SPECTRE DE QUOI?
Une décennie de conflits a raffiné et élargi notre compréhension de la guerre. Notre lexique doit également changer. Les opérations visant à stabiliser des régions dans lesquelles l’état est trop faible pour asseoir son autorité et gérer l’instabilité intérieure, que l’on qualifiait autrefois d’«opérations autres que la guerre» ou de «conflits de faible intensité», apparaissent aujourd’hui comme des guerres pouvant connaître d’intenses combats. Dans le même temps, des adversaires étatiques complexes ont élargi le spectre des opérations militaires en investissant dans des technologies avancées pour atténuer la projection de puissance des États-unis et contrecarrer leur avantage traditionnel.
Les missiles balistiques de précision à longue portée, les missiles de croisière antinavires, les systèmes de défense aérienne intégrés, les armes antisatellites et les armes cyber sont en mesure de complexifier le concept d’opération américain face à des adversaires qui en seraient dotés. Entretemps, non satisfaits de recourir uniquement au terrorisme et à l’insurrection comme méthodes de guerre, les acteurs non étatiques recherchent des armes plus avancées leur permettant d’imposer de nouveaux coûts et risques aux armées occidentales et de contrer leurs tentatives de prise de terrain. On trouve parmi ces armes, historiquement accessibles aux seuls acteurs étatiques, des missiles antichars guidés de précision, des véhicules aériens inhabités, des systèmes de défense aérienne performants portables, des missiles de croisière antinavires et des capacités RAM (Roquettes, Artillerie, Mortiers). Les planificateurs de la Défense américains se réfèrent à ces nouvelles menaces et aux concepts permettant d’y faire face par les termes de Contre-insurrection (COIN), D’A2/AD (Antiaccess/area Denial, déni d’accès et interdiction de zone) et de guerre « hybride » (1).
Nous devons revoir et élargir le spectre des opérations ou la gamme des opérations militaires afin de couvrir ces nouvelles menaces, avec des opérations irrégulières comme la COIN, la lutte contre le terrorisme et les opérations de stabilisation pour la partie « basse » de ce spectre et les concepts d’opérations anti-a2/ad pour sa partie « haute ». La guerre conventionnelle de manoeuvre, souvent qualifiée d’opération de combat majeure, représente aujourd’hui une part relativement réduite du spectre des opérations. La guerre conventionnelle ne se place pas dans la partie haute de ce spectre des conflits, mais plutôt au milieu. La partie haute intègre des menaces A2/AD complexes nécessitant des États-unis de nouveaux concepts et capacités d’opération (cette gamme pourrait être étendue plus encore, et de manière crédible, pour intégrer la confrontation nucléaire). Ce nouveau spectre d’opérations, révisé, varie
Le nouveau spectre d'opérations, révisé, varie non pas selon le niveau d'effort ou l'intensité de la violence (les opérations de Contre-insurrection (COIN) peuvent nécessiter d'énormes ressources et être extrêmement violentes), mais plutôt en fonction de l'éch elle et du degré de sophistication des capacités adverses.
Photo ci-dessus :
Forces blindées américaines et bulgares à l'entraînement. L'A2/AD signe le retour de la guerre conventionnelle dans les débats stratégiques américains, mais n'élimine pas pour autant la préoccupation pour d'autres opérations. (© US Marine Corps)
non pas selon le niveau d’effort ou l’intensité de la violence (les opérations de COIN peuvent nécessiter d’énormes ressources et être extrêmement violentes), mais plutôt en fonction de l’échelle et du degré de sophistication des capacités adverses.
LE LEXIQUE ACTUEL
L’actuel lexique interarmées du DOD ne couvre pas ce nouveau spectre élargi des opérations de manière significative et intéressante. La Joint Publication (JP) 3-0, intitulée Joint Operations, décrit la gamme des opérations militaires comme allant des « opérations de réaction à la crise et de contingence limitée » aux « opérations et campagnes majeures » (2).
Le spectre de la JP 3-0 définit les opérations militaires selon le niveau d’effort, ce qui n’est pas particulièrement utile. L’opération «Enduring Freedom» en Afghanistan et la stabilisation de l’irak sont des «opérations majeures». Par moments, ces campagnes ont englouti les efforts de 100 000 personnels ou plus pour chaque État, ont vu des années de conflit intense et coûté des centaines de milliards de dollars avec des milliers de morts et des dizaines de milliers de blessés dans les forces américaines. En toute raison, les guerres d’irak et d’afghanistan sont des opérations majeures. Les phases de stabilisation de ces conflits ont impliqué un niveau d’effort et une durée autrement plus importants que les invasions visant à renverser ces États, qui n’ont duré que quelques semaines et non des années. Les opérations de stabilisation et les conflits conventionnels force contre force se distinguent considérablement par les forces, l’entraînement et l’équipement nécessaires.
