ARROMANCHES III : UN DÉPLOIEMENT RÉVÉLATEUR DU RETOUR AU PREMIER PLAN DE LA STRATÉGIE NAVALE
UN DÉPLOIEMENT RÉVÉLATEUR DU RETOUR AU PREMIER PLAN DE LA STRATÉGIE NAVALE
mission « Arromanches III » constitue le troisième volet des déploiements opérés par le Groupe Aéronaval (GAN) dans sa lutte contre Daech depuis 2015. Cette mission planifiée pour une durée initiale de deux mois a été prolongée à deux reprises par les autorités politiques pour finalement s’étendre sur trois mois et demi. Ces prolongations successives répondent à l’évolution des rapports de force sur le théâtre en Irak et en Syrie et à la nécessité de soutenir les forces irakiennes sur le terrain.
Les lancements des batailles de Mossoul puis de Raqqa (1) ont donc contribué à revoir la planification initiale, avec des conséquences logistiques et opérationnelles dans une phase de transition pour la Marine entre matériel ancien et équipement de dernière génération. Enfin, ce déploiement s’opère dans un environnement complexe marqué par la confirmation de la remontée en puissance de la marine russe. La mise en exergue des différents défis relevés par le GAN, et donc la Marine nationale, démontre l’importance des choix capacitaires ou de formats effectués et l’urgence de respecter le rythme de renouvellement de la flotte afin de pouvoir contrer les menaces émergentes sur les voies de communication maritimes et maintenir notre liberté d’action. La mission « Arromanches III » témoigne du retour de la stratégie navale sur le devant de la scène des relations internationales et démontre le rôle majeur que la Marine nationale, en période de renouveau, est amenée à y jouer dans les prochaines décennies au service de la sécurisation des intérêts stratégiques de la Nation.
LE RETOUR EN FORCE DE LA STRATÉGIE NAVALE…
La mission « Arromanches III » témoigne du retour de la stratégie navale sur le devant de la scène des relations internationales et démontre le rôle majeur que la Marine nationale, en période de renouveau, est amenée à y jouer.
Le GAN, engagé en opérations en Méditerranée orientale, a été le témoin privilégié de la remontée en puissance de la marine russe. Lors d’« Arromanches II », des raids de bombardiers stratégiques à long rayon d’action, des tirs de missiles par des sous-marins devant Tartous et enfin des tirs de missiles de croisière depuis des frégates stationnées en mer Caspienne avaient inauguré cet aggiornamento de la marine russe (2). Cette tendance s’est confirmée à l’occasion de la mission « Arromanches III » avec, cette fois, l’emploi de moyens supplémentaires confirmant le retour de la marine russe dans cette région.
La Russie a complété sa démonstration de force en mettant en oeuvre un nouveau pan de ses capacités militaires. Début novembre 2016, le Groupe Aéronaval Russe (GAR), organisé autour du porte-avions Kuznetsov, est entré sur le théâtre méditerranéen par Gibraltar puis a poursuivi sa route jusqu’en Méditerranée orientale après
une halte au large de la Crète. Ce GAR comprend le croiseur nucléaire Piotr Velikyi (type Kirov), les frégates Smetlivyi (type Kashin), Pytlivyi (Krivak II), Grigorovitch (Krivak IV), Severomorsk et Kulakov (Udaloy I) (3). Le groupe aérien embarqué russe se compose entre autres de 10 Su-33 et 3 MIG-29 (4). Lors de la phase de ralliement du Kuznetsov, la mise en oeuvre des aéronefs a été savamment orchestrée avec une campagne médiatique destinée autant à L’OTAN qu’au peuple russe. Le président Poutine appuie son discours de retour de la « grande Russie » par l’emploi de l’ensemble du spectre des capacités militaires, et notamment navales. Le GAR est stationné devant le port de Tartous dont la Russie vient d’obtenir la cession à vie (5). Des travaux d’aménagements d’infrastructures portuaires sont en cours afin d’accueillir de façon permanente les plus grosses unités de la flotte. Le groupe aéronaval russe n’est que la partie visible de cette partie d’échecs engagée en Méditerranée et sur d’autres théâtres. L’activité sous-marine russe s’est intensifiée et la présence à proximité de câbles sous-marins de bâtiments capables de mettre en oeuvre des engins sous-marins a été rapportée (6).
