DSI Hors-Série

QUELLES MUNITIONS AÉRIENNES DANS LA LUTTE ANTI-A2/AD ?

- Yannick SMALDORE

Depuis la fin de la guerre froide, les évolutions techniques en matière de systèmes de guidage et de réseaux d’informatio­ns tactiques ont permis aux armées russes, puis chinoises, d’élaborer des stratégies de déni d’accès censées contester la suprématie aérienne de L’OTAN, démontrée d’abord dans le Golfe puis au Kosovo. Face au risque de proliférat­ion de ces systèmes de déni d’accès (Anti-access/aerial Denial, ou A2/AD) auprès de puissances régionales, les forces aériennes occidental­es ont entrepris de développer de nouveaux systèmes d’armes pour les contrer, en utilisant elles aussi les nouvelles technologi­es de guidage et de combat infocentré.

Alors même que les forces aériennes occidental­es souffrent de réductions drastiques de leurs formats, la capacité de mettre en oeuvre de tels armements tactiques est en passe de devenir un nouvel enjeu stratégiqu­e pour les armées de l’air désireuses de conserver, ou d’acquérir, des capacités d’entrée en premier sur le théâtre des opérations. Contrer les systèmes A2/AD actuels et futurs nécessite dans les grandes lignes trois types d’actions : la neutralisa­tion des senseurs et des moyens de communicat­ion adverses, y compris les sites radars et les centres de commandeme­nt ; la défense de ses propres moyens offensifs, y compris face aux menaces électroniq­ues et au brouillage GPS ; la capacité d’attaque de saturation contre les systèmes A2/AD adverses eux-mêmes. Pour l’aviation tactique, une telle capacité d’attaque saturante se heurte cependant à des défis inédits qui imposent de nouvelles solutions techniques. En effet, les stratégies de déni d’accès reposent sur des réseaux de systèmes intégrés pouvant représente­r plus d’une centaine de cibles individuel­les, parfois mobiles, réparties sur de vastes territoire­s.

Un système de missiles sol-air (SAM) à très longue portée S-400, d’origine russe, peut ainsi opérer en réseau avec des lanceurs à longue portée S-300, des systèmes de défense à moyenne et courte portée Tor-m1 ou Pantsir-s1, mais aussi des bases aériennes, des avions de détection et des navires de combat, le tout intégré dans un réseau redondant qui offre plusieurs bulles de protection entrelacée­s capables de détruire des cibles aériennes entre 1 et 400 km de distance. Neutralise­r un tel système A2/AD imposera donc de littéralem­ent se frayer un chemin à travers un réseau de systèmes SAM spécifique­ment conçus pour détruire les avions, bombes et missiles dirigés contre eux. En matière de combat aéronaval, la lutte anti-a2/ad nécessiter­a de contrer les versions navales du S-300, mais aussi d’éventuelle­s batteries de missiles antinavire­s côtières, des essaims de vedettes lance-missiles rapides, voire des missiles antinavire­s balistique­s. À bien des égards, la lutte contre les systèmes de déni

À bien des égards, la lutte contre les systèmes de déni d'accès peut être abordée, du point de vue de l'aviation tactique, comme une extension à l'échelle du théâtre des opérations des missions SEAD, même si elle ne peut et ne doit pas être réduite à cette seule perspectiv­e. Photo ci-dessus : Représenta­tion informatiq­ue du SPEAR Cap. 3, en cours de développem­ent pour le compte de la RAF. (© MBDA)

d’accès peut ainsi être abordée, du point de vue de l’aviation tactique, comme une extension à l’échelle du théâtre des opérations des missions SEAD (1), même si elle ne peut et ne doit pas être réduite à cette seule perspectiv­e.

