COMBAT DE NUIT : LES JUMELLES DE VISION NOCTURNE Emmanuel VIVENOT
COMBAT DE NUIT
LLa nuit a toujours été un problème pour les combattants, qu’ils opèrent dans les airs, en mer ou à terre. Jusqu’à la Deuxième Guerre mondiale, les obus éclairants de l’artillerie et les phares de recherche ont dominé les moyens d’aide à la manoeuvre, avec pour inconvénient majeur le fait qu’ils révélaient les positions des protagonistes. Par conséquent, combattre de nuit diminuait sérieusement les possibilités tactiques et était à éviter autant que possible.
Le progrès technologique aidant, l’apparition des jumelles de vision nocturne parmi les accessoires du combattant débarqué a marqué un tournant dans le combat de nuit puisqu’elles permettent d’opérer sans éclairage visible, par des nuits de plus en plus sombres. Dans l’armée française, le niveau de lumière d’un terrain possède d’ailleurs sa propre classification : une obscurité de niveau 5 correspond à une nuit sans lune avec une météo défavorable absorbant le peu de lumière résiduelle et hors zone habitée, dont l’éclairage diffus fait fréquemment gagner un niveau. Une nuit de niveau 1 figure parmi les nuits les plus claires que l’on puisse trouver à la surface du globe, avec une pleine lune par temps clair. Ces conditions sont liées à de nombreux paramètres influant sur la présence et la diffusion de la lumière : la lumière de la nuit est toujours indirecte par nature, puisqu’elle est réfléchie par les objets célestes vers la face non éclairée de la Terre. L’humidité, l’altitude et la densité de l’air, entre autres, déterminent la façon dont l’atmosphère va jouer son rôle de diffuseur de lumière dans la zone d’opérations.
L’optronique destinée à la vision de nuit se divise en deux catégories : les optiques dites thermiques (Forward Looking Infra Red, ou FLIR), qui détectent les variations dans le spectre infrarouge et dont les contraintes (notamment en masse, en volume et en alimentation électrique) les ont longtemps cantonnées à une utilisation sur trépied ou sur véhicule au niveau collectif; et les optiques basées sur l’intensification de la lumière ambiante, communément appelées Jumelles de Vision Nocturne (JVN), qui permettent de se déplacer et de combattre de nuit ou en zone peu éclairée, comme à l’intérieur des bâtiments ou dans les tunnels, les grottes et les sous-sols des zones urbaines. Ce sont ces dernières que nous abordons dans cet article, et l’on peut dire que c’est l’évolution technologique qui a favorisé la généralisation des opérations nocturnes.
L’utilisation de JVN est devenue un enjeu majeur des armées actuelles, car elles leur donnent dès le départ une supériorité tactique écrasante sur tout adversaire qui n’en est pas équipé, ce qui est le cas de la grande majorité des groupes terroristes et acteurs non étatiques actuels, même si des rapports démontrent que certains d’entre eux commencent à en être dotés. Nous verrons plus
L’utilisation de JVN est devenue un enjeu majeur des armées actuelles, car elles leur donnent dès le départ une supériorité tactique écrasante sur tout adversaire qui n’en est pas équipé, ce qui est le cas de la grande majorité des groupes terroristes et acteurs non étatiques actuels.
Photo ci-dessus :
Un soldat teste ses JVN avant une patrouille en Irak. (© US Army)
bas que porter des JVN ne fait pas tout, tant les performances varient d’une génération d’appareil à l’autre, et que ce type d’équipement a ses propres contraintes (logistique de l’alimentation électrique et maintenance, car ce sont des outils de très haute technologie utilisés dans des conditions dégradées).
