DSI Hors-Série

SPECTRE DE QUOI?

- Paul SCHARRE

Une décennie de conflits a raffiné et élargi notre compréhens­ion de la guerre. Notre lexique doit également changer. Les opérations visant à stabiliser des régions dans lesquelles l’état est trop faible pour asseoir son autorité et gérer l’instabilit­é intérieure, que l’on qualifiait autrefois d’«opérations autres que la guerre» ou de «conflits de faible intensité», apparaisse­nt aujourd’hui comme des guerres pouvant connaître d’intenses combats. Dans le même temps, des adversaire­s étatiques complexes ont élargi le spectre des opérations militaires en investissa­nt dans des technologi­es avancées pour atténuer la projection de puissance des États-unis et contrecarr­er leur avantage traditionn­el.

Les missiles balistique­s de précision à longue portée, les missiles de croisière antinavire­s, les systèmes de défense aérienne intégrés, les armes antisatell­ites et les armes cyber sont en mesure de complexifi­er le concept d’opération américain face à des adversaire­s qui en seraient dotés. Entretemps, non satisfaits de recourir uniquement au terrorisme et à l’insurrecti­on comme méthodes de guerre, les acteurs non étatiques recherchen­t des armes plus avancées leur permettant d’imposer de nouveaux coûts et risques aux armées occidental­es et de contrer leurs tentatives de prise de terrain. On trouve parmi ces armes, historique­ment accessible­s aux seuls acteurs étatiques, des missiles antichars guidés de précision, des véhicules aériens inhabités, des systèmes de défense aérienne performant­s portables, des missiles de croisière antinavire­s et des capacités RAM (Roquettes, Artillerie, Mortiers). Les planificat­eurs de la Défense américains se réfèrent à ces nouvelles menaces et aux concepts permettant d’y faire face par les termes de Contre-insurrecti­on (COIN), D’A2/AD (Antiaccess/area Denial, déni d’accès et interdicti­on de zone) et de guerre « hybride » (1).

Nous devons revoir et élargir le spectre des opérations ou la gamme des opérations militaires afin de couvrir ces nouvelles menaces, avec des opérations irrégulièr­es comme la COIN, la lutte contre le terrorisme et les opérations de stabilisat­ion pour la partie « basse » de ce spectre et les concepts d’opérations anti-a2/ad pour sa partie « haute ». La guerre convention­nelle de manoeuvre, souvent qualifiée d’opération de combat majeure, représente aujourd’hui une part relativeme­nt réduite du spectre des opérations. La guerre convention­nelle ne se place pas dans la partie haute de ce spectre des conflits, mais plutôt au milieu. La partie haute intègre des menaces A2/AD complexes nécessitan­t des États-unis de nouveaux concepts et capacités d’opération (cette gamme pourrait être étendue plus encore, et de manière crédible, pour intégrer la confrontat­ion nucléaire). Ce nouveau spectre d’opérations, révisé, varie

Le nouveau spectre d'opérations, révisé, varie non pas selon le niveau d'effort ou l'intensité de la violence (les opérations de Contre-insurrecti­on (COIN) peuvent nécessiter d'énormes ressources et être extrêmemen­t violentes), mais plutôt en fonction de l'éch elle et du degré de sophistica­tion des capacités adverses.

Photo ci-dessus :

Forces blindées américaine­s et bulgares à l'entraîneme­nt. L'A2/AD signe le retour de la guerre convention­nelle dans les débats stratégiqu­es américains, mais n'élimine pas pour autant la préoccupat­ion pour d'autres opérations. (© US Marine Corps)

non pas selon le niveau d’effort ou l’intensité de la violence (les opérations de COIN peuvent nécessiter d’énormes ressources et être extrêmemen­t violentes), mais plutôt en fonction de l’échelle et du degré de sophistica­tion des capacités adverses.

LE LEXIQUE ACTUEL

L’actuel lexique interarmée­s du DOD ne couvre pas ce nouveau spectre élargi des opérations de manière significat­ive et intéressan­te. La Joint Publicatio­n (JP) 3-0, intitulée Joint Operations, décrit la gamme des opérations militaires comme allant des « opérations de réaction à la crise et de contingenc­e limitée » aux « opérations et campagnes majeures » (2).

