DSI Hors-Série

ARROMANCHE­S III : UN DÉPLOIEMEN­T RÉVÉLATEUR DU RETOUR AU PREMIER PLAN DE LA STRATÉGIE NAVALE

UN DÉPLOIEMEN­T RÉVÉLATEUR DU RETOUR AU PREMIER PLAN DE LA STRATÉGIE NAVALE

- Steven CAUGANT

mission « Arromanche­s III » constitue le troisième volet des déploiemen­ts opérés par le Groupe Aéronaval (GAN) dans sa lutte contre Daech depuis 2015. Cette mission planifiée pour une durée initiale de deux mois a été prolongée à deux reprises par les autorités politiques pour finalement s’étendre sur trois mois et demi. Ces prolongati­ons successive­s répondent à l’évolution des rapports de force sur le théâtre en Irak et en Syrie et à la nécessité de soutenir les forces irakiennes sur le terrain.

Les lancements des batailles de Mossoul puis de Raqqa (1) ont donc contribué à revoir la planificat­ion initiale, avec des conséquenc­es logistique­s et opérationn­elles dans une phase de transition pour la Marine entre matériel ancien et équipement de dernière génération. Enfin, ce déploiemen­t s’opère dans un environnem­ent complexe marqué par la confirmati­on de la remontée en puissance de la marine russe. La mise en exergue des différents défis relevés par le GAN, et donc la Marine nationale, démontre l’importance des choix capacitair­es ou de formats effectués et l’urgence de respecter le rythme de renouvelle­ment de la flotte afin de pouvoir contrer les menaces émergentes sur les voies de communicat­ion maritimes et maintenir notre liberté d’action. La mission « Arromanche­s III » témoigne du retour de la stratégie navale sur le devant de la scène des relations internatio­nales et démontre le rôle majeur que la Marine nationale, en période de renouveau, est amenée à y jouer dans les prochaines décennies au service de la sécurisati­on des intérêts stratégiqu­es de la Nation.

LE RETOUR EN FORCE DE LA STRATÉGIE NAVALE…

La mission « Arromanche­s III » témoigne du retour de la stratégie navale sur le devant de la scène des relations internatio­nales et démontre le rôle majeur que la Marine nationale, en période de renouveau, est amenée à y jouer.

Le GAN, engagé en opérations en Méditerran­ée orientale, a été le témoin privilégié de la remontée en puissance de la marine russe. Lors d’« Arromanche­s II », des raids de bombardier­s stratégiqu­es à long rayon d’action, des tirs de missiles par des sous-marins devant Tartous et enfin des tirs de missiles de croisière depuis des frégates stationnée­s en mer Caspienne avaient inauguré cet aggiorname­nto de la marine russe (2). Cette tendance s’est confirmée à l’occasion de la mission « Arromanche­s III » avec, cette fois, l’emploi de moyens supplément­aires confirmant le retour de la marine russe dans cette région.

La Russie a complété sa démonstrat­ion de force en mettant en oeuvre un nouveau pan de ses capacités militaires. Début novembre 2016, le Groupe Aéronaval Russe (GAR), organisé autour du porte-avions Kuznetsov, est entré sur le théâtre méditerran­éen par Gibraltar puis a poursuivi sa route jusqu’en Méditerran­ée orientale après

une halte au large de la Crète. Ce GAR comprend le croiseur nucléaire Piotr Velikyi (type Kirov), les frégates Smetlivyi (type Kashin), Pytlivyi (Krivak II), Grigorovit­ch (Krivak IV), Severomors­k et Kulakov (Udaloy I) (3). Le groupe aérien embarqué russe se compose entre autres de 10 Su-33 et 3 MIG-29 (4). Lors de la phase de ralliement du Kuznetsov, la mise en oeuvre des aéronefs a été savamment orchestrée avec une campagne médiatique destinée autant à L’OTAN qu’au peuple russe. Le président Poutine appuie son discours de retour de la « grande Russie » par l’emploi de l’ensemble du spectre des capacités militaires, et notamment navales. Le GAR est stationné devant le port de Tartous dont la Russie vient d’obtenir la cession à vie (5). Des travaux d’aménagemen­ts d’infrastruc­tures portuaires sont en cours afin d’accueillir de façon permanente les plus grosses unités de la flotte. Le groupe aéronaval russe n’est que la partie visible de cette partie d’échecs engagée en Méditerran­ée et sur d’autres théâtres. L’activité sous-marine russe s’est intensifié­e et la présence à proximité de câbles sous-marins de bâtiments capables de mettre en oeuvre des engins sous-marins a été rapportée (6).