Toutes les opérations nécessitent des capacités, méthodes et concepts différents. Un spectre défini par le seul niveau d'effort ne saisit pas ces différences essentielles entre les opérations et, en conséquence, n'est que marginalement utile.
Les forces ayant par exemple envahi l’irak en 2003 étaient extrêmement bien entraînées et équipées pour vaincre l’armée de Saddam, mais moins préparées (initialement) pour les défis de stabilisation et de contre-insurrection qui ont fait suite. Le spectre des opérations militaires présentées dans la JP 3-0 n’opère pas cette distinction. Selon celle-ci, l’invasion initiale de l’irak comme la campagne de stabilisation, plus longue, plus sanglante et plus coûteuse, sont placées à la droite du spectre. En tenant compte du niveau d’effort, il n’est pas certain que l’invasion initiale de l’afghanistan (conduite par un nombre limité de forces spéciales et du personnel au sol de la CIA couplés avec la puissance aérienne) ait atteint le niveau d’une opération «majeure». Étant donné que le spectre des opérations militaires décrites dans la JP 3-0 est centré autour du niveau d’effort, il ne saisit pas les différences qualitatives critiques entre COIN, conflits « hybrides », opérations militaires conventionnelles et opérations contre les menaces A2/AD. Toutes ces opérations nécessitent des capacités, méthodes et concepts différents. Un spectre défini par le seul niveau d’effort ne saisit pas ces différences essentielles entre les opérations et, en conséquence, n’est que marginalement utile.
LES PARTIES HAUTE ET BASSE DE QUOI ?
Les opérations militaires varient en fonction du niveau d’effort, de la durée, du type de conflit, de l’adversaire ou encore de nombreuses autres variables. Les placer sur un spectre unidimensionnel est trop simpliste et problématique à de nombreux égards. Toutefois, un « spectre d’opérations » demeure un outil heuristique ou permettant de schématiser. Bien que les termes « haute intensité» et «basse intensité» n’existent plus dans le lexique interarmées officiel du DOD, nombre de militaires et de personnels civils de la défense continuent à employer les termes «haute» et «basse» pour qualifier les extrémités d’un spectre conceptuel des opérations militaires. La « partie basse » de ce spectre recouvre notamment la COIN, les opérations de lutte contre le terrorisme et les opérations de stabilisation. Dans sa «partie haute» se trouvent les opérations anti-a2/ad, qui comptent parmi les défis les plus complexes auxquels sont confrontés les États-unis.
De manière explicite ou implicite, l’« intensité» est souvent la variable par laquelle se distinguent les opérations sur le spectre des conflits. Selon l’interlocuteur, l’«intensité» pourrait désigner le niveau d’effort, tel que décrit dans la JP 3-0 ou le degré de violence. Quoi qu’il en soit, le terme est inapproprié. Les opérations irrégulières comme la COIN, la lutte contre le terrorisme ou les opérations de stabilisation peuvent impliquer des niveaux d’effort différents, dans certains cas sensiblement plus importants que les opérations conventionnelles force contre force, face à un État, pour le même territoire. La COIN, la lutte contre le terrorisme et les opérations de stabilisation peuvent être extrêmement violentes. Pour le militaire au sol pris dans une embuscade complexe sous des tirs de mitrailleuse, avec des engins explosifs improvisés, des mines et des lance-roquettes, peu importe que l’ennemi ait ou non un uniforme. Les actions qu’il accomplit sur le terrain sont les mêmes. En Irak et en Afghanistan, les militaires américains ont conduit des combats sanglants et intenses au niveau du groupe, de la section et de la compagnie. Caractériser ce combat de « basse intensité » défie toute logique. Les opérations militaires s’alignent sur un spectre qui varie selon l’échelle et le degré de sophistication de l’adversaire. À
l’« extrémité basse » de ce spectre se trouvent la COIN, la lutte contre le terrorisme et les opérations de stabilisation. À l’«extrémité haute», les opérations anti-a2/ad. Lorsque l’on se déplace de l’«extrémité basse» vers l’«extrémité haute» du spectre, les capacités de l’adversaire augmentent : avancée technologique, entraînement et possibilité d’amplifier les opérations grâce à de plus grandes formations de combat organisées et cohérentes.
