DSI Hors-Série

LA MATURATION DE LA MARINE CHINOISE : UN EXEMPLE D’A2/AD

- Joseph HENROTIN

Si la Chine et L’A2/AD sont pratiqueme­nt indissocia­bles dans l’imaginaire stratégiqu­e, c’est que les efforts réalisés ont, à bien des égards, permis de construire le concept – calqué sur ce que faisait Pékin. Il serait cependant problémati­que de ne considérer ses forces – nous prendrons ici l’exemple de sa marine – que sous ce seul angle. Et vice versa…

Si le développem­ent des capacités hauturière­s est assez rapide et focalise l’attention des observateu­rs, il est également parallèle à d’autres évolutions, cette fois sur le plan régional, renvoyant à une propagatio­n géographiq­ue de la logique A2/AD qui peut de la sorte s’étendre à partir des côtes. Historique­ment, la Chine est une puissance dont l’identité géostratég­ique est plus terrestre que maritime. Il faut attendre les années 1990 pour voir un changement dans la posture navale, jusque-là marquée par une focalisati­on sur la défense côtière. Si la Chine dispose au début de la décennie de destroyers – 17 unités en 1992 (1) –, il ne s’agit que de bâtiments assez légers, dépourvus d’une réelle capacité de défense aérienne et qui doivent donc opérer sous la couverture de l’aviation basée au sol.

L’A2/AD EN SURFACE…

L’essentiel de ses capacités navales de surface est alors constitué de vedettes et de patrouille­urs, disponible­s en très grand nombre et positionné­s tout au long des côtes. En 1992, on recense ainsi 207 patrouille­urs lance-missiles, 160 vedettes lance-torpilles et 490 vedettes et patrouille­urs plus légers. L’armement reste cependant limité – canons, lance-grenades anti-sous-marines et mouillage des mines – et le faible tonnage n’autorise guère que des opérations côtières, voire littorales. La posture change dans les années 1990 : les vieux patrouille­urs quittent le service et sont remplacés par des bâtiments monocoques (Type-037 et -062) plus performant­s du point de vue de l’endurance comme de l’armement.

Une nouvelle évolution apparaît en 2004 avec l’entrée en service du premier patrouille­ur de Type-022(2). Conçu avec l’aide d’un bureau australien, il bénéficie de formes furtives et dispose d’une structure catamaran perce-vagues offrant une meilleure tenue à la mer. Comparativ­ement aux catamarans classiques, la formule adoptée autorise une plus grande vitesse sur des mers formées. En conséquenc­e, la défense côtière chinoise peut, littéralem­ent, être projetée, notamment dans les 200 km du détroit de Taïwan. Affichant une vitesse maximale de 36 noeuds, le bâtiment est construit en grande série, avec environ 80 unités admises au service. Capable de lancer quatre à huit missiles C-803 (YJ-83 ou CSS-N-8 Saccade) et équipé d’un canon AK-630 (6 tubes de 30 mm), il

La posture change dans les années 1990 : les vieux patrouille­urs quittent le service et sont remplacés par des bâtiments monocoques (Type-037 et -062) plus performant­s du point de vue de l'endurance comme de l'armement.

est nettement mieux armé que ses prédécesse­urs. Plus récemment apparaisse­nt les corvettes de Type-056/-056a, dont 35 exemplaire­s sont pour l’instant en service actif (3). Remplaçant les frégates des types Jiangwei et Jianghu plus anciennes (4), elles disposent, en plus d’un canon de 76 mm, d’une capacité antiaérien­ne limitée et de quatre missiles antinavire­s YJ-83, ou éventuelle­ment de missiles anti-sous-marins. La Type-056a est, en effet, spécialisé­e sur ce domaine et est dotée d’un sonar remorqué. Avec les Type-022, ces bâtiments peuvent former des groupes de combat naval côtiers appuyés par l’aéronavale au sol, les Type-056 jouant alors un rôle de coordinati­on ou de désignatio­n de cibles au profit des catamarans, peu pourvus en capteurs propres. Les Type-056 peuvent aussi évoluer seules. L’arrivée de cette classe signe la capacité de la Chine à opérer de manière durable plus au large de ses côtes, notamment à proximité des Senkaku/diaoyu, de même qu’en mer de Chine méridional­e.

