LE SYSTÈME DE COMBAT AÉRIEN FUTUR FRANCO-ALLEMAND : UNE OPPORTUNITÉ STRATÉGIQUE EUROPÉENNE
LE SYSTÈME DE COMBAT AÉRIEN FUTUR FRANCO-ALLEMAND
Même si l’expression est employée depuis juin 2016 dans la Stratégie globale de l’union Européenne (UE), la notion de « souveraineté européenne» en matière de défense pose encore de très grands problèmes de définition (1). Comment parler d’une souveraineté – par essence non divisible – qui serait partagée entre des partenaires qui n'affichent pas encore tous, et tant s’en faut, les mêmes priorités stratégiques ? En attendant que cette contradiction soit éventuellement résolue, les divergences d’intérêt ne sauraient évidemment condamner tout progrès européen. Des coopérations industrielles ciblées peuvent certainement représenter une solution, afin que l’europe contrôle de manière plus autonome ses capacités futures, dans un paysage de défense transatlantique en phase de recomposition accélérée.
Le projet franco-allemand SCAF (Système de Combat Aérien Futur) offre un exemple de ce type d’opportunités. Sur le plan technologique et industriel, il possède en effet le potentiel pour modifier entièrement les paramètres de la puissance aérienne de combat future en Europe, en offrant une alternative aux offres américaines du type F-35. Si ce système de systèmes connectés avec pour point nodal un avion de combat de nouvelle génération voit le jour, il pourra constituer un standard collaboratif multidomaine en Europe. Dès lors, les industriels d’outre-atlantique auraient davantage de mal à assécher une part substantielle des budgets de recherche et développement aéronautique des pays européens, ainsi qu’ils ont pu le faire pendant plus de quinze ans, en utilisant le package standardisateur du F-35.
La question, néanmoins, est de savoir à quel prix sera créée cette alternative européenne, en suivant quelles étapes, et avec quelles conséquences pour les différents partenaires concernés. En la matière, le diable est dans les détails. Pour saisir dans toute son ampleur un dossier bien loin d’être figé, il s’avère donc intéressant d’équilibrer les annonces politiques en les mettant en rapport avec les inerties technologiques, industrielles et opérationnelles qui en conditionnent sous bien des aspects la réalisation pratique.
Si ce système de systèmes connectés avec pour point nodal un avion de combat de nouvelle génération voit le jour, il pourra constituer un standard collaboratif multidomaine en Europe.
LE VOLONTARISME POLITIQUE, À L’ORIGINE D’UNE IMPULSION DÉCISIVE
Dans le dossier du SCAF, l’impulsion fondamentale est datée du 13 juillet 2017 : ce jour-là, à l’issue d’un conseil des ministres franco-allemand, Emmanuel Macron annonce, en présence d’angela Merkel, une volonté commune de développer « un système de combat aérien européen ». La mécanique bilatérale avance ensuite très rapidement. Fin avril 2018, au salon aéronautique de Berlin, un accord de principe
franco-allemand est rendu public autour du développement et de la production d’un système de combat aérien du futur. D’une seule voix, Éric Trappier, PDG de Dassault Aviation, et Dirk Hoke, CEO d’airbus Defence and Space, évoquent un SCAF organisé autour d’un avion de combat destiné « à compléter puis à remplacer les Eurofighter et les Rafale actuellement en service, entre 2035 et 2040 ». Signe de la maturité des discussions bilatérales, le niveau opérationnel ouvre immédiatement un canal d’échange parallèle : le 26 avril 2018, le général Lanata, chef d’état-major de l’armée de l’air française, signe avec le général allemand Bühler une « Requête opérationnelle commune de haut niveau» (High Level Common Requirement ou HL CORD) qui trace – ou commence à tracer – les caractéristiques capacitaires du programme. Le 19 juin 2018, Ursula von der Leyen, ministre allemande de la Défense, et Florence Parly, ministre française des Armées, signent enfin une lettre d’intention commune à l’occasion d’un conseil des ministres franco-allemand décisif. Le lancement du système de combat aérien du futur y est confirmé, ses contours affinés : il s’agira d’un « système d’armes de nouvelle génération intégré dans un système de combat aérien futur » (« Next Generation Weapon System within a Future Combat Air System »), voué à être mis en service aux environs de 2040. Le cahier des charges est brossé assez précisément par la ministre Florence Parly dans son communiqué de presse du 19 juin 2018 : « Le SCAF sera le système de combat aérien du 21e siècle. Il rassemblera autour d’un nouvel avion de combat polyvalent, adapté aux menaces aériennes contemporaines et exploitant le potentiel de l’intelligence artificielle, des moyens