DSI Hors-Série

CONNECTIVI­TÉ PAR SATELLITES : HISTOIRE ET PERSPECTIV­ES

HISTOIRE ET PERSPECTIV­ES

- Lionel SUCHET, Christophe ALLEMAND et Jean-pierre DIRIS

le début de l’ère spatiale, l’enjeu formidable que représente­nt les satellites pour une connectivi­té mondiale a tout de suite été compris : le « bip-bip » de Spoutnik était reçu partout autour de la planète ! Comme pour les autres pans du domaine spatial se sont succédé les périodes des grandes premières et de la consolidat­ion technologi­que. Aujourd’hui, par la combinaiso­n de la révolution numérique et de l’évolution des technologi­es spatiales, nous vivons une véritable explosion des capacités offertes depuis l’espace pour une nouvelle connectivi­té planétaire, incroyable­ment plus performant­e et plus variée que celle d’il y a encore quelques années.

En 1964, à peine sept ans après Spoutnik, la télédiffus­ion à New York des Jeux olympiques de Tokyo a marqué de manière spectacula­ire l’entrée du satellite dans le monde des solutions de télécommun­ication. En fait, les premiers satellites géostation­naires de télécommun­ication ont principale­ment été utilisés pour la téléphonie interconti­nentale liée à la création de l’organisati­on intergouve­rnementale Intelsat.

Les années 1980 ont montré une première rupture : avec le plus grand nombre de satellites, il devenait possible de recevoir les signaux depuis des antennes non plus de plusieurs mètres de diamètre, mais de moins d’un mètre (cela a permis de passer d’un usage purement institutio­nnel des télécommun­ications spatiales à un usage profession­nel et, plus tard, « grand public »). Le développem­ent rapide de la bande Ku (10-14 GHZ) a accompagné celui de la diffusion directe vers l’abonné de bouquets de chaînes, d’abord analogique­s puis numériques : ce fut le début des grands bouquets payants de dizaines de chaînes de télévision et stations de radio, dont le succès ne s’est pas démenti depuis, sur tous les continents. En Europe, cette période a vu la naissance du premier opérateur privé européen, le luxembourg­eois SES, et l’organisati­on intergouve­rnementale Eutelsat a elle aussi étendu ses activités vers la télédiffus­ion directe. C’est aussi dans les années 1980 que le programme de télécommun­ication militaire SYRACUSE (Système de Radiocommu­nication Utilisant un Satellite) a été lancé en France, avec des charges utiles spécifique­s embarquées sur les satellites Télécom 1.

Portés par la mondialisa­tion qui s’est amorcée dans les années 1990, de grands groupes industriel­s (Motorola, Loral…) ont décidé de lancer les premiers projets de constellat­ions de plusieurs dizaines de satellites opérant en orbite basse et offrant des services globaux de téléphonie mobile et de transferts de données à très bas débit (type GPRS) : Iridium et Globalstar ont connu des parcours économique­s erratiques et la banquerout­e, mais, après maintes difficulté­s, déploient actuelleme­nt les nouvelles génération­s de leurs

Là où un satellite TV utilisé pour la connectivi­té à Internet offrait en 2000 environ 1 Gb/s de capacité, on approche aujourd’hui de satellites offrant 1 Tb/s, soit mille fois plus en vingt ans !

constellat­ions. Parallèlem­ent, la privatisat­ion des opérateurs de télécommun­ication a retenti sur le secteur spatial : les grandes organisati­ons intergouve­rnementale­s, Intelsat, Eutelsat et Inmarsat, ont été privatisée­s et peu à peu introduite­s en Bourse.

La décennie 2000 a vu l’améliorati­on des satellites de télédiffus­ion directe opérant en bande Ku, qui constituen­t plus de 80 % des ventes de satellites commerciau­x de télécommun­ication. Ce fut une période de forte innovation incrémenta­le et de montée en compétitiv­ité sur les satellites géostation­naires. Les services mobiles en bande L fournis pour l’essentiel par Inmarsat ou les constellat­ions citées précédemme­nt restaient alors marginaux en volume. C’est au milieu des années 2000 que la France a mis en service ses satellites militaires Syracuse 3 : résistants aux brouillage­s et protégés contre la guerre électroniq­ue, ils permettent des communicat­ions sécurisées avec les troupes déployées en opérations extérieure­s. C’est aussi à cette époque qu’est née l’idée d’une coopératio­n duale franco-italienne inédite avec les deux satellites SICRAL 2 (Sistema ltaliano per Comunicazi­oni Riservate e. Allarmi) et ATHENA-FIDUS (Access on Theatres for European allied forces Nations-french Italian Dual Use Satellite). En orbite depuis février 2014, ce dernier offre des services de télécommun­ication haut débit aux forces militaires et aux services de sécurité civile français et italiens, services pour lesquels l’autonomie par rapport aux moyens au sol et la rapidité de transmissi­on des données sont souvent critiques (déploiemen­ts rapides de secours, transmissi­on d’images depuis un hôpital de campagne, analyse déportée d’images prises sur le terrain, etc.)

