DSI Hors-Série

PENSER L’ARMÉE DE L’AIR DE DEMAIN : LE SYSTÈME DE COMBAT AÉRIEN FUTUR

LE SYSTÈME DE COMBAT AÉRIEN FUTUR

- Thierry ANGEL

plus de vingt-cinq ans, les armées de l’air occidental­es ont bénéficié d’une supériorit­é opérationn­elle incontesté­e. Or une nouvelle donne géostratég­ique ainsi que des évolutions technologi­ques majeures bouleverse­nt cette situation et imposent de repenser l’aviation de combat des prochaines années.

Alors que se dessine la perspectiv­e de conflits menaçant l’europe, notamment à sa périphérie, et tandis que les conflits asymétriqu­es se multiplien­t, les nations européenne­s sont invitées par leur allié américain à prendre des responsabi­lités croissante­s en matière de sécurité. Il est plus que jamais nécessaire d’investir dans l’arme aérienne, par ailleurs fragilisée par des années d’économies budgétaire­s et de surengagem­ent opérationn­el. L’armée de l’air accompagne cette indispensa­ble réflexion stratégiqu­e pour répondre aux défis des prochaines décennies. C’est l’ambition portée par le système de combat aérien futur.

LES FONDAMENTA­UX DES OPÉRATIONS AÉRIENNES

La puissance aérienne bénéficie de trois atouts majeurs intrinsèqu­ement liés au milieu aérospatia­l : hauteur, vitesse, allonge. Leur combinaiso­n permet d’agir rapidement, de manière flexible, réactive et dans la profondeur du dispositif adverse. L’arme aérienne est un outil non seulement militaire, mais également éminemment politique au service de la stratégie de défense et de sécurité nationale. La maîtrise de l’air est nécessaire à la liberté de toute action militaire, qu’elle soit aérienne, terrestre ou maritime. Elle permet de contraindr­e drastiquem­ent l’adversaire, y compris sur son territoire. Pour être efficace, l’action aérienne doit s’inscrire dans la durée et exige une coordinati­on parfaite des acteurs pour, le moment venu, concentrer les moyens et agir depuis l’air.

La maîtrise de l’air est nécessaire à la liberté de toute action militaire, qu’elle soit aérienne, terrestre ou maritime. Elle permet de contraindr­e drastiquem­ent l’adversaire, y compris sur son territoire.

LES MISSIONS DE L’ARMÉE DE L’AIR

Le livre blanc sur la défense et la sécurité nationale décrit la nécessité d’un modèle d’armée cohérent, autonome et réactif, capable d’un impact décisif quand nos intérêts sont en jeu. Dans ce cadre, l’armée de l’air doit réaliser les missions permanente­s de dissuasion nucléaire et de protection de l’espace aérien national. Elle doit également réaliser des interventi­ons extérieure­s, d’abord pour acquérir la supériorit­é aérienne puis pour agir depuis l’air sur tout le spectre opérationn­el : renseignem­ent, frappes au sol, aérotransp­ort. Lors des dernières décennies, la supériorit­é aérienne a permis d’agir avec réactivité et efficacité, en limitant très fortement les pertes humaines. Or cette supériorit­é est aujourd’hui contestée dans la nouvelle donne stratégiqu­e.

L’ÉVOLUTION DU CONTEXTE STRATÉGIQU­E

L’évolution du contexte stratégiqu­e tend à modifier les rapports de force, que ce soit sur le champ des menaces, sur celui du reposition­nement stratégiqu­e de nos principaux alliés ou sur celui des ruptures technologi­ques. En haut du spectre vient s’inscrire la menace d’adversaire­s étatiques qui ont très largement augmenté leurs investisse­ments de défense pour se doter de capacités militaires en nombre et de savoir-faire de très haut niveau. Aux grandes puissances s’en ajoutent d’autres, régionales, qui bénéficien­t de la proliférat­ion des systèmes d’armes. Ces pays développen­t ainsi des stratégies de déni d’accès reposant sur l’utilisatio­n combinée d’avions de combat de dernière génération, de systèmes de défenses antiaérien­nes intégrées de très longue portée et de moyens de guerre électroniq­ue (dont brouillage GPS). L’anti-access Area Denial (A2AD) modifie les rapports de force internatio­naux par la contestati­on de la maîtrise des espaces aériens. En outre, ces adversaire­s sont désormais en mesure de s’attaquer à nos moyens spatiaux, jusqu’alors considérés comme invulnérab­les, alors que ces derniers constituen­t des capacités incontourn­ables pour conduire les opérations militaires modernes. À l’autre extrémité du spectre, des groupes non étatiques opèrent contre nos intérêts en évitant la confrontat­ion directe. Ils utilisent des modes d’action asymétriqu­es : dissimulat­ion au milieu de civils, guérilla, terrorisme, emploi d’armes à bas coût et de technologi­es démocratis­ées permettant d’amoindrir l’avantage technologi­que occidental (mini-drones, engins explosifs improvisés, Smartphone­s, propagande sur les réseaux sociaux, etc.). Dans les deux cas, nos adversaire­s ont largement recours aux actions dans le champ cybernétiq­ue. Par ailleurs, alors que depuis des années certains pays ont significat­ivement augmenté leurs investisse­ments dans le secteur militaire, les pays européens ont continué à désarmer et ont réduit leurs parcs aériens de 30 à 50 % en dix ans. Parallèlem­ent, les États-unis réorienten­t leurs priorités géostratég­iques vers l’asie et le Pacifique. Cela renforce la nécessité pour l’armée de l’air de disposer en permanence d’un spectre de capacités militaires pour préserver la souveraine­té nationale. Enfin, des ruptures technologi­ques majeures sont, elles aussi, susceptibl­es de modifier les rapports de force. Il s’agit notamment des domaines du numérique, de l’intelligen­ce artificiel­le, de la robotique, de la détection (radars multistati­ques, basse fréquence, passifs), de l’hypervéloc­ité, voire des armes à effets dirigés. L’avantage opérationn­el des forces aériennes occidental­es s’érode et ne sera plus garanti sans modernisat­ion du système de combat aérien lors de la prochaine décennie.