de combat travaillant en réseau, dont des drones de différents types. Il devrait être mis en service à l’horizon 2040. (2) » Après le Brexit, et face aux turbulences de la politique américaine et à la montée en puissance de menaces étatiques à ses portes, l’europe ressent le besoin de renforcer sa crédibilité propre en matière de défense. D’où un resserrement des possibles et des énergies, en particulier dans les domaines de l’aéronautique et du spatial, sous l’égide d’un couple franco-allemand volontariste. Sous un certain angle, cette convergence peut être vue comme le triomphe rétrospectif des positions politiques françaises. Paris a, de fait, toujours défendu l’importance du concept d’autonomie stratégique, face à des partenaires européens se contentant, à divers degrés, d’une traditionnelle et très confortable dépendance technologique, politique et opérationnelle envers les États-unis. La Revue stratégique de 2017 a bien confirmé le maintien de cette position française : « Dans un système international marqué par l’instabilité et l’incertitude, écrivent ses rédacteurs, la France doit conserver sa capacité à décider et à agir seule pour défendre ses intérêts. (3) » De cet objectif poursuivi durant plus d’un demi-siècle sont nés des programmes nationaux, garants d’une maîtrise propre de technologies clés, tirées vers le haut par une fonction de dissuasion nucléaire qui demeure non partageable. Pour autant, la France se montre de plus en plus fermement décidée à transposer des pans de cette logique d’autonomie stratégique au niveau européen. En fin de compte, le pari du SCAF doit d’abord être
Le pari du SCAF doit d’abord être apprécié au regard de cette capitalisation politique en forme d’élargissement capacitaire, qui se veut complémentaire et non contradictoire de l’autonomie stratégique nationale.
apprécié au regard de cette capitalisation politique en forme d’élargissement capacitaire, qui se veut complémentaire et non contradictoire de l’autonomie stratégique nationale. La première question qui se posait concernant le nouveau défi franco-allemand était celle des responsabilités industrielles dans le programme commun. L’enjeu aurait pu constituer une pierre d’achoppement immédiate : combien de programmes européens, encore en gestation, n’ont pas survécu à ce type d’empoignades au-dessus d’un berceau? Pourtant, à la surprise de bien des observateurs, la difficulté a été contournée de manière relativement consensuelle.
L’ASPECT INDUSTRIEL ET TECHNOLOGIQUE : UN PARTAGE ENTÉRINÉ, DES QUESTIONS ANNEXES TOUJOURS PENDANTES
Il y a 1200 ans – le 14 février 842, plus précisément – Charles le Chauve et Louis le Germanique, petits-fils de Charlemagne, prononçaient les « serments de Strasbourg », alliance militaire récapitulant les devoirs réciproques des parties, qui constitueront le prélude au partage européen signé un an plus tard avec le célèbre traité de Verdun. En 2018, le projet SCAF semble disposer de l’équivalent de ces « serments », sous la forme d’un point d’équilibre établi de part et d’autre du Rhin en matière de responsabilités industrielles. Dassault prendra donc la maîtrise d’oeuvre du programme, en excipant d’un niveau de compétence que n’atteint aucun autre industriel européen dans le domaine. Son PDG, Éric Trappier, l’a précisé dans la presse allemande : « Nous pouvons prendre le rôle principal. Le fait est que nous sommes la seule entreprise en Europe à pouvoir construire un avion de combat complet de A à Z et que nous sommes les seuls à avoir 70 ans d’expérience et de compétences. (4) » Les deux ministres ont approuvé cette argumentation fondée sur les compétences industrielles, dont l’entreprise française a récemment donné de nouvelles preuves en menant à bien, à coûts maîtrisés, le programme de démonstrateur de drone de combat Neuron, qui réunit Thales, le suédois Saab, le suisse RUAG, le grec HAI, l’espagnol EADS-CASA et l’italien Alenia Aeronautica. Partenaire désigné de Dassault, Airbus Defence and Space semble accepter cette notion de chef d’orchestre, et se concentrerait sur l’architecture du système connecté et collaboratif attaché au concept de SCAF, dans lequel, à partir des standards repensés autour d’un pivot nodal – un avion de combat piloté – s’intégreraient d’autres plates-formes pilotées, des drones téléopérés, des missiles de croisière,
Chacun ayant fait les concessions nécessaires, le SCAF est-il donc idéalement lancé? Pas tout à fait, car, de même que les deux signataires des serments de Strasbourg de 842 finirent par se disputer âprement la Lotharingie, il faut bien constater que de nombreux points problématiques restent pour l’heure en suspens.