Il est intéressant d’observer que ce qui fut un temps l’«extrémité haute» du spectre en constitue aujourd’hui le centre. La traditionnelle guerre de manoeuvre contre des forces armées conventionnelles n’est pas le défi le plus complexe pour les forces américaines, contrairement aux menaces posées par des adversaires dotés de capacités A2/AD. Ce spectre est significatif et utile, car différentes méthodes, capacités et concepts d’opération sont nécessaires pour faire face aux adversaires situés à différents endroits le long du spectre. Les capacités et approches utiles contre des adversaires conventionnels ne suffisent généralement pas en environnement A2/AD, où les nouvelles approches des adversaires visent à contrer les modes traditionnels de projection de puissance des États-unis. Alors que les chars, hélicoptères, véhicules de combat, avions de chasse, bombardiers, navires, porte-avions et satellites américains actuels conviennent généralement, d’un point de vue qualitatif, aux opérations contre des armées conventionnelles, les opérations antia2/ad exigent que les États-unis se dotent de nouvelles armes, capables notamment de frapper à longue distance, et de nouveaux concepts d’opération, comme les bases dispersées et renforcées permettant d’accroître la résilience à une attaque de missiles.
Tandis que les armées conventionnelles ennemies peuvent être considérées comme «moindres et incluses» aux forces armées étatiques avancées et dotées de capacités A2/AD, ce n’est pas le cas d’ennemis s’engageant dans une guerre irrégulière. Au fur et à mesure que l’on se déplace vers l’extrémité basse du spectre, où les adversaires ne disposent pas d’armes technologiquement avancées, d’entraînement, d’exercices et d’organisation permettant de se confronter en face à face avec des armées conventionnelles, ils répondent par les «armes du faible » : l’insurrection et le terrorisme. Plutôt que de chercher une confrontation militaire directe, ils comptent sur le soutien des populations civiles, au sein desquelles ils dissimulent leur mouvement. Le DOD qualifie ce mode de conflit de guerre irrégulière, définie par la Directive 3000.07 du DOD, Irregular Warfare, comme « une lutte violente où des acteurs étatiques et non étatiques se disputent la légitimité et l’influence sur la (les) population(s) concernée(s). La guerre irrégulière favorise des approches indirectes et asymétriques, bien qu’elle puisse avoir recours à la totalité du spectre des capacités militaires
Ce qui fut un temps l'« extrémité haute » du spectre en constitue aujourd'hui le centre. La traditionnelle guerre de manoeuvre contre des forces armées conventionnelles n'est pas le défi le plus complexe pour les forces américaines, contrairement aux menaces posées par des adversaires dotés de capacités A2/AD.
autres, afin d’éroder la puissance, l’influence et la volonté d’un adversaire (3) ».
La Directive 3000.07 du DOD juxtapose guerre irrégulière et « guerre traditionnelle », cette dernière étant définie comme « une forme de guerre entre les armées régulières d’états, ou d’alliances d’états avec l’objectif de vaincre les forces armées adverses, de détruire leur capacité à conduire une guerre ou de saisir ou retenir un territoire afin d’imposer par la force un changement dans le gouvernement ou la politique adverse (4) ».
Aussi bien la guerre irrégulière que la guerre traditionnelle sont des méthodes de conduite de la guerre. La guerre traditionnelle oppose directement des forces militaires adversaires dans un conflit force contre force. La guerre irrégulière consiste à influencer des populations pour atteindre des buts politiques, y compris en encourageant l’insurrection, en terrorisant les principaux groupes de population ou en minant la volonté politique de combat d’un ennemi.
Étant donné que les types d’opérations évoqués ci-dessus sont différents en termes d’échelle et de complexité technologique, les opérations classées au milieu et à droite du spectre répondent généralement à la définition de la guerre traditionnelle puisqu’elles opposent des adversaires dotés de forces militaires organisées. Les opérations situées à l’extrémité gauche de ce spectre ont un caractère plus irrégulier, les adversaires recourant à des approches centrées sur la population afin de compenser le manque de sophistication de leurs moyens militaires traditionnels. En revanche, il est nécessaire pour les vaincre de mettre en oeuvre des approches centrées sur la population, comme la COIN.
