COMMENT « SENTINELLE » A ÉVOLUÉ POUR FAIRE FACE AU LONG TERME
Romain MIELCAREK
«Sentinelle», c’est l’opération déployée à la suite de l’attaque contre Charlie Hebdo, pour faire face à la plongée du pays dans le terrorisme. Mais c’est aussi l’opération qui a usé les troupes françaises, notamment au sein de l’armée de Terre. La volonté politique du gouvernement n’a pourtant pas cillé. «Sentinelle» opérera tant que la menace durera. Autrement dit, longtemps. Il a donc fallu faire évoluer le dispositif pour gagner en efficacité, réduire les impacts négatifs de cette mission sur les capacités militaires françaises et trouver des solutions pour mieux employer les savoir-faire propres aux armées. Il n’est pas dit pour autant que tous les défis aient été relevés.
Si « Sentinelle » s’est imposée dans le paysage français, l’opération a été initialement déployée en réponse aux attaques contre Charlie Hebdo, l’hypercacher et une policière municipale, en janvier 2015. Rapidement, 10412 militaires sont mobilisés, dont environ 6 000 en Île-de-france. Ils sécurisent les lieux de culte, les lieux touristiques et les sites stratégiques qui pourraient faire l’objet d’attaques terroristes. D’abord majoritairement fixe, la mission gagne en mobilité à partir d’avril 2015, pour éviter que les hommes ne s’épuisent mentalement et ne soient trop facilement visés. Un temps réduite, elle remonte très vite à ce niveau lors des attaques à Paris, en novembre de la même année.
L’opération «Sentinelle» annonce sur le site du ministère des Armées la mobilisation de « 10 000 soldats, dont 3 000 en réserve » sur le territoire national « pour défendre et protéger les Français ». Son actualité est marquée par des interventions sur des faits divers, des interactions avec les populations lors d’événements festifs ou sportifs et, plus sporadiquement, par le drame de suicides sur lesquels on évite de s’appesantir. Sans être spécialement liés à la mission, ces derniers la marquent d’un sceau sinistre du fait des titres repris dans toute la presse. Ainsi, les débats qui ont marqué les deux premières années de cette mission relèveraient presque aujourd’hui du passé. « Sentinelle » s’est imposée aux routines et ne génère plus guère de discussions.
Si « Sentinelle » a exigé de fortes adaptations, c’est parce que cette opération a fait l’objet de nombreuses critiques. De commission parlementaire en audition de chef militaire, de colloque scientifique en polémique médiatique, elle a été au coeur d’échanges houleux.
UNE MISSION DÉCRIÉE
Pourtant, si « Sentinelle » a exigé de fortes adaptations, c’est parce que cette opération a fait l’objet de nombreuses critiques. De commission parlementaire en audition de chef militaire, de colloque scientifique en polémique médiatique, elle a été au coeur d’échanges houleux. En public, ceux qui étaient déployés ont été nombreux à décrire des dysfonctionnements que la hiérarchie a peiné à expliquer. En fond, l’opposition politique – de quelque bord qu’elle soit – s’est
appliquée à instrumentaliser ce dossier complexe pour saper le travail d’un gouvernement en mal d’arguments fins et précis pour convaincre du bien-fondé de ce dispositif.
Première critique, l’une des plus inquiétantes, la mission «Sentinelle» entraîne du fait des effectifs déployés un fixage important des troupes françaises, qui pourraient pourtant être utiles sur d’autres fronts face aux groupes terroristes. Le chercheur Élie Tenenbaum l’écrivait en juin 2016 : « L’armée de l’air et la Marine jouent un rôle central dans la mise en oeuvre des postures permanentes de sécurité aérienne et de sauvegarde maritime qui garantissent la protection des approches. Ces missions mobilisent quotidiennement 1400 marins et 900 aviateurs, soit environ 4% des effectifs de la Marine et 2% de ceux de l’armée de l’air. Les missions intérieures actuelles n’occupent en revanche pas moins de 10 000 hommes de l’armée de Terre, soit 10 % des effectifs et 15 % des forces opérationnelles (1) ».