des senseurs et capteurs de tous milieux. Il est vrai qu’en compensation Berlin obtient pour ses entreprises nationales le premier rôle dans la réorganisation de l’industrie européenne du terrestre, avec le programme MGCS (Main Ground Combat System), qui donnera un successeur partagé au Leclerc et au Leopard. Dans le domaine aéronautique, la direction du projet EUROMALE de drones de reconnaissance et de surveillance revient elle aussi à la partie allemande à travers Airbus, qui coordonnera en l’espèce des acteurs industriels français, italiens et espagnols.
Chacun ayant fait les concessions nécessaires, le SCAF est-il donc idéalement lancé ? Pas tout à fait, car, de même que les deux signataires des serments de Strasbourg de 842 finirent par se disputer âprement la Lotharingie, il faut bien constater que de nombreux points problématiques restent pour l’heure en suspens entre les signataires des lettres d’intention d’avril 2018. Il est possible de les synthétiser en trois grands sujets de préoccupation :
• l’attitude d’une grande partie des pays de L’UE envers l’offre américaine, d’une part, avec une question afférente : les utilisateurs du F-35 pourront-ils combattre en connexion avec le système collaboratif des utilisateurs d’un « Next Gen Aircraft » (NGA)(5) européen constituant le noyau du SCAF franco-allemand ?
• deuxième sujet, celui du partenaire britannique, envisagé du point de vue politique. Les Anglais se sont exclus du jeu aéronautique de combat européen. Faut-il les faire revenir à moyen terme ? À quelles conditions et à quel niveau ?
• troisième sujet enfin, celui du calendrier de lancement du SCAF lui-même. Faut-il investir sans tarder dans un démonstrateur d’avion de combat permettant aux équipes française et allemande de travailler sur du concret? Ou est-il urgent d’attendre? La réponse conditionnera en grande partie la réussite du défi.
QUELLES CAPACITÉS POUR L’AVION DE COMBAT AU COEUR DU SCAF ?
Il est aujourd’hui difficile de déterminer ce que sera l’avion de combat piloté pivot du SCAF, système dont l’objectif, selon les exigences de l’armée de l’air française, est bien de « créer un système ouvert et collaboratif, capable de collecter et stocker des quantités très importantes de données, de les
protéger, de les échanger, de les fusionner et de les distribuer de façon intelligente et dynamique (6) ». Savoir autour de quelles fonctions bâtir le calculateur de mission d’une plate-forme aérienne de combat qui volera en 2040 dans un tel système n’est pas une donnée facile à déterminer en 2018. Le F-35, présenté comme un avion de « cinquième génération », a été conçu alors que l’iphone n’existait pas encore… Dans les conditions actuelles de démocratisation technologique bouleversée par la numérisation, tout ne peut être figé a priori. La clé de la réussite d’un tel programme reposera donc sur la capacité des parties française et allemande à harmoniser les réponses technologiques de manière incrémentale, à partir d’un socle capacitaire préalablement négocié dont, en revanche, les fonctions clés deviendront rapidement non négociables sous peine de scission du couple fondateur, et de rupture de contrat de mariage, comme dans le cas du FCAS conclu par un divorce franco-britannique. En résumé, pour que les fonctions structurantes principales du système convergent sans tarder, on peut penser que l’espace d’expression de besoin lié à un avion de combat franco-allemand aura avantage à se structurer autour de prérequis très rapidement affinés par un démonstrateur. Au-delà de cette étape initiale à couvrir en contre-la-montre, les options sont relativement ouvertes pour que le SCAF trouve sa cohérence.