HISTOIRE DE L’INTENSIFICATION DE LUMIÈRE
L’invention de l’intensification de lumière remonte à 1929 : le physicien hongrois Kalman Tihanyi développa une caméra de télévision sensible aux infrarouges destinée à la détection au profit de la défense aérienne britannique. La cavalerie fut la deuxième arme à bénéficier de moyens de vision nocturne : la firme allemande AEG conçut les premières JVN en 1935, qui furent introduites au sein de la Wehrmacht en 1939. Le Sperber FG 1250 incorporait une lampe infrarouge d’une portée de 600 m et fut testé sur les chars Panther entre fin 1944 et mars 1945. Une cinquantaine de chars en furent équipés au niveau du poste du chef de char, et furent engagés dans différentes batailles, tant sur le front de l’est qu’en Europe occidentale. En face, les Soviétiques avaient développé un système similaire, le PAU-2, testé à partir de 1942. Vint ensuite l’infanterie avec le Vampir, une optique de vision nocturne montée sur le Sturmgewehr 44. Les Américains développèrent de leur côté des systèmes équivalents, les optiques M1 et M2, introduites au sein de
La seconde génération (GEN 2) d’optiques passives fut introduite au cours des années 1970 : L’AN/PVS-3 Miniaturized apparut en 1971, suivie l’annéed’aprèsparl’an/pvs-4 Individual Weapon Sight puis par L’AN/PVS-5, qui devint la JVN de dotation standard pour les troupes américaines jusque dans les années 1990.
L’US Army durant la Deuxième Guerre mondiale, puis la M3 pendant la guerre de Corée. Elles étaient basées sur un système actif avec une illumination infrarouge, et leur rôle était d’augmenter les capacités d’observation et de ciblage des tireurs d’élite. Toutes ces optiques actives forment avec la PNV-57A soviétique, la SU49/PAS-5, la T-120 Sniperscope ainsi que L’AN/PAS-4 introduite au Vietnam, la génération zéro (GEN 0) des optiques de vision nocturne. Au combat, les premiers moyens de vision nocturne ont été employés pendant la Deuxième Guerre mondiale. Leur utilisation s’est ensuite répandue durant les guerres de Corée puis du Vietnam, au cours de laquelle apparut la première génération (GEN 1) d’appareils passifs, dérivés des systèmes précédents et améliorés afin d’être utilisables sans éclairage infrarouge additionnel. La nouvelle photocathode S-20 amplifiait la lumière avec un ratio d’environ 1000 fois et ses inconvénients résidaient dans le fait qu’elle nécessitait la présence de la lune (qui, d’un point de vue purement physique, peut être considérée comme une sorte de gigantesque réflecteur de lumière solaire) et dans la taille imposante des appareils, peu pratiques pour le combat débarqué. La durée de vie des tubes était assez limitée, avec un cycle de vie d’environ 2000 h. Les fantassins américains montaient les AN/PVS-1 et AN/PVS-2 sur leurs M-16A1 pour viser en pleine nuit, tandis que les pilotes de chars nord-vietnamiens disposaient des PNV-57E d’origine soviétique, conçues également pour les pilotes d’hélicoptères (elles étaient en dotation standard pour les équipages de Mi-24 Hind), les marins et les pilotes de divers blindés. Du côté américain, les forces spéciales du MACV-SOG furent dotées de SU49/PAS-5, puis de SU50/PAS-6 Varo Metascope à partir de 1969. Lourdes et volumineuses, elles étaient utilisées en même temps qu’une lampe infrarouge AN/PAS-8 montée sur l’arme individuelle, et entrèrent en dotation au sein de la 46e compagnie de forces spéciales thaïlandaises, tandis que les forces spéciales américaines l’utilisèrent aussi lors du raid sur Son Tay en 1970.
La seconde génération (GEN 2) d’optiques passives fut introduite au cours des années 1970 : L’AN/PVS-3 Miniaturized apparut en 1971, suivie l’année d’après par L’AN/PVS-4 Individual Weapon Sight puis par L’AN/PVS-5, qui devint la JVN de dotation standard pour les troupes américaines jusque dans les années 1990. Cette dernière marqua l’introduction de l’autogate, un système permettant à la JVN de se couper automatiquement en cas d’éclairage intense afin de protéger les tubes d’intensification et les yeux du combattant. Chez les Soviétiques, la PNV-10T équivaut à la GEN 2 occidentale, amplifiant 20000 fois la lumière ambiante et permettant alors une utilisation dans des obscurités plus profondes qu’auparavant, notamment les nuits sans lune. La résolution, le rapport signal/bruit et la fiabilité générale furent améliorés. Les tubes de GEN 2 avaient une durabilité un peu plus élevée, avec 2 500 h pour les premiers et jusqu’à 4 000 h pour ceux introduits plus tard.
