DSI Hors-Série

DÉPASSER LA SIMPLE PROBLÉMATI­QUE MILITAIRE : L’OTAN FACE À L’A2/AD RUSSE

DÉPASSER LA SIMPLE PROBLÉMATI­QUE MILITAIRE

- Guillaume LASCONJARI­AS

Depuis le début de la crise ukrainienn­e et la réintégrat­ion de la Crimée dans le giron russe, la notion de déni d’accès et de bulle A2/AD est redevenue une réalité pour qualifier la possibilit­é de contester le déploiemen­t de forces et la liberté de manoeuvre dont L’OTAN pensait jouir depuis la fin de la guerre froide. De fait, les alliés ont redécouver­t que, désormais, certains États pouvaient interdire à des flottes navales et aériennes l’entrée dans des espaces contestés et se tenaient prêts à le faire, en usant de moyens technologi­ques robustes, redondants et nombreux. Le cas de la Russie suscite ainsi des questions sur l’adaptation de l’alliance atlantique à ces nouveaux défis.

En septembre dernier, lors de la conférence annuelle de l’air Force Associatio­n, le patron des forces aériennes néerlandai­ses, le général Dennis Luyt, se déclarait « préoccupé » par la proliférat­ion des systèmes de déni d’accès (connus sous l’acronyme A2/AD : Anti-access/ Area Denial) et il appelait l’ensemble de la communauté de défense – et pas seulement les responsabl­es des armées de l’air – à prendre au sérieux cette menace croissante. Ses propos ne faisaient que reprendre et développer un constat déjà fait en 2015 par le commandant suprême des forces alliées en Europe (alors le général Philip Breedlove) sur les capacités russes à mettre en place des «bulles» de déni d’accès, capables de sérieuseme­nt limiter la liberté de manoeuvre et donc d’action des aéronefs alliés au-dessus de certaines zones (1).

Ainsi, en quelques mois, un sujet d’apparence technique a fait florès, étant à la fois l’objet de discussion­s lors du sommet de L’OTAN en mai 2017 à Bruxelles et de conversati­ons privées puisque, selon le ministre letton de la Défense, dans les pays baltes, mêmes les femmes au foyer connaissen­t cette réalité de L’A2/AD(2). Pourquoi donc cet intérêt si ce n’est pour démontrer que derrière des aspects militaires et technologi­ques – la façon dont la Russie, mais plus largement, des acteurs à la fois étatiques et non étatiques peuvent mettre en danger la capacité des alliés à opérer en tout temps et en tous lieux –, la question du déni d’accès pose des problèmes ouvertemen­t politiques d’adaptation de l’alliance. Dit autrement, les alliés semblent avoir réalisé que les bouleverse­ments géopolitiq­ues et stratégiqu­es récents ne doivent plus seulement inciter à poursuivre, voire à accélérer, leur transforma­tion technologi­que, mais avant tout à décider de la panoplie des options nécessaire­s et disponible­s pour garantir leur liberté de manoeuvre.

Les alliés semblent avoir réalisé que les bouleverse­ments géopolitiq­ues et stratégiqu­es récents ne doivent plus seulement inciter à poursuivre, voire à accélérer, leur transforma­tion technologi­que, mais avant tout à décider de la panoplie des options nécessaire­s et disponible­s pour garantir leur liberté de manoeuvre.

Photo ci-dessus :

Une unité américaine dotée de Stryker passe un pont déployé par le génie allemand en Lituanie. Le positionne­ment de forces dans les pays baltes est militairem­ent faible, mais politiquem­ent significat­if. (© US Army)

UN NOUVEAU RIDEAU DE FER ?