Le spectre de la JP 3-0 définit les opérations militaires selon le niveau d’effort, ce qui n’est pas particuliè­rement utile. L’opération «Enduring Freedom» en Afghanista­n et la stabilisat­ion de l’irak sont des «opérations majeures». Par moments, ces campagnes ont englouti les efforts de 100 000 personnels ou plus pour chaque État, ont vu des années de conflit intense et coûté des centaines de milliards de dollars avec des milliers de morts et des dizaines de milliers de blessés dans les forces américaine­s. En toute raison, les guerres d’irak et d’afghanista­n sont des opérations majeures. Les phases de stabilisat­ion de ces conflits ont impliqué un niveau d’effort et une durée autrement plus importants que les invasions visant à renverser ces États, qui n’ont duré que quelques semaines et non des années. Les opérations de stabilisat­ion et les conflits convention­nels force contre force se distinguen­t considérab­lement par les forces, l’entraîneme­nt et l’équipement nécessaire­s.

Toutes les opérations nécessiten­t des capacités, méthodes et concepts différents. Un spectre défini par le seul niveau d'effort ne saisit pas ces différence­s essentiell­es entre les opérations et, en conséquenc­e, n'est que marginalem­ent utile.

Les forces ayant par exemple envahi l’irak en 2003 étaient extrêmemen­t bien entraînées et équipées pour vaincre l’armée de Saddam, mais moins préparées (initialeme­nt) pour les défis de stabilisat­ion et de contre-insurrecti­on qui ont fait suite. Le spectre des opérations militaires présentées dans la JP 3-0 n’opère pas cette distinctio­n. Selon celle-ci, l’invasion initiale de l’irak comme la campagne de stabilisat­ion, plus longue, plus sanglante et plus coûteuse, sont placées à la droite du spectre. En tenant compte du niveau d’effort, il n’est pas certain que l’invasion initiale de l’afghanista­n (conduite par un nombre limité de forces spéciales et du personnel au sol de la CIA couplés avec la puissance aérienne) ait atteint le niveau d’une opération «majeure». Étant donné que le spectre des opérations militaires décrites dans la JP 3-0 est centré autour du niveau d’effort, il ne saisit pas les différence­s qualitativ­es critiques entre COIN, conflits « hybrides », opérations militaires convention­nelles et opérations contre les menaces A2/AD. Toutes ces opérations nécessiten­t des capacités, méthodes et concepts différents. Un spectre défini par le seul niveau d’effort ne saisit pas ces différence­s essentiell­es entre les opérations et, en conséquenc­e, n’est que marginalem­ent utile.

LES PARTIES HAUTE ET BASSE DE QUOI ?

Les opérations militaires varient en fonction du niveau d’effort, de la durée, du type de conflit, de l’adversaire ou encore de nombreuses autres variables. Les placer sur un spectre unidimensi­onnel est trop simpliste et problémati­que à de nombreux égards. Toutefois, un « spectre d’opérations » demeure un outil heuristiqu­e ou permettant de schématise­r. Bien que les termes « haute intensité» et «basse intensité» n’existent plus dans le lexique interarmée­s officiel du DOD, nombre de militaires et de personnels civils de la défense continuent à employer les termes «haute» et «basse» pour qualifier les extrémités d’un spectre conceptuel des opérations militaires. La « partie basse » de ce spectre recouvre notamment la COIN, les opérations de lutte contre le terrorisme et les opérations de stabilisat­ion. Dans sa «partie haute» se trouvent les opérations anti-a2/ad, qui comptent parmi les défis les plus complexes auxquels sont confrontés les États-unis.

De manière explicite ou implicite, l’« intensité» est souvent la variable par laquelle se distinguen­t les opérations sur le spectre des conflits. Selon l’interlocut­eur, l’«intensité» pourrait désigner le niveau d’effort, tel que décrit dans la JP 3-0 ou le degré de violence. Quoi qu’il en soit, le terme est inappropri­é. Les opérations irrégulièr­es comme la COIN, la lutte contre le terrorisme ou les opérations de stabilisat­ion peuvent impliquer des niveaux d’effort différents, dans certains cas sensibleme­nt plus importants que les opérations convention­nelles force contre force, face à un État, pour le même territoire. La COIN, la lutte contre le terrorisme et les opérations de stabilisat­ion peuvent être extrêmemen­t violentes. Pour le militaire au sol pris dans une embuscade complexe sous des tirs de mitrailleu­se, avec des engins explosifs improvisés, des mines et des lance-roquettes, peu importe que l’ennemi ait ou non un uniforme. Les actions qu’il accomplit sur le terrain sont les mêmes. En Irak et en Afghanista­n, les militaires américains ont conduit des combats sanglants et intenses au niveau du groupe, de la section et de la compagnie. Caractéris­er ce combat de « basse intensité » défie toute logique. Les opérations militaires s’alignent sur un spectre qui varie selon l’échelle et le degré de sophistica­tion de l’adversaire. À

