QUELLES MUNITIONS AÉRIENNES DANS LA LUTTE ANTI-A2/AD ?
Depuis la fin de la guerre froide, les évolutions techniques en matière de systèmes de guidage et de réseaux d’informations tactiques ont permis aux armées russes, puis chinoises, d’élaborer des stratégies de déni d’accès censées contester la suprématie aérienne de L’OTAN, démontrée d’abord dans le Golfe puis au Kosovo. Face au risque de prolifération de ces systèmes de déni d’accès (Anti-access/aerial Denial, ou A2/AD) auprès de puissances régionales, les forces aériennes occidentales ont entrepris de développer de nouveaux systèmes d’armes pour les contrer, en utilisant elles aussi les nouvelles technologies de guidage et de combat infocentré.
Alors même que les forces aériennes occidentales souffrent de réductions drastiques de leurs formats, la capacité de mettre en oeuvre de tels armements tactiques est en passe de devenir un nouvel enjeu stratégique pour les armées de l’air désireuses de conserver, ou d’acquérir, des capacités d’entrée en premier sur le théâtre des opérations. Contrer les systèmes A2/AD actuels et futurs nécessite dans les grandes lignes trois types d’actions : la neutralisation des senseurs et des moyens de communication adverses, y compris les sites radars et les centres de commandement ; la défense de ses propres moyens offensifs, y compris face aux menaces électroniques et au brouillage GPS ; la capacité d’attaque de saturation contre les systèmes A2/AD adverses eux-mêmes. Pour l’aviation tactique, une telle capacité d’attaque saturante se heurte cependant à des défis inédits qui imposent de nouvelles solutions techniques. En effet, les stratégies de déni d’accès reposent sur des réseaux de systèmes intégrés pouvant représenter plus d’une centaine de cibles individuelles, parfois mobiles, réparties sur de vastes territoires.
Un système de missiles sol-air (SAM) à très longue portée S-400, d’origine russe, peut ainsi opérer en réseau avec des lanceurs à longue portée S-300, des systèmes de défense à moyenne et courte portée Tor-m1 ou Pantsir-s1, mais aussi des bases aériennes, des avions de détection et des navires de combat, le tout intégré dans un réseau redondant qui offre plusieurs bulles de protection entrelacées capables de détruire des cibles aériennes entre 1 et 400 km de distance. Neutraliser un tel système A2/AD imposera donc de littéralement se frayer un chemin à travers un réseau de systèmes SAM spécifiquement conçus pour détruire les avions, bombes et missiles dirigés contre eux. En matière de combat aéronaval, la lutte anti-a2/ad nécessitera de contrer les versions navales du S-300, mais aussi d’éventuelles batteries de missiles antinavires côtières, des essaims de vedettes lance-missiles rapides, voire des missiles antinavires balistiques. À bien des égards, la lutte contre les systèmes de déni
À bien des égards, la lutte contre les systèmes de déni d'accès peut être abordée, du point de vue de l'aviation tactique, comme une extension à l'échelle du théâtre des opérations des missions SEAD, même si elle ne peut et ne doit pas être réduite à cette seule perspective. Photo ci-dessus : Représentation informatique du SPEAR Cap. 3, en cours de développement pour le compte de la RAF. (© MBDA)
d’accès peut ainsi être abordée, du point de vue de l’aviation tactique, comme une extension à l’échelle du théâtre des opérations des missions SEAD (1), même si elle ne peut et ne doit pas être réduite à cette seule perspective.
Depuis une quinzaine d’années, les forces armées occidentales ont donc cherché à développer des systèmes d’armes spécifiquement conçus pour contrer les stratégies de déni d’accès grâce à des frappes de saturation qui viendraient affaiblir suffisamment les couches externes du réseau de défense pour permettre à des bombardiers et des missiles de croisière de frapper le coeur des cibles. Au-delà de la doctrine d’emploi (2), trois arguments techniques permettent, le plus souvent en se combinant, de définir ces armements. D’une part, ils doivent pouvoir être tirés en salves afin d’assurer la saturation, ce qui implique qu’ils soient compacts et puissent être emportés en grand nombre. Ensuite, ils sont de plus en plus souvent équipés de modes de guidage multiples, assurant une capacité de frappe tous-temps et une certaine autonomie de ciblage, mais donnant également la possibilité de détruire des cibles mobiles ou repositionnables. Enfin, ils doivent disposer d’une bonne maniabilité afin d’éviter les profils de vol balistique trop faciles à intercepter.