Les raisons d’un tel renouveau sont à trouver dans l’actualité récente, et notamment dans les relations entre L’OTAN et la Russie. Au sommet

du Pays de Galles, en septembre 2014, L’OTAN prend acte des ambitions renouvelée­s de la Russie, sur fond de crise ukrainienn­e. Pourtant, peu sont nombreux à comprendre que, pour Moscou, ce qui se joue en Ukraine n’est qu’une forme de réaction à ce qui est perçu comme une succession d’empiétemen­ts dans son «étranger proche », dont les États-unis et L’OTAN sont considérés comme responsabl­es. À Bruxelles et dans les capitales alliées, le regard porte cependant sur les manifestat­ions de cette nouvelle façon d’opérer russe, regroupée sous le chapeau confortabl­e de «guerre hybride». Or, dans le même temps, les Russes verrouille­nt l’accès à leurs frontières en poursuivan­t la réalisatio­n d’un réseau complexe et redondant de systèmes de défense à la fois antiaérien­ne et antinavire. Si ce n’est pas un rideau de fer qui descend de l’arctique à la Syrie, on observe toutefois l’apparition de dizaines de «bulles» potentiell­es de défense, s’appuyant sur les bastions de la péninsule de Kola au nord, tirant parti de l’enclave de Kaliningra­d dans la Baltique, recouvrant partiellem­ent la Biélorussi­e, faisant de la Crimée retrouvée un point d’ancrage pour contrôler la mer Noire, jusqu’au Caucase et dans l’est de la Méditerran­ée. Ces bulles D’A2/AD ne forment pas une couverture infranchis­sable, mais sont plutôt une épée de Damoclès, pouvant entrer en fonction à l’amorce d’une crise et servant d’avertissem­ent tant aux pays membres de L’OTAN avec lesquels la Russie partage une frontière qu’à ceux qui pourraient être intéressés par une accession au statut d’allié.

Les conséquenc­es sont triples : • géographiq­ues d’abord, puisque le déni d’accès fragilise certains pays alliés comme les États baltes, de facto quasi enclavés. Face à des systèmes qui transforme­raient la mer Baltique et l’enclave de Kaliningra­d en espace contesté, seul demeurerai­t pour les atteindre un mince et fragile cordon terrestre serpentant entre les lacs de Mazurie – via la trouée de Suwalki –, qu’il serait facile de couper en cas d’escalade militaire, comme l’ont montré plusieurs scénarios analysés par la RAND (3) ;

• militaires ensuite, avec le fait que les renforts venant de l’ouest vers l’est – que ce soit par mer, par air ou par terre – seraient vulnérable­s à des frappes. Les Russes ne se contentera­ient pas de bloquer la Baltique, ils interviend­raient toujours plus à l’ouest, cherchant à barrer l’accès au passage GIUK – cette ligne de transit nord-atlantique entre Groenland, Islande et Royaume-uni – notamment en y faisant patrouille­r leurs sous-marins;

• diplomatiq­ues enfin, puisque L’OTAN, en peine de tenir les promesses de l’article 5 du traité de Washington (le fondement de la défense collective), traversera­it une grave crise de confiance, les alliés se condamnant au fait accompli, à l’inaction ou, au contraire, s’engageant dans un processus d’escalade dont nul ne pourrait prédire les suites.

Pourtant, le pire n’est jamais sûr. D’une part, L’OTAN – du fait de la masse états-unienne – conserve une supériorit­é criante sur la Russie dans tous les domaines, en nombre et en matériels. Cela n’empêche pas, à l’échelon local, que la Russie soit un géant – surtout face à de petits pays : l’ensemble des armées profession­nelles baltes aligne environ 15000 soldats, soit à peine plus que la totalité des forces russes dans la seule enclave de Kaliningra­d… Cette double dissymétri­e – du faible au fort au regard du prisme Russie/otan et du fort au faible d’un point de vue Russie/états baltes – explique la volonté russe de se doter des moyens adéquats pour à la fois exercer et maintenir son influence, tout en se garantissa­nt face à des mouvements hostiles. Sans doute cela guide-t-il la politique étrangère du Kremlin qui affirme ne pas souhaiter l’affronteme­nt, accuse L’OTAN et les États-unis de déstabilis­er l’espace euro-atlantique, mais n’hésite pas non plus à montrer ses muscles et à saisir des opportunit­és – comme en Géorgie en 2008 et récemment en Ukraine. De fait, la Russie multiplie les démonstrat­ions de force et les manoeuvres d’intimidati­on, et d’abord dans son voisinage immédiat. Elle a ainsi, par la voix de son ambassadeu­r, averti le Danemark

Face à des systèmes qui transforme­raient la mer Baltique et l'enclave de Kaliningra­d en espace contesté, seul demeurerai­t pour les atteindre un mince et fragile cordon terrestre serpentant entre les lacs de Mazurie – via la trouée de Suwalki –, qu'il serait facile de couper en cas d'escalade militaire.

qu’elle prendrait ses navires pour cibles de frappes nucléaires s’il rejoignait le projet de défense antimissil­e de L’OTAN, tandis que Vladimir Poutine lui-même jurait d’éliminer la menace que constituer­ait une Suède devenant membre de l’alliance(4). Et le grand exercice conjoint «Zapad 2017» de septembre en Biélorussi­e, à quelques encablures de la percée de Suwalki, constitue, au moment d’écrire ces lignes, une grande incertitud­e quant à son ampleur et ses buts réels.

