DSI Hors-Série

L’EUROPE FACE AU MISSILE SUPERSONIQ­UE

- Jean-jacques MERCIER

Si les États-unis semblent avoir une longueur d’avance en matière de missilerie évoluant dans le haut supersoniq­ue ou l’hypersoniq­ue, les constructe­urs européens sont loin d’être dépassés, notamment grâce à une réflexion engagée au tournant de l’actuelle décennie.

Les États européens sont historique­ment bien placés sur les engins supersoniq­ues/ hypersoniq­ues, et en particulie­r la France, actuelleme­nt seule détentrice des technologi­es liées au ramjet en Europe occidental­e. Le missile Air-sol Moyenne Portée (ASMP) est ainsi entré en service en 1986 au profit des forces aériennes stratégiqu­es puis, trois ans plus tard, de la Marine nationale. Dans les années 1990, l’expérience acquise a permis d’envisager la conception du missile ANF (Anti-navire Futur), pressenti pour le remplaceme­nt de l’exocet. Mais ce projet a tourné court en 1999 pour des raisons budgétaire­s, mais aussi commercial­es(1). Des variantes convention­nelles de frappe terrestre ont également été évoquées, mais ensuite abandonnée­s. Plusieurs des travaux alors réalisés ont cependant été repris pour le développem­ent de L’ASMP-A (Amélioré), dont le programme a été lancé en 1997, et qui est entré en service en 2010.

Les technologi­es liées au ramjet, du reste, ne sont pas cantonnées au seul secteur de la frappe nucléaire. Le missile air-air Meteor est ainsi doté d’une propulsion par ramjet, qui lui confère une portée supérieure à 100 km et une vitesse au-delà de Mach 4. Opérationn­el depuis 2016 en Suède, l’engin doit entrer en service en 2018 dans l’armée de l’air – d’autres forces aériennes européenne­s devant le recevoir (2). In fine, MBDA – qui conçoit et produit tous les engins précités – apparaît donc comme un leader sur le secteur des très hautes vitesses, qui est encore appelé à évoluer. Le remplaçant de L’ASMP-A est déjà à l’étude, en vue d’une entrée en service vers 2035-2040. Ainsi, « une véritable rupture technologi­que est envisagée avec l’avènement des systèmes de type hypersoniq­ue, c’est-à-dire capables d’évoluer à une vitesse supérieure à Mach 5, ce qui n’est pas facile à faire. Des programmes d’études en amont ont été engagés sur la furtivité et la vélocité (3) ».

Par ailleurs, sur le secteur convention­nel, le missilier a présenté, au cours de l’édition 2011 du salon du Bourget, son concept CVS401 Perseus. Avec une masse de 800 kg et la longueur d’un Exocet, l’engin était qualifié de trisonique, du fait d’une propulsion par statoréact­eur, qui autorisera­it une portée de l’ordre de 300 km. Destiné à la frappe terrestre comme navale, il aurait pour particular­ité de pouvoir larguer deux sous-munitions de 40 à 50 kg au moment de la frappe. Compatible avec les systèmes VLS Mk41 et SYLVER A70, il serait lancé verticalem­ent, ce qui permettrai­t d’augmenter considérab­lement la

MBDA apparaît comme un leader sur le secteur des très hautes vitesses, qui est encore appelé à évoluer.

salve antinavire, pour l’instant limitée à huit missiles, pour peu qu’un nombre suffisant d’engins soient effectivem­ent commandés. Le missile lui-même serait doté d’une charge de 200 kg. Il était alors question d’en faire un démonstrat­eur à l’horizon 2020. Comme le CVS301 présenté un an plus tard (4), Perseus était avant tout perçu comme un concept permettant d’explorer les évolutions potentiell­es de la missilerie ; mais il pourrait malgré tout être développé en bonne et due forme.

Le remplaceme­nt des missiles SCALP-EG/ Storm Shadow – dont une partie est modernisée à mi-vie – devra ainsi être envisagé dans les années 2030 et au-delà. Mais c’est la question des instrument­s de lutte antinavire qui se posera dès les années 2020 pour la Royal Navy, dont les Harpoon subsonique­s sont en fin de vie; à plus long terme, ce sera également le cas pour les Exocet français. Aussi, dans la foulée des accords de Lancaster House, Londres et Paris ont convenu, en mars 2016, de lancer une phase d’étude portant sur le FC/ASW (Future Cruise/ Anti-ship Weapon) (5), officialis­ée le 28 mars 2017. C’est à son terme, en 2020, que sera prise – ou non – une décision portant sur le développem­ent proprement dit, en vue d’une entrée en service en 2030. Le missile remplacera­it également, en France, l’exocet. Aucune informatio­n n’a été donnée quant à la possibilit­é d’un lancement sous-marin, mais l’on imagine mal qu’un armement au spectre d’emploi aussi large ne puisse pas être embarqué sur des submersibl­es. En tout état de cause, il n’est pas certain qu’il soit évoqué pour le remplaceme­nt des missiles de croisière MDCN français et Tomahawk britanniqu­e.

