DSI Hors-Série

LE « FRAPPEUR », MISSILEUR POUR L’ÂGE DES RÉSEAUX ET DES MISSILES GUIDÉS

MISSILEUR POUR L’ÂGE DES RÉSEAUX ET DES MISSILES GUIDÉS

- Entretien avec René LOIRE, ingénieur français

La conception du «Frappeur» est très simple : semi-submersibl­e et bénéfician­t de ce fait d’une réduction de sa signature radar, il ne dispose que d’un radar de navigation et nécessite peu de personnel pour sa conduite. Sa puissance de feu potentiell­e est, en revanche, phénoménal­e. Comment l’idée de concevoir un tel bâtiment vous estelle venue ?

René Loire : Elle m’est venue tout d’abord à la lecture d’un article «historique» du vice-amiral Joseph Metcalf, ancien chef des opérations navales «surface» de la marine des États-unis, dans le numéro de janvier 1988 de US Naval Institute Proceeding­s, intitulé « A Revolution at Sea ». Il y exposait sa «vision» d’un navire de combat contrôlépi­loté par le moyen des réseaux. Ayant reçu un avant-projet dans lequel j’essayais d’illustrer son concept, Metcalf m’invita à venir le voir et m’introduisi­t au Pentagone. J’y livrai deux campagnes de «planches» en 1995 et 2001. Elles furent bien accueillie­s, mais le Striker, dans sa version américaine Arsenal Ship, objet d’un appel d’offres conjoint entre la Navy et la DARPA, rencontra l’opposition des aviateurs, partisans du seul porte-avions, et des « lobbies » de l’industrie aéronautiq­ue au Congrès. Cette opposition persiste aujourd’hui, mais devrait être surmontée pour des raisons économique­s et de bon sens.

Ensuite, à l’annonce de l’exploit du destroyer USS Fife (DD-991) qui, dans l’opération « Desert Storm » contre l’irak, en janvier 1991, lança à lui seul 60 missiles Tomahawk Land Attack Missile (TLAM) sur les 282 tirés par un total de 20 navires. Les engins avaient été guidés « cartograph­iquement » par Terrain Contour Matching (TERCOM) – dans les opérations suivantes, ils le furent surtout par GPS –, et le luxueux gréement électroniq­ue du Fife n’avait pas servi. D’autre part, on constata que la plupart des 133 tankers atteints par Exocet (pour 193 engins lancés) au cours de la guerre Iran-irak (1981-1988) avaient beaucoup mieux résisté à ces tirs que les HMS Sheffield (incendié en 1982 aux Malouines) et USS Stark (mis hors de combat en 1987 dans le golfe Persique). De plus, à l’occasion de «Desert Storm», on avait vu le croiseur USS Princeton ravagé par l’explosion d’une mine de fond à influence, dont les effets avaient été aggravés par l’hétérogéné­ité de la structure, mêlant acier et aluminium. On était ainsi conduit à s’inspirer de la structure compartime­ntée et exempte d’aluminium inflammabl­e des navires pétroliers si l’on voulait dessiner un navire de guerre solide.

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Le recours aux réseaux la détection des objectifs et leur traitement par les engins emportés en puits-lanceurs « universels » noyés dans la coque permet de supprimer les classiques senseurs de combat de bord et donc les superstruc­tures.

D’un point de vue opérationn­el, comment mettre en oeuvre le bâtiment, dans sa conduite comme durant les opérations de frappe ?

Il s’agit d’une solide plate-forme flottante de lancement vertical de missiles guidés. Le recours aux réseaux pour la détection des

Photo ci-dessus :

L'usage de silos de lancement verticaux offre une salve importante de types de missiles diversifié­s, et tirée plus rapidement. (© US Navy)

objectifs et leur traitement par les engins emportés en puits-lanceurs « universels » noyés dans la coque permet de supprimer les classiques senseurs de combat de bord et donc les superstruc­tures. Afin de placer le pont en dessous de l’altitude minimale de vol de l’exocet en mer ouverte, soit 1,50 m, le franc-bord est maintenu à cette valeur par ballastage, à mesure de la consommati­on de carburant. Le navire est ainsi rendu naturellem­ent furtif au radar (stealthy without really trying). Seule superstruc­ture permanente : une prise d’air pour les moteurs Diesel tartinée à l’antiréfléc­hissant d’ondes radars. Un mât-radar de navigation courante et une petite passerelle sont escamotabl­es en configurat­ion de furtivité maximale. Une certaine furtivité sonore résulte du fait que le bruit émis par la machine Diesel ne peut être distingué par les sous-marins de celui provenant de la plupart des motorships de commerce, alors que les navires de guerre fonctionne­nt avec des turbines à gaz qui émettent un son spécifique.