Située quelque part entre l’insurrection et la guerre conventionnelle, la «guerre hybride» est une combinaison entre les approches irrégulière et traditionnelle. Le terme «guerre hybride» a été débattu dans de nombreux forums(5). Dans le cadre du spectre révisé évoqué ci-dessus, la «guerre hybride » consiste en des opérations menées par des acteurs étatiques ou non étatiques combinant approche irrégulière et approche traditionnelle. Il s’agit par exemple d’acteurs non étatiques disposant d’armements avancés habituellement réservés aux forces armées des États. Ces technologies peuvent inclure des missiles antichars à guidage de précision, des systèmes de défense aérienne performants portables, des véhicules aériens inhabités, des missiles de croisière antinavires et des capacités RAM. Ces capacités pourraient permettre aux acteurs hybrides de résister aux forces militaires organisées au cours d’engagements force contre force. Dans le même temps, les communications stratégiques visant à influencer les populations concernées sont des aspects essentiels de la guerre hybride. Vaincre les forces d’un ennemi sur le champ de bataille ne suffit pas, en soi, à assurer la victoire.
L’IMPACT DU SPECTRE RÉVISÉ
Toute opération pourrait passer par de multiples étapes, traversant plusieurs, voire toutes les parties du spectre des conflits. La guerre en Irak, par exemple, a débuté comme une campagne militaire traditionnelle contre des forces étatiques organisées, avant d’évoluer par la suite vers une phase de contre-insurrection et une opération d’imposition de la paix visant à stopper une guerre civile en pleine expansion entre sunnites et chiites. Elle s’est finalement transformée en une mission d’assistance aux forces de sécurité pour construire la capacité de sécurité des forces gouvernementales irakiennes. Certains adversaires peuvent même employer simultanément des tactiques et modes de guerre depuis de multiples points du spectre.
Les forces américaines doivent être préparées à une évolution des opérations, parfois de manière soudaine ou inattendue, sur ce spectre, car les adversaires recherchent le mode le plus avantageux pour atteindre leurs objectifs. Les acteurs, étatiques et non étatiques, cherchent à moderniser leurs équipements et leurs tactiques militaires ainsi qu’à faire évoluer leurs capacités vers la droite de ce spectre. Les avantages historiques de l’armée américaine en matière de supériorité technologique conduisent à ce que les adversaires étatiques comme non étatiques privilégient, de leur côté, des approches irrégulières, centrées sur la population, pour résoudre les conflits dans leur sens, en retournant les populations contre les États-unis et en minant la volonté de combattre de ces derniers.
Les États-unis ont toujours été puissants sur la partie médiane du spectre, autrement dit dans la guerre conventionnelle. La partie haute du spectre, nouvelle et renvoyant aux opérations anti-a2/ad, s’est développée au fur et à mesure que les adversaires ont modernisé leurs armées et développé des approches plus adaptées face aux forces américaines. Si la partie basse du spectre existe depuis des millénaires, elle a récemment gagné en pertinence pour les forces américaines, car la supériorité des États-unis dans la guerre conventionnelle conduit leurs adversaires à privilégier des approches irrégulières comme l’insurrection et le terrorisme. La majeure partie des capacités américaines se situent au milieu du spectre et, comme ces capacités intermédiaires ne se traduisent pas nécessairement dans le haut ou le bas du spectre par A2/AD ou COIN, la capacité et la compétence des forces américaines à ces deux extrémités sont insatisfaisantes.
Les adaptations et investissements militaires des États-unis, des unités fluviales et des affaires civiles jusqu’au nouveau bombardier à long rayon d’action, se sont concentrés sur les extrémités du spectre. En quête d’économies, le DOD s’est récemment orienté vers les capacités conventionnelles de milieu de spectre. Au cours des années précédentes, l’armée de terre a par exemple réduit les capacités blindées et artillerie au profit de celles
centrées sur la COIN comme les affaires civiles ou les équipes de soutien à l’information. De véritables carences persistent toutefois aux deux extrémités du spectre. Alors que les pressions budgétaires augmentent, le processus de rééquilibrage capacitaire par l’allocation des ressources sur les deux extrémités du spectre se poursuivra, au sein de L’US Army comme des autres armées.
