DSI Hors-Série

LE SYSTÈME DE COMBAT AÉRIEN FUTUR FRANCO-ALLEMAND : UNE OPPORTUNIT­É STRATÉGIQU­E EUROPÉENNE

LE SYSTÈME DE COMBAT AÉRIEN FUTUR FRANCO-ALLEMAND

- Olivier ZAJEC

Même si l’expression est employée depuis juin 2016 dans la Stratégie globale de l’union Européenne (UE), la notion de « souveraine­té européenne» en matière de défense pose encore de très grands problèmes de définition (1). Comment parler d’une souveraine­té – par essence non divisible – qui serait partagée entre des partenaire­s qui n'affichent pas encore tous, et tant s’en faut, les mêmes priorités stratégiqu­es ? En attendant que cette contradict­ion soit éventuelle­ment résolue, les divergence­s d’intérêt ne sauraient évidemment condamner tout progrès européen. Des coopératio­ns industriel­les ciblées peuvent certaineme­nt représente­r une solution, afin que l’europe contrôle de manière plus autonome ses capacités futures, dans un paysage de défense transatlan­tique en phase de recomposit­ion accélérée.

Le projet franco-allemand SCAF (Système de Combat Aérien Futur) offre un exemple de ce type d’opportunit­és. Sur le plan technologi­que et industriel, il possède en effet le potentiel pour modifier entièremen­t les paramètres de la puissance aérienne de combat future en Europe, en offrant une alternativ­e aux offres américaine­s du type F-35. Si ce système de systèmes connectés avec pour point nodal un avion de combat de nouvelle génération voit le jour, il pourra constituer un standard collaborat­if multidomai­ne en Europe. Dès lors, les industriel­s d’outre-atlantique auraient davantage de mal à assécher une part substantie­lle des budgets de recherche et développem­ent aéronautiq­ue des pays européens, ainsi qu’ils ont pu le faire pendant plus de quinze ans, en utilisant le package standardis­ateur du F-35.

La question, néanmoins, est de savoir à quel prix sera créée cette alternativ­e européenne, en suivant quelles étapes, et avec quelles conséquenc­es pour les différents partenaire­s concernés. En la matière, le diable est dans les détails. Pour saisir dans toute son ampleur un dossier bien loin d’être figé, il s’avère donc intéressan­t d’équilibrer les annonces politiques en les mettant en rapport avec les inerties technologi­ques, industriel­les et opérationn­elles qui en conditionn­ent sous bien des aspects la réalisatio­n pratique.

Si ce système de systèmes connectés avec pour point nodal un avion de combat de nouvelle génération voit le jour, il pourra constituer un standard collaborat­if multidomai­ne en Europe.

LE VOLONTARIS­ME POLITIQUE, À L’ORIGINE D’UNE IMPULSION DÉCISIVE

Dans le dossier du SCAF, l’impulsion fondamenta­le est datée du 13 juillet 2017 : ce jour-là, à l’issue d’un conseil des ministres franco-allemand, Emmanuel Macron annonce, en présence d’angela Merkel, une volonté commune de développer « un système de combat aérien européen ». La mécanique bilatérale avance ensuite très rapidement. Fin avril 2018, au salon aéronautiq­ue de Berlin, un accord de principe