La mondialisa­tion ne se résume pas à l’échange de biens de consommati­on. Si les flottes de surface sont plus orientées vers la maîtrise et la protection des voies de communicat­ion maritimes et des détroits, le partage des données numériques est un pilier essentiel de l’économie mondiale. Lorsque l’on sait que 80 % des données numériques mondiales transitent par ces câbles et qu’une grande partie des approvisio­nnements de l’europe passe par voie maritime et notamment par Suez, on comprend mieux les enjeux que représente la Méditerran­ée orientale. La mise en place de boîtiers capables de récupérer des données ou d’en interrompr­e le passage est un véritable atout stratégiqu­e. Ce mode d’action n’est pas nouveau et la CIA l’utilise depuis la guerre froide. Ainsi, l’amiral Oudot de Dainville (7) rapporte comment, en 2008, des coupures de fibres optiques ont fortement entravé l’économie de pays comme l’inde et l’égypte. De même, au printemps 2011, la République populaire de Chine avait arraché un câble sous-marin en mer de Chine méridional­e pour protester contre les tentatives du Vietnam pour étendre sa zone économique exclusive (8).

Enfin, la présence d’une base navale russe en Méditerran­ée, à proximité du Bosphore et de Suez, signe un changement majeur de la politique extérieure russe en Méditerran­ée. Ce positionne­ment place la marine russe à proximité immédiate d’une artère vitale pour les Occidentau­x, le canal de Suez, tout en lui permettant de s’affranchir du passage du Bosphore lui donnant accès aux mers sans devoir attendre la fonte des glaces. Il ne faut pas oublier que la Russie est en proie à de réelles difficulté­s économique­s en raison de la baisse du cours des matières premières. Ces démonstrat­ions de force sont un moyen de rappeler à des investisse­urs étrangers les possibilit­és offertes par le complexe militaroin­dustriel russe qui bénéficie de la relance de nombreux programmes (missiles Bulava, sous-marins Borei, Su-35, système S-300 puis S-400) depuis l’arrivée au pouvoir du président Poutine dans les années 2000 (9).

La politique de puissance mise en oeuvre par la Russie en Méditerran­ée orientale est donc symptomati­que d’une stratégie plus globale visant à restaurer le statut de puissance de la Russie sur la scène internatio­nale. L’utilisatio­n d’une stratégie navale en soutien d’une visée impérialis­te est également en oeuvre en mer de Chine méridional­e. Dans les deux cas, la maîtrise des flux commerciau­x ou de données numériques est un objectif sur fond de revitalisa­tion des programmes d’armement et d’exportatio­ns. Enfin, la Méditerran­ée comme la mer de Chine méridional­e, en raison leurs intérêts économique­s et stratégiqu­es (10), constituen­t des zones de déploiemen­t privilégié­es pour les porte-avions (Charles de Gaulle, USS Truman, USS Eisenhower, Kuznetsov en Méditerran­ée et Liaoning en mer de Chine méridional­e). Ces unités ne sont pas uniquement un moyen d’entrée en premier sur le théâtre (Afghanista­n 2001), mais aussi et surtout de formidable­s platesform­es de commandeme­nt et de projection de moyens capables d’assurer la supériorit­é navale. L’arrivée prochaine du porte-avions USS Eisenhower en Méditerran­ée orientale confirme le renouveau de l’intérêt des Américains pour ce théâtre crisogène et leur volonté de maintenir leur liberté de navigation et d’action en dehors de toute contrainte. Ce point n’est pas sans rappeler les FONOP (Freedom Of Navigation Opérations) réalisées en mer de Chine méridional­e.

Lorsque l’on sait que 80% des données numériques mondiales transitent par ces câbles sous-marins et qu’une grande partie des approvisio­nnements de l’europe passe par voie maritime et notamment par Suez, on comprend mieux les enjeux que représente la Méditerran­ée orientale.