La mondialisation ne se résume pas à l’échange de biens de consommation. Si les flottes de surface sont plus orientées vers la maîtrise et la protection des voies de communication maritimes et des détroits, le partage des données numériques est un pilier essentiel de l’économie mondiale. Lorsque l’on sait que 80 % des données numériques mondiales transitent par ces câbles et qu’une grande partie des approvisionnements de l’europe passe par voie maritime et notamment par Suez, on comprend mieux les enjeux que représente la Méditerranée orientale. La mise en place de boîtiers capables de récupérer des données ou d’en interrompre le passage est un véritable atout stratégique. Ce mode d’action n’est pas nouveau et la CIA l’utilise depuis la guerre froide. Ainsi, l’amiral Oudot de Dainville (7) rapporte comment, en 2008, des coupures de fibres optiques ont fortement entravé l’économie de pays comme l’inde et l’égypte. De même, au printemps 2011, la République populaire de Chine avait arraché un câble sous-marin en mer de Chine méridionale pour protester contre les tentatives du Vietnam pour étendre sa zone économique exclusive (8).
Enfin, la présence d’une base navale russe en Méditerranée, à proximité du Bosphore et de Suez, signe un changement majeur de la politique extérieure russe en Méditerranée. Ce positionnement place la marine russe à proximité immédiate d’une artère vitale pour les Occidentaux, le canal de Suez, tout en lui permettant de s’affranchir du passage du Bosphore lui donnant accès aux mers sans devoir attendre la fonte des glaces. Il ne faut pas oublier que la Russie est en proie à de réelles difficultés économiques en raison de la baisse du cours des matières premières. Ces démonstrations de force sont un moyen de rappeler à des investisseurs étrangers les possibilités offertes par le complexe militaroindustriel russe qui bénéficie de la relance de nombreux programmes (missiles Bulava, sous-marins Borei, Su-35, système S-300 puis S-400) depuis l’arrivée au pouvoir du président Poutine dans les années 2000 (9).
La politique de puissance mise en oeuvre par la Russie en Méditerranée orientale est donc symptomatique d’une stratégie plus globale visant à restaurer le statut de puissance de la Russie sur la scène internationale. L’utilisation d’une stratégie navale en soutien d’une visée impérialiste est également en oeuvre en mer de Chine méridionale. Dans les deux cas, la maîtrise des flux commerciaux ou de données numériques est un objectif sur fond de revitalisation des programmes d’armement et d’exportations. Enfin, la Méditerranée comme la mer de Chine méridionale, en raison leurs intérêts économiques et stratégiques (10), constituent des zones de déploiement privilégiées pour les porte-avions (Charles de Gaulle, USS Truman, USS Eisenhower, Kuznetsov en Méditerranée et Liaoning en mer de Chine méridionale). Ces unités ne sont pas uniquement un moyen d’entrée en premier sur le théâtre (Afghanistan 2001), mais aussi et surtout de formidables platesformes de commandement et de projection de moyens capables d’assurer la supériorité navale. L’arrivée prochaine du porte-avions USS Eisenhower en Méditerranée orientale confirme le renouveau de l’intérêt des Américains pour ce théâtre crisogène et leur volonté de maintenir leur liberté de navigation et d’action en dehors de toute contrainte. Ce point n’est pas sans rappeler les FONOP (Freedom Of Navigation Opérations) réalisées en mer de Chine méridionale.
Lorsque l’on sait que 80% des données numériques mondiales transitent par ces câbles sous-marins et qu’une grande partie des approvisionnements de l’europe passe par voie maritime et notamment par Suez, on comprend mieux les enjeux que représente la Méditerranée orientale.