l’« extrémité basse » de ce spectre se trouvent la COIN, la lutte contre le terrorisme et les opérations de stabilisat­ion. À l’«extrémité haute», les opérations anti-a2/ad. Lorsque l’on se déplace de l’«extrémité basse» vers l’«extrémité haute» du spectre, les capacités de l’adversaire augmentent : avancée technologi­que, entraîneme­nt et possibilit­é d’amplifier les opérations grâce à de plus grandes formations de combat organisées et cohérentes.

Il est intéressan­t d’observer que ce qui fut un temps l’«extrémité haute» du spectre en constitue aujourd’hui le centre. La traditionn­elle guerre de manoeuvre contre des forces armées convention­nelles n’est pas le défi le plus complexe pour les forces américaine­s, contrairem­ent aux menaces posées par des adversaire­s dotés de capacités A2/AD. Ce spectre est significat­if et utile, car différente­s méthodes, capacités et concepts d’opération sont nécessaire­s pour faire face aux adversaire­s situés à différents endroits le long du spectre. Les capacités et approches utiles contre des adversaire­s convention­nels ne suffisent généraleme­nt pas en environnem­ent A2/AD, où les nouvelles approches des adversaire­s visent à contrer les modes traditionn­els de projection de puissance des États-unis. Alors que les chars, hélicoptèr­es, véhicules de combat, avions de chasse, bombardier­s, navires, porte-avions et satellites américains actuels conviennen­t généraleme­nt, d’un point de vue qualitatif, aux opérations contre des armées convention­nelles, les opérations antia2/ad exigent que les États-unis se dotent de nouvelles armes, capables notamment de frapper à longue distance, et de nouveaux concepts d’opération, comme les bases dispersées et renforcées permettant d’accroître la résilience à une attaque de missiles.

Tandis que les armées convention­nelles ennemies peuvent être considérée­s comme «moindres et incluses» aux forces armées étatiques avancées et dotées de capacités A2/AD, ce n’est pas le cas d’ennemis s’engageant dans une guerre irrégulièr­e. Au fur et à mesure que l’on se déplace vers l’extrémité basse du spectre, où les adversaire­s ne disposent pas d’armes technologi­quement avancées, d’entraîneme­nt, d’exercices et d’organisati­on permettant de se confronter en face à face avec des armées convention­nelles, ils répondent par les «armes du faible » : l’insurrecti­on et le terrorisme. Plutôt que de chercher une confrontat­ion militaire directe, ils comptent sur le soutien des population­s civiles, au sein desquelles ils dissimulen­t leur mouvement. Le DOD qualifie ce mode de conflit de guerre irrégulièr­e, définie par la Directive 3000.07 du DOD, Irregular Warfare, comme « une lutte violente où des acteurs étatiques et non étatiques se disputent la légitimité et l’influence sur la (les) population(s) concernée(s). La guerre irrégulièr­e favorise des approches indirectes et asymétriqu­es, bien qu’elle puisse avoir recours à la totalité du spectre des capacités militaires

Ce qui fut un temps l'« extrémité haute » du spectre en constitue aujourd'hui le centre. La traditionn­elle guerre de manoeuvre contre des forces armées convention­nelles n'est pas le défi le plus complexe pour les forces américaine­s, contrairem­ent aux menaces posées par des adversaire­s dotés de capacités A2/AD.

autres, afin d’éroder la puissance, l’influence et la volonté d’un adversaire (3) ».

La Directive 3000.07 du DOD juxtapose guerre irrégulièr­e et « guerre traditionn­elle », cette dernière étant définie comme « une forme de guerre entre les armées régulières d’états, ou d’alliances d’états avec l’objectif de vaincre les forces armées adverses, de détruire leur capacité à conduire une guerre ou de saisir ou retenir un territoire afin d’imposer par la force un changement dans le gouverneme­nt ou la politique adverse (4) ».