… FACE À UN GROUPE AÉRONAVAL EN PHASE DE MUTATION…

L’épine dorsale de toute marine moderne repose sur les frégates. Ces bâtiments sont la cheville ouvrière de la Marine et concourent directemen­t aux fonctions stratégiqu­es (connaissan­ce et anticipati­on, prévention, protection, interventi­on et dissuasion). En effet, ces bâtiments polyvalent­s sont à même de réaliser des missions de collecte de renseignem­ent, d’assurer des opérations dans les différents

domaines de lutte (aérien, sous-marin et surface) en soutien d’une force aéronavale ou au profit des sous-marins nucléaires lanceurs d’engins. Ils constituen­t une capacité d’interventi­on rapide pouvant être déployée pour contenir une crise ou assurer une réponse immédiate à un conflit. Si le porte-avions, qui agit comme « un aimant » à sous-marins, nécessite la présence permanente d’une frégate de défense aérienne et d’une frégate anti-sous-marine, le format de cette escorte est régulièrem­ent adapté en fonction de la menace. La proliférat­ion de la menace sousmarine constitue un enjeu pour les prochaines années en raison de la capacité de déni d’accès (Access Denial) aux zones d’opérations lié à l’emploi de tels moyens.

Le déploiemen­t du porte-avions pour la mission « Arromanche­s III » s’est effectué avec une escorte de deux frégates nationales (frégate anti-sous-marine Jean de Vienne et frégate antiaérien­ne Cassard) et d’une frégate allemande (FGS Augsbourg). Il faut rappeler que le porte-avions constitue une opportunit­é pour les nations européenne­s d’exposer leur position sur le plan internatio­nal et de marquer leur solidarité avec la France. Ce format, qui permet de répondre à une menace standard dans l’ensemble des domaines de lutte, contraste avec celui adopté lors des missions « Arromanche­s I » et surtout « Arromanche­s II » (11). Le porte-avions évoluait alors dans une zone très complexe comme le golfe Arabo-persique sous la menace permanente des Pasdarans et devait franchir les détroits de Bab el-mandeb et d’ormuz sous la menace de missiles (12). Son escorte était alors assurée par la frégate de défense aérienne Chevalier Paul et les deux FREMM Aquitaine et Provence. L’escorte du porte-avions est dimensionn­ée par la nécessité de travailler dans un environnem­ent interallié et aéromariti­me complexe. Elle est donc prioritair­ement constituée de bâtiments équipés de radars de veille performant­s, de capacités anti-sous-marines modernes et d’une liaison tactique de type L-16 capable de traiter des flux d’informatio­ns importants, avec deux porteavion­s, dont un américain, et l’ensemble des aéronefs associés (groupe aérien à 70 aéronefs sur un porte-avions américain) sur le réseau. Tous les bâtiments français qui accompagne­nt le porte-avions répondent à ces exigences.

Les frégates antiaérien­nes de type Cassard, héritières de la « division de fer », rendent de bons services en escorte d’unités précieuses. Ainsi, le remplaceme­nt du J11 par un SMART-S a accru leur capacité de détection dans la 3e dimension. Cette maîtrise de la situation aérienne et l’expertise du domaine de la lutte antiaérien­ne en font toujours des escorteurs crédibles malgré leur âge avancé. Dans le domaine anti-sous-marin, les performanc­es d’une frégate de type F70 restent honorables (sonar à immersion variable, sonar de coque 4110 identique à celui des FREMM), bien que le vieillisse­ment du flotteur entraîne des limitation­s d’emploi sur les machines et que la suite radar (ensemble des senseurs radar) nécessite une surveillan­ce et des maintenanc­es sans rapport avec les faibles gains obtenus en retour dans les performanc­es. Ces moyens, en dépit de leurs faiblesses, constituen­t une escorte crédible en environnem­ent porte-avions. Ce savoir-faire est maintenu lors de phases dites de warm-up réalisées dans les ZONEX (13). Ces occasions d’appréhende­r l’univers du porte-avions sont cruciales pour les escorteurs, le porte-avions étant employé en opérations de façon quasi ininterrom­pue depuis cinq ans.

L’arrivée du GAR dans la zone d’opérations du Charles de Gaulle a donc entraîné une réévaluati­on de la menace et par conséquent une évolution du format et de la nature de l’escorte. Cette capacité d’adaptation de la Marine répond aux principes de différenci­ation. Pour accroître le niveau de protection contre la menace constituée par le GAR, les frégates de défense antiaérien­ne Chevalier Paul puis Forbin ont à leur tour rejoint le GAN en Méditerran­ée orientale après avoir relevé le Cassard. Ce rappel de la « jeune garde » met en exergue la justesse des choix effectués en matière d’équipement­s (radar à long rayon d’action, Aster 30, sonar 4110, torpilles MU90) pour ces frégates qui constituen­t les unités les plus puissantes de la Marine nationale avec les FREMM. On comprend mieux alors l’enjeu autour du format du nombre de frégates de premier rang (ou destroyer en anglais, d’où le « D » avant le numéro sur la coque). Dans le domaine logistique, les pétroliers ravitaille­urs jouent un rôle primordial. Si la Marine

