LA LUTTE ANTI-A2/AD : UN POINT DE VUE AMÉRICAIN
Beaucoup a été écrit sur L’A2/AD – et plus particulièrement sur les capacités de la Chine – depuis le début du débat. Des concepts comme l’airsea Battle et le combat multidomaine ont été avancés comme autant de réponses. Croyez-vous en leur pertinence ?
David Ochmanek : L’airsea Battle (ASB) et le combat multidomaine sont des notions conceptuelles vastes relatives à la conduite des opérations contre des adversaires qui, comme la Chine, déploient des capacités A2/ AD très performantes. Aucun de ces concepts ne prescrit une manière d’employer les forces dans ces environnements complexes. Il s’agit plutôt, en quelque sorte, de déclarations ambitieuses sur les effets recherchés à travers l’emploi de la force militaire par un État. S’ils demeurent pertinents et font partie de l’effort continu pour faire face aux capacités A2/AD, ils ne suffisent pas, par eux-mêmes, à orienter le développement des forces.
L’importance constante que le Département de la Défense (DOD) accorde aux wargames, comme outils d’évaluation des futurs forces et concepts opérationnels à travers des scénarios réalistes s’est avérée plus appropriée. Bien menés, les wargames sont d’excellents outils pour : 1) identifier les lacunes et insuffisances des forces, 2) mettre en exergue les défis émergents et 3) concevoir et tester de nouveaux concepts et capacités opérationnels contre un adversaire fort de facultés d’adaptation. Ces dernières années, le DOD a conduit et soutenu de nombreux wargames de niveau opératif étudiant les défis que poseraient de potentiels conflits futurs impliquant les plus puissants des adversaires des États-unis. Nous en apprenons beaucoup sur le type de capacités nécessaires pour réussir dans ces environnements et sur la manière d’employer la force à l’avenir. J’ai tendance à penser que les enseignements tirés de ces wargames et de l’analyse qui en découle sont plus pertinents pour structurer notre pensée autour de la préparation de l’avenir des forces que des documents généraux comme pour L’ASB.
J'ai tendance à penser que les enseignements tirés des wargames et de l'analyse qui en découle sont plus pertinents pour structurer notre pensée autour de la préparation de l'avenir des forces que des documents généraux comme pour l'airsea Battle.
La question des armes connaît d’importants développements : des armes électromagnétiques, le nouveau missile antinavire LRASM, des missiles hypersoniques sont testés. Pouvons-nous surpasser la puissance de feu défensive avec la puissance de feu offensive? En considérant un pays comme la Chine, qui dispose d’une force de dissuasion nucléaire, est-ce une bonne idée?
Je préfère ne pas aborder le problème en termes de généralisation, comme la puissance offensive ou défensive, mais plutôt analyser les défis opérationnels spécifiques que peuvent poser les adversaires et, ensuite, évaluer les éventuels moyens nécessaires pour les relever. Aujourd’hui, la Chine, la Russie et la Corée du Nord posent des défis auxquels les États-unis et les forces alliées ne sont pas bien préparés, sans qu’ils soient insurmontables. La Chine et la Russie déploient des capacités militaires
Photo ci-dessus :
En Asie, l'exercice de la lutte anti-a2/ad pourrait nécessiter l'usage de forces amphibies. Celles des États-unis, modernisées, sont certes impressionnantes, mais rien ne garantit qu'elles ne subiraient pas de lourdes pertes. (© US Navy)
pouvant causer de sérieux dommages aux forces et aux bases américaines et alliées et tenir à distance leur puissance militaire le temps nécessaire à la conduite de campagnes d’agression. Dans le cas de la Chine, il pourrait s’agir d’une invasion de Taïwan et, dans celui de la Russie, de l’invasion d’un ou plusieurs États membres de L’OTAN. Aussi bien la Chine que la Russie disposent d’importants stocks de missiles balistiques et de croisière précis et de longue portée permettant de frapper les bases alliées dans leurs régions, d’armes antisatellites, d’armes cyber offensives et de brouillage électronique ainsi que d’un large éventail de capacités modernes de défense aérienne afin de protéger leurs territoires et leurs forces offensives contre des attaques aériennes. Pour repousser une agression dans ces conditions, les États-unis et les alliés doivent être en mesure de réaliser trois choses essentielles :
• mieux protéger leurs forces et leurs bases dans les régions menacées;
• perturber, endommager et détruire les forces offensives ennemies dès le début d’un conflit, même dans des circonstances dans lesquelles les opérations menées dans les domaines aérien, spatial, maritime, terrestre et cyber sont contestées;
• dans la durée, détériorer le complexe A2/ AD de l’ennemi en détruisant ses capacités de défense aérienne, de reconnaissance de théâtre et de commandement et contrôle.