La troisième génération (GEN 3) de JVN marqua une rupture technologique avec l’utilisation de photocathodes à l’arséniure de gallium, accroissant encore la résolution et l’amplification dans une fourchette allant de 30000 à 50000 fois la lumière ambiante. Ces
appareils devinrent également plus compacts et plus légers. En revanche, leur consommation électrique dépassait celle des appareils de GEN 2, faisant émerger la problématique des batteries nécessaires au combattant sur le terrain. La durée de vie des tubes a sérieusement augmenté avec la GEN 3, portant le cycle de vie à plus de 20 000 h. Les binoculaires AN/PVS-7 et l’optique de visée AN/PVS-10, en dotation au sein de L’US Army et de L’USMC, ont progressivement laissé la place au monoculaire AN/PVS-14, initialement expérimenté par L’USSOCOM.
Au sein de L’US Air Force et de L’US Army Air Corps, L’AN/PVS-5 fut jugée trop dangereuse pour le pilotage et fut remplacée par L’AN/ AVS-6 Aviator Night Vision (ANVIS) à partir de 2002. L’ANVIS fut la première JVN spécifiquement développée pour le pilotage d’aéronefs : dotée de verres d’une qualité supérieure, elle offre une meilleure visibilité, une amplification plus élevée et un poids réduit, tout en permettant de lire les cartes. Elle fut ensuite complétée par L’AN/AVS-7 puis par L’AN/AVS-9.
Pour se rendre compte de la visibilité sous AN/PVS-5, il faut savoir que ce type de JVN permet de distinguer des formes jusqu’à 50 m de distance avec la seule lumière des étoiles, distance qui ne grimpe qu’à 150 m avec éclairage lunaire. L’AN/PVS-15 est une JVN binoculaire étanche, apte aux opérations amphibies et en dotation chez les SEAL de L’US Navy ainsi que dans les unités spéciales alignant des plongeurs offensifs. L’AN/PVS-18 est une amélioration du monoculaire AN/PVS-14 suivant la même démarche, également en dotation chez les nageurs de combat.
LES JVN À TRAVERS LE MONDE
Si les Américains sont en pointe de la recherche dans le domaine des JVN, ils sont loin d’être les seuls fournisseurs des armées occidentales. Les Russes ont évidemment développé leur propre gamme d’optroniques : la JVN de GEN 3 en service est la PN-21K, qui est un monoculaire utilisé de la même manière que L’AN/PVS-14, monté sur casque ou directement sur l’arme, parfois en tandem avec un point rouge PDN-3, monté sur les carabines Tigr et Vepr, sur le fusil à pompe automatique Saïga ou sur rail Picatinny. Différence notable avec son homologue américain, le PN-21K peut se monter en double sur un support de casque de manière symétrique pour former alors une JVN binoculaire.
De même génération, la lunette PN-16K est destinée à être montée sur les armes individuelles du fantassin, et dispose d’une lampe infrarouge ainsi que d’un autogate. Elle est souvent utilisée en tandem avec un red dot Rakurs sur AK-74 et sur SVD Dragunov. D’autres modèles sont également en service, tels que les PN-22K ainsi que la 1PN114, tous deux montés sur arme d’assaut ou de précision. Par ailleurs, plusieurs pays d’europe ont également développé leurs propres capacités
Les Russes ont évidemment développé leur propre gamme d’optroniques : la JVN de GEN 3 en service est la PN-21K, qui est un monoculaire utilisé de la même manière que L’AN/PVS-14.
industrielles dans le domaine des JVN : en France, la JVN de dotation est L’OB70 Lucie, fabriquée par Thales pour remplacer l’ancienne OB64 Ugo. La Lucie est une optronique équivalente aux GEN 3 dans la classification américaine. Le programme FELIN intègre une nouvelle JVN, la Minie-d, elle aussi fabriquée par Thales et commandée à 14000 exemplaires en 2010, tous livrés en 2015. La Minie-d est plus légère que L’OB70 et peut également être montée sur le FAMAS FELIN. Ce dernier peut recevoir une visée à intensification de lumière, la Sagem FAMAS IL, et une imagerie thermique baptisée FAMAS IR permettant de détecter une forme humaine à 600 m. Pour les tireurs de précision, le programme prévoit l’acquisition de la lunette IR Sagem FRF2 à double canal pour le tir diurne et nocturne. En mars dernier, la DGA lançait un appel d’offres pour l’acquisition d’une future JVN baptisée Bi Nyx et dont le marché concerne 10 000 exemplaires, à livrer sur une période de huit ans.