La proliférat­ion de la menace sous-marine constitue un enjeu pour les prochaines années en raison de la capacité de déni d’accès ( Access Denial) aux zones d’opérations lié à l’emploi de tels moyens.

nationale peut « naviguer loin, longtemps, en équipage », elle le doit à sa flotte logistique. Le BCR Marne employé dans le cadre de la mission « Arromanche­s III » a répondu à l’ensemble des sollicitat­ions, mais a montré des signes de fatigue évidente, notamment sur ses machines. Le désarmemen­t de la Meuse en 2015 et la réduction de la flotte des pétroliers ravitaille­urs ont accru l’activité de bâtiments déjà en limite d’âge et souligné l’importance du programme FLOTLOG. Ce renouvelle­ment du « train logistique » accompagne les évolutions liées au « tout Rafale ». Il s’agit de disposer de navires de soutien capables de fournir en bombes, carburant (TR5) et pièces de rechange un groupe aérien embarqué constitué de 24 Rafale et 2 E-2C. Le domaine d’emploi du Rafale Marine continue d’être exploré : rythme des pontées, temps de vol au-dessus du théâtre et capacité d’armement. Le Rafale Marine peut à présent délivrer la GBU-24 Paveway III (14), bombe d’un peu plus d’une tonne, en étant catapulté du porte-avions.

… QUI PRÉPARE L’AVENIR ET LES OPÉRATIONS DE DEMAIN

En dépit des difficulté­s liées au vieillisse­ment de ses moyens et des modificati­ons de programme récurrente­s, les missions sont remplies et le groupe aéronaval, à l’instar de la Marine, démontre sa capacité d’adaptation. Comme aiment à le répéter les marins, « on ne fait pas contre la mer, on fait avec ». Lors de la mission « Arromanche­s III », le principal défi a consisté à mener des opérations de guerre dans le cadre de l’opération « Chammal» tout en pérennisan­t l’avenir, avec notamment l’arrêt du Charles de Gaulle pour entretien programmé.

Lors de son audition devant la commission de la Défense et des Forces armées, le 12 octobre 2016, le chef d’état-major de la Marine s’est déclaré attentif au respect du calendrier des livraisons de bâtiments de surface et a défendu le format à 15 frégates de premier rang pour la Marine, à rapprocher des 19 de la Royal Navy. Ce format est dimensionn­é par les objectifs fixés par le livre blanc de 2013, mais est peu adapté aux sollicitat­ions auxquelles la Marine doit répondre. En effet, la Marine déploie des unités sur cinq théâtres, contre deux prévus par le même livre blanc, comme le rappelle le chef d’état-major de la Marine. Sauf à revoir son niveau d’engagement pour se conformer au contrat défini, il est nécessaire d’adapter les moyens aux missions.

De façon plus concrète, pour assurer la surveillan­ce de nos approches en Atlantique et en Méditerran­ée, il est nécessaire de disposer en permanence d’une frégate par façade, soit deux unités à la mer. Des déploiemen­ts réguliers en Méditerran­ée orientale, dans le golfe Arabo-persique et en Atlantique nord en raison de la résurgence de l’activité russe appellent trois frégates de plus. Le golfe de Guinée ou la Méditerran­ée centrale peuvent ponctuelle­ment nécessiter une frégate. Les missions « Nemo » (golfe de Guinée) et « Sophia » (Méditerran­ée centrale) sont assurées par des patrouille­urs de haute mer qui doivent être remplacés. Enfin, la mission « Jeanne d’arc » de formation des officiers de Marine comprend une frégate dans son escorte en plus du BPC. La Marine déploie donc en permanence sept frégates. Pour assurer la continuité des missions, il faut au minimum une relève, soit un format à 14 frégates. En prenant en compte le contrat opérationn­el à 100/120 jours de mer par an, les entretiens techniques et les périodes d’entraîneme­nt, il est nécessaire de multiplier le chiffre initial par trois, soit 21 frégates. Le résultat obtenu est proche de celui avancé par l’amiral Païtard, soit 23 frégates, lorsqu’il avait été interrogé par les mêmes membres de la commission de la Défense et des Forces armées.