C’est notamment au sein de l’armée de Terre que l’on a dû s’interroger sur les effets de cette opération. Les hommes ont souvent été obligés de sacrifier des permissions ou des périodes d’entraînement pour pouvoir être mobilisés sur «Sentinelle». Le moral des soldats, parfois déployés en boucle sur cette mission, en pâtit. D’autant plus que certains n’y trouvaient plus le sens pour lequel ils s’étaient engagés dans les forces, comme ce militaire qui témoignait à la même époque de sa frustration : « La mission est ce qu’elle est, mais j’ai l’impression d’être dame pipi pour touristes, voire adjoint de sécurité. (2) »
Seconde critique majeure : les militaires en «Sentinelle», notamment les patrouilles statiques gardant des lieux religieux, sans bouger pendant plusieurs heures, étaient devenus autant de proies évidentes pour les terroristes qui chercheraient des cibles à haute valeur ajoutée. Au-delà de ces attaques à proprement parler, les militaires se sont également retrouvés pris dans diverses formes d’échauffourées : insultes, menaces, provocations, accrochages avec des manifestants ou des individus agressifs dans certains quartiers difficiles. Des situations parfois difficiles à appréhender pour des hommes qui n’ont pas toujours été formés à certaines de ces problématiques.
Malgré ces critiques, le gouvernement n’a à aucun moment envisagé de renoncer à « Sentinelle ». Ce choix, imposé par le pouvoir politique, a réclamé de la hiérarchie militaire qu’elle monte au créneau pour défendre l’opération et qu’elle réfléchisse comment l’adapter au mieux. Les principaux défis qui se sont imposés ont alors été de maîtriser les effets négatifs, notamment l’exposition des hommes aux menaces et l’usure morale des troupes. Il a également fallu trouver quelles plus-values concrètes les militaires pouvaient apporter, avec des savoir-faire et des savoir-être qui leur sont propres. C’était une conclusion importante du rapport d’information de la commission de la Défense nationale et des Forces armées de l’assemblée nationale publié à un moment de forts débats sur le sujet, en 2016 (3).
RYTHME DE CROISIÈRE
Progressivement, en 2017, les effectifs déployés sur « Sentinelle » ont été réduits en volume. Désormais, ils seraient 5 000 hommes en moyenne sur le terrain. L’effectif précis reste sujet à discrétion, pour « éviter les comparaisons absurdes » explique-t-on à la communication de l’état-major des Armées (EMACOM). Ce premier échelon
Les principaux défis qui se sont imposés ont alors été de maîtriser les effets négatifs, notamment l’exposition des hommes aux menaces et l’usure morale des troupes. Il a également fallu trouver quelles plus-values concrètes les militaires pouvaient apporter, avec des savoir-faire et des savoir-être qui leur sont propres.
peut rapidement être renforcé par une alerte à 24 heures et par une autre à 72 heures. Les troupes attribuées à ces dernières poursuivent leurs propres activités, en régiment ou à l’entraînement, avec comme seule contrainte de pouvoir rapidement passer à l’action. Pour la première alerte, il faut donc globalement rester dans les garnisons. « La nouvelle organisation de “Sentinelle” nous a permis une bouffée d’oxygène tant au niveau de la remise en condition des personnels qu’au niveau de la préparation opérationnelle », estime malgré cela le colonel Stéphane, chef du centre de conduite de l’état-major opérationnel Terre au Commandement des Forces Terrestres (CFT) de Lille. Un deuxième échelon de «renforcement planifié » est mobilisable en fonction des besoins liés à l’actualité. Il peut s’agir d’événements divers, culturels ou sportifs notamment, qui comporteraient un risque accru d’attaque terroriste. Les effectifs demandés en de telles occasions sont récupérés dans les moyens prévus pour les alertes à 24 et 72 heures. À chaque fois, ce sont les préfectures qui formulent ces différents besoins, en cohérence avec les autres acteurs de la sécurité, publics comme privés. Enfin, un troisième échelon dit de «réserve stratégique» permet de déployer 3 000 hommes pour faire face à une situation de crise majeure.
Les difficultés logistiques semblent avoir été réglées dans leur majorité. À L’EMA, on assure ainsi qu’aujourd’hui, 100% des militaires de «Sentinelle» sont logés dans des casernements « de catégorie 1 ». C’està-dire ? « À partir du moment où ce n’est pas un grand hangar, c’est bon, précise-t-on. Mais ça peut être un peu plus rustique pour l’échelon de manoeuvre. » Il est effectivement devenu rare de trouver des militaires dénonçant les conditions de vie qui avaient pu être observées au début de l’opération même si, nous confie un soldat récemment déployé, la majorité continue à se plaindre d’hébergements de piètre qualité et de petits déjeuners désuets.