CE N’EST PAS UN CAS DE « MOINDRE ET INCLUS »
Pour dépasser les défis posés par des adversaires combattant en différents points du spectre, diverses capacités sont nécessaires. Les défis posés par des adversaires ayant recours à des capacités moins performantes, et donc à des approches irrégulières, ne sont pas «moindres et inclus» à ceux posés par les adversaires conventionnels plus avancés ou dotés de capacités A2/AD. La manière de conduire la guerre change d’un point de vue qualitatif au fur et à mesure que l’on se déplace vers l’extrémité « basse » du spectre. Les forces armées américaines doivent pouvoir couvrir la totalité du spectre, mais ce dernier affecte différemment les armées.
Les approches A2/AD mettent en difficulté les concepts de projection de puissance aérienne et maritime des États-unis. La marine et l’armée de l’air doivent donc concentrer l’essentiel de leurs efforts sur les opérations en environnement A2/AD. La conduite traditionnelle de la guerre contre des adversaires moins avancés apparaît largement comme «moindre et incluse» aux opérations anti-a2/ad. Les avions de chasse de 5e génération peuvent par exemple effectuer les mêmes missions que ceux de 4e génération. Il est toutefois considérablement plus onéreux d’opérer des avions de chasse de 5e génération, ce qui suggère, lorsque cela est possible, une combinaison entre aéronefs de différentes générations (high-low mix). Cela est également valable pour les navires. Armer un destroyer pour une mission de lutte contre la piraterie ou de sécurité maritime, là où une vedette ou une frégate seraient une solution acceptable, est une approche excessivement coûteuse. Combiner des capacités de niveaux haut et bas serait une manière plus efficace d’allouer la haute qualité des moyens nécessaires au petit nombre de missions, les plus difficiles, de l’extrémité haute, ainsi que la quantité nécessaire à une large gamme de possibles contingences.
Néanmoins, certaines capacités aériennes et maritimes se trouvant véritablement dans le bas du spectre et permettant de conduire des opérations de COIN, de contre-menace et de stabilisation ainsi que d’appuyer les forces au sol dans ces types de conflits sont toujours nécessaires et ne sont pas obligatoirement «moindres et incluses» aux opérations du haut du spectre. Des capacités comme les forces fluviales, les affaires civiles maritimes, les aéronefs opérés à distance Predator et Reaper, ainsi que les aéronefs légers d’attaque sont qualitativement différents des destroyers, des avions de chasse de 5e génération et des bombardiers. Si l’air Force et la Navy doivent se concentrer principalement sur les menaces A2/AD, certaines ressources doivent rester réservées aux missions de guerre irrégulière.
L’army et le Marine Corps sont confrontés à d’autres défis. À la différence des forces aériennes et maritimes qui font face aux difficultés posées par les concepts A2/AD visant à repousser les modes traditionnels de projection de puissance des États-unis, les forces au sol du pays conservent des avantages considérables face aux forces terrestres de tout adversaire. Leurs principaux défis proviennent des opérations de guerre irrégulière dans la partie inférieure du spectre et qui ne sont pas «moindres et incluses» à la guerre traditionnelle, comme nous l’avons appris en Irak et en Afghanistan. Un Marine Corps et une Army tournés principalement vers la guerre traditionnelle
Au cours des années précédentes, l'armée de terre a réduit les capacités blindées et artillerie au profit de celles centrées sur la COIN comme les affaires civiles ou les équipes de soutien à l'information. De véritables carences persistent toutefois aux deux extrémités du spectre.
contre les armées étatiques ne seront pas suffisamment compétents pour contrer, dans des phases de COIN et de stabilisation, les adversaires via des tactiques irrégulières.
Aussi bien l’army que le Marine Corps doivent avoir la capacité de conduire des opérations centrées sur la population pour stabiliser des zones rencontrant un problème de gouvernance et mettre en place les forces de sécurité des États partenaires. Et ce, tout en conservant la capacité à conduire des manoeuvres interarmes qui permettent, lors d’un conflit force contre force, de détruire des forces militaires organisées. Le fait que les opérations de stabilisation et de contre-insurrection puissent durer des années, voire des décennies, pose des défis encore plus complexes pour les forces au sol, car cela exige des rotations de personnels. La compétence en matière d’opérations de prise de terrain permet d’un autre côté aux États-unis d’achever des opérations conventionnelles en l’espace de quelques mois, voire de quelques semaines ou quelques jours. Dès lors, si les opérations conventionnelles et de Coin/stabilisation ont une même importance (puisque les campagnes conventionnelles peuvent évoluer rapidement vers la COIN), il nous faut former, équiper et concevoir la majeure partie des forces terrestres pour des opérations de COIN et de stabilisation.