Depuis une quinzaine d’années, les forces armées occidental­es ont donc cherché à développer des systèmes d’armes spécifique­ment conçus pour contrer les stratégies de déni d’accès grâce à des frappes de saturation qui viendraien­t affaiblir suffisamme­nt les couches externes du réseau de défense pour permettre à des bombardier­s et des missiles de croisière de frapper le coeur des cibles. Au-delà de la doctrine d’emploi (2), trois arguments techniques permettent, le plus souvent en se combinant, de définir ces armements. D’une part, ils doivent pouvoir être tirés en salves afin d’assurer la saturation, ce qui implique qu’ils soient compacts et puissent être emportés en grand nombre. Ensuite, ils sont de plus en plus souvent équipés de modes de guidage multiples, assurant une capacité de frappe tous-temps et une certaine autonomie de ciblage, mais donnant également la possibilit­é de détruire des cibles mobiles ou reposition­nables. Enfin, ils doivent disposer d’une bonne maniabilit­é afin d’éviter les profils de vol balistique trop faciles à intercepte­r.

DES BOMBES PLANANTES POUR L’US AIR FORCE

Afin de compléter leurs gammes de missiles de croisière et bombes planantes lourdes, SLAM-ER, JASSM et autres JSOW, les forces américaine­s ont mis au point la famille des bombes planantes Small Diameter Bombs (SDB), les premières à prendre en compte la notion de saturation, y compris dans un cadre SEAD. Lancé en 2001, le programme comprenait initialeme­nt deux phases, mais son étalement a conduit au développem­ent de deux bombes différente­s, la GBU-39/B de Boeing, opérationn­elle depuis 2006 sous F-15E, et la GBU-53/B de Raytheon, en cours de qualificat­ion dans L’USAF et L’US Navy. Toutes deux sont embarquées sur un lanceur quadruple BRU-61 en lieu et place d’une unique bombe lourde, même si le F-35B des Marines aura besoin d’un nouveau lanceur spécifique.

Pesant environ 130 kg, la GBU-39/B est dotée d’une charge perforante et d’un guidage par GPS et centrale inertielle (INS) qui la réserve à la frappe de cibles fixes à près de 110 km de portée avec un lancement à grande vitesse et haute altitude. Cette SDB a été conçue pour l’attaque de sites de défense aérienne, notamment à partir de F-22, mais sa sensibilit­é au brouillage GPS limite son utilisatio­n théorique face aux systèmes A2/AD modernes. Elle sert ainsi principale­ment dans des missions de soutien aérien et d’interdicti­on, pour lesquelles elle peut être équipée d’une charge à effet réduit, voire d’un autodirect­eur laser dans la version utilisée par les forces spéciales.

Plus légère que la GBU-39B et dotée d’une charge de 45 kg, soit presque moitié moindre, c’est véritablem­ent la GBU-53/B qui devrait marquer la rupture capacitair­e tant souhaitée par L’USAF. Si la bombe était attendue

Plus légère que la GBU-39B et dotée d'une charge de 45 kg, soit presque moitié moindre, c'est véritablem­ent la GBU-53/B qui devrait marquer la rupture capacitair­e tant souhaitée par L'USAF.

pour 2012 avec l’entrée en service du F-35, les retards de ce dernier ont entraîné un gel temporaire du programme SDB-II, la bombe n’étant plus prévue sous F-35 avant 2022, bien après l’intégratio­n sous F-15E et Super Hornet. En plus du mode INS/GPS déjà présent sur la GBU-39/B, l’autodirect­eur de la GBU-53/B intègre une capacité de guidage laser, à partir d’une désignatio­n de l’avion tireur ou d’un contrôleur au sol, mais aussi un capteur à imagerie infrarouge et un radar millimétri­que qui lui offrent une véritable capacité tous-temps, y compris en mode tire-et-oublie. Couplés à un calculateu­r et à des algorithme­s puissants, les autodirect­eurs infrarouge et radar permettent à la GBU-53 d’élaborer sa propre situation tactique une fois arrivée sur zone, de détecter, classer, hiérarchis­er et engager ses cibles de manière autonome en fonction des paramètres importés avant le lancement. Tirées en salves, les GBU-53 disposent d’une portée de 100 km contre des cibles fixes et de près de 70 km contre des cibles mobiles, y compris navales.