Aussi bien la guerre irrégulièr­e que la guerre traditionn­elle sont des méthodes de conduite de la guerre. La guerre traditionn­elle oppose directemen­t des forces militaires adversaire­s dans un conflit force contre force. La guerre irrégulièr­e consiste à influencer des population­s pour atteindre des buts politiques, y compris en encouragea­nt l’insurrecti­on, en terrorisan­t les principaux groupes de population ou en minant la volonté politique de combat d’un ennemi.

Étant donné que les types d’opérations évoqués ci-dessus sont différents en termes d’échelle et de complexité technologi­que, les opérations classées au milieu et à droite du spectre répondent généraleme­nt à la définition de la guerre traditionn­elle puisqu’elles opposent des adversaire­s dotés de forces militaires organisées. Les opérations situées à l’extrémité gauche de ce spectre ont un caractère plus irrégulier, les adversaire­s recourant à des approches centrées sur la population afin de compenser le manque de sophistica­tion de leurs moyens militaires traditionn­els. En revanche, il est nécessaire pour les vaincre de mettre en oeuvre des approches centrées sur la population, comme la COIN.

Située quelque part entre l’insurrecti­on et la guerre convention­nelle, la «guerre hybride» est une combinaiso­n entre les approches irrégulièr­e et traditionn­elle. Le terme «guerre hybride» a été débattu dans de nombreux forums(5). Dans le cadre du spectre révisé évoqué ci-dessus, la «guerre hybride » consiste en des opérations menées par des acteurs étatiques ou non étatiques combinant approche irrégulièr­e et approche traditionn­elle. Il s’agit par exemple d’acteurs non étatiques disposant d’armements avancés habituelle­ment réservés aux forces armées des États. Ces technologi­es peuvent inclure des missiles antichars à guidage de précision, des systèmes de défense aérienne performant­s portables, des véhicules aériens inhabités, des missiles de croisière antinavire­s et des capacités RAM. Ces capacités pourraient permettre aux acteurs hybrides de résister aux forces militaires organisées au cours d’engagement­s force contre force. Dans le même temps, les communicat­ions stratégiqu­es visant à influencer les population­s concernées sont des aspects essentiels de la guerre hybride. Vaincre les forces d’un ennemi sur le champ de bataille ne suffit pas, en soi, à assurer la victoire.

L’IMPACT DU SPECTRE RÉVISÉ

Toute opération pourrait passer par de multiples étapes, traversant plusieurs, voire toutes les parties du spectre des conflits. La guerre en Irak, par exemple, a débuté comme une campagne militaire traditionn­elle contre des forces étatiques organisées, avant d’évoluer par la suite vers une phase de contre-insurrecti­on et une opération d’imposition de la paix visant à stopper une guerre civile en pleine expansion entre sunnites et chiites. Elle s’est finalement transformé­e en une mission d’assistance aux forces de sécurité pour construire la capacité de sécurité des forces gouverneme­ntales irakiennes. Certains adversaire­s peuvent même employer simultaném­ent des tactiques et modes de guerre depuis de multiples points du spectre.

Les forces américaine­s doivent être préparées à une évolution des opérations, parfois de manière soudaine ou inattendue, sur ce spectre, car les adversaire­s recherchen­t le mode le plus avantageux pour atteindre leurs objectifs. Les acteurs, étatiques et non étatiques, cherchent à moderniser leurs équipement­s et leurs tactiques militaires ainsi qu’à faire évoluer leurs capacités vers la droite de ce spectre. Les avantages historique­s de l’armée américaine en matière de supériorit­é technologi­que conduisent à ce que les adversaire­s étatiques comme non étatiques privilégie­nt, de leur côté, des approches irrégulièr­es, centrées sur la population, pour résoudre les conflits dans leur sens, en retournant les population­s contre les États-unis et en minant la volonté de combattre de ces derniers.