Malgré ces désagréments persistants, qui ne sont finalement pas spécifiques à « Sentinelle », un nombre croissant de militaires semble s’être acclimaté à la mission. Pour le colonel Stéphane, c’est devenu une part du quotidien normal de tout soldat : « Pour avoir été récemment chef de corps, explique-t-il, je peux vous dire que la plupart des candidats ont intégré cette opération dans leurs motivations. C’est entré dans les moeurs de nos jeunes ». Un discours que l’on ne trouve pas aussi optimiste dans les rangs, notamment chez les aînés, comme en témoigne un sous-officier en unité de combat, très sceptique sur cette opération : « En haut, on n’a pas le choix de remettre en cause la mission dans l’esprit ou la lettre, car se prendre la tête avec son chef est… compliqué pour un officier. En bas, les anciens en ont marre de la mission et des jeunes sont recrutés pour “Sentinelle”. Ils font leurs quatre “Sentinelle” et puis partent. »
Quoi qu’il en soit, les instructions spécifiques à cette mission ont été en partie intégrées aux différents cursus initiaux, comme le note le lieutenant-colonel Thierry, chef de la cellule «territoire national» au bureau programmation de « Sentinelle » : « Cela fait trois ans que la mission dure, donc certains modules sont intégrés dans la formation initiale à tous les niveaux. » De même pour les réservistes, dont les premiers déployés péchaient régulièrement au niveau des heures consacrées au cours de TIOR (Techniques d’interventions Opérationnelles Rapprochées).
La fourniture d’équipements adaptés a progressé, avec une partie qui relève du niveau régimentaire et une partie qui se perçoit lors des relèves. Les gilets pare-balles sont en cours de remplacement dans les unités par des protections individuelles baptisées
Les gilets pareballes sont en cours de remplacement dans les unités par des protections individuelles baptisées « SMB », pour Structure Modulaire Balistique. Celles-ci permettent d’adapter le niveau de protection avec des kits qui peuvent être facilement allégés ou durcis.
« SMB », pour Structure Modulaire Balistique. Celles-ci permettent d’adapter le niveau de protection avec des kits qui peuvent être facilement allégés ou durcis, notamment pour alléger les patrouilleurs qui parcourent régulièrement entre 15 et 20 kilomètres par jour. Il faudra cependant être patient, car la priorité reste pour l’instant accordée aux opérations extérieures et rares sont les militaires sur « Sentinelle » à avoir perçu ces SMB. La gamme des véhicules légers est elle aussi en renouvellement, alors que l’armée de Terre doit commencer à percevoir tout au long de
2018 ses premiers VT4 (de son vrai nom VLTPNP, pour Véhicule Léger Tactique Polyvalent Non Protégé), les remplaçants de la bonne vieille P4, pour faire face au manque d’ergonomie des Land Rover Defender souvent employés dans cette mission.
Enfin, la question des incivilités et des agressions prenant pour cible des militaires de « Sentinelle » reste d’actualité. À L’EMACOM, on assure ne pas tenir de statistiques sur le sujet. « Nous avons arrêté de compter, nous assure-t-on. Ce n’était pas significatif. Je n’ai pas non plus le nombre de plaintes. » « Les incivilités continuent, admet le colonel Stéphane du CFT. Il y a un vrai suivi et le dépôt de plainte est systématique. » Des difficultés qui relèveraient majoritairement de l’inconfort pour les soldats qui y sont exposés, comme le décrit un militaire récemment déployé dans le sud de la France : « Ça provoque, mais jamais plus. Il faut juste mettre de côté son ego et son envie de cogner. » Des affrontements de volontés qui frôlent malgré tout occasionnellement le drame : « Une fois, un soldat a été obligé de raquer [NDLR : de mettre une munition en chambre de son arme] pour faire comprendre à une vingtaine de jeunes que c’était la fin de la récré. »
TROUVER LE BON ÉQUILIBRE
S’il y a bien un axe sur lequel les progrès semblent tout à fait concrets, c’est la capacité des Armées à travailler avec les forces de sécurité intérieures. Au bout d’un peu plus de trois ans de «Sentinelle», les uns et les autres ont appris à travailler efficacement ensemble. En ce qui concerne les Armées, le Centre de Planification et de Conduite des Opérations (CPCO) dispose d’un bureau J3opérations affecté au théâtre national qui tourne en permanence. Le Commandement des opérations terrestres emploie lui une dizaine d’officiers supérieurs affectés à «Sentinelle», répartis entre Lille et Paris. C’est notamment là que l’on attribue les tours aux différentes unités, avec une planification pour le premier échelon qui porte jusqu’à fin 2019. Un travail de gestion réalisé à travers un dialogue permanent avec les autorités civiles, et notamment les préfets de zones. « Notre but, c’est de mettre à disposition les personnels dans les temps impartis », résume-t-on au CFT.