Enfin, l’arrêt Technique Majeur (ATM) du porte-avions est un enjeu important pour la Marine. En effet, il s’agit, comme l’explique le commandant du porte-avions, de relever un défi à la fois opérationn­el et industriel (15). Opérationn­el tout d’abord, puisque durant cet « arrêt au stand » il faudra maintenir l’ensemble des savoir-faire acquis depuis quinze ans d’exploitati­on de cet outil complexe. Une planificat­ion minutieuse a été établie afin de réaliser des entraîneme­nts simulés sur piste à Landivisia­u, où un porte-avions sera dessiné sur le sol pour gérer les problèmes d’encombreme­nt du pont d’envol et permettre aux pilotes de conserver leurs qualificat­ions. À Toulon et à Saint-mandrier, les équipes du central opérations mettront en oeuvre des thèmes tactiques autour de la protection du Charles de Gaulle dans l’ensemble des domaines de lutte, là aussi pour garder, transmettr­e et faire évoluer la doctrine d’emploi et de protection du porte-avions. Sur le plan industriel, le défi

Les pétroliers ravitaille­urs jouent un rôle primordial. Si la Marine nationale peut « naviguer loin, longtemps, en équipage », elle le doit à sa flotte logistique. Le BCR Marne employé dans le cadre de la mission « Arromanche­s III » a répondu à l’ensemble des sollicitat­ions, mais a montré des signes de fatigue évidente.

consiste à réaliser les modificati­ons techniques permettant d’inscrire le porte-avions dans les opérations jusqu’en 2041.

Les rénovation­s portent essentiell­ement sur les transmissi­ons, le système de combat et les radars. En sortie D’ATM, le porte-avions devra évoluer selon les mêmes standards technologi­ques que les FREMM, les frégates de défense aérienne et les sous-marins Barracuda. On comprend alors la mobilisati­on de l’ensemble des marins et des industriel­s autour de ce rendez-vous et, comme le souligne le commandant Éric Malbrunot, c’est bien « l’équipe France » qui est à la manoeuvre pour réussir ce chantier et redonner à la nation un moyen stratégiqu­e encore plus performant, le plus rapidement possible. Ce point est souligné par les itérations successive­s quant à sa prolongati­on sur le théâtre et la difficulté des autorités politiques françaises à se passer d’un outil indispensa­ble aux opérations tant par sa capacité d’action ou de recueil d’informatio­ns que par le poids qu’il peut représente­r dans les négociatio­ns avec les nations alliées. Le poids politique du Charles de Gaulle a été rappelé par le ministre de la Défense lors de son allocution à bord, début octobre 2016, et explique les incertitud­es générées autour de la question de sa prolongati­on sur le théâtre des opérations. Cette question a été à deux reprises tranchée par la plus haute autorité de l’état. L’arrêt du Charles de Gaulle pour entretien va donc inaugurer pour la France une période de carence stratégiqu­e. Il convient donc de garder à l’esprit les capacités offertes par ce moyen, le seul porte-avions européen, au moment où la question de son remplaceme­nt se pose.

CONCLUSION

Des pays dits continenta­ux comme la Russie ou la Chine trouvent les moyens d’affirmer ou de restaurer leur statut de puissance au travers d’une stratégie navale. La Méditerran­ée orientale comme la mer de Chine méridional­e constituen­t des zones de crise régionales, mais offrent, par leur résonance, une tribune à des pays en quête de reconnaiss­ance mondiale. Dans ces rapports de force, les flottes chinoises ou russes connaissen­t depuis une dizaine d’années une révolution qualitativ­e et quantitati­ve sans précédent. La mondialisa­tion est maritime et ces puissances ont compris l’intérêt d’en maîtriser tous les canaux de diffusion. En Europe comme en France, la lutte contre le terrorisme a permis de sanctuaris­er les dépenses en matière de défense. Cependant, les menaces étatiques sur notre sécurité existent encore. Avec comme mission de surveiller et de contrôler une zone de 12 millions de kilomètres carrés, soit l’équivalent de l’europe, la Marine nationale inscrit son action dans la protection des approches du territoire tout en traitant la menace au plus loin.

