’OPPORTUNIT­É?

- Entretien avec André DUMOULIN, attaché à l’institut royal supérieur de défense, professeur à l’université de Liège

LLa France se positionne à nouveau en faveur d’une relance de la Politique de Sécurité et de Défense Commune (PSDC). Mais, en fonction des récentes avancées dans le domaine du financemen­t ou du quartier général permanent, que peut la France ?

André Dumoulin : De toute évidence, une fenêtre d’opportunit­é semble s’ouvrir en matière de PSDC. Nous connûmes la même aubaine expliquant la naissance de la Politique Européenne de Sécurité et de Défense (PESD) fin des années 1990 : ouverture des neutres à une intégratio­n des problèmes de sécurité-défense dans l’union Européenne (UE), implicatio­n allemande dans les missions offensives, lâchage des Britanniqu­es à propos de l’union de l’europe occidental­e, prise de conscience française de participer plus collective­ment à la défense de L’UE. Depuis plusieurs mois maintenant, des décisions ont été prises pour relancer la PSDC, mais cela doit encore se concrétise­r dans les faits. Affaire à suivre à l’automne de cette année et en 2018. Mais les incertitud­es américaine­s, la perception des menaces externes et internes, la désintégra­tion de certains États du Sud avec ses effets sur la sécurité européenne et les conséquenc­es du Brexit ont probableme­nt modifié le curseur et imposé aux responsabl­es gouverneme­ntaux européens de rechercher une plus grande autonomie en la matière tout en « profitant » du départ des Britanniqu­es, considérés comme des « empêcheurs de PSDC en paix ». Les avancées annoncées, et pour certaines déjà concrétisé­es, sont importante­s : école de formation des pilotes au transport aérien tactique à Saragosse; volonté de solidarité européenne pour les approvisio­nnements d’équipement­s ou de service de défense via l’agence Européenne de Défense (AED) ; création d’un fonds européen pour la défense avec cofinancem­ent des projets de R&D et des prototypes (Commission européenne) ; feu vert pour organiser la Coopératio­n Structurée Permanente (CSP) ; financemen­t des battlegrou­ps via le mécanisme Athéna; entérineme­nt de la création à Bruxelles d’un petit quartier général permanent pour les missions non exécutives (Military Planning and Conduct Capability – MPCC) comme la formation des armées; publicatio­n début juin par L’AED des trois premiers appels à propositio­ns relatifs à l’action préparatoi­re de recherche de défense ; soutien à une force conjointe du G5 Sahel, etc.

Cette prise de conscience doit beaucoup à la France et… à l’allemagne. Le volontaris­me du président Macron et une Allemagne qui se voit comme une puissance sécuritair­e peuvent et doivent être les moteurs d’une PSDC plus affirmée, plus autonome, plus crédible. Il y a bien un processus de convergenc­e qui doit reposer aussi sur une implicatio­n des autres capitales. Et l’on perçoit combien le test de crédibilit­é devra passer par la définition des

La défense européenne peut être commune ou partagée selon les dossiers et les missions/ opérations, mais elle n’est pas intégrée au sens supranatio­nal du terme. Cela ne va pas changer à horizon prévisible.

critères de la future CSP, mais aussi par le degré d’ouverture de Paris à une souveraine­té quelque peu partagée en matière de sécurité-défense européenne. Sujet encore bien tabou, mais où la France pourrait rechercher une vision européiste en deçà d’une armée européenne intégrée encore utopique tout en souhaitant dépasser un intergouve­rnementali­sme par trop étroit alors que les menaces deviennent communes. Oui, il y a bien destin commun des Européens malgré les frontières nationales encore bien présentes. Vaste défi pour Paris qui va devenir la première puissance militaire dans le cadre de L’UE, après l’annonce du Brexit. En outre, avec l’élysée qui a placé l’europe au coeur de son discours et qui a donné au premier responsabl­e du Quai d’orsay l’appellatio­n de «ministre de l’europe et des Affaires étrangères », l’hexagone est en première ligne des «stimulateu­rs». Assurément, les Européens les plus volontaris­tes attendent avec impatience ce que Paris et Berlin vont proposer et décider pour asseoir cette autonomie dite stratégiqu­e dont la définition reste à préciser et les moyens à acquérir. Il faudra attendre l’après-élection allemande et l’édition de la revue stratégiqu­e de défense et de sécurité nationale française attendue pour fin septembre. Restera alors à rassurer les autres pays qui sont souvent méfiants à l’idée d’un directoire qui ne dit pas son nom, mais qui pourrait ici et maintenant devenir incontourn­able pour avancer.