D’autant que les menaces auxquelles il devra faire face sont bien réelles, et en phase de montée en puissance : prolifération mondiale des missiles sol-air longue portée (comme les systèmes russes S-400 et S-500), aviation de combat de nouvelle génération acquise par des acteurs étatiques potentiellement agressifs, le tout suggérant une ardente obligation pour l’europe de reconquérir une supériorité aérienne en voie d’érosion…). Si l’on prend en compte les commentaires de l’ensemble des analystes de défense des deux côtés du Rhin, quelques éléments prospectifs peuvent être esquissés – même si, en la matière, une prudence élémentaire et l’emploi du conditionnel s’imposent. L’ensemble du futur système pourrait ainsi s’organiser autour d’un avion pivot de supériorité aérienne piloté, vraisemblablement polyvalent, furtif, manoeuvrant, supersonique, très probablement à capacité nucléaire et navalisable (exigence française qui nécessiterait une limite de masse – le Rafale pèse aujourd’hui 24 tonnes). Il devrait se voir couplé à des drones téléopérés possiblement autonomes, capables de le précéder et de l’accompagner en nombre suffisamment élevé pour percer des défenses antiaériennes évoluées. L’avion de combat piloté couplé à des systèmes téléopérés (l’ensemble constituant un «Next Generation Weapon System ») sera au coeur du SCAF (« Future Combat Air System ») et à ce titre devra être l’un des relais d’un réseau d’échange de données multidomaines, appuyé sur un système de systèmes interalliés cyberrésilient. En simplifiant exagérément la représentation, on pourrait avancer que «l’objet» pourrait être un croisement réinterprété des équations F-22 et F-35, mais à coût maîtrisé (point faible du F-35, gabegie apocalyptique d’argent public), exportable (ce que n’est pas le F-22) et européen (ce qui impliquera nécessairement, en sus d’une non-dépendance envers les composants ITAR, de rallier autour de la solution esquissée franco-allemande des partenaires du Vieux Continent).
Pour les pays européens qui seraient en mesure de choisir l’option SCAF dans les années qui viennent, l’une des questions serait donc de savoir si l’architecture de ce dernier leur garantira des passerelles d’interopérabilité avec
Pour les pays européens qui seraient en mesure de choisir l’option SCAF dans les années qui viennent, l’une des questions serait de savoir si l’architecture de ce dernier leur garantira des passerelles d’interopérabilité avec le standard de la « communauté » d’utilisateurs du F-35.
le standard de la «communauté» d’utilisateurs du F-35, qui entre en ce moment en service. Dans ce cadre, et malgré leur isolement politique actuel, les réflexions des Britanniques, acquéreurs du F-35 à la recherche du successeur possible du Typhoon, pourraient jouer un rôle relativement important.
LES RÉFLEXIONS BRITANNIQUES ET LA QUESTION DES FUTURES GÉNÉRATIONS D’AVIONS DE COMBAT
Avec le gel des projets de collaboration entre Britanniques et Français (programme FCAS)(7), le Royaume-uni se retrouve beaucoup plus isolé qu’il ne l’aurait voulu, ou prévu, pour penser son aviation de combat post-typhoon. Certes, le recours au grand large atlantique reste une option toujours possible pour les Britanniques, sous la forme d’un renouvellement du schéma F-35. Il faut cependant nuancer, car ce choix apparaît beaucoup plus risqué qu’autrefois. Au vu des projets américains en matière de puissance aérienne future, qui favorisent bien plus l’intégration dans leurs propres configurations que l’interopérabilité réelle, il n’est en effet nullement certain que les Anglais puissent obtenir un statut de partenaire industriel d'un rang aussi avantageux que celui qu’ils avaient décroché il y a vingt ans dans le programme F-35. Et ce, même en déposant dans la corbeille de la mariée des développements autonomes et de rupture en matière D’UCAV. S’ajoute à cette disparité de puissance une contrainte financière considérable du côté anglais, avec plus de 20 milliards de livres de «bosse» budgétaire, qui laissent augurer des débats sanglants concernant le financement prochain du budget de la défense aux Communes.