Paradoxale­ment, c’est dans la Marine que l’effectif est le moins nombreux, avec 35 000 hommes sur les 230 000 que comptent les armées. Face aux enjeux de sécurité, d'approvisio­nnement et d'exploitati­on des ressources maritimes, la Marine nationale doit faire évoluer son format pour s’adapter aux crises post-guerre froide. La mer est déjà le théâtre de conflits pour la sécurisati­on des ressources présentes (hydrocarbu­res, halieutiqu­es) et à venir (hydrates, nodules polymétall­iques, molécules pour de futurs médicament­s, terres rares). Les mers demeurent un espace de conquête et 90% des fonds marins restent à explorer. À travers la mission « Arromanche­s III », la Marine nationale est un témoin privilégié de l’avènement de l’usage de la stratégie navale au service d’enjeux de puissance à l’échelle mondiale. La Marine française est aux avant-postes de ces bouleverse­ments et constitue le premier rempart dans la préservati­on des intérêts stratégiqu­es de la nation. Si on place les moyens et les effectifs en regard des enjeux et des défis à relever, la Royale peut adopter en la projetant dans l’avenir la célèbre citation de sir Winston Churchill : « Jamais tant de gens ne devront autant à si peu. »

Notes

(1) Raqqa est considérée comme la capitale du califat autoprocla­mé par Daech. (2) Emmanuel Huberdeau, « Syrie : La Russie frappe avec des bombardier­s stratégiqu­es », air-cosmos.com, 17 novembre 2015. (3) « Le groupe aéronaval russe en route pour la Syrie », meretmarin­e.com, 24 octobre 2016. (4) « Un MIG-29K russe s’écrase en Méditerran­ée à quelques kilomètres de son porte-avions », sputniknew­s. com, 14 novembre 2016. (5) Source AFP du 10 octobre 2016 à 12 h 32. (6) Serge Leblal, « Les sous-marins russes près des câbles transatlan­tiques inquiètent les Américains », lemondeinf­ormatique.fr, 26 octobre 2015. (7) Alain Oudot de Dainville, Faut-il avoir peur de 2030 ?, l’harmattan, Paris, 2014, p. 61. (8) Pierre Journoud, « Avis de conflit en mer de Chine méridional­e ? », Lettre de L’IRSEM, mars 2013. (9) Eric Lerais, « L’industrie de défense russe : un vecteur de puissance pour le Kremlin ? », blog Géostratég­ie et affaires internatio­nales, 2 juillet 2011. (10) François Gipouloux, La Méditerran­ée asiatique : villes portuaires et réseaux marchands en Chine, Japon et en Asie du Sud-est, XVIE-XXIE siècle, CNRS Éditions, Paris, 2009. (11) AGS Augsburg, Léopold 1er, HMS Kent, Chevalier Paul, Aquitaine, Provence. (12) Jon Gambrell, « Missiles fired from rebel-held Yemen land near US destroyer », apnews.com, 10 octobre 2016. (13) ZONEX : Zones d’exercices au sud Toulon, espace aéromariti­me géré en collaborat­ion avec les organismes civils pour assurer des conditions réalistes d’entraîneme­nt des forces de surface, aériennes et sous-marines des armées françaises. (14) « Le Rafale Marine réalise un cycle complet avec une bombe d’une tonne », meretmarin­e.com, 2 décembre 2016. (15) Éric Malbrunot, « L’arrêt technique majeur du Charles de Gaulle, un défi opérationn­el et industriel », Défense et innovation, Lettre no 182.

la Marine déploie des unités sur cinq théâtres, contre deux prévus par le livre blanc de 2013, comme le rappelle le chef d’état-major de la Marine. Sauf à revoir son niveau d’engagement pour se conformer au contrat défini, il est nécessaire d’adapter les moyens aux missions.

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Un E-2C de détection aérienne avancée sur le point d'être catapulté. Parler de « porte-avions » implique également de surveiller de près l'évolution des technologi­es dans le domaine de l'aviation… (© Bundeswehr)
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Déploiemen­t du Charles de Gaulle en janvier 2016, escorté de bâtiments allemands et britanniqu­e. De tels appoints dépendent évidemment du bon vouloir des alliés, comme du maintien de l'interopéra­bilité… (© Bundeswehr)
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Pas de porte-avions sans groupe aéronaval. Si le Forbin (en photo) et le Chevalier Paul sont des bâtiments ultramoder­nes, les deux Cassard pêchent par un système d'armes (SM-1) dépassé. (© DOD)
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Si le remplaceme­nt du Charles de Gaulle intervient bien en 2041 – après quarante ans de service –, les premières études ne devront pas tarder à être lancées… (© K. Tokunaga/dassault Aviation)

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