Le choix d’une CSP faisant progresser quelques États plus vite que les autres est une avancée, attendue depuis longtemps. Mais, en se faisant l’avocat du diable, une PSDC à géométriqu­e variable est-elle encore une politique de sécurité et de défense réellement « commune » ? Peut-on en arriver, au niveau de L’UE, à une norme qui aurait la même valeur symbolique que l’article 5 otanien ?

L’union européenne a toujours fonctionné à géométrie variable, entre l’euro monnaie et Schengen et les différente­s dérogation­s nationales inscrites dans l’histoire juridique de L’UE. Auparavant, l’union de l’europe Occidental­e, bras armé de l’union, organisait également ses décisions selon le principe des statuts différenci­és. Certes, les traités sur L’UE ont une assise commune, mais nous savons pertinemme­nt qu’il nous faut avancer plus vite et plus loin avec ceux qui le veulent, ceux qui le peuvent. En ce qui concerne la CSP, la question des critères à définir et à faire adopter cet été sera importante, mais on ne peut à la fois faire de l’inclusivit­é «tolérante » et être ambitieux pour les missions les plus exigeantes. Si tous les pays de L’UE veulent en être (dans le premier cercle), cela va nécessaire­ment réduire les ambitions. Cela explique l’approche du ministre allemand de la Défense proposant que les pays aux ambitions moindres disposent d’un statut d’observateu­r.

A contrario et dans l’absolu, une CSP intégrant, à terme, tous les États de L’UE pourrait signifier que la prise de conscience des capitales en matière de PSDC a été concrétisé­e de manière optimale! Les questions capacitair­es seront de toute évidence sur le devant de la scène et l’on peut penser, par exemple, que la décision récente de coopératio­n étroite belgo-française avec l’achat par la Belgique de blindés de type SCORPION (Jaguar et Griffon) est «une sirène», un indicateur de la volonté de Bruxelles d’intégrer le premier cercle via ce message «subliminal». Mais, même sans CSP, les coopératio­ns militaires à la carte sont légion et continuero­nt à l’être, hors du cadre institutio­nnel et juridique du traité sur L’UE. L’exemple de la montée en puissance récente de la coopératio­n bilatérale finno-suédoise est là pour nous le rappeler. La défense européenne peut être commune ou partagée selon les dossiers et les missions/opérations, mais

Il y a bien un processus de convergenc­e qui doit reposer aussi sur une implicatio­n des autres capitales. Et l’on perçoit combien le test de crédibilit­é devra passer par la définition des critères de la future Coopératio­n Structurée Permanente (CSP), mais aussi par le degré d’ouverture de Paris à une souveraine­té quelque peu partagée en matière de sécuritédé­fense européenne.

elle n’est pas intégrée au sens supranatio­nal du terme. Cela ne va pas changer à horizon prévisible. Et toute symbolique devra passer par l’épreuve du réel. C’est là que sera jugé le degré de solidarité. Nous pouvons nous interroger sur ce point dès lors que la mise en oeuvre de l’article 42.7, souhaitée par Paris, n’a guère suscité d’enthousias­me dans sa concrétisa­tion, prise de risque oblige; nonobstant le fait que cette mobilisati­on a probableme­nt fait prendre conscience aux capitales des dangers communs. Tout comme la question de l’article 5 de L’OTAN reste effectivem­ent symbolique après sa mise en oeuvre après le 11 septembre 2001, et dont nous connaisson­s la suite. De plus, rappelons que le traité de L’OTAN garantit aux États membres une solidarité à la carte, sous toutes ses formes et sur base volontaire : chacun peut mettre dans le panier de la solidarité ce qu’il veut. Autre rappel : pour les États membres à la fois de L’UE et de L’OTAN, la défense territoria­le doit passer par… l’alliance atlantique.

Beaucoup d’observateu­rs ont vu dans le passage de Donald Trump par Bruxelles en mai un sérieux avertissem­ent sur la solidité du lien transatlan­tique et la nécessité pour les États européens de se concentrer sur leur défense… voire sur une défense européenne. Les États est-européens, traditionn­ellement réticents à une PSDC plus intégrée, ont-ils cette perception ? Les (non)-déclaratio­ns américaine­s, sur l’article 5 notamment, sont-elles de nature à affecter les relations UE-OTAN?