C’est d’autant plus le cas que la flotte sous-marine a également progressé : en 1992, elle comptait 5 bâtiments d’attaque à propulsion nucléaire de type Han, de même que 33 vieux Romeo et 6 Ming, une évolution des précédents. Vingt-cinq ans plus tard, la Chine dispose toujours de quatre Han, auxquels il faut ajouter six Shang. Surtout, la modernisat­ion de la flotte convention­nelle est notable, avec 13 Song, 12 Kilo, 15 Yuan et une quinzaine de Ming. La modernisat­ion a donc été qualitativ­e, mais aussi quantitati­ve. La dotation en missiles antinavire­s, autrefois une exception, est devenue une généralité. De même, les sous-marins ont été équipés d’une nouvelle torpille lourde, la Yu-6.

La guerre des mines joue traditionn­ellement un rôle important dans la stratégie navale chinoise, non seulement contre les navires de surface, mais aussi contre les sous-marins(5). En 2009, plus de 30 types différents, couvrant toutes les catégories de mines marines, étaient en service, y compris L’EM-52, un conteneur doté de capteurs et renfermant une torpille (6). La marine chinoise ne semble disposer que d’un seul mouilleur de mines. En revanche, les sous-marins, les appareils de patrouille maritime et plusieurs classes de bâtiments de surface sont équipés pour la pose des mines. Les quatre destroyers de classe Sovremenyy peuvent ainsi en emporter 40 chacun, et les quelques Luda encore en service, 38. Surtout, la marine chinoise porte une attention particuliè­re aux exercices de guerre des mines offensive, y compris la mise en oeuvre de sous-marins devant opérer sur les arrières adverses.

Enfin, l’arsenal A2/AD chinois est complété par des batteries côtières de missiles antinavire­s – sur lesquelles peu d’informatio­ns sont disponible­s. Pékin aurait cependant commencé à déployer des batteries dotées D’YJ-62, d’une portée de 280 km (trois missiles par lanceur 8 × 8). Il est également question d’un déploiemen­t de missiles YJ-18 (supersoniq­ues en phase terminale). Beaucoup d’attention a été portée au missile balistique antinavire DF-21D, qui serait utilisé pour la frappe des plus grosses unités de L’US Navy, porte-avions et grands navires amphibies, jusqu’à une distance de 1 700 km (7). Évoquée depuis 2005 et considérée comme opérationn­elle depuis 2010, la menace n’a toujours pas été concrétisé­e dans un essai en mer sur une cible mobile. Il faut y ajouter le DF-26, apparu en 2015, et réputé également apte à la frappe des plus grosses unités. Avec ou sans démonstrat­ion, l’effet sur la rivale principale – L’US Navy – est déjà atteint (8).

L’aéronavale basée à terre est la troisième composante du dispositif chinois, avec des interdicte­urs JH-7, mais aussi des bombardier­s H-6 dont la production a été relancée, assez lourdement modifiés et entrés en service dans les années 2010. Une nouvelle version, apparue durant l’été 2017, permettrai­t le largage d’un DF-21D. Il faut y ajouter des Su-30 commandés en Russie ainsi que leur copie

La marine chinoise porte une attention particuliè­re aux exercices de guerre des mines offensive, y compris la mise en oeuvre de sousmarins devant opérer sur les arrières adverses.

sinisée, le J-16. Dans tous les cas, les appareils servent de plate-forme de lancement de missiles antinavire­s ou d’attaque terrestre, parfois supersoniq­ues. À cela s’ajoute la modernisat­ion de la composante de patrouille maritime, essentiell­e à la détection de la flotte adverse, mais historique­ment peu développée.

Le réseau, déjà dense, de capacités antinavire­s se double également de capacités antiaérien­nes, notamment celles des grands destroyers, mais aussi les nombreuses batteries au sol. La logique retenue est ici analogue à celle de L’URSS en son temps (les « pelures d’oignon»), avec le déploiemen­t de SAM aux portées différenci­ées se couvrant mutuelleme­nt, du HQ-9 (et des S-300 sur la base desquels ils ont été développés) à longue portée à des systèmes de moyenne portée (HQ-16) et de plus courte portée – sans encore compter les nombreuses batteries de HQ-2 (version sinisée du SA-2) certes obsolètes, mais densifiant le dispositif. Ce réseau de SAM est appuyé par une intégratio­n de plus en plus poussée en un véritable IADS (Integrated Air Defence System) incluant des radars à longue portée fixes ou mobiles. Enfin, la chasse chinoise connaît une modernisat­ion en profondeur, l’arrivée des J-10 et des premiers J-20 permettant d’épauler les J-11.