Les échanges sont désormais très fluides, assure-t-on à Lille. Militaires, policiers et gendarmes ont appris à travailler en gérant les compétences et les autorités respectives. « Même au plus bas niveau, précise le lieutenant-colonel Thierry, c’est entré dans les habitudes. Les officiers de l’armée de Terre ont appris à connaître les commissaires ou les officiers de gendarmerie. »
Les réservistes offrent une marge de manoeuvre complémentaire, qui reste variable en fonction des périodes de l’année. En moyenne, en 2017, ils ont été 600 par jour sur les rangs, avec d’importants pics l’été et pendant les vacances scolaires, les étudiants restant un vivier important. En plus d’alléger le dispositif pour l’active, les réservistes ont comme intérêt d’être beaucoup plus volontaires pour cette mission qui leur apporte une application concrète pour leur entraînement, comme en témoigne l’un d’entre eux : « Les gars d’active se plaignent globalement plus. Ils ne sont pas là par choix, ils subissent la mission. Le réserviste, lui, est au taquet. “Sentinelle”, c’est LA mission pour un jeune réserviste. » La communication autour de l’opération « Sentinelle » reste un véritable enjeu d’influence, comme l’écrivait dès 2016 le chef d’état-major de l’armée de Terre, le général Jean-pierre Bosser, qui positionnait cette mission sur le champ de bataille symbolique. Il insistait sur le « champ physique dans lequel s’affrontent nos capacités militaires respectives, principalement au plus loin dans le cadre des opérations extérieures, mais également sur le territoire national à travers, notamment, l’opération “Sentinelle”. Dans ce champ, il est aisé de visualiser la combinaison du renforcement de soi et de l’affaiblissement de l’autre (4) ». Le renforcement de soi, c’est l’image d’une société protégée par des hommes en armes dévoués à sa sécurité. L’affaiblissement de l’autre, c’est celle de terroristes abattus par ces mêmes hommes. Une mise en récit qui a parfois été compliquée par les attaques visant des militaires en patrouille, notamment le 9 août 2017 lorsqu’un agresseur a blessé six militaires à Levallois-perret en les renversant avec sa voiture. Faute d’incidents significatifs dans l’actualité, la communication sur cette opération s’est stabilisée. Chaque général commandant une région militaire dispose de son propre officier qui fait remonter la matière exploitable à L’EMA. Le sujet reste complexe à mettre en nuance, pour éviter de donner la fausse impression que les militaires sont la solution à tous les problèmes, tout en valorisant le travail accompli. À L’EMACOM, on résume ainsi cette difficulté : « Le but, c’est d’expliquer l’opération. La difficulté, c’est de faire comprendre la cohérence de l’ensemble du dispositif. “Sentinelle” n’est pas plus utile que
Militaires, policiers et gendarmes ont appris à travailler en gérant les compétences et les autorités respectives. « Même au plus bas niveau, précise le lieutenant-colonel Thierry,
c’est entré dans les habitudes. Les officiers de l’armée de »„
Terre ont appris à connaître les commissaires ou les officiers de gendarmerie.
“Barkhane”. C’est un ensemble. Beaucoup de faux procès ont été faits à “Sentinelle”. Le défi pour le communicant, c’est d’expliquer que les militaires savent faire, mais qu’ils ne sont pas les seuls à savoir le faire. »
DES DÉFIS NON RÉSOLUS
Le rapport parlementaire de juin 2016 cité au début de cet article soulevait une question qui reste cruciale et qui semble insuffisamment traitée : quels sont les savoir-faire fondamentalement militaires que «Sentinelle» peut apporter à la sécurisation du territoire? Exemple concret : la fourniture de moyens NRBC (Nucléaire, Radiologique, Biologique, Chimique) en cas d’attentat recourant à des armes sales. Sur le sujet, le Commandement des forces terrestres de Lille préfère rester discret et refuse de donner des détails sur les solutions éventuellement étudiées et/ou envisagées.