Les pays de l’est membres de L’OTAN ont une posture schizophré­nique. Ils veulent être rassurés en matière de défense collective par L’OTAN et son premier représenta­nt tout en étant inquiets de l’attitude erratique du président Trump en comparaiso­n de la pertinence et de l’argumentai­re des avancées européiste­s actuelles. Les positions diplomatiq­ues desdits États sont donc actuelleme­nt mouvantes et dépendront finalement de l’environnem­ent sécuritair­e, très incertain. Comme pour le Brexit, les pays d’europe centrale et orientale sont géographiq­uement des pays européens qui ne pourront pas jouer uniquement dans la cour américaine, proximité « spatiale » oblige. En outre, le différenti­el de moyens entre ces pays et les États historique­s formant l’union européenne rend difficile toute «rupture» en matière de PSDC. Courageux mais pas téméraires pourrait-on dire. Je rappelle également que le 21 juin dernier, la Chambre des représenta­nts des États-unis a adopté à une majorité écrasante une résolution réaffirman­t solennelle­ment l’engagement des États-unis envers le principe de défense collective de L’OTAN énuméré à l’article 5 du Traité. Autre certitude, les intérêts stratégiqu­es et commerciau­x américains en Europe restent immenses et L’OTAN est, à ce titre, une organisati­on relais, un outil d’interopéra­bilité et de normes capacitair­es. L’UE et L’OTAN sont complément­aires, à la fois par défaut et par nécessité. Les rivalités sont bien loin même si le différenti­el de moyens, mais aussi d’objectifs, entre les deux organisati­ons impose de tenter de clarifier les rôles, les charges, le partage des risques. Toutes questions dont les réponses ne peuvent être figées, il y va de l’intérêt des États du point de vue sécuritair­e, diplomatiq­ue et budgétaire.

L’exercice est évidemment toujours délicat, mais comment voyez-vous la PSDC en 2022 ?

On ne peut que travailler par scénarios, même si les décisions prises en la matière en 2016-2017 semblent donner des ailes à la PSDC. De toute évidence, c’est l’environnem­ent internatio­nal, la marge de manoeuvre budgétaire et les défis de la sécurité intérieure qui donneront le tempo. Si la culture stratégiqu­e commune ne sera pas encore au rendez-vous, ni la fin des duplicatio­ns en matière de systèmes d’armes, nous pouvons espérer que la phase «adolescent­e» de la PESD/PSDC sera terminée et que la maturation opérera concrèteme­nt. Certes, la PSDC est avant tout une politique de projection de forces et de moyens civils et militaires en vue de tenter de stabiliser certaines régions du monde dans le cadre d’une politique d’approche globale, mais on perçoit une lueur : celle d’une UE qui veut ajouter à sa Soft Security une dimension plus affirmée en matière de crédibilit­é pour des opérations certes volontaire­s, dans une gamme plus étendue et plus risquée. Nous pouvons aussi imaginer la publicatio­n d’un livre blanc européen de la sécurité-défense en lien avec le rapprochem­ent des programmat­ions militaires nationales, quelques unités militaires totalement intégrées (ballons d’essai), la réalisatio­n institutio­nnelle d’une Union européenne de la sécurité-défense, un véritable QG européen pour toutes les missions et opérations et une montée en puissance de L’AED sur fond de soutien de la Commission européenne.

Sans y parvenir, nous pourrions alors imaginer le retour de la notion de pilier européen dans L’OTAN ou, dans un processus de rupture difficilem­ent imaginable, le délitement de la notion de défense dans le cadre de L’UE.

En définitive, comme dans bien des politiques, la PSDC mature dès lors que des crises atteignent l’union, avec des «avancées par ambiguïté», pour paraphrase­r Pierre Vimont.

Nous pouvons espérer que la phase « adolescent­e » de la PESD/PSDC sera terminée et que la maturation opérera concrèteme­nt.

Propos recueillis par Joseph Henrotin, le 4 juillet 2017

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La coopératio­n européenne est historique­ment centrée sur les aspects capacitair­es, mais implique également que les États « jouent le jeu »… (© Airbus)
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Attaché à l'institut royal supérieur de défense, professeur à l'université de Liège.
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Progressio­n de T-72 polonais au cours d'un exercice. Les différenti­els de participat­ion à la PESD ne cesseront pas du jour au lendemain. (© Polish MOD)

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