Une filiale de Thales, Qioptiq, fabrique une gamme de JVN pour la British Army : la Kite II a été retenue dans le cadre du programme Future Integrated Soldier Technology (FIST) et, d’ici à son implémentation complète, tous les fantassins britanniques sont dotés d’un monoculaire Head Mounted Night Vision System fourni par ITT Corporation. Avec le FIST, chaque équipe de quatre fantassins sera dotée de deux Kite Common Weapon Sight et de deux imageries thermiques Viper de chez Qioptiq, en sus de la JVN de tête. Les fantassins armés de SA80 disposeront d’une lunette ×3 à intensification de lumière Vipir TI pour l’acquisition de cible entre 400 et 600 m. La Vipir-2 TI s’adresse à tous les tireurs dotés d’armes en 5,56 mm, 7,62 mm et 12,7 mm pour l’acquisition de cibles jusqu’à 1200 m. Les tireurs d’élite se voient proposer la S-vipir 2+ à monter devant leur optique Schmidt & Bender, efficace jusqu’à 1500 m.
En Suède, c’est Theon Sensors qui fournit les JVN de l’armée suédoise depuis 2011 avec le NX-122 Modular Night Vision Monocular. La Norvège est loin d’être en reste avec le constructeur Simrad, réputé pour ses FLIR destinés aux snipers : les KN200 et KN250, dont L’USSOCOM s’est porté acquéreur, tandis que l’armée norvégienne a choisi la KN200 pour ses tireurs d’élite, ainsi que la GN pour les équipements de tête de ses soldats. D’autre
part, plus de 10000 AN/PVS-14 ont été acquises auprès D’ITT pour équiper toutes les branches de l’armée norvégienne à partir de 2006.
En Allemagne, L’AIM Huntir TI de Diehl BGT Defence est en service depuis 2004 : une visée thermique à monter sur G36, HK417, MG4 et fusil de précision G82 en 12,7 mm, permettant la détection d’un humain à 1500 m. La Bundeswehr utilise la JVN Lucie sur casque, complétée par la NSA80 montée sur le G36, tandis que le KSK a perçu des GPNVG-18 panoramiques. L’italie s’est équipée auprès des États-unis avec les AN/ PVS-7, PVS-15, PVS-18 et PVS-21, de même que l’espagne qui a opté pour L’AN/PAS-13 pour son soldat augmenté. En 2007, l’australie a passé commande de Qioptiq Vipir-2 pour son programme Land 125, tandis que les tireurs de précision sur HK417 disposent D’AN/PVS-26. Enfin, le Canada utilise aussi des copies de JVN américaines : L’AN/PVS-502 introduite en 1987 à 3 500 exemplaires, dont 2000 ont été modernisés avec des tubes GEN 3, et des versions canadiennes D’AN/PVS-7, PVS-14, PVS-15, AN/AVS-6 et AVS-9 fabriquées localement par Newcon Optik.
LES TECHNOLOGIES ACTUELLES
Aux États-unis, les JVN de GEN 3 ont évolué en matière de performances au cours de la dernière décennie, bien que L’US Army n’ait pas créé de nouvelle classification de type GEN 4. En effet, depuis 1985, l’armée américaine acquiert ses JVN à travers des contrats étalés sur plusieurs années, répartis en tranches d’acquisition baptisées Omnibus et permettant de bénéficier des progrès scientifiques d’une tranche à l’autre, plutôt que d’attendre un nouveau contrat d’acquisition dont les livraisons sont plus lentes que les avancées technologiques.