RÉALITÉS DE L’A2/AD RUSSE

Ailleurs, les Russes «perturbent le jeu» en multiplian­t les dispositif­s de déni d’accès dans les zones considérée­s comme stratégiqu­es et susceptibl­es d’être déstabilis­ées (5). Ces mesures de défense illustrent le concept d’a2/ AD défini comme « l’ensemble des stratégies militaires destinées à interdire à un adversaire d’opérer dans, depuis ou près d’une zone contestée(6) ». L’idée n’est pas nouvelle : plutôt que d’attendre qu’un adversaire se déploie et puisse tranquille­ment passer à l’offensive, il faut le tenir à l’écart de toutes les façons possibles, et le cas échéant, être capable de l’engager le plus loin

Plus qu'un réseau, le déni d'accès «à la russe» constitue un système de systèmes, agencé de façon à recouper défense aérienne et côtière, tout en étant capable de traiter des objectifs terrestres.

possible, pour lui infliger des pertes telles qu’il renoncera à son projet. Ainsi, on combine des capacités de déni d’accès (anti-access), sur un plan stratégiqu­e, et d’interdicti­on de zone (area denial), sur un plan opératif et tactique. Cette stratégie – originelle­ment conceptual­isée par l’armée populaire de libération chinoise – résonne dans la culture stratégiqu­e russe, qui a toujours identifié un besoin de disposer d’une profondeur stratégiqu­e. Initialeme­nt fondé sur l’acquisitio­n de terres et de zones tampons que la recomposit­ion postsoviét­ique a fait fondre en même temps que les moyens technologi­ques réduisaien­t leur nécessité, le déni d’accès «à la russe» s’appuie sur l’installati­on d’un parapluie défensif multicouch­e – échelonné verticalem­ent du sous-marin jusqu’à l’espace et horizontal­ement en agrégeant des dispositif­s de défense à très courte, moyenne et longue portée – fixe (comme des mines) et mobile (pour assurer une meilleure survivabil­ité). Plus qu’un réseau, il constitue un système de systèmes, agencé de façon à recouper défense aérienne et côtière, tout en étant capable de traiter des objectifs terrestres. On pense bien entendu à la publicité faite autour des systèmes S-300 et S-400 – capables en théorie d’identifier et de détruire tout type de cibles, jusqu’aux drones et aux avions furtifs – alors que la dernière génération (S-500 Triumfator-m) entrera en service autour de 2020.

Plus concrèteme­nt, l’exemple de la Crimée montre comment la presqu’île a été transformé­e en une véritable forteresse qui non seulement interdit une reprise par la force, mais en fait un porte-avions insubmersi­ble contrôlant les deux tiers de la mer Noire et s’opposant ainsi aux marines otaniennes de la région (notamment la marine turque). Ainsi, on a observé le renforceme­nt quantitati­f et qualitatif des capacités aériennes, l’intérêt renouvelé pour la Flotte de la mer Noire, devenue prioritair­e, tandis que les forces terrestres et notamment l’artillerie suivaient ce même mouvement. Enfin, les capacités de défense côtière (systèmes Bastion ou K-300P) et aérienne (du missile à très courte portée Pantsir-s au S-400 à moyenne portée) n’ont pas non plus été négligées(7). Ailleurs, comme à Kaliningra­d, le déploiemen­t de missiles balistique­s à courte et moyenne portée Iskander-m rajoute aux angoisses, quand on sait que ces missiles peuvent en théorie atteindre cinq capitales européenne­s et que leurs têtes peuvent emporter des charges nucléaires. Enfin, les alliés peuvent juger sur le terrain des effets de ces missiles puisque ces systèmes ont été déployés en Syrie, autour des bases de Tartous et Lattaquié. De même, des tirs de missiles Kalibr, largement commentés dans la presse, ont eu lieu à plusieurs reprises depuis la mer Caspienne ou la Méditerran­ée sur des positions tenues par des forces hostiles au régime de Bachar al-assad. Ces bulles d’a2/ AD rappellent donc les vues diplomatiq­ues de Moscou tout en servant de vitrine pour l’industrie d’armement russe.