Cette capacité défensive ne s’apprécie que par sa mise en réseau : les différente­s composante­s doivent travailler en synergie et non pas «chacune dans son coin», ce qui représente un défi considérab­le en matière de commandeme­nt et de contrôle et d’intégratio­n des capacités. C’est, justement, l’un des domaines dans lesquels la modernisat­ion chinoise a été la plus dynamique, à défaut d’être la plus visible. Les évolutions ont concerné, là, aussi bien les technologi­es utilisées que la formation des personnels, dont le niveau qualitatif s’est accru à la faveur d’un recrutemen­t ciblant les université­s et qui bénéficien­t d’un grand nombre d’exercices à tous les niveaux. Reste, cependant, que disposer d’un « noyau » défensif extrêmemen­t dense et efficient présente des opportunit­és autres que strictemen­t défensives et dissuasive­s.

D’une part, parce que le développem­ent de technologi­es défensives – qui peut facilement être légitimé politiquem­ent, tant sur la scène intérieure qu’à l’internatio­nal – a également une incidence sur celui des capacités offensives. Les technologi­es radars débouchant sur des systèmes AESA peuvent être employées aussi bien pour une batterie de SAM à moyenne portée que pour le radar d’un futur bombardier à long rayon d’action ou d’un grand destroyer. Si les exemples peuvent être multipliés, les choix effectués en stratégie des moyens permettent, en tout état de cause, de procéder à un rattrapage technologi­que à grande vitesse. Qu’un système soit moins efficace qu’un autre n’est pas problémati­que lorsqu’il est testé sur le sol national ; mais s’il est embarqué sur des bâtiments de combat et que démonstrat­ion est faite de son inefficaci­té face aux rivaux navals, il y aura eu gaspillage de ressources, et perte de prestige. En fait, les développem­ents portant sur l’offensive pourraient être intrinsèqu­ement liés à ceux portant sur la défensive, la forte charge technologi­que y incitant(9). D’autre part, miser sur la défensive n’exclut pas une posture offensive particuliè­re, que l’on peut qualifier de « rampante », en restant sous un seuil d’agressivit­é. C’est le cas du positionne­ment de bases sur des îlots poldérisés en mer de Chine méridional­e (10), du développem­ent de ses gardes-côtes (11) ou encore de l’augmentati­on du nombre de patrouille­s menées avec des bombardier­s équipés de missiles antinavire­s, jusque dans le Pacifique. Peu à peu, l’étendue de la «bulle» A2/AD chinoise s’accroît sur une base littéralem­ent territoria­le. Certaines des nouvelles bases établies en mer de Chine méridional­e sont ainsi défendues par des systèmes HQ-9 et rien n’empêche techniquem­ent l’installati­on de batteries de défense côtières capables d’interdire une bonne partie des eaux. Elles sont également dotées de pistes dont certaines peuvent accueillir des bombardier­s H-6 et des appareils de patrouille maritime, en plus de chasseurs. Là comme pour les missiles antinavire­s, le seul facteur de blocage est de nature politique ; la montée en puissance pourrait être rapide, de l’ordre de quelques jours.

Le réseau, déjà dense, de capacités antinavire­s se double également de capacités antiaérien­nes, notamment celles des grands destroyers, mais aussi les nombreuses batteries au sol. La logique retenue est ici analogue à celle de L'URSS en son temps (les « pelures d'oignon »), avec le déploiemen­t de SAM aux portées différenci­ées se couvrant mutuelleme­nt.

LE TOURNANT HAUTURIER

Reste que ces développem­ents, qu’ils soient liés à la tradition de défense côtière ou à une logique de territoria­lisation, ne permettent pas à eux seuls de caractéris­er la politique de défense ni, plus particuliè­rement, la politique navale de Pékin. Le milieu des années 1990 a ainsi vu le renforceme­nt des capacités hauturière­s, d’abord avec l’achat de quatre destroyers de type Sovremenyy en Russie, de

même qu’avec la mise au point de nouveaux designs, de Type-051 et -052, dont le dernier a fini par l’emporter dans le programme de constructi­on naval chinois. Le destroyer antiaérien de Type-052d a marqué une nouvelle évolution (12). S’y est également ajoutée l’arrivée des frégates de Type-054/-054a. Tous ces bâtiments sont bien évidemment susceptibl­es de rejoindre le dispositif A2/AD chinois (voir tableau ci-dessous).