Cette situation, inconfortable au premier abord, a cependant pour conséquence positive de stimuler l’imagination des analystes britanniques. En la matière, la formule d’ernest Rutherford est connue : « Gentlemen, we have run out of money. Now it’s time to think! » Outre-manche, des questions pertinentes commencent donc à cibler la logique linéaire et coûteuse des «générations» d’avions de combat, un concept marketing calqué sur les progrès technologiques spécifiquement américains, et sur laquelle a reposé le développement du F-35 (8). La puissance aérienne occidentale doit-elle être forcément pensée comme un système de systèmes dépendant d’un « cloud » contrôlé par les États-unis(9), d’où aurait presque disparu la catégorie des avions de combat pilotés, seulement représentée par quelques exemplaires onéreux d’avions hypersoniques, disposant d’armes à énergie dirigée et hyperfurtifs (furtivités active et passive)? Pas forcément, répond Tim Robinson : « De quoi est constitué au juste un concept de “sixième génération” ? De tout ce qui caractérise un chasseur de cinquième génération, plus l’hypersonique et les armes à énergie dirigée ? Ces deux derniers éléments pourraient bien propulser le coût des chasseurs “6th Gen” dans la stratosphère, et signifieraient que seules quelques nations pourraient s’en procurer. Peut-être la bonne définition d’un chasseur de sixième génération est-elle en réalité l’accessibilité du coût – un avion de cinquième génération qui pourrait être acquis en plus grand nombre pour redonner aux armées de l’air la masse critique dont elles manquent. (10) » Les solutions alternatives pourraient donc tourner autour d’un avion de combat piloté de cinquième génération « enhanced », couplé à des essaims de drones « jetables » (concept américain de « Loyal Wingman », de LANCA britannique ou de Sharp Sword chinois), permettant de retrouver des effets de saturation, le tout intégré dans un système de systèmes d’échanges de données.
Le recours au grand large atlantique reste une option toujours possible pour les Britanniques, sous la forme d’un renouvellement du schéma F-35. Il faut cependant nuancer, car ce choix apparaît beaucoup plus risqué qu’autrefois.
On trouve un écho de ces réflexions de rupture dans la Combat Air Strategy du ministère de la Défense britannique, publiée le 16 juillet 2018, qui instaure une Future Combat Air System Technology Initiative, laquelle constituera le cadre de montée en puissance capacitaire du programme d’avion de combat, dont le nom serait Tempest (« Tempête »). Des démonstrateurs technologiques pensés en architecture ouverte seront lancés très rapidement, avec des investissements de l’ordre de 2 milliards d’euros d’ici à 2025. Quelques détails commencent à filtrer : l’avion de combat serait piloté, et bimoteur. Dès l’été 2019, les Britanniques comptent rendre publique une première stratégie de partenariats, qui sera approfondie pour aboutir à la fin de l’année 2020 à une annonce programmatique. La confirmation finale se ferait en 2025, avec l’ambition de disposer d'une capacité opérationnelle initiale d’avion de combat – piloté ou non – en 2035 (11).
Rien, dans cette Combat Air Strategy, ne s’oppose pour le moment à une solution européenne. Si ces réflexions prennent davantage d’ampleur, l’option d’une association future de Londres à la dynamique SCAF pourrait devenir intéressante à étudier. Qu’il apparaisse ou non réaliste, un tel scénario ne pourrait en tout état de cause être envisagé qu’une fois parvenu à maturité le démonstrateur franco-allemand du « nouvel avion de combat polyvalent, adapté aux menaces aériennes contemporaines », clairement évoqué par Florence Parly le 19 juin 2018. Motorisation, furtivité, systèmes : les options des apports britanniques resteraient ensuite à étudier, mais devraient tenir compte de l’orientation des choix validés par le couple fondateur, et du schéma hiérarchisé de maîtrise d’oeuvre négocié au sein de ce dernier. Il n’est pas certain que les Britanniques s’y résoudraient facilement. Les difficultés seraient
donc grandes malgré l’attrait politique d’un tel scénario, qui pourrait cependant déclencher d’autres ralliements européens s’il trouvait une conclusion positive. In fine, et même si rien ne doit être écarté en la matière, spéculer sur une triangulation franco-germano-britannique future reste pour le moment plus qu’aventureux.
LE CALENDRIER DE LANCEMENT DU DÉMONSTRATEUR D’AVION DE COMBAT, CLÉ DU PROGRAMME SCAF ?
Les défis de développement et de contractualisation qui attendent le projet SCAF sont, on le voit, à la mesure de l’ambition politique qui l’a voulu et soutenu. Le présent article ne pouvait en donner qu’une esquisse, sans doute trop synthétique compte tenu de la complexité du dossier. Néanmoins, l’essentiel – certains diraient l’impossible – semble déjà avoir été réalisé en grande partie, sous la forme d’une convergence, même balbutiante, entre les besoins opérationnels français et allemands d’une part, et entre les industriels concernés, d’autre part. Chacun semble connaître son rôle et sa place, sur la base des compétences existantes. À partir de ce socle, tout peut être imaginé.