DES BOMBES PLANANTES POUR L’US AIR FORCE
Afin de compléter leurs gammes de missiles de croisière et bombes planantes lourdes, SLAM-ER, JASSM et autres JSOW, les forces américaines ont mis au point la famille des bombes planantes Small Diameter Bombs (SDB), les premières à prendre en compte la notion de saturation, y compris dans un cadre SEAD. Lancé en 2001, le programme comprenait initialement deux phases, mais son étalement a conduit au développement de deux bombes différentes, la GBU-39/B de Boeing, opérationnelle depuis 2006 sous F-15E, et la GBU-53/B de Raytheon, en cours de qualification dans L’USAF et L’US Navy. Toutes deux sont embarquées sur un lanceur quadruple BRU-61 en lieu et place d’une unique bombe lourde, même si le F-35B des Marines aura besoin d’un nouveau lanceur spécifique.
Pesant environ 130 kg, la GBU-39/B est dotée d’une charge perforante et d’un guidage par GPS et centrale inertielle (INS) qui la réserve à la frappe de cibles fixes à près de 110 km de portée avec un lancement à grande vitesse et haute altitude. Cette SDB a été conçue pour l’attaque de sites de défense aérienne, notamment à partir de F-22, mais sa sensibilité au brouillage GPS limite son utilisation théorique face aux systèmes A2/AD modernes. Elle sert ainsi principalement dans des missions de soutien aérien et d’interdiction, pour lesquelles elle peut être équipée d’une charge à effet réduit, voire d’un autodirecteur laser dans la version utilisée par les forces spéciales.
Plus légère que la GBU-39B et dotée d’une charge de 45 kg, soit presque moitié moindre, c’est véritablement la GBU-53/B qui devrait marquer la rupture capacitaire tant souhaitée par L’USAF. Si la bombe était attendue
Plus légère que la GBU-39B et dotée d'une charge de 45 kg, soit presque moitié moindre, c'est véritablement la GBU-53/B qui devrait marquer la rupture capacitaire tant souhaitée par L'USAF.
pour 2012 avec l’entrée en service du F-35, les retards de ce dernier ont entraîné un gel temporaire du programme SDB-II, la bombe n’étant plus prévue sous F-35 avant 2022, bien après l’intégration sous F-15E et Super Hornet. En plus du mode INS/GPS déjà présent sur la GBU-39/B, l’autodirecteur de la GBU-53/B intègre une capacité de guidage laser, à partir d’une désignation de l’avion tireur ou d’un contrôleur au sol, mais aussi un capteur à imagerie infrarouge et un radar millimétrique qui lui offrent une véritable capacité tous-temps, y compris en mode tire-et-oublie. Couplés à un calculateur et à des algorithmes puissants, les autodirecteurs infrarouge et radar permettent à la GBU-53 d’élaborer sa propre situation tactique une fois arrivée sur zone, de détecter, classer, hiérarchiser et engager ses cibles de manière autonome en fonction des paramètres importés avant le lancement. Tirées en salves, les GBU-53 disposent d’une portée de 100 km contre des cibles fixes et de près de 70 km contre des cibles mobiles, y compris navales.
Les caractéristiques de vol, l’autodirecteur multimode et la charge à double effet souffle/ fragmentation de la GBU-53/B feront de cette bombe planante le premier armement aéroporté spécifiquement adapté à la lutte contre les systèmes A2/AD modernes dans l’inventaire américain, sa capacité de frappe contre des cibles mobiles à grande distance s’avérant précieuse face à des systèmes complexes et repositionnables. Il s’agira également du premier système d'armes capable d’imposer des no-drive zones, afin d’interdire l’accès inconditionnel au champ de bataille pour l’ensemble des véhicules et des troupes adverses. Avec un prix compris entre 50 000 et 120 000 dollars selon la version, les SDB ont déjà été vendues à l’australie, à l’arabie saoudite, aux Émirats arabes unis, à Israël et aux Pays-bas, tandis que la Corée du Sud et d’autres clients du F-35 semblent s’intéresser particulièrement à la GBU-53, justement pour ses capacités d’attaque saturante contre les sites SAM et les lance-missiles mobiles adverses.
Opérationnellement, le principal défaut de la SDB-II, qui lui permet cependant de maintenir un prix raisonnable, est d’être dépourvue de propulsion, imposant à l’avion porteur de voler à haute altitude et face à la cible au moment du tir.