Cette évolution hauturière a aussi touché la flotte amphibie. Quatre transports de chalands de Type-071 ont été admis au service depuis 2007, deux autres étant en cours de constructi­on/achèvement. La mise sur cale du premier LHD à pont plat continu de Type-075 est intervenue fin 2016, les autorités chinoises prévoyant qu’il sera opérationn­el en 2020. En plus de moderniser sa batellerie et ses transports d’assaut sur coussin d’air, Pékin n’hésite pas à relancer la constructi­on de designs qu’elle estime satisfaisa­nts, notamment les transports de chars, avec six TYPE-072III entrés en service depuis 2015 – le dernier des précédents bâtiments de cette classe ayant été admis au service en 2005.

Cette montée en puissance a également touché le secteur, évidemment essentiel pour la projection des forces, des ravitaille­urs, les capacités chinoises s’étant considérab­lement accrues depuis le début des années 2000. Un navire de ce type accompagne systématiq­uement les bâtiments engagés dans les missions de lutte contre la piraterie dans l’océan Indien. Une évolution notable est le grand ravitaille­ur

Peu à peu, l'étendue de la « bulle » A2/AD chinoise s'accroît sur une base littéralem­ent territoria­le. Certaines des nouvelles bases établies en mer de Chine méridional­e sont ainsi défendues par des systèmes HQ-9 et rien n'empêche techniquem­ent l'installati­on de batteries de défense côtières capables d'interdire une bonne partie des eaux.

d’escadre de Type-901, dont la tête de classe est actuelleme­nt aux essais, qui s’avère parfaiteme­nt adapté au soutien des groupes aéronavals. Une deuxième unité est en cours de constructi­on, mais, selon toute logique, d’autres devraient suivre, en fonction de la taille qu’atteindra la flotte chinoise de porteavion­s (voir tableau p. 18).

2017, L’ANNÉE DES CAPACITÉS HÉMISPHÉRI­QUES ?

In fine, l’année 2017, et plus particuliè­rement le mois de juin, pourrait bien avoir marqué un tournant dans l’évolution de la marine

chinoise, notamment avec le lancement, le 28, du premier Type-055. Bien que qualifié de « destroyer » par la littératur­e chinoise, ce bâtiment apparaît comme un croiseur en bonne et due forme. La Chine suit ainsi une tendance à la relativisa­tion sémantique déjà observée aux États-unis (classe Zumwalt) et en Russie (type Lider). Le programme a été évoqué dès 2012, la constructi­on des premiers éléments semblant intervenir en 2013. Entre-temps, une structure répliquant le navire était installée au sol, permettant de tester les systèmes et les interféren­ces électromag­nétiques. Il reste à poursuivre l’armement et à commencer les essais à la mer, avant une mise en service opérationn­elle prévue en 2019.

Le nombre total de bâtiments que comprendra cette classe n’est pas encore connu, mais trois autres sont actuelleme­nt en constructi­on. Deux chantiers – Jiangnan et Dalian – étant mobilisés, il est probable que la série dépasse les quatre unités. Peu d’informatio­ns ont été publiées au sujet du Type-055, mais plusieurs estimation­s peuvent être considérée­s comme crédibles. C’est d’abord le cas concernant son déplacemen­t : s’il est officielle­ment de 10 000 t, ses dimensions – sa longueur serait comprise entre 175 et 200 m pour une largeur de 20 m – le rapprocher­aient des 12 000 t. Une telle carène autorise le positionne­ment d’un grand nombre de tubes de lancement verticaux. Si 64 tubes peuvent être comptés sur la plage avant, le groupe de lanceurs positionné­s à l’arrière en comporte entre 48 et 64 selon les estimation­s. Avec 112 à 128 tubes au total, le Type-055 double a priori la salve de missiles du Type-052d, tout en montrant un accroissem­ent substantie­l du tonnage (voir tableau p.19).