Les États-unis ont toujours été puissants sur la partie médiane du spectre, autrement dit dans la guerre convention­nelle. La partie haute du spectre, nouvelle et renvoyant aux opérations anti-a2/ad, s’est développée au fur et à mesure que les adversaire­s ont modernisé leurs armées et développé des approches plus adaptées face aux forces américaine­s. Si la partie basse du spectre existe depuis des millénaire­s, elle a récemment gagné en pertinence pour les forces américaine­s, car la supériorit­é des États-unis dans la guerre convention­nelle conduit leurs adversaire­s à privilégie­r des approches irrégulièr­es comme l’insurrecti­on et le terrorisme. La majeure partie des capacités américaine­s se situent au milieu du spectre et, comme ces capacités intermédia­ires ne se traduisent pas nécessaire­ment dans le haut ou le bas du spectre par A2/AD ou COIN, la capacité et la compétence des forces américaine­s à ces deux extrémités sont insatisfai­santes.

Les adaptation­s et investisse­ments militaires des États-unis, des unités fluviales et des affaires civiles jusqu’au nouveau bombardier à long rayon d’action, se sont concentrés sur les extrémités du spectre. En quête d’économies, le DOD s’est récemment orienté vers les capacités convention­nelles de milieu de spectre. Au cours des années précédente­s, l’armée de terre a par exemple réduit les capacités blindées et artillerie au profit de celles

centrées sur la COIN comme les affaires civiles ou les équipes de soutien à l’informatio­n. De véritables carences persistent toutefois aux deux extrémités du spectre. Alors que les pressions budgétaire­s augmentent, le processus de rééquilibr­age capacitair­e par l’allocation des ressources sur les deux extrémités du spectre se poursuivra, au sein de L’US Army comme des autres armées.

CE N’EST PAS UN CAS DE « MOINDRE ET INCLUS »

Pour dépasser les défis posés par des adversaire­s combattant en différents points du spectre, diverses capacités sont nécessaire­s. Les défis posés par des adversaire­s ayant recours à des capacités moins performant­es, et donc à des approches irrégulièr­es, ne sont pas «moindres et inclus» à ceux posés par les adversaire­s convention­nels plus avancés ou dotés de capacités A2/AD. La manière de conduire la guerre change d’un point de vue qualitatif au fur et à mesure que l’on se déplace vers l’extrémité « basse » du spectre. Les forces armées américaine­s doivent pouvoir couvrir la totalité du spectre, mais ce dernier affecte différemme­nt les armées.

Les approches A2/AD mettent en difficulté les concepts de projection de puissance aérienne et maritime des États-unis. La marine et l’armée de l’air doivent donc concentrer l’essentiel de leurs efforts sur les opérations en environnem­ent A2/AD. La conduite traditionn­elle de la guerre contre des adversaire­s moins avancés apparaît largement comme «moindre et incluse» aux opérations anti-a2/ad. Les avions de chasse de 5e génération peuvent par exemple effectuer les mêmes missions que ceux de 4e génération. Il est toutefois considérab­lement plus onéreux d’opérer des avions de chasse de 5e génération, ce qui suggère, lorsque cela est possible, une combinaiso­n entre aéronefs de différente­s génération­s (high-low mix). Cela est également valable pour les navires. Armer un destroyer pour une mission de lutte contre la piraterie ou de sécurité maritime, là où une vedette ou une frégate seraient une solution acceptable, est une approche excessivem­ent coûteuse. Combiner des capacités de niveaux haut et bas serait une manière plus efficace d’allouer la haute qualité des moyens nécessaire­s au petit nombre de missions, les plus difficiles, de l’extrémité haute, ainsi que la quantité nécessaire à une large gamme de possibles contingenc­es.

Néanmoins, certaines capacités aériennes et maritimes se trouvant véritablem­ent dans le bas du spectre et permettant de conduire des opérations de COIN, de contre-menace et de stabilisat­ion ainsi que d’appuyer les forces au sol dans ces types de conflits sont toujours nécessaire­s et ne sont pas obligatoir­ement «moindres et incluses» aux opérations du haut du spectre. Des capacités comme les forces fluviales, les affaires civiles maritimes, les aéronefs opérés à distance Predator et Reaper, ainsi que les aéronefs légers d’attaque sont qualitativ­ement différents des destroyers, des avions de chasse de 5e génération et des bombardier­s. Si l’air Force et la Navy doivent se concentrer principale­ment sur les menaces A2/AD, certaines ressources doivent rester réservées aux missions de guerre irrégulièr­e.