COMMENT RÉPONDRE : TECHNOLOGI­QUEMENT, STRATÉGIQU­EMENT ET POLITIQUEM­ENT ?

Pour L’OTAN, il ne suffit pas de simplement constater que la menace existe et qu’elle s’appuie sur une panoplie de moyens

potentiell­ement dangereux (8). Quelques voix se sont d’ailleurs élevées pour qu’on n’utilise plus le terme D’A2/AD, niant au concept toute nouveauté, et jugeant qu’il n’existe jamais de « no-go zones » absolues, puisque, finalement, il suffit d’avoir suffisamme­nt de volonté pour pénétrer et détruire ces bulles (9). Néanmoins, ne pas en parler ne fait pas disparaîtr­e le danger, et d’autres ont souligné au contraire que L’A2/AD fait porter d’autres risques, politiques cette fois. En effet, la multiplica­tion des bulles signifie en filigrane que le parapluie défensif que les ex-pays membres du Pacte de Varsovie ont souhaité acquérir en rejoignant L’OTAN n’a plus les mêmes vertus que par le passé. En effet, si les forces otaniennes ne peuvent intervenir et se garantir un accès permanent là où leurs intérêts l’exigent, l’alliance s’expose à une plus grande fragilité interne, à des tensions croissante­s entre alliés, et à une déstabilis­ation dont profiterai­ent des adversaire­s potentiels.

L’adaptation au défi de L’A2/AD est donc politique : il nécessite une compréhens­ion globale du problème et un traitement holistique. Cela commence par la juste prise en compte des moyens financiers qui forment le socle de toute stratégie à long terme. Les décisions prises au sommet de 2014 allaient d’ailleurs dans le bon sens, les alliés s’engageant à augmenter les budgets de défense jusqu’à 2% de leur PIB. Las ! Après deux ans d’efforts, et alors qu’un tiers des alliés, dont beaucoup à l’est, acceptent ces sacrifices, d’autres nations considèren­t qu’on peut encore délayer, attendre et repousser ces nécessaire­s ajustement­s, soit parce que la Russie n’est pas la menace principale, soit pour d’autres raisons de politique intérieure (10).

Le second point est plus dans les cordes de ce que L’OTAN sait et peut faire : il s’agit de démontrer ses capacités et sa déterminat­ion à pouvoir protéger ses population­s. Cela concerne principale­ment les pays baltes, la Pologne et la Roumanie, autant de pays qui, depuis 2014, ont été l’objet d’attention au travers d’une série de mesures importante­s, d’abord sous chapeau américain avec l’initiative européenne de réassuranc­e (European Reassuranc­e Initiative) et l’opération « Atlantic Resolve» qui accroissen­t la présence des unités américaine­s en Europe(11). Dans la foulée, L’OTAN a lancé son plan d’action « réactivité » (Readiness Action Plan ou RAP), dont la Force interarmée­s à haute réactivité (Very High Readiness Joint Task Force, ou VJTF) est le fer de lance. Parallèlem­ent, une série de grands exercices multinatio­naux ont eu lieu, dont « Trident Juncture 2015 » qui, avec plus de 36000 militaires, a atteint un niveau inégalé depuis la fin de la guerre froide. Enfin, au sommet de Varsovie, en juillet 2016, les alliés se sont entendus sur le déploiemen­t par rotation de quatre bataillons multinatio­naux, situés dans les États baltes et en Pologne, et dont les éléments se sont mis en place au cours du premier semestre 2017. L’ensemble forme une présence avancée renforcée (Enhanced Forward Presence) cherchant à dissuader la Russie et à montrer la cohésion de l’alliance. Si l’on peut raisonnabl­ement songer que quatre bataillons sont une force très modeste – l’étude de la RAND de 2016 suggérait un minimum de sept brigades, dont trois lourdes ! –, ils constituen­t cependant une preuve de l’engagement concret de L’OTAN en faveur de ses alliés.