… FACE À UN GROUPE AÉRONAVAL EN PHASE DE MUTATION…
L’épine dorsale de toute marine moderne repose sur les frégates. Ces bâtiments sont la cheville ouvrière de la Marine et concourent directement aux fonctions stratégiques (connaissance et anticipation, prévention, protection, intervention et dissuasion). En effet, ces bâtiments polyvalents sont à même de réaliser des missions de collecte de renseignement, d’assurer des opérations dans les différents
domaines de lutte (aérien, sous-marin et surface) en soutien d’une force aéronavale ou au profit des sous-marins nucléaires lanceurs d’engins. Ils constituent une capacité d’intervention rapide pouvant être déployée pour contenir une crise ou assurer une réponse immédiate à un conflit. Si le porte-avions, qui agit comme « un aimant » à sous-marins, nécessite la présence permanente d’une frégate de défense aérienne et d’une frégate anti-sous-marine, le format de cette escorte est régulièrement adapté en fonction de la menace. La prolifération de la menace sousmarine constitue un enjeu pour les prochaines années en raison de la capacité de déni d’accès (Access Denial) aux zones d’opérations lié à l’emploi de tels moyens.
Le déploiement du porte-avions pour la mission « Arromanches III » s’est effectué avec une escorte de deux frégates nationales (frégate anti-sous-marine Jean de Vienne et frégate antiaérienne Cassard) et d’une frégate allemande (FGS Augsbourg). Il faut rappeler que le porte-avions constitue une opportunité pour les nations européennes d’exposer leur position sur le plan international et de marquer leur solidarité avec la France. Ce format, qui permet de répondre à une menace standard dans l’ensemble des domaines de lutte, contraste avec celui adopté lors des missions « Arromanches I » et surtout « Arromanches II » (11). Le porte-avions évoluait alors dans une zone très complexe comme le golfe Arabo-persique sous la menace permanente des Pasdarans et devait franchir les détroits de Bab el-mandeb et d’ormuz sous la menace de missiles (12). Son escorte était alors assurée par la frégate de défense aérienne Chevalier Paul et les deux FREMM Aquitaine et Provence. L’escorte du porte-avions est dimensionnée par la nécessité de travailler dans un environnement interallié et aéromaritime complexe. Elle est donc prioritairement constituée de bâtiments équipés de radars de veille performants, de capacités anti-sous-marines modernes et d’une liaison tactique de type L-16 capable de traiter des flux d’informations importants, avec deux porteavions, dont un américain, et l’ensemble des aéronefs associés (groupe aérien à 70 aéronefs sur un porte-avions américain) sur le réseau. Tous les bâtiments français qui accompagnent le porte-avions répondent à ces exigences.
Les frégates antiaériennes de type Cassard, héritières de la « division de fer », rendent de bons services en escorte d’unités précieuses. Ainsi, le remplacement du J11 par un SMART-S a accru leur capacité de détection dans la 3e dimension. Cette maîtrise de la situation aérienne et l’expertise du domaine de la lutte antiaérienne en font toujours des escorteurs crédibles malgré leur âge avancé. Dans le domaine anti-sous-marin, les performances d’une frégate de type F70 restent honorables (sonar à immersion variable, sonar de coque 4110 identique à celui des FREMM), bien que le vieillissement du flotteur entraîne des limitations d’emploi sur les machines et que la suite radar (ensemble des senseurs radar) nécessite une surveillance et des maintenances sans rapport avec les faibles gains obtenus en retour dans les performances. Ces moyens, en dépit de leurs faiblesses, constituent une escorte crédible en environnement porte-avions. Ce savoir-faire est maintenu lors de phases dites de warm-up réalisées dans les ZONEX (13). Ces occasions d’appréhender l’univers du porte-avions sont cruciales pour les escorteurs, le porte-avions étant employé en opérations de façon quasi ininterrompue depuis cinq ans.