Néanmoins, la réussite dépendra de la compétence des bureaux d’études disponibles des deux côtés du Rhin, afin que le système puisse passer des spécifications virtuelles aux performances réelles, sans sorties de route. Dans cette optique, le lancement effectif d’un démonstrateur d’avion de combat polyvalent ne saurait tarder, sous peine de faire grandir le doute quant à la volonté bilatérale qui soutient le SCAF, et aussi de se priver des générations d’ingénieurs qui ont effectivement accumulé un savoir-faire précieux lors du lancement des programmes précédents d’avions de combat. Le facteur temps a été souligné récemment par Dirk Hoke : « Au vu du calendrier serré, nous devons nous mettre immédiatement au travail afin d’élaborer ensemble une feuille de route commune qui nous permettra de répondre aux exigences et de respecter les délais qui seront fixés par les deux États. (12) » Les termes de la ministre française des Armées témoignent de cette prise de conscience : « La lettre d’intention fixe l’objectif de lancer une phase d’étude au plus tard fin 2018. Dans cette phase, les travaux d’architecture s’accompagneront du lancement rapide de démonstrations. Ces actions technologiques devront préfigurer, à l’horizon 2025, les concepts à retenir pour le futur système opérationnel. (13) »
Au-delà des études, la fenêtre de réalisation d’un démonstrateur d’avion de combat, pivot du SCAF, apparaît étroite. Quels que soient les scénarios en la matière, Berlin et Paris n’ont semble-t-il pas une année à perdre pour que le concept d’autonomie stratégique européenne commence à prendre forme, même partiellement, dans la fonction stratégique haute qu’est la puissance aérienne future.
Notes
(1) Cf. « L’europe et la souveraineté : réalités, limites et perspectives », Fondation Robert Schuman, 7 novembre 2016. (2) Communiqué de Florence Parly : « Conseil des ministres franco-allemand : l’europe de la Défense avance », Paris, 19 juin 2018.
(3) Revue stratégique de défense et de sécurité nationale 2017, p. 56.
(4) Rüdiger Kiani-kress, « Dassault-chef reklamiert Führungsrolle bei deutsch-französischem Rüstungsprojekt », Wirtschaftswoche, 13 avril 2018.
(5) « Dassault Reveals New-gen European Fighter Jet in a Promo Video », defenseworld.net, 10 juillet 2018.
(6) Olivier Becht et Thomas Gassilloud, Rapport d’information sur les enjeux de la numérisation des armées, Assemblée nationale, commission de la Défense nationale et des Forces armées, 30 mai 2018, p. 72.
(7) Chris Pocock, « Airbus and Dassault Launch a New Fcas-without BAE », ainonline.com, 25 avril 2018.
(8) Sur ce point, nous nous permettons de renvoyer à Olivier Zajec, « Faut-il encore penser en termes de “générations” d’aviation de combat ? », Stratégique, no 102, février 2013. (9) Comme un récent rapport parlementaire français le souligne, le secteur privé (Amazon) « est engagé dans la fourniture aux forces américaines de systèmes d’information dédiés spécifiquement à la coopération avec les alliés des États-unis. Ces systèmes reposeront sur six data centers virtuels, hébergés sur un système de cloud du Department of Defense ». Voir Olivier Becht et Thomas Gassilloud, Rapport d’information sur les enjeux de la numérisation des armées, op. cit., p. 76.
(10) Tim Robinson, « UK mulls 6th generation fighter project », aerosociety.com, 3 juillet 2018.
(11) UK Ministry of Defence, Combat Air Strategy: An ambitious vision for the future, juillet 2018, p. 30.
(12) « Dassault Aviation et Airbus s’associent pour développer le Système de Combat Aérien Futur », communiqué de presse commun, Dassault-airbus, 25 avril 2018.
(13) Communiqué du 19 juin 2018, op. cit.
L’essentiel – certains diraient l’impossible – semble déjà avoir été réalisé en grande partie, sous la forme d’une convergence, même balbutiante, entre les besoins opérationnels français et allemands d’une part, et entre les industriels concernés, d’autre part.