Des rideaux d’eau latéraux alimentés par écopage en marche – au prix d’une faible réduction de la vitesse maximale par prélèvemen­t sur la puissance de la machine – sont actionnés à volonté en zones hostiles et protègent le navire des engins rase-mer (sea-skimming) programmés pour échapper aux crêtes de vagues, les obligeant à «sauter» par-dessus le pont (une fusée de proximité pouvant néanmoins les faire détoner, il existe un léger blindage pare-éclats du pont). On pourrait essayer de brouiller la vue des engins plongeants par la projection d’une nappe d’eau par-dessus le pont.

Parce que la coque est de largeur constante, à bordés plans parallèles de proue à poupe, elle peut être constituée de modules prismatiqu­es, identiques par la forme et les dimensions extérieure­s, mais individuel­lement affectés à une fonction spécifique (armes, commandeme­nt, quartier de vie, machine). On peut faire varier le nombre de modules de chaque type suivant les missions prévues, en fonction de la puissance de feu, de la vitesse et de l’autonomie désirées, soit au stade du dessin, soit en cours de vie. Ainsi, on peut échanger très rapidement un module de commandeme­nt devenu obsolète contre un module «en état de l’art», déjà testé et «recetté». Un tel module en attente d’incorporat­ion dans une coque peut servir à «recertifie­r» un équipage sur des instrument­s de bord nouveaux et prendre part à des exercices avec des navires en mer.

La charge de guerre varie suivant le nombre de modules de coque qui lui sont affectés (de 1 à 5), soit de 120 à 600 engins pouvant être de tous types (anti-terre, antinavire­s, anti-air, anti-sous-marins, leurres, etc.), en lots homogènes ou en «assortimen­ts», ce qui permet d’adapter le frappeur à ses missions du moment. L’équipage comprend 20 hommes (effectif approuvé par l’amiral Boorda, lorsqu’il était chef des opérations navales de la marine américaine. De sensibilit­é « surfacière », il fut chaud partisan du concept. Malheureus­ement, il devait disparaîtr­e par un suicide bizarre et fut remplacé par un « fana » des porte-avions. Le prix d’acquisitio­n «coque nue» d’un Striker est de 100 millions d’euros, soit le coût programmé d’un seul avion Rafale. En ordre de marche, avec 480 missiles à 0,4 million d’euros et 20 hommes à un million d’euros, le coût en capital exposé, soit 312 millions d’euros, est la moitié de celui, armement compris, d’une frégate de 5 000 tonnes et le quart de celui d’un destroyer Arleigh Burke de 10 000 tonnes.

La puissance de feu «instantané­e» (tous les engins tirés en peu de temps) d’un frappeur, exprimée en poids d’explosif est, à portée supérieure (1 000 milles et plus), plusieurs fois celle d’un porte-avions moyen de type Charles de Gaulle (la charge de guerre d’une «pontée» de 30 avions). Sa longévité « économique » est de dix ans (il ne nécessite pas d’entretien lourd). En guerre, l’amortissem­ent « comptable » peut s’effectuer en une seule « sortie » (croisière) avec tir de tous les engins emportés, « le plus bas coût par coup » (the least cost per round) ayant été réalisé. Ce qui justifie le choquant concept d’un frappeur éventuelle­ment « jetable » (disposable striker). Le coût des réseaux est certes élevé, mais, loin d’être imputable aux seuls frappeurs, car les réseaux sont dorénavant utilisés par l’ensemble des forces armées.

La puissance de feu « instantané­e » (tous les engins tirés en peu de temps) d'un frappeur, exprimée en poids d'explosif est, à portée supérieure (1000 milles et plus), plusieurs fois celle d'un porte-avions moyen de type Charles de Gaulle.

Propos recueillis par Joseph Henrotin, le 19 septembre 2017

* Extrait d’un entretien paru dans Défense & Sécurité Internatio­nale-technologi­es, no 16, mars-avril 2009.

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 ??  ?? Des marins inspectent les puits d'un système VLS d'un croiseur de classe Ticonderog­a (qui en compte 122), dans lesquels les conteneurs de lancement des missiles seront installés. (© US Navy)
Des marins inspectent les puits d'un système VLS d'un croiseur de classe Ticonderog­a (qui en compte 122), dans lesquels les conteneurs de lancement des missiles seront installés. (© US Navy)

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