Par exemple, L’AN/PVS-7A fut donc acquise sous le contrat Omnibus 1, qui englobait également les ANVIS AN/AVS-6 et AN/AVS-9. L’omnibus 2 fut lancé en 1990, et les deux dernières itérations en date, l’omnibus 7 et l’omnibus 8, furent respectivement lancées en 2005 et en 2010. À partir de l’omnibus 5, les JVN partagent deux caractéristiques qui les distinguent des autres GEN 3 : d’une part, la présence d’une alimentation à régulation automatique qui permet aux tubes de s’adapter en temps réel à la luminosité ambiante, et d’autre part la réduction du bruit numérique présent sur le rendu image grâce à l’amincissement du champ ionique protégeant le tube. Celui-ci peut ainsi travailler à une sensibilité deux fois plus élevée par rapport aux tubes de GEN 3 classiques, mais au prix d’une durée de vie
Depuis 1985, l’armée américaine acquiert ses JVN à travers des contrats étalés sur plusieurs années, répartis en tranches d’acquisition baptisées Omnibus et permettant de bénéficier des progrès scientifiques d’une tranche à l’autre.
réduite de 25%, soit 15000 h. On peut penser que ce n’est pas négligeable lorsqu’on sait que le prix des tubes représente 50 % du coût initial d’une JVN, mais en réalité les ruptures technologiques sont actuellement très rapprochées et les appareils sont généralement remplacés bien avant d’avoir atteint la fin de leur cycle de vie.
Sous l’omnibus 7, L’AN/PVS-7 fut ainsi acquise à 34 300 exemplaires, tandis que L’AN/PVS-14 représenta une commande de 370486 exemplaires. Dans le domaine des JVN montées sur armes, le FLIR AN/ PVS-22 Universal Night Sight fut acquis à la même période pour les tireurs d’élite, qui peuvent également monter L’AN/PVS-27 Magnum Universal Night Sight. Cette dernière intègre également un FLIR, mais ses dimensions plus imposantes ont élargi son rôle à l’observation, sur trépied ou tenue à la main, ainsi qu’à l’ensemble des armes d’infanterie : fusils de sniper Mk11, Mk12, Mk20 SSR, Mk21 PSR et MSR, mitrailleuses M240 et M2, ainsi que les fusils de tir à longue distance Barrett M-107 LRSR en 12,7 mm. En parallèle, L’AN/ PVS-24 fut intégrée au kit SOPMOD II de L’USSOCOM pour être utilisée en tandem sur le M4A1 avec les optiques diurnes Specter DR et Trijicon ACOG. Ces optroniques utilisent la technologie Pinnacle D’ITT, qui produit les meilleurs tubes sur le marché. Dotés d’un film ionique affiné protégeant le tube des éclats de lumière trop violents, ils évitent aussi au tireur un risque d’aveuglement temporaire néfaste pour la poursuite de la mission. Les tubes Pinnacle sont si efficaces qu’ils équipent une large majorité des JVN acquises par le Department of Defense.
Aujourd’hui, l’écart tend à se réduire entre les optroniques destinées aux aviateurs et celle des troupes au sol : historiquement, les premiers ont besoin de verres de meilleure qualité et portent leurs JVN dans des environnements contrôlés tels que les cockpits, tandis que les seconds ont toujours privilégié la rusticité de leurs appareils étant donné qu’ils évoluent dans les pires conditions. Fabriqué par Harris, L’AN/PVS-23 vient combiner le meilleur des deux mondes en empruntant les verres de L’ANVIS pour les intégrer dans un boîtier renforcé.
D’autres JVN ont été modernisées, telle que L’AN/PVS-14 Un-filmed White Phosphorus de L-3 Warrior System, dont la conception à base de phosphore blanc permet de se passer de film ionique. Ces tubes, qui sont devenus le nouveau standard de L’USSOCOM et du JSOC depuis l’omnibus 8, produisent les images les plus nettes qui soient, avec une transmission de lumière de 15 à 20% supérieure aux tubes à film ionique aminci. Au sein de L’USSOCOM, L’AN/PVS-15 est remplacée peu à peu par L’AN/PVS-31 Binocular Night Vision
Device, le binoculaire le plus léger existant puisque son poids s’approche de celui d’un monoculaire. L’une de ses particularités est d’intégrer deux minilampes stroboscopiques infrarouges destinées à l’identification des troupes au sol, notamment par les avions et hélicoptères amis. Enfin, L’AN/PVS-31 peut basculer sur le côté afin de servir comme un monoculaire, laissant l’autre oeil libre.