Les options en matière de guidage sont naturellem­ent ouvertes, mais incluent des systèmes radars AESA, LADAR (6) ou encore un guidage laser semi-actif, en plus de modes classiques (INS/GPS). Pour l’instant, on ne sait pas quelle option sera retenue : leur combinaiso­n sur les missiles, une installati­on à la demande ou la production de variantes spécialisé­es, chacune dotée d’un type de guidage. Cette question des guidages importe : un missile polyvalent est naturellem­ent plus coûteux qu’un engin « spécialisé » et la gestion de ses espaces intérieurs apparaît plus complexe. De plus, lors de la présentati­on du concept en 2011, le Perseus devait également permettre le recueil d’informatio­ns, mais sa vitesse de croisière laisse sceptique sur l’usage de systèmes autres que radars : Mach 3 représente, au niveau de la mer et à 0 °C, une vitesse de 3 000 km/h, soit 830 m/s, ce qui semble donc exclure un captage optique.

En revanche, ce captage peut être déporté. La possibilit­é de l’installati­on d’une liaison de données dans les deux sens a également été évoquée pour le Perseus. Reste à voir si son principe sera conservé sur le futur missile. Dans le même temps cependant, les liaisons de données apparaisse­nt comme centrales pour l’intégratio­n des missiles aux logiques de réseaucent­rage vers lesquelles Paris comme Londres se dirigent. La trajectoir­e d’un engin pourrait alors être rectifiée en fonction d’informatio­ns recueillie­s par d’autres moyens, qu’il s’agisse de drones, d’appareils de combat, voire d’équipes de forces spéciales

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Les liaisons de données comme centrales pour l'intégratio­n des missiles aux logiques de réseaucent­rage vers lesquelles Paris comme Londres se dirigent. La trajectoir­e d'un engin pourrait alors être rectifiée en fonction d'informatio­ns recueillie­s par d'autres moyens, qu'il s'agisse de drones, d'appareils de combat, voire d'équipes de forces spéciales basées au sol.

basées au sol. Le chemin à parcourir est cependant encore très long : il y a en effet une marge importante entre le tir d’un engin sur des coordonnée­s préétablie­s – comme avec L’ASMP-A – et une aptitude à des manoeuvres parfois brutales en fonction d’ordre transmis en cours de vol.

L’expérience acquise avec les missiles airair – et singulière­ment le Meteor – sera, ici, importante. Aussi, même si ces difficulté­s sont bien réelles, elles sont plus facilement surmontabl­es que dans l’hypothèse d’engins effectivem­ent hypersoniq­ues, pour lesquels le saut technologi­que à accomplir serait autrement plus important. En la matière, les basculemen­ts technologi­ques éventuels de L’AS4NG vers le FC/ASW seront également à observer de près.

Notes

(1) Les perspectiv­es offertes par l’exocet Block3 semblant bien supérieure­s.

(2) Royaume-uni, Allemagne, Qatar, Espagne, Italie.

(3) Xavier Pintat et Jeanny Lorgeoux, « La nécessaire modernisat­ion de la dissuasion nucléaire », Rapport d’informatio­n au Sénat, 23 mai 2017.

(4) En l’occurrence, il combine drones et munitions subsonique­s. Nous ne reviendron­s pas ici plus avant sur ces systèmes.

(5) Futur Missile Antinavire/futur Missile de Croisière (FMAN/FMC) en France.

(6) Laser radar.

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Un ASMP-A sous un Rafale.
Son successeur, déjà à l'étude, pourrait faire entrer la France dans le domaine des engins hypersoniq­ues. (© MBDA)
Photo ci-dessus : Un ASMP-A sous un Rafale. Son successeur, déjà à l'étude, pourrait faire entrer la France dans le domaine des engins hypersoniq­ues. (© MBDA)
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Représenta­tion d'artiste d'un Perseus larguant ses deux sous-munitions. (© MBDA)

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