L’ATTRAIT EUROPÉEN POUR LES MISSILES ANTI-A2/AD
Dans le segment des missiles, c’est l’européen MBDA qui offre les perspectives les plus intéressantes en matière d’anti-a2/ AD, notamment avec le programme SPEAR (Selective Precision Effect At Range) du ministère de la Défense britannique. Sa première phase a donné naissance au missile antichar Brimstone de 50 kg, dont la version Dual Mode, équipée d’un capteur laser semiactif et d’un radar millimétrique, a été largement utilisée par les Tornado de la RAF depuis 2008. En cours de qualification sous Tornado et Typhoon, le Brimstone 2 (parfois désigné SPEAR 2) reprend la forme générale et l’autodirecteur du Brimstone Dual Mode, mais est pourvu d’un nouveau moteur qui double sa portée (soit plus de 40 km) et offre une capacité accrue de frappe en salves coordonnées contre des cibles mobiles, apportant à la RAF un début de réponse aux systèmes d’anti-accès. Les salves de Brimstone 2 peuvent ainsi compter jusqu’à 24 missiles, leurs capteurs et leurs algorithmes leur permettant de détecter, hiérarchiser, se répartir et engager leurs cibles, qu’il s’agisse de colonnes blindées, d’embarcations rapides ou des premières couches d’un site de défense intégrée.
Pour frapper plus profondément cependant, MBDA mise avant tout sur la phase 3 du programme SPEAR, dont la munition, désignée simplement SPEAR ou SPEAR 3, se présente comme une fusion conceptuelle entre la SDB-II et le Brimstone 2. Le SPEAR est en effet un missile d’un peu moins de 100 kg qui reprend l’autodirecteur et les capacités d’attaque saturante en salve du Brimstone 2, mais qui lui adjoint une voilure déployable et la possibilité d’être embarqué sur des lanceurs quadruples dans les soutes d’un F-35, en plus des emports sous voilure sur Typhoon. La propulsion est assurée par un turbojet TJ-150 qui offre au missile une portée supérieure à 100 km contre des cibles mobiles, y compris navales. Avec leur liaison de données bidirectionnelle, leur charge en tandem à effet dirigé et leur capacité de ciblage sur tache laser avec homme dans la boucle, les SPEAR seront des armements résolument polyvalents, adaptés aussi bien aux attaques saturantes semi-autonomes sur des systèmes de défense complexes qu’aux frappes ponctuelles en zone urbaine. À bien des égards, le SPEAR devrait représenter la quintessence des armements anti-a2/ad, mais sa haute technicité en fait également un missile particulièrement cher, limitant sa présence dans les stocks des forces aériennes clientes, et donc son potentiel de saturation, comparativement aux bombes planantes plus conventionnelles. Ce dernier point a peut-être joué dans la décision de MBDA de développer une nouvelle
À bien des égards, le SPEAR devrait représenter la quintessence des armements anti-a2/ad, mais sa haute technicité en fait également un missile particulièrement cher, limitant sa présence dans les stocks des forces aériennes clientes.
famille de bombes planantes à prix contenu, spécifiquement conçues pour contrer les stratégies d’anti-accès : les Smartglider. Selon le constructeur, la version Smartglider Light de 120 kg et 100 km de portée sera particulièrement adaptée à la lutte contre les réseaux de systèmes sol-air à courte et moyenne portée, ainsi qu’à la destruction de cibles mobiles et repositionnables. Les Smartglider devraient être embarquées sur des lanceurs hexabombes qui serviront d’interface entre la munition et le système d'armes, géreront les liaisons de données et, en option, la logistique de répartition de cibles des salves saturantes. La charge de 80 kg, développée par l’allemand TDW, sera capable de moduler sa puissance entre 10 et 100% en fonction de la cible. Afin de limiter le coût de l’arme, la Smartglider Light devrait être proposée avec un guidage INS/GPS/LASER, une version améliorée étant dotée d’un imageur infrarouge non refroidi, à l’instar de la GBU-53, ou encore d’un radar millimétrique en option. Sans les contraintes de compacité imposées par l’emport en soute sous F-35, la Smartglider Light fusionne ainsi la souplesse d’emploi de la SDB-II et la puissance et la portée de la SDB-I, le tout dans une enveloppe plus furtive. Pour frapper le coeur des cibles, une fois leurs défenses détruites par les Smartglider Light, MBDA propose la Smartglider Heavy, d’une portée équivalente à la version Light, mais d’une masse de 1300 kg, embarquant une charge perforante d’une tonne, et dont la description rappelle, en plus gros, le JSOW conçu par Raytheon pour un usage similaire.