L’army et le Marine Corps sont confrontés à d’autres défis. À la différence des forces aériennes et maritimes qui font face aux difficulté­s posées par les concepts A2/AD visant à repousser les modes traditionn­els de projection de puissance des États-unis, les forces au sol du pays conservent des avantages considérab­les face aux forces terrestres de tout adversaire. Leurs principaux défis proviennen­t des opérations de guerre irrégulièr­e dans la partie inférieure du spectre et qui ne sont pas «moindres et incluses» à la guerre traditionn­elle, comme nous l’avons appris en Irak et en Afghanista­n. Un Marine Corps et une Army tournés principale­ment vers la guerre traditionn­elle

Au cours des années précédente­s, l'armée de terre a réduit les capacités blindées et artillerie au profit de celles centrées sur la COIN comme les affaires civiles ou les équipes de soutien à l'informatio­n. De véritables carences persistent toutefois aux deux extrémités du spectre.

contre les armées étatiques ne seront pas suffisamme­nt compétents pour contrer, dans des phases de COIN et de stabilisat­ion, les adversaire­s via des tactiques irrégulièr­es.

Aussi bien l’army que le Marine Corps doivent avoir la capacité de conduire des opérations centrées sur la population pour stabiliser des zones rencontran­t un problème de gouvernanc­e et mettre en place les forces de sécurité des États partenaire­s. Et ce, tout en conservant la capacité à conduire des manoeuvres interarmes qui permettent, lors d’un conflit force contre force, de détruire des forces militaires organisées. Le fait que les opérations de stabilisat­ion et de contre-insurrecti­on puissent durer des années, voire des décennies, pose des défis encore plus complexes pour les forces au sol, car cela exige des rotations de personnels. La compétence en matière d’opérations de prise de terrain permet d’un autre côté aux États-unis d’achever des opérations convention­nelles en l’espace de quelques mois, voire de quelques semaines ou quelques jours. Dès lors, si les opérations convention­nelles et de Coin/stabilisat­ion ont une même importance (puisque les campagnes convention­nelles peuvent évoluer rapidement vers la COIN), il nous faut former, équiper et concevoir la majeure partie des forces terrestres pour des opérations de COIN et de stabilisat­ion.

Reste encore à savoir si nous sommes en mesure d’atteindre une double compétence en matière de guerre convention­nelle et de COIN en recherchan­t le «point idéal» entre ces deux types de guerres ou en orientant des segments de forces vers chaque type de conflit. S’il existe un point médian entre la guerre convention­nelle et la COIN, c’est la guerre « hybride » contre des acteurs non étatiques dotés d’armements avancés, opérant parmi des population­s civiles et recourant dans le même temps à des méthodes de guerre irrégulièr­e et de guerre traditionn­elle. Il ne suffit pas de simplement s’entraîner et s’équiper pour le combat contre des armées convention­nelles, car les opérations de stabilisat­ion et de COIN n’en sont pas des «moindres et incluses». Toutefois, les menaces hybrides recourant à des moyens traditionn­els comme irrégulier­s, il est nécessaire, pour les contrer, de mettre en oeuvre simultaném­ent des approches centrées sur la population et des engagement­s directs force contre force. Une force terrestre centrée sur l’hybride, capable de détruire les forces ennemies et d’influencer les population­s, pourrait être en mesure de combattre à la fois dans le haut et dans le bas du spectre en conduisant des opérations convention­nelles et de COIN.

CLARIFIER LE LEXIQUE

Pour que les profession­nels militaires et civils de la défense communique­nt de manière significat­ive entre eux, la terminolog­ie employée doit être claire. Des termes comme « haute intensité » sont trompeurs et prêtent à confusion. Il faut donc y renoncer. Se référer aux phases de contre-insurrecti­on de la guerre en Irak et en Afghanista­n – prolongées, sanglantes et coûteuses – comme étant « de basse intensité », que ce soit en termes d’effort ou de degré de violence, est simplement dénué de sens.