À l’époque, les parlementaires s’étaient également interrogés sur la possibilité pour les militaires de déployer des moyens durcis. Les armées disposent en effet de véhicules blindés auxquels les forces de l’ordre ne peuvent recourir qu’en de très rares occasions. Était notamment évoquée l’idée de monter des patrouilles « Sentinelle »… sur Véhicules Blindés Légers (VBL). Une proposition qui laisse songeur à L’EMA : « Ce serait absurde, nous rétorque-t-on à Balard. Cela a été pris en compte, mais les VBL ne sont pas faits pour rouler en ville. » Pas question donc d’envisager des véhicules plus militarisés que les gammes actuellement utilisées. Un tel déploiement serait, selon notre interlocuteur, beaucoup trop anxiogène pour les populations. Certaines compétences, réservées aux forces de l’ordre sur le territoire national, auraient également pu être enrichies par les expériences des Armées.
Certaines compétences, réservées aux forces de l’ordre sur le territoire national, auraient également pu être enrichies par les expériences des Armées. En matière de renseignement, par exemple, les militaires restent contraints.
En matière de renseignement, par exemple, les militaires restent contraints. Pas question de contrôler des identités, de réaliser des fichages ou une veille précise des individus et véhicules qui circuleraient aux abords de points sensibles, sous protection de «Sentinelle». Les militaires ne peuvent que faire des comptes rendus ou demander à la police d’intervenir, cette dernière étant seule habilitée pour agir dans ces domaines. Les militaires déployés sur « Sentinelle » font tout de même remonter les différents éléments observés, même s’ils n’en voient pas toujours les fruits. Un familier de ces problématiques le regrette : « La remontée du bas vers le haut et de l’armée de Terre vers [le ministère de] l’intérieur marche bien avec une remontée des plaques, des signalements d’individus, des photos. Après, comme toujours dans le renseignement, le retour sur informations du haut vers le bas, c’est plus dur. Pour le mec en unité proterre, il est compliqué de savoir si le rens’ qu’il a eu a été efficace ou non. » Certains officiers, notamment au sein du cabinet du précédent ministre de la Défense, avaient par ailleurs commencé à plancher sur l’hypothèse d’une habilitation des officiers des Armées comme «OPJ», officiers de police judiciaire, justement pour pallier cette dépendance aux forces de l’ordre. Ses défenseurs estimaient qu’une telle solution faciliterait la mission des militaires et augmenterait leur efficacité sur le terrain. À condition que l’on estime que cela relève bel et bien de leur travail. Une idée qui semble d’ailleurs avoir totalement été laissée de côté et qui fait grincer des dents dans les états-majors. À L’EMA, on rappelle la priorité dans les réflexions et les pratiques de «Sentinelle» : « Pas de mélange des genres. »
La prospective à plus long terme, pour apporter de réelles innovations quant à ce que peuvent proposer les Armées, reste très discrète. Les échanges restent cloisonnés et rares sont les acteurs au sein de l’institution à pouvoir fournir des éléments concrets de réflexion à ce sujet. C’est d’autant plus dommageable que l’opération «Sentinelle» en particulier, et les capacités militaires sur le territoire national plus largement, mériteraient d’être mises plus largement en débat : qu’at-on à offrir au ministère des Armées comme plus-values, au-delà d’aligner des fantassins dans les rues? De quoi ont besoin les forces de l’ordre, outre l’apport de quelques milliers d’hommes supplémentaires? Quelles osmoses poursuivre pour assurer aux Français une sécurité réellement améliorée ? Au détour d’une conversation, on nous laissera comprendre que les militaires auraient certainement des propositions à faire dans les domaines de la cybersécurité, des moyens de santé d’urgence, de la protection NRBC ou encore de la sécurité maritime. Oui, mais pour quoi faire?
Notes
(1) Élie Tenenbaum, « La Sentinelle égarée? L’armée de Terre face au terrorisme », Focus stratégique, no 68, juin 2016. (2) Romain Mielcarek, « Sentinelle, une opération plus politique que stratégique? », Défense & Sécurité Internationale, hors-série no 49, août-septembre 2016.
(3) Olivier Audibert Troin et Christophe Léonard, « Rapport d’information sur la présence et l’emploi des forces armées sur le territoire national », Assemblée nationale, Rapport d’information no 3864, 2016.
(4) Jean-pierre Bosser, « Combattre là-bas pour nos valeurs, vaincre ici par nos valeurs », Le Monde, 21 mars 2016.