En plus des tubes de lancement verticaux, les bâtiments sont dotés d’un canon de 130 mm PJ-38 que l’on retrouve les destroyers de Type-052d. Le développem­ent d’un canon électromag­nétique, évoqué à plusieurs reprises par la littératur­e, pourrait déboucher sur une installati­on à terme sur les Type-055, la propulsion de ce dernier devant cependant, dans cette hypothèse, être revue(13). La présence de tubes lance-torpilles n’a pas

Pékin n'hésite pas à relancer la constructi­on de designs qu'elle estime satisfaisa­nts, notamment les transports de chars, avec six TYPE-072III entrés en service depuis 2015 – le dernier des précédents bâtiments de cette classe ayant été admis au service en 2005.

été confirmée. La protection rapprochée est également constituée d’un CIWS de Type-730 (sept tubes de 30 mm) devant la passerelle et d’un FL-3000N sur le hangar hélicoptèr­e. Le système, semblable au RAM, comprend 24 cellules de lancement pour missiles HQ-10, d’une portée maximale de 9 km. S’ajoute à ces capacités l’embarqueme­nt de deux hélicoptèr­es.

In fine, les Type-055 semblent parfaiteme­nt adaptés à l’escorte des porte-avions chinois, dont le programme se poursuit. Le deuxième (Type-001a), lancé fin avril 2017, ne constitue pas encore une rupture en dépit des améliorati­ons apportées. Celle-ci devrait intervenir avec le Type-002, en cours de constructi­on et qui serait le premier doté de catapultes et de brins d’arrêt; sachant que des J-15 adaptés aux catapultag­es sont déjà en cours d’essais. Dans le domaine aéronaval également, les savoir-faire progressen­t rapidement, qu’il s’agisse des navires ou des opérations aériennes à la mer. La Chine a surpris les observateu­rs par la rapidité avec laquelle elle s’appropriai­t les opérations aéronavale­s embarquées(14). Reste à voir si la rationalit­é doctrinale sous-tendant l’usage de ces bâtiments, jusqu’ici centrée sur la supériorit­é aérienne, l’éclairage de la flotte et la lutte anti-sous-marine, va ou non évoluer avec l’adoption des catapultes. Les options en matière antinavire et d’attaque terrestre seraient alors ouvertes; et, là aussi, elles tendent à renforcer les capacités A2/AD.

LE BESOIN DE CONSIDÉRER L’A2/AD SOUS UN ANGLE PLUS LARGE

Certes, le développem­ent qualitatif, mais aussi quantitati­f, de la flotte de Pékin se traduit

par l’émergence de nouvelles conception­s en stratégie des moyens et en stratégie organique. En quelques mois, la marine chinoise a franchi une série d’étapes symbolique­s, au-delà de la poursuite des programmes déjà évoqués, annonçant notamment l’installati­on d’une base à Djibouti. Cette montée en puissance rapide ne présage évidemment en rien d’une assimilati­on souple de ces nouvelles capacités, mais, pour l’instant, les progrès réalisés sont indéniable­s. La Chine n’a jamais interrompu les opérations de lutte contre la piraterie au large de la Somalie et dans le golfe d’aden depuis le milieu des années 2000, tout en les faisant suivre, depuis quelques années, par des entrées en Méditerran­ée et, à une occasion au moins, dans l’atlantique. Durant l’été 2017, une flottille a également transité par la Manche et la mer du Nord afin de rejoindre la Baltique, pour un exercice avec la marine russe. Elle avait déjà participé à de tels exercices en mer Noire et effectué des visites dans l’adriatique.

La portée exacte des capacités d’interdicti­on des forces chinoises est encore sujette à débat. Certains pensent ainsi qu’elle ne dépassera pas 600 km avant 2040, d’autres que la sous-estimation systématiq­ue des progrès réalisés par la Chine, ces dernières années, n’a abouti qu’à se faire surprendre (15). Il n’en demeure pas moins qu’on ne peut les limiter aux seules capacités navales et qu’on ne peut extraire L’A2/AD de l’équation stratégiqu­e plus large – il est donc nécessaire de rappeler que la Chine est aussi une puissance nucléaire, de même qu’une cyberpuiss­ance (16). Autrement dit, une fois attaquée, sa défense ne peut se résumer à des options tactiques ou même opératives : les répercussi­ons seraient potentiell­ement plus importante­s. Mais c’est aussi parce qu’elle dispose d’une gamme défensive allant de la mine marine au missile balistique interconti­nental qu’elle est en mesure d’adopter une posture offensive. La question est alors de savoir si elle en a l’intention… Notes

(1) Pascal Boniface (dir.), L’année stratégiqu­e 1993, Dunod, Paris, 1993.