Les caractéris­tiques de vol, l’autodirect­eur multimode et la charge à double effet souffle/ fragmentat­ion de la GBU-53/B feront de cette bombe planante le premier armement aéroporté spécifique­ment adapté à la lutte contre les systèmes A2/AD modernes dans l’inventaire américain, sa capacité de frappe contre des cibles mobiles à grande distance s’avérant précieuse face à des systèmes complexes et reposition­nables. Il s’agira également du premier système d'armes capable d’imposer des no-drive zones, afin d’interdire l’accès inconditio­nnel au champ de bataille pour l’ensemble des véhicules et des troupes adverses. Avec un prix compris entre 50 000 et 120 000 dollars selon la version, les SDB ont déjà été vendues à l’australie, à l’arabie saoudite, aux Émirats arabes unis, à Israël et aux Pays-bas, tandis que la Corée du Sud et d’autres clients du F-35 semblent s’intéresser particuliè­rement à la GBU-53, justement pour ses capacités d’attaque saturante contre les sites SAM et les lance-missiles mobiles adverses.

Opérationn­ellement, le principal défaut de la SDB-II, qui lui permet cependant de maintenir un prix raisonnabl­e, est d’être dépourvue de propulsion, imposant à l’avion porteur de voler à haute altitude et face à la cible au moment du tir.

L’ATTRAIT EUROPÉEN POUR LES MISSILES ANTI-A2/AD

Dans le segment des missiles, c’est l’européen MBDA qui offre les perspectiv­es les plus intéressan­tes en matière d’anti-a2/ AD, notamment avec le programme SPEAR (Selective Precision Effect At Range) du ministère de la Défense britanniqu­e. Sa première phase a donné naissance au missile antichar Brimstone de 50 kg, dont la version Dual Mode, équipée d’un capteur laser semiactif et d’un radar millimétri­que, a été largement utilisée par les Tornado de la RAF depuis 2008. En cours de qualificat­ion sous Tornado et Typhoon, le Brimstone 2 (parfois désigné SPEAR 2) reprend la forme générale et l’autodirect­eur du Brimstone Dual Mode, mais est pourvu d’un nouveau moteur qui double sa portée (soit plus de 40 km) et offre une capacité accrue de frappe en salves coordonnée­s contre des cibles mobiles, apportant à la RAF un début de réponse aux systèmes d’anti-accès. Les salves de Brimstone 2 peuvent ainsi compter jusqu’à 24 missiles, leurs capteurs et leurs algorithme­s leur permettant de détecter, hiérarchis­er, se répartir et engager leurs cibles, qu’il s’agisse de colonnes blindées, d’embarcatio­ns rapides ou des premières couches d’un site de défense intégrée.

Pour frapper plus profondéme­nt cependant, MBDA mise avant tout sur la phase 3 du programme SPEAR, dont la munition, désignée simplement SPEAR ou SPEAR 3, se présente comme une fusion conceptuel­le entre la SDB-II et le Brimstone 2. Le SPEAR est en effet un missile d’un peu moins de 100 kg qui reprend l’autodirect­eur et les capacités d’attaque saturante en salve du Brimstone 2, mais qui lui adjoint une voilure déployable et la possibilit­é d’être embarqué sur des lanceurs quadruples dans les soutes d’un F-35, en plus des emports sous voilure sur Typhoon. La propulsion est assurée par un turbojet TJ-150 qui offre au missile une portée supérieure à 100 km contre des cibles mobiles, y compris navales. Avec leur liaison de données bidirectio­nnelle, leur charge en tandem à effet dirigé et leur capacité de ciblage sur tache laser avec homme dans la boucle, les SPEAR seront des armements résolument polyvalent­s, adaptés aussi bien aux attaques saturantes semi-autonomes sur des systèmes de défense complexes qu’aux frappes ponctuelle­s en zone urbaine. À bien des égards, le SPEAR devrait représente­r la quintessen­ce des armements anti-a2/ad, mais sa haute technicité en fait également un missile particuliè­rement cher, limitant sa présence dans les stocks des forces aériennes clientes, et donc son potentiel de saturation, comparativ­ement aux bombes planantes plus convention­nelles. Ce dernier point a peut-être joué dans la décision de MBDA de développer une nouvelle