L’arrivée du GAR dans la zone d’opérations du Charles de Gaulle a donc entraîné une réévaluation de la menace et par conséquent une évolution du format et de la nature de l’escorte. Cette capacité d’adaptation de la Marine répond aux principes de différenciation. Pour accroître le niveau de protection contre la menace constituée par le GAR, les frégates de défense antiaérienne Chevalier Paul puis Forbin ont à leur tour rejoint le GAN en Méditerranée orientale après avoir relevé le Cassard. Ce rappel de la « jeune garde » met en exergue la justesse des choix effectués en matière d’équipements (radar à long rayon d’action, Aster 30, sonar 4110, torpilles MU90) pour ces frégates qui constituent les unités les plus puissantes de la Marine nationale avec les FREMM. On comprend mieux alors l’enjeu autour du format du nombre de frégates de premier rang (ou destroyer en anglais, d’où le « D » avant le numéro sur la coque). Dans le domaine logistique, les pétroliers ravitailleurs jouent un rôle primordial. Si la Marine
La prolifération de la menace sous-marine constitue un enjeu pour les prochaines années en raison de la capacité de déni d’accès ( Access Denial) aux zones d’opérations lié à l’emploi de tels moyens.
nationale peut « naviguer loin, longtemps, en équipage », elle le doit à sa flotte logistique. Le BCR Marne employé dans le cadre de la mission « Arromanches III » a répondu à l’ensemble des sollicitations, mais a montré des signes de fatigue évidente, notamment sur ses machines. Le désarmement de la Meuse en 2015 et la réduction de la flotte des pétroliers ravitailleurs ont accru l’activité de bâtiments déjà en limite d’âge et souligné l’importance du programme FLOTLOG. Ce renouvellement du « train logistique » accompagne les évolutions liées au « tout Rafale ». Il s’agit de disposer de navires de soutien capables de fournir en bombes, carburant (TR5) et pièces de rechange un groupe aérien embarqué constitué de 24 Rafale et 2 E-2C. Le domaine d’emploi du Rafale Marine continue d’être exploré : rythme des pontées, temps de vol au-dessus du théâtre et capacité d’armement. Le Rafale Marine peut à présent délivrer la GBU-24 Paveway III (14), bombe d’un peu plus d’une tonne, en étant catapulté du porte-avions.
… QUI PRÉPARE L’AVENIR ET LES OPÉRATIONS DE DEMAIN
En dépit des difficultés liées au vieillissement de ses moyens et des modifications de programme récurrentes, les missions sont remplies et le groupe aéronaval, à l’instar de la Marine, démontre sa capacité d’adaptation. Comme aiment à le répéter les marins, « on ne fait pas contre la mer, on fait avec ». Lors de la mission « Arromanches III », le principal défi a consisté à mener des opérations de guerre dans le cadre de l’opération « Chammal» tout en pérennisant l’avenir, avec notamment l’arrêt du Charles de Gaulle pour entretien programmé.
Lors de son audition devant la commission de la Défense et des Forces armées, le 12 octobre 2016, le chef d’état-major de la Marine s’est déclaré attentif au respect du calendrier des livraisons de bâtiments de surface et a défendu le format à 15 frégates de premier rang pour la Marine, à rapprocher des 19 de la Royal Navy. Ce format est dimensionné par les objectifs fixés par le livre blanc de 2013, mais est peu adapté aux sollicitations auxquelles la Marine doit répondre. En effet, la Marine déploie des unités sur cinq théâtres, contre deux prévus par le même livre blanc, comme le rappelle le chef d’état-major de la Marine. Sauf à revoir son niveau d’engagement pour se conformer au contrat défini, il est nécessaire d’adapter les moyens aux missions.
De façon plus concrète, pour assurer la surveillance de nos approches en Atlantique et en Méditerranée, il est nécessaire de disposer en permanence d’une frégate par façade, soit deux unités à la mer. Des déploiements réguliers en Méditerranée orientale, dans le golfe Arabo-persique et en Atlantique nord en raison de la résurgence de l’activité russe appellent trois frégates de plus. Le golfe de Guinée ou la Méditerranée centrale peuvent ponctuellement nécessiter une frégate. Les missions « Nemo » (golfe de Guinée) et « Sophia » (Méditerranée centrale) sont assurées par des patrouilleurs de haute mer qui doivent être remplacés. Enfin, la mission « Jeanne d’arc » de formation des officiers de Marine comprend une frégate dans son escorte en plus du BPC. La Marine déploie donc en permanence sept frégates. Pour assurer la continuité des missions, il faut au minimum une relève, soit un format à 14 frégates. En prenant en compte le contrat opérationnel à 100/120 jours de mer par an, les entretiens techniques et les périodes d’entraînement, il est nécessaire de multiplier le chiffre initial par trois, soit 21 frégates. Le résultat obtenu est proche de celui avancé par l’amiral Païtard, soit 23 frégates, lorsqu’il avait été interrogé par les mêmes membres de la commission de la Défense et des Forces armées.