Avec cette gamme de produits, MBDA pourrait bien viser, entre autres, le marché français, notamment l’équipement du Rafale. Les deux versions de la Smartglider paraissent en effet correspondre à deux besoins identifiés : d’une part, le développement d’un Armement Air-sol Léger (AASL) venant compléter les AASM de 250 kg et, d’autre part, celui d’un armement de 1000 kg en remplacement des GBU-24 dont la portée et les performances ne semblent plus satisfaire l’armée française. De plus, la lutte contre les systèmes de déni d’accès fait partie intégrante des études sur le Système de Combat Aérien Futur (SCAF)(3). Face aux offres de MBDA, il est possible que Sagem propose de nouvelles évolutions de sa famille AASM, dans des versions de 125 kg et 1000 kg par exemple. L’AASM a l’avantage d’être un véritable missile de 70 km de portée, très maniable, pouvant être tiré sur les côtés ou l’arrière de son porteur, et qui a déjà démontré des capacités SEAD et anti-a2/ad basiques lors de l’intervention en Libye. Pour pouvoir être comparé aux SDB-II, Brimstone 2 et autres SPEAR, il lui manque cependant une réelle capacité de tir autonome en salve sur cibles mobiles ou repositionnables, L’AASM ne disposant ni des liaisons de données bidirectionnelles ni des autodirecteurs multimodes nécessaires à de telles frappes. Les Smartglider Light se présentent ainsi comme des munitions complémentaires de l’arsenal français, et non pas comme des remplaçantes de L’AASM. Pouvant être emportées à raison de 12 ou 18 exemplaires par Rafale, les Smartglider Light constitueraient un excellent moyen de suppression des défenses ennemies, ouvrant la voie à d’autres appareils équipés de missiles SCALP et D’AASM venant terminer la mission anti-a2/ad par des frappes lourdes menées lors de raids de pénétration à basse altitude par exemple.
ISRAËL, INDE : LES ENJEUX RÉGIONAUX DE LA LUTTE ANTI-A2/AD
Cependant, bien avant que la Smartglider ne puisse devenir une réalité, le Rafale pourrait bien intégrer un autre armement relativement similaire dans sa conception et sa philosophie d’emploi. En effet, l’indian Air Force (IAF) aurait fait le choix d’équiper ses futurs Rafale d’une munition planante israélienne, la Spice 250, de l’industriel Rafael, en cours d’intégration au sein de l’armée de l’air israélienne dans le but de contrer les systèmes de déni d’accès pouvant être déployés en Syrie ou en Iran, notamment. Cette bombe planante de 113 kg peut frapper à plus de 100 km avec une précision métrique, équipée au choix d’une charge pénétrante ou d’une charge à usage général. Pour optimiser ses capacités anti-a2/ad, la furtivité de la bombe a été maximisée, tandis que le lanceur quadribombe, le Smart Quad Pack, gère l’interface avec le système d'armes et les liaisons de données bidirectionnelles. Chaque bombe intègre une centaine de profils de cibles différentes qu’elle devra localiser une fois arrivée sur zone grâce à son autodirecteur électro-optique à imagerie infrarouge. L’attaque pourra alors se faire soit de manière semi-automatique, en fonction d’une priorité de cibles attribuée avant le tir, soit sur sélection du pilote, via la liaison de données.
Pour la force aérienne indienne, un tel armement positionné sous une plate-forme aussi stratégique que le Rafale serait inévitablement destiné à contrer les systèmes A2/ AD chinois, mais aussi à assurer la supériorité du champ de bataille, en ciblant des batteries d'artillerie ou des positions blindées par exemple. Pour les cibles durcies, L’IAF mise sur un armement développé par le ministère de la Défense et qui devrait être intégré sous Jaguar, Su-30 et Rafale : le SAAW (Smart Anti-airfield Weapon, armement intelligent anti-piste). À l’instar de la plupart des armements exposés dans cet article, le SAAW devrait peser entre 125 et 150 kg, pour une portée de 80 à 100 km, et être embarqué sur des lanceurs quadruples. La bombe pourrait être équipée d’un imageur électro-optique en plus d’un système de guidage sur coordonnées, mais l’expertise actuelle de l’industrie indienne en matière de commandes de vol de précision ne lui permettrait pas encore de cibler des éléments mobiles ou de petite taille, limitant son usage aux frappes anti-pistes et anti-bunkers.
La lutte contre les systèmes de déni d'accès fait partie intégrante des étu des sur le Système de Combat Aérien Futur (SCAF).