Reste encore à savoir si nous sommes en mesure d’atteindre une double compétence en matière de guerre conventionnelle et de COIN en recherchant le «point idéal» entre ces deux types de guerres ou en orientant des segments de forces vers chaque type de conflit. S’il existe un point médian entre la guerre conventionnelle et la COIN, c’est la guerre « hybride » contre des acteurs non étatiques dotés d’armements avancés, opérant parmi des populations civiles et recourant dans le même temps à des méthodes de guerre irrégulière et de guerre traditionnelle. Il ne suffit pas de simplement s’entraîner et s’équiper pour le combat contre des armées conventionnelles, car les opérations de stabilisation et de COIN n’en sont pas des «moindres et incluses». Toutefois, les menaces hybrides recourant à des moyens traditionnels comme irréguliers, il est nécessaire, pour les contrer, de mettre en oeuvre simultanément des approches centrées sur la population et des engagements directs force contre force. Une force terrestre centrée sur l’hybride, capable de détruire les forces ennemies et d’influencer les populations, pourrait être en mesure de combattre à la fois dans le haut et dans le bas du spectre en conduisant des opérations conventionnelles et de COIN.
CLARIFIER LE LEXIQUE
Pour que les professionnels militaires et civils de la défense communiquent de manière significative entre eux, la terminologie employée doit être claire. Des termes comme « haute intensité » sont trompeurs et prêtent à confusion. Il faut donc y renoncer. Se référer aux phases de contre-insurrection de la guerre en Irak et en Afghanistan – prolongées, sanglantes et coûteuses – comme étant « de basse intensité », que ce soit en termes d’effort ou de degré de violence, est simplement dénué de sens.
Un spectre distinguant les opérations militaires uniquement selon le niveau d’effort n’est pas utile, car il ne met pas en évidence les différences qualitatives essentielles entre la COIN, la guerre hybride, la guerre conventionnelle et les opérations anti-a2/ AD. Un spectre se déclinant en termes d’échelle et de degré de sophistication des capacités adverses est plus raisonnable et utile pour décrire la manière dont différents types de conflits, de la COIN à la guerre hybride et aux environnements A2/ AD, affectent les forces américaines. Ces opérations exigent des capacités, des modes et des concepts d’opération différents. Les forces armées américaines ont été puissantes historiquement dans la guerre conventionnelle de milieu de spectre, mais les capacités ne se traduisant pas suffisamment vers le haut ou le bas du spectre, le DOD en aplatit la courbe. Le Département a augmenté les investissements destinés aux extrémités haute (A2/AD) et basse (COIN) du spectre et, dans la mesure où les contraintes budgétaires exigent des compensations, il a pris des risques dans la partie médiane.
Les pressions budgétaires croissantes diminuent les ressources tandis que la poursuite par de potentiels adversaires de la modernisation de leurs capacités A2/AD et l’instabilité régnant dans les régions rencontrant un problème de gouvernance continuent à représenter une menace pour les intérêts des États-unis. Face à cette situation, le rééquilibrage de la force doit se poursuivre.
Un spectre se déclinant en termes d'échelle et de degré de sophistication des capacités adverses est plus raisonnable et utile pour décrire la manière dont différents types de conflit, de la COIN à la guerre hybride et aux environnements A2/AD, affectent les forces américaines.
* Article initialement paru dans Military Review, novembredécembre 2012, reproduit avec son aimable autorisation. Les opinions exprimées sont propres à leur auteur.
Notes
(1) Department of Defense, Quadrennial Defense Review
(février 2010), 8-9, consultable à l’adresse <http://www.defense.gov/qdr/images/qdr_as_of_12feb10_1000.pdf>.
(2) Chairman of the Joint Chiefs of Staff, Joint Publication 3-0, Joint Operations (22 mars 2010), I-8, consultable à l’adresse <http://www.fas.org/irp/doddir/dod/jp3_0.pdf>.
(3) Department of Defense (DOD), DOD Directive 3000.07, Irregular Warfare (IW) (1er décembre 2008), p. 11, consultable à l’adresse <http://www.dtic.mil/whs/directives/corres/ pdf/300007p.pdf>.
(4) Ibid., 11.
(5) Pour un bref aperçu, voir Frank Hoffman, « Hybrid Warfare and Challenges », Joint Force Quarterly, no 52 janvier 2009, p. 36.