Une autre innovation majeure fut réalisée par L-3 Warrior Systems avec la GPNVG-18, une JVN panoramique utilisant quatre tubes pour offrir un champ de vision inégalé de 97 degrés, soit plus du double des 40 degrés que l’on trouve sur toutes les autres JVN de par le monde. Véritable outsider sur le marché de la vision nocturne, ce système s’adresse autant aux commandos qu’aux pilotes, deux montages étant proposés pour s’adapter aux différents casques en dotation. La GPNVG-18 était en dotation dans les escadrilles d’a-10 Thunderbolt II, et l’est toujours au sein de L’AFSOC, auprès des équipages de MC-130J Commando II et D’AC-130J Ghostrider. Elle peut aussi être détachée de son support de casque pour servir d’optronique d’observation tenue à la main. L’un des avantages de la conception à quatre tubes, outre l’angle de vue, réside dans une perception de la profondeur nettement meilleure que sur les autres JVN, inconvénient historique de ce type de technologie.
LES JVN HYBRIDES
La dernière génération de JVN combine les deux technologies de vision nocturne existantes : l’intensification de lumière résiduelle issue des tubes, et la sensibilité au spectre infrarouge fournie par les visions thermiques. Alors que les JVN classiques fonctionnent de manière analogique, cette combinaison est gérée numériquement par un processeur qui superpose les deux signaux : la lumière typiquement verte des intensificateurs permet de percevoir l’environnement, mais elle ne révèle pas une présence lorsque l’adversaire est camouflé et immobile sur le terrain, ou caché derrière un obstacle. Par ailleurs, cette numérisation du signal permet de renvoyer le flux de données vers d’autres opérateurs ou vers le commandement, qui peut visualiser sur écran tout ce qui est capté par les JVN de chaque élément. Un plus non négligeable pour le suivi opérationnel et les rapports après action puisque les angles de vue sont multipliés par le nombre d’opérateurs engagés sur le terrain.
Le capteur thermique donne un avantage supplémentaire au combattant puisqu’il lui permet de visualiser les sources de chaleur à travers un certain nombre de matériaux : un moteur ou une arme ayant récemment servi sont chauds, de même qu’un corps humain, et apparaissent en blanc ou en orange à l’écran, indépendamment du niveau de lumière disponible, et y compris si celle-ci est absente. Ainsi, toute menace devient visible dans n’importe quel environnement. C’est une avancée majeure dans l’augmentation des capacités de détection visuelle du fantassin, portant au niveau individuel une possibilité qui n’existait que sur des dispositifs lourds, au niveau collectif.
L’AN/PSQ-36 Fusion Goggle System de L-3 Warrior System fait partie de ces nouvelles JVN hybrides qui repoussent les limites des JVN classiques, parfois inutilisables si l’absence de lune se combine à une météo trop difficile, à une végétation trop dense pour laisser passer la lumière, ou simplement à du brouillard, de la neige ou de la fumée. Le milieu urbain offre d’ailleurs nombre de configurations où on ne trouve aucune lumière pouvant être amplifiée, rendant inutiles les JVN. Toutefois, les imageurs thermiques ne reproduisent pas autant de détails que les tubes analogiques : si cette technologie permet une acquisition de cible presque sans faille, elle réduit les possibilités d’identification et le combattant débarqué doit jongler entre ses différentes perceptions pour analyser la situation tactique. D’autre part, la gestion numérique des deux signaux se fait au prix d’un léger délai de traitement, là où les JVN classiques reproduisent tout en temps réel.
Outre L’AN/PSQ-36 FGS, L’AN/PSQ-20B Enhanced NVG est aussi une JVN hybride, en service depuis 2009 au sein de L’US Army après avoir été testée par le 75th Ranger Regiment dès 2008. L’opérateur peut régler le mélange entre les signaux généraux par les tubes et par l’imagerie thermique, ou choisir entre 100% analogique ou 100% thermique. Elle fut ensuite améliorée avec L’ENVG II, intégrant une liaison de données sans fil. Un autre point d’évolution réside dans l’ergonomie, le but étant d’accélérer la prise de visée par le fantassin sans avoir à relever ses JVN. Le contrat Omnibus 8 portant sur L’AN/PSQ-20B fut attribué à quatre fabricants différents, chargés de fournir chacun 16720 exemplaires, dont la première tranche fut livrée jusqu’en 2012, avant que L’ENVG II ne prenne le relais jusqu’en 2016, à hauteur de 20000 exemplaires. La prochaine JVN de L’US Army sera L’ENVG III, qui sera probablement une binoculaire et pour laquelle une augmentation des fonds de recherche a été requise début 2018.