Enfin, l’arrêt Technique Majeur (ATM) du porte-avions est un enjeu important pour la Marine. En effet, il s’agit, comme l’explique le commandant du porte-avions, de relever un défi à la fois opérationnel et industriel (15). Opérationnel tout d’abord, puisque durant cet « arrêt au stand » il faudra maintenir l’ensemble des savoir-faire acquis depuis quinze ans d’exploitation de cet outil complexe. Une planification minutieuse a été établie afin de réaliser des entraînements simulés sur piste à Landivisiau, où un porte-avions sera dessiné sur le sol pour gérer les problèmes d’encombrement du pont d’envol et permettre aux pilotes de conserver leurs qualifications. À Toulon et à Saint-mandrier, les équipes du central opérations mettront en oeuvre des thèmes tactiques autour de la protection du Charles de Gaulle dans l’ensemble des domaines de lutte, là aussi pour garder, transmettre et faire évoluer la doctrine d’emploi et de protection du porte-avions. Sur le plan industriel, le défi
Les pétroliers ravitailleurs jouent un rôle primordial. Si la Marine nationale peut « naviguer loin, longtemps, en équipage », elle le doit à sa flotte logistique. Le BCR Marne employé dans le cadre de la mission « Arromanches III » a répondu à l’ensemble des sollicitations, mais a montré des signes de fatigue évidente.
consiste à réaliser les modifications techniques permettant d’inscrire le porte-avions dans les opérations jusqu’en 2041.
Les rénovations portent essentiellement sur les transmissions, le système de combat et les radars. En sortie D’ATM, le porte-avions devra évoluer selon les mêmes standards technologiques que les FREMM, les frégates de défense aérienne et les sous-marins Barracuda. On comprend alors la mobilisation de l’ensemble des marins et des industriels autour de ce rendez-vous et, comme le souligne le commandant Éric Malbrunot, c’est bien « l’équipe France » qui est à la manoeuvre pour réussir ce chantier et redonner à la nation un moyen stratégique encore plus performant, le plus rapidement possible. Ce point est souligné par les itérations successives quant à sa prolongation sur le théâtre et la difficulté des autorités politiques françaises à se passer d’un outil indispensable aux opérations tant par sa capacité d’action ou de recueil d’informations que par le poids qu’il peut représenter dans les négociations avec les nations alliées. Le poids politique du Charles de Gaulle a été rappelé par le ministre de la Défense lors de son allocution à bord, début octobre 2016, et explique les incertitudes générées autour de la question de sa prolongation sur le théâtre des opérations. Cette question a été à deux reprises tranchée par la plus haute autorité de l’état. L’arrêt du Charles de Gaulle pour entretien va donc inaugurer pour la France une période de carence stratégique. Il convient donc de garder à l’esprit les capacités offertes par ce moyen, le seul porte-avions européen, au moment où la question de son remplacement se pose.
CONCLUSION
Des pays dits continentaux comme la Russie ou la Chine trouvent les moyens d’affirmer ou de restaurer leur statut de puissance au travers d’une stratégie navale. La Méditerranée orientale comme la mer de Chine méridionale constituent des zones de crise régionales, mais offrent, par leur résonance, une tribune à des pays en quête de reconnaissance mondiale. Dans ces rapports de force, les flottes chinoises ou russes connaissent depuis une dizaine d’années une révolution qualitative et quantitative sans précédent. La mondialisation est maritime et ces puissances ont compris l’intérêt d’en maîtriser tous les canaux de diffusion. En Europe comme en France, la lutte contre le terrorisme a permis de sanctuariser les dépenses en matière de défense. Cependant, les menaces étatiques sur notre sécurité existent encore. Avec comme mission de surveiller et de contrôler une zone de 12 millions de kilomètres carrés, soit l’équivalent de l’europe, la Marine nationale inscrit son action dans la protection des approches du territoire tout en traitant la menace au plus loin.