Au sein de la communauté de défense américaine ont émergé un certain nombre d’options prometteuses pour une défense réussie. Comme le suggère votre question, ces options intègrent de nouvelles armes permettant de conduire des attaques à distance contre des cibles à haute valeur. D’autres capacités, tout aussi importantes, sont les mesures de protection des bases terrestres et maritimes contre des frappes de missiles, la multiplication des capacités d’observation du champ de bataille, les constellations de satellites plus robustes pour les communications, le positionnement et le timing, ainsi que les capacités cyber offensives et défensives. Jusqu’à présent, les demandes concurrentes émanant des différentes forces américaines sont allées de pair avec des contraintes budgétaires limitant la possibilité du DOD à investir dans ces nouvelles capacités.
Pour ce qui est de la Corée du Nord, le défi consiste à trouver de meilleures manières d’empêcher les dirigeants du pays de déployer des armes nucléaires hors de ses frontières (et non seulement de tenter de dissuader le recours au nucléaire à travers une menace de représailles). Seuls, les systèmes actuels de défense contre des missiles balistiques de théâtre ne seront probablement pas suffisants.
En Europe, un fort engagement allié avec des forces crédibles est nécessaire pour contrer les postures A2/AD. Mais, en Asie, il y a quelques années, des concepts comme l’airsea Battle ont été critiqués par des alliés proches des États-unis comme la Corée du Sud et Singapour qui les percevaient comme étant déstabilisants. Pour le dire simplement, les États-unis peuvent-ils lancer seuls une opération anti-a2/ad contre un pays comme la Chine ?
Une partie des critiques contre L’ASB étaient injustifiées. En essence, ce concept appelle à intégrer plus étroitement les capacités aériennes et maritimes des forces américaines. Il appelle également à perturber la capacité ennemie à conduire une reconnaissance et à cibler et frapper les forces d’un pays. Aussi bien les moyens offensifs (par exemple les frappes contre des capteurs et des centres de contrôle) que les mesures défensives (par exemple brouillage, camouflage et déception) pourraient être utilisés à cette fin. Dans ce type d’approche, rien n’est intrinsèquement déstabilisant. Ce qui le serait, c’est une posture régionale présentant aussi bien la menace d’une action offensive que les vulnérabilités aux attaques des systèmes de frappe de longue portée de l’adversaire. C’est l’une des raisons de l’importance accordée à des moyens plus robustes protégeant les forces et les bases américaines à l’étranger.
J’insisterai une fois de plus sur le fait que L’ASB n’est qu’un volet de l’approche émergente du DOD sur les opérations militaires en environnement A2/AD. Comme je l’ai écrit par ailleurs, lorsqu’il s’agit de structurer ses forces futures, le DOD devrait concentrer son attention sur des moyens permettant de mettre en place une stratégie de défense directe (1). Cela signifie mettre un potentiel agresseur face à la perspective d’un échec. Le moyen de dissuasion le plus crédible est celui qui suffit à faire réaliser à l’adversaire qu’il est improbable que ses forces atteignent les objectifs opérationnels assignés compte tenu des capacités des forces de défense et de la volonté d’y recourir.
Les wargames et l’analyse quantitative des scénarios de conflits dans lesquels seraient impliquées la Chine et la Russie appuient la conclusion selon laquelle les forces américaines et alliées futures, modernisées, positionnées et opérées de manière appropriée, devraient être autant d’obstacles majeurs à une agression par un adversaire étatique. La question la plus importante à laquelle se confronte aujourd’hui l’appareil de sécurité nationale des États-unis porte sur le fait de savoir si le pays a la volonté d’attribuer à ses forces armées les ressources qu’exige le développement des capacités nécessaires. Cela est certainement dans nos moyens.
Dans une approche de type Airsea Battle, rien n'est intrinsèquement déstabilisant. Ce qui le serait, c'est une posture régionale présentant aussi bien la menace d'une action offensive que les vulnérabilités aux attaques des systèmes de frappe de longue portée de l'adversaire.
Propos recueillis par Joseph Henrotin, le 30 août 2017
Note
(1) Voir David Ochmanek, Sustaining US. Leadership in the Asia-pacific Region: Why a Strategy of Direct Defense Against A2/AD Threats Is Desirable and Feasible, PE-142OSD, RAND, 2015.