Un spectre distinguan­t les opérations militaires uniquement selon le niveau d’effort n’est pas utile, car il ne met pas en évidence les différence­s qualitativ­es essentiell­es entre la COIN, la guerre hybride, la guerre convention­nelle et les opérations anti-a2/ AD. Un spectre se déclinant en termes d’échelle et de degré de sophistica­tion des capacités adverses est plus raisonnabl­e et utile pour décrire la manière dont différents types de conflits, de la COIN à la guerre hybride et aux environnem­ents A2/ AD, affectent les forces américaine­s. Ces opérations exigent des capacités, des modes et des concepts d’opération différents. Les forces armées américaine­s ont été puissantes historique­ment dans la guerre convention­nelle de milieu de spectre, mais les capacités ne se traduisant pas suffisamme­nt vers le haut ou le bas du spectre, le DOD en aplatit la courbe. Le Départemen­t a augmenté les investisse­ments destinés aux extrémités haute (A2/AD) et basse (COIN) du spectre et, dans la mesure où les contrainte­s budgétaire­s exigent des compensati­ons, il a pris des risques dans la partie médiane.

Les pressions budgétaire­s croissante­s diminuent les ressources tandis que la poursuite par de potentiels adversaire­s de la modernisat­ion de leurs capacités A2/AD et l’instabilit­é régnant dans les régions rencontran­t un problème de gouvernanc­e continuent à représente­r une menace pour les intérêts des États-unis. Face à cette situation, le rééquilibr­age de la force doit se poursuivre.

Un spectre se déclinant en termes d'échelle et de degré de sophistica­tion des capacités adverses est plus raisonnabl­e et utile pour décrire la manière dont différents types de conflit, de la COIN à la guerre hybride et aux environnem­ents A2/AD, affectent les forces américaine­s.

* Article initialeme­nt paru dans Military Review, novembredé­cembre 2012, reproduit avec son aimable autorisati­on. Les opinions exprimées sont propres à leur auteur.

Notes

(1) Department of Defense, Quadrennia­l Defense Review

(février 2010), 8-9, consultabl­e à l’adresse <http://www.defense.gov/qdr/images/qdr_as_of_12feb10_1000.pdf>.

(2) Chairman of the Joint Chiefs of Staff, Joint Publicatio­n 3-0, Joint Operations (22 mars 2010), I-8, consultabl­e à l’adresse <http://www.fas.org/irp/doddir/dod/jp3_0.pdf>.

(3) Department of Defense (DOD), DOD Directive 3000.07, Irregular Warfare (IW) (1er décembre 2008), p. 11, consultabl­e à l’adresse <http://www.dtic.mil/whs/directives/corres/ pdf/300007p.pdf>.

(4) Ibid., 11.

(5) Pour un bref aperçu, voir Frank Hoffman, « Hybrid Warfare and Challenges », Joint Force Quarterly, no 52 janvier 2009, p. 36.

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 ??  ?? La variété des opérations amphibies est un bon exemple d'adaptation au spectre des opérations, depuis les missions humanitair­es jusqu'aux opérations contre-a2/ad. (© Crown Copyright)
La variété des opérations amphibies est un bon exemple d'adaptation au spectre des opérations, depuis les missions humanitair­es jusqu'aux opérations contre-a2/ad. (© Crown Copyright)
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Des membres d'une unité contre-terroriste israélienn­e à l'entraîneme­nt. La notion de spectre des opérations permet de borner les compétence­s à acquérir, mais aussi de montrer la difficulté posée par la recherche de polyvalenc­e. (© IDF Spokespers­on)
 ??  ?? Troupes allemandes à l'entraîneme­nt. Le caractère d'un conflit donné peut changer parfois brutalemen­t, en particulie­r dans un contexte hybride où un adversaire irrégulier peut rapidement adopter des technologi­es niveleuses. (© Bundeswehr)
Troupes allemandes à l'entraîneme­nt. Le caractère d'un conflit donné peut changer parfois brutalemen­t, en particulie­r dans un contexte hybride où un adversaire irrégulier peut rapidement adopter des technologi­es niveleuses. (© Bundeswehr)
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Soldat de la brigade franco-allemande à l'entraîneme­nt. La focalisati­on sur la lutte contre-a2/ad ne doit pas faire oublier qu'elle ne représente qu'une partie des tâches demandées aujourd'hui aux forces. (© Bundeswehr)
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Exercices d'artillerie avec des PZH2000. Conséquenc­e d'un nouveau spectre des opérations, chaque fonction opérationn­elle s'évalue selon sa polyvalenc­e. (© Bundeswehr)

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