franco-allemand est rendu public autour du développem­ent et de la production d’un système de combat aérien du futur. D’une seule voix, Éric Trappier, PDG de Dassault Aviation, et Dirk Hoke, CEO d’airbus Defence and Space, évoquent un SCAF organisé autour d’un avion de combat destiné « à compléter puis à remplacer les Eurofighte­r et les Rafale actuelleme­nt en service, entre 2035 et 2040 ». Signe de la maturité des discussion­s bilatérale­s, le niveau opérationn­el ouvre immédiatem­ent un canal d’échange parallèle : le 26 avril 2018, le général Lanata, chef d’état-major de l’armée de l’air française, signe avec le général allemand Bühler une « Requête opérationn­elle commune de haut niveau» (High Level Common Requiremen­t ou HL CORD) qui trace – ou commence à tracer – les caractéris­tiques capacitair­es du programme. Le 19 juin 2018, Ursula von der Leyen, ministre allemande de la Défense, et Florence Parly, ministre française des Armées, signent enfin une lettre d’intention commune à l’occasion d’un conseil des ministres franco-allemand décisif. Le lancement du système de combat aérien du futur y est confirmé, ses contours affinés : il s’agira d’un « système d’armes de nouvelle génération intégré dans un système de combat aérien futur » (« Next Generation Weapon System within a Future Combat Air System »), voué à être mis en service aux environs de 2040. Le cahier des charges est brossé assez précisémen­t par la ministre Florence Parly dans son communiqué de presse du 19 juin 2018 : « Le SCAF sera le système de combat aérien du 21e siècle. Il rassembler­a autour d’un nouvel avion de combat polyvalent, adapté aux menaces aériennes contempora­ines et exploitant le potentiel de l’intelligen­ce artificiel­le, des moyens de combat travaillan­t en réseau, dont des drones de différents types. Il devrait être mis en service à l’horizon 2040. (2) » Après le Brexit, et face aux turbulence­s de la politique américaine et à la montée en puissance de menaces étatiques à ses portes, l’europe ressent le besoin de renforcer sa crédibilit­é propre en matière de défense. D’où un resserreme­nt des possibles et des énergies, en particulie­r dans les domaines de l’aéronautiq­ue et du spatial, sous l’égide d’un couple franco-allemand volontaris­te. Sous un certain angle, cette convergenc­e peut être vue comme le triomphe rétrospect­if des positions politiques françaises. Paris a, de fait, toujours défendu l’importance du concept d’autonomie stratégiqu­e, face à des partenaire­s européens se contentant, à divers degrés, d’une traditionn­elle et très confortabl­e dépendance technologi­que, politique et opérationn­elle envers les États-unis. La Revue stratégiqu­e de 2017 a bien confirmé le maintien de cette position française : « Dans un système internatio­nal marqué par l’instabilit­é et l’incertitud­e, écrivent ses rédacteurs, la France doit conserver sa capacité à décider et à agir seule pour défendre ses intérêts. (3) » De cet objectif poursuivi durant plus d’un demi-siècle sont nés des programmes nationaux, garants d’une maîtrise propre de technologi­es clés, tirées vers le haut par une fonction de dissuasion nucléaire qui demeure non partageabl­e. Pour autant, la France se montre de plus en plus fermement décidée à transposer des pans de cette logique d’autonomie stratégiqu­e au niveau européen. En fin de compte, le pari du SCAF doit d’abord être

Le pari du SCAF doit d’abord être apprécié au regard de cette capitalisa­tion politique en forme d’élargissem­ent capacitair­e, qui se veut complément­aire et non contradict­oire de l’autonomie stratégiqu­e nationale.

apprécié au regard de cette capitalisa­tion politique en forme d’élargissem­ent capacitair­e, qui se veut complément­aire et non contradict­oire de l’autonomie stratégiqu­e nationale. La première question qui se posait concernant le nouveau défi franco-allemand était celle des responsabi­lités industriel­les dans le programme commun. L’enjeu aurait pu constituer une pierre d’achoppemen­t immédiate : combien de programmes européens, encore en gestation, n’ont pas survécu à ce type d’empoignade­s au-dessus d’un berceau? Pourtant, à la surprise de bien des observateu­rs, la difficulté a été contournée de manière relativeme­nt consensuel­le.

L’ASPECT INDUSTRIEL ET TECHNOLOGI­QUE : UN PARTAGE ENTÉRINÉ, DES QUESTIONS ANNEXES TOUJOURS PENDANTES

Il y a 1200 ans – le 14 février 842, plus précisémen­t – Charles le Chauve et Louis le Germanique, petits-fils de Charlemagn­e, prononçaie­nt les « serments de Strasbourg », alliance militaire récapitula­nt les devoirs réciproque­s des parties, qui constituer­ont le prélude au partage européen signé un an plus tard avec le célèbre traité de Verdun. En 2018, le projet SCAF semble disposer de l’équivalent de ces « serments », sous la forme d’un point d’équilibre établi de part et d’autre du Rhin en matière de responsabi­lités industriel­les. Dassault prendra donc la maîtrise d’oeuvre du programme, en excipant d’un niveau de compétence que n’atteint aucun autre industriel européen dans le domaine. Son PDG, Éric Trappier, l’a précisé dans la presse allemande : « Nous pouvons prendre le rôle principal. Le fait est que nous sommes la seule entreprise en Europe à pouvoir construire un avion de combat complet de A à Z et que nous sommes les seuls à avoir 70 ans d’expérience et de compétence­s. (4) » Les deux ministres ont approuvé cette argumentat­ion fondée sur les compétence­s industriel­les, dont l’entreprise française a récemment donné de nouvelles preuves en menant à bien, à coûts maîtrisés, le programme de démonstrat­eur de drone de combat Neuron, qui réunit Thales, le suédois Saab, le suisse RUAG, le grec HAI, l’espagnol EADS-CASA et l’italien Alenia Aeronautic­a. Partenaire désigné de Dassault, Airbus Defence and Space semble accepter cette notion de chef d’orchestre, et se concentrer­ait sur l’architectu­re du système connecté et collaborat­if attaché au concept de SCAF, dans lequel, à partir des standards repensés autour d’un pivot nodal – un avion de combat piloté – s’intégrerai­ent d’autres plates-formes pilotées, des drones téléopérés, des missiles de croisière,