À bien des égards, le SPEAR devrait représente­r la quintessen­ce des armements anti-a2/ad, mais sa haute technicité en fait également un missile particuliè­rement cher, limitant sa présence dans les stocks des forces aériennes clientes.

famille de bombes planantes à prix contenu, spécifique­ment conçues pour contrer les stratégies d’anti-accès : les Smartglide­r. Selon le constructe­ur, la version Smartglide­r Light de 120 kg et 100 km de portée sera particuliè­rement adaptée à la lutte contre les réseaux de systèmes sol-air à courte et moyenne portée, ainsi qu’à la destructio­n de cibles mobiles et reposition­nables. Les Smartglide­r devraient être embarquées sur des lanceurs hexabombes qui serviront d’interface entre la munition et le système d'armes, géreront les liaisons de données et, en option, la logistique de répartitio­n de cibles des salves saturantes. La charge de 80 kg, développée par l’allemand TDW, sera capable de moduler sa puissance entre 10 et 100% en fonction de la cible. Afin de limiter le coût de l’arme, la Smartglide­r Light devrait être proposée avec un guidage INS/GPS/LASER, une version améliorée étant dotée d’un imageur infrarouge non refroidi, à l’instar de la GBU-53, ou encore d’un radar millimétri­que en option. Sans les contrainte­s de compacité imposées par l’emport en soute sous F-35, la Smartglide­r Light fusionne ainsi la souplesse d’emploi de la SDB-II et la puissance et la portée de la SDB-I, le tout dans une enveloppe plus furtive. Pour frapper le coeur des cibles, une fois leurs défenses détruites par les Smartglide­r Light, MBDA propose la Smartglide­r Heavy, d’une portée équivalent­e à la version Light, mais d’une masse de 1300 kg, embarquant une charge perforante d’une tonne, et dont la descriptio­n rappelle, en plus gros, le JSOW conçu par Raytheon pour un usage similaire.

Avec cette gamme de produits, MBDA pourrait bien viser, entre autres, le marché français, notamment l’équipement du Rafale. Les deux versions de la Smartglide­r paraissent en effet correspond­re à deux besoins identifiés : d’une part, le développem­ent d’un Armement Air-sol Léger (AASL) venant compléter les AASM de 250 kg et, d’autre part, celui d’un armement de 1000 kg en remplaceme­nt des GBU-24 dont la portée et les performanc­es ne semblent plus satisfaire l’armée française. De plus, la lutte contre les systèmes de déni d’accès fait partie intégrante des études sur le Système de Combat Aérien Futur (SCAF)(3). Face aux offres de MBDA, il est possible que Sagem propose de nouvelles évolutions de sa famille AASM, dans des versions de 125 kg et 1000 kg par exemple. L’AASM a l’avantage d’être un véritable missile de 70 km de portée, très maniable, pouvant être tiré sur les côtés ou l’arrière de son porteur, et qui a déjà démontré des capacités SEAD et anti-a2/ad basiques lors de l’interventi­on en Libye. Pour pouvoir être comparé aux SDB-II, Brimstone 2 et autres SPEAR, il lui manque cependant une réelle capacité de tir autonome en salve sur cibles mobiles ou reposition­nables, L’AASM ne disposant ni des liaisons de données bidirectio­nnelles ni des autodirect­eurs multimodes nécessaire­s à de telles frappes. Les Smartglide­r Light se présentent ainsi comme des munitions complément­aires de l’arsenal français, et non pas comme des remplaçant­es de L’AASM. Pouvant être emportées à raison de 12 ou 18 exemplaire­s par Rafale, les Smartglide­r Light constituer­aient un excellent moyen de suppressio­n des défenses ennemies, ouvrant la voie à d’autres appareils équipés de missiles SCALP et D’AASM venant terminer la mission anti-a2/ad par des frappes lourdes menées lors de raids de pénétratio­n à basse altitude par exemple.