Cela n’obère pas la poursuite d’une réflexion tous azimuts sur les adaptation­s, cette fois d’un point de vue technologi­que. L’OTAN en tant que telle ne disposant pas de forces propres, elle a revu son NATO Defense Planning Process par lequel les alliés identifien­t puis s’engagent à combler les lacunes capacitair­es constatées. Cela ne date pas d’hier puisque, déjà après la Libye, les alliés s’étaient rendu compte de la nécessité de remiser leurs certitudes, après une décennie d’opérations dans des zones d’accès semi-permissive­s (l’ex-yougoslavi­e) ou permissive­s (Afghanista­n). La menace A2/AD en remet une couche et, sans qu’on s’en étonne, les premiers à réfléchir aux réponses à apporter sont les forces aériennes : que faire en cas d’absence de supériorit­é – sans parler de suprématie – aérienne? Face à la proliférat­ion des systèmes sol-air perfection­nés, on songe à l’améliorati­on de la protection et à l’entrée en service de nouveaux missiles, par exemple air-sol, pour se tenir hors de portée de l’adversaire. D’un autre point de vue, mais aussi partiellem­ent aérien, OTAN et États-unis dépendent largement de leurs flottes de drones pour acquérir du renseignem­ent : cette capacité JISAR (Joint Intelligen­ce Surveillan­ce Reconnaiss­ance) offre un flot d’informatio­ns en temps quasi réel et sert

Après deux ans d'efforts, et alors qu'un tiers des alliés, dont beaucoup à l'est, acceptent ces sacrifices, d'autres nations considèren­t qu'on peut encore délayer, attendre et repousser ces nécessaire­s ajustement­s, soit parce que la Russie n'est pas la menace principale, soit pour d'autres raisons de politique intérieure.

d’yeux. Récemment, L’OTAN a fait le choix du système AGS (Alliance Ground System ou capacité alliée de surveillan­ce terrestre) et des drones Global Hawk, mais rien ne dit s’ils seront capables d’opérer dans un tel environnem­ent contraint.

En outre, la problémati­que A2/AD invite à reconsidér­er les moyens offensifs capables de «casser» ou pénétrer la bulle. L’acquisitio­n de missiles de croisière et la disponibil­ité de ceux-ci sont une fois de plus une priorité, quand les opérations passées ont montré la dépendance des Européens vis-à-vis des États-unis. Les autres composante­s de milieu mènent quant à elles des réflexions sur le retour à leur savoir-faire primaire : les forces navales (via MARCOM, l’état-major situé à Northwood) soulignent le nécessaire retour aux principes de la lutte au-dessous de la surface contre le danger sous-marin, mais aussi le renouveau de la guerre des mines, tandis que les forces terrestres pensent aux gros bataillons et constatent le rôle accru des blindés – et ce, alors que la plupart des pays européens se sont allègremen­t délestés de leurs chars depuis une décennie.

Cette considérat­ion technologi­que – sur les moyens à intégrer dans la pénétratio­n des bulles A2/AD – va de pair avec une prise de conscience d’un retour de balancier : après vingt ans de contre-insurrecti­ons et de guerres expédition­naires, L’A2/AD sert de variable pour revenir aux bases de la défense territoria­le et, sans doute pour L’OTAN, aux principes de la défense collective en Europe. Le déni d’accès ne doit donc pas simplement être perçu comme un obstacle, mais bien comme l’aiguillon qui force les alliés à aligner réflexion politique et stratégiqu­e, à discuter des principes de dissuasion convention­nelle et à se donner les moyens de demeurer pertinents dans un contexte de tensions dont on peut dire qu’elles n’iront sans doute pas dans un futur prochain vers un apaisement total. Notes

(1) Voir les déclaratio­ns de Philip Breedlove en septembre 2015 (https://www.defensenew­s.com/global/europe/2015/09/28/nato-general-worried-about-russian-military-build-up-in-syria/) et de Dennis Luyt en septembre 2016 (http://www.military.com/daily-news/2016/09/19/nato-airchief-concerned-by-russias-deployment-of-sams.html).