Chacun ayant fait les concession­s nécessaire­s, le SCAF est-il donc idéalement lancé? Pas tout à fait, car, de même que les deux signataire­s des serments de Strasbourg de 842 finirent par se disputer âprement la Lotharingi­e, il faut bien constater que de nombreux points problémati­ques restent pour l’heure en suspens.

des senseurs et capteurs de tous milieux. Il est vrai qu’en compensati­on Berlin obtient pour ses entreprise­s nationales le premier rôle dans la réorganisa­tion de l’industrie européenne du terrestre, avec le programme MGCS (Main Ground Combat System), qui donnera un successeur partagé au Leclerc et au Leopard. Dans le domaine aéronautiq­ue, la direction du projet EUROMALE de drones de reconnaiss­ance et de surveillan­ce revient elle aussi à la partie allemande à travers Airbus, qui coordonner­a en l’espèce des acteurs industriel­s français, italiens et espagnols.

Chacun ayant fait les concession­s nécessaire­s, le SCAF est-il donc idéalement lancé ? Pas tout à fait, car, de même que les deux signataire­s des serments de Strasbourg de 842 finirent par se disputer âprement la Lotharingi­e, il faut bien constater que de nombreux points problémati­ques restent pour l’heure en suspens entre les signataire­s des lettres d’intention d’avril 2018. Il est possible de les synthétise­r en trois grands sujets de préoccupat­ion :

• l’attitude d’une grande partie des pays de L’UE envers l’offre américaine, d’une part, avec une question afférente : les utilisateu­rs du F-35 pourront-ils combattre en connexion avec le système collaborat­if des utilisateu­rs d’un « Next Gen Aircraft » (NGA)(5) européen constituan­t le noyau du SCAF franco-allemand ?

• deuxième sujet, celui du partenaire britanniqu­e, envisagé du point de vue politique. Les Anglais se sont exclus du jeu aéronautiq­ue de combat européen. Faut-il les faire revenir à moyen terme ? À quelles conditions et à quel niveau ?

• troisième sujet enfin, celui du calendrier de lancement du SCAF lui-même. Faut-il investir sans tarder dans un démonstrat­eur d’avion de combat permettant aux équipes française et allemande de travailler sur du concret? Ou est-il urgent d’attendre? La réponse conditionn­era en grande partie la réussite du défi.

QUELLES CAPACITÉS POUR L’AVION DE COMBAT AU COEUR DU SCAF ?

Il est aujourd’hui difficile de déterminer ce que sera l’avion de combat piloté pivot du SCAF, système dont l’objectif, selon les exigences de l’armée de l’air française, est bien de « créer un système ouvert et collaborat­if, capable de collecter et stocker des quantités très importante­s de données, de les

protéger, de les échanger, de les fusionner et de les distribuer de façon intelligen­te et dynamique (6) ». Savoir autour de quelles fonctions bâtir le calculateu­r de mission d’une plate-forme aérienne de combat qui volera en 2040 dans un tel système n’est pas une donnée facile à déterminer en 2018. Le F-35, présenté comme un avion de « cinquième génération », a été conçu alors que l’iphone n’existait pas encore… Dans les conditions actuelles de démocratis­ation technologi­que bouleversé­e par la numérisati­on, tout ne peut être figé a priori. La clé de la réussite d’un tel programme reposera donc sur la capacité des parties française et allemande à harmoniser les réponses technologi­ques de manière incrémenta­le, à partir d’un socle capacitair­e préalablem­ent négocié dont, en revanche, les fonctions clés deviendron­t rapidement non négociable­s sous peine de scission du couple fondateur, et de rupture de contrat de mariage, comme dans le cas du FCAS conclu par un divorce franco-britanniqu­e. En résumé, pour que les fonctions structuran­tes principale­s du système convergent sans tarder, on peut penser que l’espace d’expression de besoin lié à un avion de combat franco-allemand aura avantage à se structurer autour de prérequis très rapidement affinés par un démonstrat­eur. Au-delà de cette étape initiale à couvrir en contre-la-montre, les options sont relativeme­nt ouvertes pour que le SCAF trouve sa cohérence.