ENTRE RUPTURE ET CONTINUITÉ
On le voit, la nécessité de contrer les systèmes de déni d’accès par des frappes saturantes pourrait entraîner plusieurs ruptures dans la manière de penser les frappes tactiques. Alors que le SEAD imposait l’usage de missiles antiradars de haute technicité capables d’ouvrir la voie à des bombardements traditionnels, la lutte anti-a2/ad à l’ère numérique fait appel à des vecteurs plus légers, plus polyvalents, capables d’attaquer en essaim à partir d’informations obtenues par des capteurs déportés, pouvant mêler dans la même série de frappes un rôle SEAD et des fonctions d’interdiction. La nature protéiforme des systèmes A2/AD, basés sur des vecteurs terrestres, navals et aériens, a entraîné en réaction le développement de familles de munitions légères et connectées qui s’avèrent relativement bien adaptées dans leur conception aux nouvelles menaces asymétriques. De quoi donner vie, une fois encore, au fantasme de la munition unique et de la polyvalence parfaite. Ainsi, à en croire les plaquettes commerciales de MBDA, le SPEAR se présenterait comme l’alpha et l’oméga des munitions air-surface, le F-35 n’ayant pour ainsi dire besoin d’aucun autre armement guidé. Comme pour les avions de combat eux-mêmes, cependant, l’idéal de la polyvalence absolue se heurte très vite aux réalités économiques et opérationnelles. D’une part, la polyvalence d’une munition coûte cher, en particulier en ce qui concerne les autodirecteurs et les liaisons de données, d’autant plus que ces sous-systèmes ne sont pas indispensables à l’ensemble des missions. Ainsi, si le SPEAR s’annonce particulièrement efficace d’un point de vue opérationnel, il y a fort à parier que des SDB plusieurs fois moins chères pourront accomplir une grande part des missions qui lui sont dévolues avec la même efficacité tactique. D’autre part, les armements polyvalents imposent des compromis techniques, qui ne prennent pas en compte tous les particularismes en matière de doctrine opérationnelle. L’AASM, par exemple, répond en partie au même besoin que la GBU-39/B. Mais l’expérience en matière de pénétration à très basse altitude de l’armée de l’air a conduit au développement d’une arme plus complexe, plus chère, mais aussi plus puissante que la SDB-I, qui répond quant à elle bien mieux aux impératifs de déploiement depuis un avion furtif, les doctrines d’utilisation divergentes rendant ces armes trop différentes pour être vraiment concurrentes.
Enfin, la polyvalence absolue n’est, in fine, qu’une illusion, toujours en raison des compromis techniques imposés par le format des munitions anti-a2/ad, qui ne feront pas disparaître le besoin pour de véritables missiles antinavires, des bombes lourdes ou des missiles de croisière. Ainsi, L’USAF a démontré à l’usage que les SDB-I n’ont pas toujours la vitesse de déploiement ou la létalité d’une JDAM ou d’une GBU-12, si bien que ces dernières ont encore la préférence des aviateurs américains dans la plupart des cas de soutien aérien rapproché.
Les munitions anti-a2/ad devront donc être, dans un premier temps, complémentaires des systèmes d’armes actuels. Leur déploiement massif dans les prochaines années n’en reste pas moins une nécessité pour toutes les forces aériennes qui entendent jouer un rôle déterminant dans les opérations militaires à venir, puisqu’elles viennent combler des manques criants dans les inventaires des forces aériennes occidentales et devraient leur permettre de maintenir certaines capacités d’entrée en premier sur le théâtre d’opérations, tout en étant assez polyvalentes pour continuer à jouer un rôle dans les missions d’interdiction et de soutien aérien tout au long du conflit.
Pour les cibles durcies, l'indian Air Force mise sur un armement développé par le ministère de la Défense et qui devrait être intégré sous Jaguar, Su-30 et Rafale : le SAAW (Smart Anti-airfield Weapon, armement intelligent anti-piste).
Notes
(1) Suppression of Enemy Air Defence, missions tactiques de suppression des sites SAM adverses qui, depuis la fin de la guerre du Vietnam, reposent essentiellement sur des missiles antiradars et des bombardements ciblés contre les sites SAM adverses.
(2) Si la France ou le Royaume-uni disposent de trop peu de missiles de croisière pour les utiliser dans des frappes de saturation, les États-unis continuent d’y avoir recours dans la suppression des défenses adverses, au point que le concept d’arsenal Ship, navire réservé au seul emport de Tomahawk, est régulièrement évoqué comme une solution crédible face à L’A2/AD chinois.
(3) Thierry Angel, « Penser l’armée de l’air de demain, le Système de combat aérien futur », Défense & Sécurité Internationale, hors-série no 55, août-septembre 2017.