Paradoxalement, c’est dans la Marine que l’effectif est le moins nombreux, avec 35 000 hommes sur les 230 000 que comptent les armées. Face aux enjeux de sécurité, d'approvisionnement et d'exploitation des ressources maritimes, la Marine nationale doit faire évoluer son format pour s’adapter aux crises post-guerre froide. La mer est déjà le théâtre de conflits pour la sécurisation des ressources présentes (hydrocarbures, halieutiques) et à venir (hydrates, nodules polymétalliques, molécules pour de futurs médicaments, terres rares). Les mers demeurent un espace de conquête et 90% des fonds marins restent à explorer. À travers la mission « Arromanches III », la Marine nationale est un témoin privilégié de l’avènement de l’usage de la stratégie navale au service d’enjeux de puissance à l’échelle mondiale. La Marine française est aux avant-postes de ces bouleversements et constitue le premier rempart dans la préservation des intérêts stratégiques de la nation. Si on place les moyens et les effectifs en regard des enjeux et des défis à relever, la Royale peut adopter en la projetant dans l’avenir la célèbre citation de sir Winston Churchill : « Jamais tant de gens ne devront autant à si peu. »
Notes
(1) Raqqa est considérée comme la capitale du califat autoproclamé par Daech. (2) Emmanuel Huberdeau, « Syrie : La Russie frappe avec des bombardiers stratégiques », air-cosmos.com, 17 novembre 2015. (3) « Le groupe aéronaval russe en route pour la Syrie », meretmarine.com, 24 octobre 2016. (4) « Un MIG-29K russe s’écrase en Méditerranée à quelques kilomètres de son porte-avions », sputniknews. com, 14 novembre 2016. (5) Source AFP du 10 octobre 2016 à 12 h 32. (6) Serge Leblal, « Les sous-marins russes près des câbles transatlantiques inquiètent les Américains », lemondeinformatique.fr, 26 octobre 2015. (7) Alain Oudot de Dainville, Faut-il avoir peur de 2030 ?, l’harmattan, Paris, 2014, p. 61. (8) Pierre Journoud, « Avis de conflit en mer de Chine méridionale ? », Lettre de L’IRSEM, mars 2013. (9) Eric Lerais, « L’industrie de défense russe : un vecteur de puissance pour le Kremlin ? », blog Géostratégie et affaires internationales, 2 juillet 2011. (10) François Gipouloux, La Méditerranée asiatique : villes portuaires et réseaux marchands en Chine, Japon et en Asie du Sud-est, XVIE-XXIE siècle, CNRS Éditions, Paris, 2009. (11) AGS Augsburg, Léopold 1er, HMS Kent, Chevalier Paul, Aquitaine, Provence. (12) Jon Gambrell, « Missiles fired from rebel-held Yemen land near US destroyer », apnews.com, 10 octobre 2016. (13) ZONEX : Zones d’exercices au sud Toulon, espace aéromaritime géré en collaboration avec les organismes civils pour assurer des conditions réalistes d’entraînement des forces de surface, aériennes et sous-marines des armées françaises. (14) « Le Rafale Marine réalise un cycle complet avec une bombe d’une tonne », meretmarine.com, 2 décembre 2016. (15) Éric Malbrunot, « L’arrêt technique majeur du Charles de Gaulle, un défi opérationnel et industriel », Défense et innovation, Lettre no 182.
la Marine déploie des unités sur cinq théâtres, contre deux prévus par le livre blanc de 2013, comme le rappelle le chef d’état-major de la Marine. Sauf à revoir son niveau d’engagement pour se conformer au contrat défini, il est nécessaire d’adapter les moyens aux missions.