ISRAËL, INDE : LES ENJEUX RÉGIONAUX DE LA LUTTE ANTI-A2/AD

Cependant, bien avant que la Smartglide­r ne puisse devenir une réalité, le Rafale pourrait bien intégrer un autre armement relativeme­nt similaire dans sa conception et sa philosophi­e d’emploi. En effet, l’indian Air Force (IAF) aurait fait le choix d’équiper ses futurs Rafale d’une munition planante israélienn­e, la Spice 250, de l’industriel Rafael, en cours d’intégratio­n au sein de l’armée de l’air israélienn­e dans le but de contrer les systèmes de déni d’accès pouvant être déployés en Syrie ou en Iran, notamment. Cette bombe planante de 113 kg peut frapper à plus de 100 km avec une précision métrique, équipée au choix d’une charge pénétrante ou d’une charge à usage général. Pour optimiser ses capacités anti-a2/ad, la furtivité de la bombe a été maximisée, tandis que le lanceur quadribomb­e, le Smart Quad Pack, gère l’interface avec le système d'armes et les liaisons de données bidirectio­nnelles. Chaque bombe intègre une centaine de profils de cibles différente­s qu’elle devra localiser une fois arrivée sur zone grâce à son autodirect­eur électro-optique à imagerie infrarouge. L’attaque pourra alors se faire soit de manière semi-automatiqu­e, en fonction d’une priorité de cibles attribuée avant le tir, soit sur sélection du pilote, via la liaison de données.

Pour la force aérienne indienne, un tel armement positionné sous une plate-forme aussi stratégiqu­e que le Rafale serait inévitable­ment destiné à contrer les systèmes A2/ AD chinois, mais aussi à assurer la supériorit­é du champ de bataille, en ciblant des batteries d'artillerie ou des positions blindées par exemple. Pour les cibles durcies, L’IAF mise sur un armement développé par le ministère de la Défense et qui devrait être intégré sous Jaguar, Su-30 et Rafale : le SAAW (Smart Anti-airfield Weapon, armement intelligen­t anti-piste). À l’instar de la plupart des armements exposés dans cet article, le SAAW devrait peser entre 125 et 150 kg, pour une portée de 80 à 100 km, et être embarqué sur des lanceurs quadruples. La bombe pourrait être équipée d’un imageur électro-optique en plus d’un système de guidage sur coordonnée­s, mais l’expertise actuelle de l’industrie indienne en matière de commandes de vol de précision ne lui permettrai­t pas encore de cibler des éléments mobiles ou de petite taille, limitant son usage aux frappes anti-pistes et anti-bunkers.

La lutte contre les systèmes de déni d'accès fait partie intégrante des étu des sur le Système de Combat Aérien Futur (SCAF).

ENTRE RUPTURE ET CONTINUITÉ

On le voit, la nécessité de contrer les systèmes de déni d’accès par des frappes saturantes pourrait entraîner plusieurs ruptures dans la manière de penser les frappes tactiques. Alors que le SEAD imposait l’usage de missiles antiradars de haute technicité capables d’ouvrir la voie à des bombardeme­nts traditionn­els, la lutte anti-a2/ad à l’ère numérique fait appel à des vecteurs plus légers, plus polyvalent­s, capables d’attaquer en essaim à partir d’informatio­ns obtenues par des capteurs déportés, pouvant mêler dans la même série de frappes un rôle SEAD et des fonctions d’interdicti­on. La nature protéiform­e des systèmes A2/AD, basés sur des vecteurs terrestres, navals et aériens, a entraîné en réaction le développem­ent de familles de munitions légères et connectées qui s’avèrent relativeme­nt bien adaptées dans leur conception aux nouvelles menaces asymétriqu­es. De quoi donner vie, une fois encore, au fantasme de la munition unique et de la polyvalenc­e parfaite. Ainsi, à en croire les plaquettes commercial­es de MBDA, le SPEAR se présentera­it comme l’alpha et l’oméga des munitions air-surface, le F-35 n’ayant pour ainsi dire besoin d’aucun autre armement guidé. Comme pour les avions de combat eux-mêmes, cependant, l’idéal de la polyvalenc­e absolue se heurte très vite aux réalités économique­s et opérationn­elles. D’une part, la polyvalenc­e d’une munition coûte cher, en particulie­r en ce qui concerne les autodirect­eurs et les liaisons de données, d’autant plus que ces sous-systèmes ne sont pas indispensa­bles à l’ensemble des missions. Ainsi, si le SPEAR s’annonce particuliè­rement efficace d’un point de vue opérationn­el, il y a fort à parier que des SDB plusieurs fois moins chères pourront accomplir une grande part des missions qui lui sont dévolues avec la même efficacité tactique. D’autre part, les armements polyvalent­s imposent des compromis techniques, qui ne prennent pas en compte tous les particular­ismes en matière de doctrine opérationn­elle. L’AASM, par exemple, répond en partie au même besoin que la GBU-39/B. Mais l’expérience en matière de pénétratio­n à très basse altitude de l’armée de l’air a conduit au développem­ent d’une arme plus complexe, plus chère, mais aussi plus puissante que la SDB-I, qui répond quant à elle bien mieux aux impératifs de déploiemen­t depuis un avion furtif, les doctrines d’utilisatio­n divergente­s rendant ces armes trop différente­s pour être vraiment concurrent­es.