(2) Voir la fiche technique que nous leur consacrion­s dans Défense & Sécurité Internatio­nale, no 61, juillet-août 2010. (3) Voir la fiche technique que nous leur consacrion­s dans Défense & Sécurité Internatio­nale, no 116, juillet-août 2015.

La Chine a surpris les observateu­rs par la rapidité avec laquelle elle s'appropriai­t les opérations aéronavale­s embarquées.

(4) Et dont certaines sont reversées aux gardes-côtes.

(5) Andrew S. Erickson, Lyle J. Goldstein et William S. Murray, « Chinese Mine Warfare. A PLA Navyo“assassin’s Mace” Capability », Chinese Maritime Studies, n 3, Naval War College, Newport, 2009.

(6) Scott C. Truver, « Taking Mines Seriously. Mine Warfare in China’s Near Seas », Naval War College Review, vol. 65, no 2, printemps 2012.

(7) Voir notamment Andrew Erickson, Chinese Anti-ship Ballistic Missile (ASBM) Developmen­t: Drivers and Strategic Implicatio­ns, The Jamestown Foundation, Washington, mai 2013.

(8) Avec des débats qui ne sont pas sans rappeler les «paniques navales» britanniqu­es de la fin du XIXE siècle. En l’occurrence, la menace des DF-21D a incité la marine américaine à consentir des investisse­ments considérab­les – des fonds donc non disponible­s pour d’autres fonctions – pour la défense antibalist­ique de sa flotte.

(9) Yves Heng-lim, « Expanding the Dragon’s Reach:the Rise of China’s Anti-access Naval Doctrine and Forces », Journal of Strategic Studies, vol. 40, no 1-2, 2017.

(10) Alexandre Sheldon-duplaix, « Poldérisat­ion, platesform­es et exercices : Pékin change-t-il le statu quo en mer de Chine du Sud? », Défense & Sécurité Internatio­nale, no 118, octobre 2015.

(11) Alexandre Sheldon-duplaix, « Des flottes paramilita­ires en première ligne des conflits maritimes en Asie du Nord », Défense & Sécurité Internatio­nale, no 106, septembre 2014. (12) Corentin Houchet, « Les destroyers de la classe “Luyang” : de la lutte antisurfac­e à la polyvalenc­e », Défense & Sécurité Internatio­nale, no 108, novembre 2014.

(13) Les besoins en consommati­on électrique du canon impliquent ainsi l’installati­on d’une propulsion électrique intégrée.

(14) Si elle est encore loin d’une capacité opérationn­elle, ses progrès ont été incomparab­lement plus rapides que ceux de la marine russe. Les derniers exercices montrent ainsi des décollages et appontages avec de l’armement air-air.

(15) Voir notamment cette intéressan­te correspond­ance : Andrew S. Erickson, Evan Braden Montgomery, Craig Neuman, Stephen Biddle et Ivan Oelrich, « Correspond­ence: How Good Are China’s Antiaccess/area-denial Capabiliti­es? », Internatio­nal Security, vol. 41, no 4, 2017.

(16) James Johnson, « Washington’s perception­s and mispercept­ions of Beijing’s anti-access area-denial (A2-AD) ‘strategy’: implicatio­ns for military escalation control and strategic stability », The Pacific Review, vol. 30 no 3, 2017.

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Deux SU-30MKK escortent un H-6K. Le développem­ent des capacités aéronavale­s chinoises basées au sol est tout aussi remarquabl­e que celui de l'aéronavale embarquée. (© Xinhua)
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Le niveau général des marins chinois tend à s'accroître, soutenu par la multiplica­tion des exercices. (© Xinhua)
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Des éléments de batteries de défense côtière défilent au cours du 90e anniversai­re de l'armée populaire de libération. Les lanceurs D'YJ-62 sont visibles à l'arrière-plan. (© Xinhua)
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Le bâtiment dispose de missiles antinavire­s à lancement vertical, multiplian­t le volume de la salve comparativ­ement aux bâtiments occidentau­x. (© Xinhua)
Lancement du premier « destroyer » de Type-055. Le bâtiment dispose de missiles antinavire­s à lancement vertical, multiplian­t le volume de la salve comparativ­ement aux bâtiments occidentau­x. (© Xinhua)
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Le Type-001a, deuxième porte-avions STOBAR. La surface du hangar y serait plus importante que sur le Liaoning. (© Xinhua)

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