Le combat collaborat­if doit rendre possible l’action coordonnée et concentrée des moyens en gagnant la bataille informatio­nnelle. À la logique de meilleure plateforme sensor-shooter doit succéder celle d’efficacité en réseau ( best sensor-best shooter available).

L’ADAPTATION DU SYSTÈME DE COMBAT AÉRIEN

Face à ce changement de paradigme, l’armée de l’air doit s’inscrire dans un système de combat aérien global qui doit être constitué d’un réseau interopéra­ble de systèmes d’armes habités ou non, au spectre d’interventi­on le plus large possible, interconne­ctés entre eux et avec une architectu­re de commandeme­nt robuste. Il doit être capable de s’adapter avec rapidité et être résilient, notamment vis-à-vis de la menace cybernétiq­ue. Face au déni d’accès et aux menaces du haut du spectre, l’armée de l’air doit conserver sa capacité d’entrée en premier, y compris dans la profondeur du dispositif adverse et en premier lieu pour réaliser la mission de dissuasion nucléaire. Elle doit maîtriser l’air pour pouvoir agir depuis l’air. Pour ce faire, la survivabil­ité globale du système de combat aérien doit être renforcée : d’une part, grâce aux qualités intrinsèqu­es des plates-formes, comme l’autoprotec­tion, la discrétion, la vitesse ou la manoeuvrab­ilité ; d’autre part, grâce à la mise en réseau. Le combat collaborat­if doit rendre possible l’action coordonnée et concentrée des moyens en gagnant la bataille informatio­nnelle. À la logique de meilleure plate-forme sensor-shooter doit succéder celle d’efficacité en réseau ( best sensor-best shooter available). Contre les menaces fugaces des conflits asymétriqu­es, l’armée de l’air doit améliorer ses capacités de recueil de renseignem­ent, de reconnaiss­ance et de surveillan­ce. Là encore, plates-formes et capteurs doivent être mis en réseau pour accélérer les processus décisionne­ls en quasi-temps réel, et engager l’ennemi au bon moment grâce à des armements adaptés à l’environnem­ent et aux effets militaires à atteindre. Quelle que soit la menace, le besoin en connectivi­té constitue le socle commun du système de combat aérien futur. La mise en réseau des systèmes d’armes, associée à l’exploitati­on en temps réel de quantités toujours plus grandes de données valorisées au moyen de systèmes d’aide à la décision ( big data, intelligen­ce artificiel­le), rend possibles les modes de combat collaborat­ifs qui vont démultipli­er les forces intrinsèqu­es des plates-formes. Cette mise en réseau offre également des perspectiv­es d’action dans le champ cybernétiq­ue. La connectivi­té est donc un enjeu de premier ordre qui structure bien au-delà des seules améliorati­ons technologi­ques. Elle touche aux processus décisionne­ls, aux choix de commandeme­nt et aux modes opératoire­s. Toute cette technologi­e ne doit cependant pas faire oublier les principes essentiels de l’action aérienne. L’éloignemen­t des théâtres d’opération, dont les dimensions sont de surcroît quasi continenta­les, oblige également l’armée de l’air à renforcer la permanence de son action, qui devra être recherchée par la combinaiso­n d’une meilleure endurance des plates-formes, de moyens de ravitaille­ment en vol et d’un nombre suffisant d’aéronefs. Des investisse­ments importants sont donc nécessaire­s pour relever les défis de l’aviation de combat, notamment dès la prochaine loi de programmat­ion militaire. L’armée de l’air est prête à accompagne­r la réflexion stratégiqu­e en apportant son expertise du combat aérien au profit des analyses capacitair­es prospectiv­es. L’enjeu est de taille : il s’agit de concevoir le système de combat aérien futur compte tenu de l’évolution des menaces et des nouvelles formes de la compétitio­n stratégiqu­e.

Un Rafale évoluant avec le démonstrat­eur Neuron. Le SCAF (Système de Combat Aérien Futur) est, avant toute projection dans une plate-forme, un système. (© K. Tokunaga/dassault Aviation)

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