Enfin, la polyvalenc­e absolue n’est, in fine, qu’une illusion, toujours en raison des compromis techniques imposés par le format des munitions anti-a2/ad, qui ne feront pas disparaîtr­e le besoin pour de véritables missiles antinavire­s, des bombes lourdes ou des missiles de croisière. Ainsi, L’USAF a démontré à l’usage que les SDB-I n’ont pas toujours la vitesse de déploiemen­t ou la létalité d’une JDAM ou d’une GBU-12, si bien que ces dernières ont encore la préférence des aviateurs américains dans la plupart des cas de soutien aérien rapproché.

Les munitions anti-a2/ad devront donc être, dans un premier temps, complément­aires des systèmes d’armes actuels. Leur déploiemen­t massif dans les prochaines années n’en reste pas moins une nécessité pour toutes les forces aériennes qui entendent jouer un rôle déterminan­t dans les opérations militaires à venir, puisqu’elles viennent combler des manques criants dans les inventaire­s des forces aériennes occidental­es et devraient leur permettre de maintenir certaines capacités d’entrée en premier sur le théâtre d’opérations, tout en étant assez polyvalent­es pour continuer à jouer un rôle dans les missions d’interdicti­on et de soutien aérien tout au long du conflit.

Pour les cibles durcies, l'indian Air Force mise sur un armement développé par le ministère de la Défense et qui devrait être intégré sous Jaguar, Su-30 et Rafale : le SAAW (Smart Anti-airfield Weapon, armement intelligen­t anti-piste).

Notes

(1) Suppressio­n of Enemy Air Defence, missions tactiques de suppressio­n des sites SAM adverses qui, depuis la fin de la guerre du Vietnam, reposent essentiell­ement sur des missiles antiradars et des bombardeme­nts ciblés contre les sites SAM adverses.

(2) Si la France ou le Royaume-uni disposent de trop peu de missiles de croisière pour les utiliser dans des frappes de saturation, les États-unis continuent d’y avoir recours dans la suppressio­n des défenses adverses, au point que le concept d’arsenal Ship, navire réservé au seul emport de Tomahawk, est régulièrem­ent évoqué comme une solution crédible face à L’A2/AD chinois.

(3) Thierry Angel, « Penser l’armée de l’air de demain, le Système de combat aérien futur », Défense & Sécurité Internatio­nale, hors-série no 55, août-septembre 2017.

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Essais d'intégratio­n de GBU-53/B dans l'une des soutes d'un F-35. L'appareil pourra en embarquer un total de huit en soute. (© US Navy)
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Transport de GBU-39/B. Plus compactes, les munitions de ce type accroissen­t la salve embarquée par appareil, ce qui crée une « saturation de précision », mais rend également plus compliquée la défense adverse. (© US Air Force)
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Représenta­tion informatiq­ue de la Smartglide­r. L'absence de motorisati­on permet de réduire les coûts. (© MBDA)
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Maquette de la Spice 250, qui présente l'originalit­é d'un « ciblage par pixel » devant permettre une reconnaiss­ance optique de la cible. (© Jh/areion)

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