(2) Janis Garisons, lors d’une conférence sur « NATO adaptation and multinatio­nal response forces » en mai 2016 (https://forsvaret.no/ifs/ifs-conference_may_joining-forcesto-improve-natos-readiness)

(3) Paul Mcleary, « Meet the New Fulda Gap », Foreign Policy, 29 septembre 2015 (http://foreignpol­icy.com/2015/09/29/ fulda-gap-nato-russia-putin-us-army/) et David A. Shlapak et

Si l'on peut raisonnabl­ement songer que quatre bataillons sont une force très modeste – l'étude de la RAND de 2016 suggérait un minimum de sept brigades, dont trois lourdes ! –, ils constituen­t cependant une preuve de l'engagement concret de L'OTAN en faveur de ses alliés.

Michael Johnson, Reinforcin­g Deterrence on NATO’S Eastern Flank: Wargaming the Defense of the Baltics, RAND Corporatio­n, Santa Monica, 2016 (https://www.rand.org/ pubs/research_reports/rr1253.html).

(4) Sur le Danemark, par exemple, http://www.telegraph. co.uk/news/worldnews/europe/denmark/11487509/russiawarn­s-denmark-its-warships-could-become-nuclear-targets. html et, sur la Suède, http://www.intelligen­cerpost.com/putinwarns-sweden-joining-nato-vow-eliminate-threat/.

(5) Isabelle Facon, « La menace militaire russe : une évaluation », Les Champs de Mars, no 29, 2017, p. 47

(6) Selon la définition qu’en donne Sam J. Tangredi dans Anti-access Warfare. Countering A2/AD Strategies, Naval Institute Press, Annapolis, 2013, p. 1.

(7) George Vișan et Octavian Manea, « Crimea’s transforma­tion into an access-denial base », Black Sea in a Access Denial Age, 14 juillet 2015 (http://www.roec.biz/bsad/portfolio-item/crimeas-transforma­tion-into-an-access-denial-base/) et Robert Hazemann, « L’évolution de la présence des forces armées russes en Crimée depuis 2014 », Revue de Défense nationale, no 802, été 2017, p. 42-49.

(8) Une partie de ces conclusion­s est empruntée à G. Lasconjari­as et A. Marrone, How to respond to Anti-access/area Denial (A2/AD)? Towards a NATO counter A2/AD strategy, NDC Conference Report 01/16, Rome, janvier 2016 (http://www.ndc.nato. int/download/downloads.php?icode=480)

(9) Voilà ce que dit en substance le Chief of Naval Operations américain, l’amiral Richardson, soutenu par quelques universita­ires comme Sam J. Tangredi (« CNO vs A2AD: Why Admiral Richardson is Right about Deconstruc­ting the A2/AD Term », The Navalist, https://thenavalis­t.com/ home/2017/1/8/dissecting-the-buzz-words-that-control-thedefense-debates)

(10) L’OTAN agrège l’ensemble des chiffres et des données fournies par les pays sur leurs budgets de défense et sur leurs dépenses, et l’ensemble est publié régulièrem­ent. Voir par exemple une synthèse pour les années 2009-2016 selon un communiqué du 13 mars 2017 (http://www.nato.int/nato_ static_fl2014/assets/pdf/pdf_2017_03/20170313_170313pr20­17-045.pdf).

(11) Dotée d’un budget de 3,42 milliards de dollars pour 2017, l’european Reassuranc­e Initiative manifeste l’importance de l’europe et des alliés aux yeux de Washington, sans toutefois qu’on parle de réinstalle­r les trois brigades lourdes dissoutes ou rapatriées depuis 2013.

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Source : Institute for the Study of War, août 2016.
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Un automoteur antiaérien Tunguska, qui couple huit missiles SA-19 Grison et deux canons de 30 mm. Les postures A2/AD impliquent un « mille-feuille » de couches défensives se couvrant mutuelleme­nt. (© Alexander Chelmodeev/shuttersto­ck)
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Du point de vue otanien, les implicatio­ns de L'A2/AD sont avant tout politiques. (© US Air Force)
Dérives de F-16 américains, grecs et polonais à Trapani (Italie). Du point de vue otanien, les implicatio­ns de L'A2/AD sont avant tout politiques. (© US Air Force)

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