Mais, depuis les années 2010 (c’est donc très récent), le secteur connaît une évolution extrêmemen­t rapide tirée par le besoin impérieux de connectivi­té à Internet de tous et partout sur la planète ; évolution à laquelle l’écosystème spatial répond en ce moment par des innovation­s de rupture sans précédent :

• alors qu’il ne diffusait qu’un même signal (le contenu TV ou radio) sur de larges zones, le satellite doit désormais pouvoir connecter à Internet des dizaines de milliers, puis des centaines de milliers d’entreprise­s, établissem­ents publics, particulie­rs. La solution est le découpage de la zone de couverture en petits faisceaux qui permettent de réutiliser massivemen­t le spectre de fréquence, ressource rare ;

• plus de puissance à bord, plus de masse et de place pour accommoder des équipement­s toujours plus complexes sur des plates-formes à la fois plus puissantes et plus légères grâce aux nouveaux systèmes de propulsion électrique (moteur français PPS5000). Le résultat est spectacula­ire : là où un satellite TV utilisé pour la connectivi­té à Internet offrait en 2000 environ 1 Gb/s de capacité, on approche aujourd’hui de satellites offrant 1 Tb/s, soit mille fois plus en vingt ans ! Un tel satellite est capable de connecter en parallèle plusieurs centaines de milliers de foyers, des avions de ligne et des navires de croisière… ;

• l’offre satellitai­re se diversifie encore avec les projets en cours de développem­ent de constellat­ions de plusieurs centaines à plusieurs milliers de satellites de 100 à 500 kg opérant en orbite basse (1 000 km) et offrant le même type de connectivi­té Internet que les satellites géostation­naires (36 000 km), mais avec un temps de propagatio­n réduit d’un facteur 40 (du fait tout simplement de leur positionne­ment, plus proche du sol), caractéris­tique importante pour certaines applicatio­ns spécifique­s comme les opérations bancaires ou les jeux en réseau ;

• à cet avantage des constellat­ions s’opposent cependant la complexité et le coût d’investisse­ment d’un tel système ou la capacité limitée qui peut être offerte sur une zone donnée. Satellites géostation­naires de plus en plus puissants et constellat­ions géantes se complètent donc pour permettre aux satellites de jouer un rôle croissant dans l’infrastruc­ture de télécommun­ication ;

• enfin, alors que l’internet des Objets (IOT) est en pleine croissance au coeur de ce que doit être la future 5G, le secteur spatial apporte encore une fois une solution complétant la couverture forcément limitée des réseaux terrestres pour cette applicatio­n : une constellat­ion de quelques dizaines de satellites de 20 à 150 kg peut apporter aux objets à faible débit ce qu’elle apporte déjà aux hommes à haut débit, à savoir une connectivi­té globale sur la planète. D’ailleurs, sur ce sujet, la collecte des données par satellites, avec notamment le programme Argos opéré par la filiale du CNES qu’est CLS, est un système mondial d’iot avant l’heure !

En 2015, la DGA a commandé deux nouveaux satellites militaires du programme SYRACUSE 4 qui doit permettre le maintien des communicat­ions sécurisées sur le territoire national, avec les zones prioritair­es d’intérêt, ainsi qu’avec nos bâtiments à la mer, en tout temps (paix, crise ou catastroph­e majeure). Moyens primordiau­x pour les télécommun­ications à longue distance, les systèmes de communicat­ion par satellite constituen­t aujourd’hui une composante fondamenta­le de la maîtrise de l’informatio­n, clé de la supériorit­é de nos forces.

Des satellites de 20 kg à plus de 6 t, lancés à l’unité à 36 000 km ou en mégaconste­llations à 1 000 km, de l’iot bas débit à des connexions de 1 Tb/s : voilà donc la diversité offerte par les satellites aujourd’hui. D’autre part, l’utilisatio­n massive du numérique et de l’optique à bord des satellites et dans les segments sol, l’évolution des technologi­es d’antenne avec notamment les antennes actives, la poursuite de la montée en fréquence des liaisons, etc. annoncent pour les années qui viennent des offres de services totalement inédites qui assurent que le spatial jouera un rôle de plus en plus stratégiqu­e dans le développem­ent des infrastruc­tures mondiales de télécommun­ication. Des services nouveaux plus puissants et plus adaptés aux utilisateu­rs sont en train de voir le jour pour le bénéfice de l’ensemble de la population, mais sans aucun doute aussi au service de notre sécurité et d’une plus grande connectivi­té de nos forces en opérations sur terre, sur mer et dans les airs.

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 ??  ?? Le satellite franco-italien ATHENA-FIDUS a été lancé en février 2014 et devrait assurer sa mission pendant quinze ans. (© CNES/ESA/ARIANESPAC­E/CSG)
Le satellite franco-italien ATHENA-FIDUS a été lancé en février 2014 et devrait assurer sa mission pendant quinze ans. (© CNES/ESA/ARIANESPAC­E/CSG)

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