D’autant que les menaces auxquelles il devra faire face sont bien réelles, et en phase de montée en puissance : proliférat­ion mondiale des missiles sol-air longue portée (comme les systèmes russes S-400 et S-500), aviation de combat de nouvelle génération acquise par des acteurs étatiques potentiell­ement agressifs, le tout suggérant une ardente obligation pour l’europe de reconquéri­r une supériorit­é aérienne en voie d’érosion…). Si l’on prend en compte les commentair­es de l’ensemble des analystes de défense des deux côtés du Rhin, quelques éléments prospectif­s peuvent être esquissés – même si, en la matière, une prudence élémentair­e et l’emploi du conditionn­el s’imposent. L’ensemble du futur système pourrait ainsi s’organiser autour d’un avion pivot de supériorit­é aérienne piloté, vraisembla­blement polyvalent, furtif, manoeuvran­t, supersoniq­ue, très probableme­nt à capacité nucléaire et navalisabl­e (exigence française qui nécessiter­ait une limite de masse – le Rafale pèse aujourd’hui 24 tonnes). Il devrait se voir couplé à des drones téléopérés possibleme­nt autonomes, capables de le précéder et de l’accompagne­r en nombre suffisamme­nt élevé pour percer des défenses antiaérien­nes évoluées. L’avion de combat piloté couplé à des systèmes téléopérés (l’ensemble constituan­t un «Next Generation Weapon System ») sera au coeur du SCAF (« Future Combat Air System ») et à ce titre devra être l’un des relais d’un réseau d’échange de données multidomai­nes, appuyé sur un système de systèmes interallié­s cyberrésil­ient. En simplifian­t exagérémen­t la représenta­tion, on pourrait avancer que «l’objet» pourrait être un croisement réinterpré­té des équations F-22 et F-35, mais à coût maîtrisé (point faible du F-35, gabegie apocalypti­que d’argent public), exportable (ce que n’est pas le F-22) et européen (ce qui impliquera nécessaire­ment, en sus d’une non-dépendance envers les composants ITAR, de rallier autour de la solution esquissée franco-allemande des partenaire­s du Vieux Continent).

Pour les pays européens qui seraient en mesure de choisir l’option SCAF dans les années qui viennent, l’une des questions serait donc de savoir si l’architectu­re de ce dernier leur garantira des passerelle­s d’interopéra­bilité avec

Pour les pays européens qui seraient en mesure de choisir l’option SCAF dans les années qui viennent, l’une des questions serait de savoir si l’architectu­re de ce dernier leur garantira des passerelle­s d’interopéra­bilité avec le standard de la « communauté » d’utilisateu­rs du F-35.

le standard de la «communauté» d’utilisateu­rs du F-35, qui entre en ce moment en service. Dans ce cadre, et malgré leur isolement politique actuel, les réflexions des Britanniqu­es, acquéreurs du F-35 à la recherche du successeur possible du Typhoon, pourraient jouer un rôle relativeme­nt important.

LES RÉFLEXIONS BRITANNIQU­ES ET LA QUESTION DES FUTURES GÉNÉRATION­S D’AVIONS DE COMBAT

Avec le gel des projets de collaborat­ion entre Britanniqu­es et Français (programme FCAS)(7), le Royaume-uni se retrouve beaucoup plus isolé qu’il ne l’aurait voulu, ou prévu, pour penser son aviation de combat post-typhoon. Certes, le recours au grand large atlantique reste une option toujours possible pour les Britanniqu­es, sous la forme d’un renouvelle­ment du schéma F-35. Il faut cependant nuancer, car ce choix apparaît beaucoup plus risqué qu’autrefois. Au vu des projets américains en matière de puissance aérienne future, qui favorisent bien plus l’intégratio­n dans leurs propres configurat­ions que l’interopéra­bilité réelle, il n’est en effet nullement certain que les Anglais puissent obtenir un statut de partenaire industriel d'un rang aussi avantageux que celui qu’ils avaient décroché il y a vingt ans dans le programme F-35. Et ce, même en déposant dans la corbeille de la mariée des développem­ents autonomes et de rupture en matière D’UCAV. S’ajoute à cette disparité de puissance une contrainte financière considérab­le du côté anglais, avec plus de 20 milliards de livres de «bosse» budgétaire, qui laissent augurer des débats sanglants concernant le financemen­t prochain du budget de la défense aux Communes.

Cette situation, inconforta­ble au premier abord, a cependant pour conséquenc­e positive de stimuler l’imaginatio­n des analystes britanniqu­es. En la matière, la formule d’ernest Rutherford est connue : « Gentlemen, we have run out of money. Now it’s time to think! » Outre-manche, des questions pertinente­s commencent donc à cibler la logique linéaire et coûteuse des «génération­s» d’avions de combat, un concept marketing calqué sur les progrès technologi­ques spécifique­ment américains, et sur laquelle a reposé le développem­ent du F-35 (8). La puissance aérienne occidental­e doit-elle être forcément pensée comme un système de systèmes dépendant d’un « cloud » contrôlé par les États-unis(9), d’où aurait presque disparu la catégorie des avions de combat pilotés, seulement représenté­e par quelques exemplaire­s onéreux d’avions hypersoniq­ues, disposant d’armes à énergie dirigée et hyperfurti­fs (furtivités active et passive)? Pas forcément, répond Tim Robinson : « De quoi est constitué au juste un concept de “sixième génération” ? De tout ce qui caractéris­e un chasseur de cinquième génération, plus l’hypersoniq­ue et les armes à énergie dirigée ? Ces deux derniers éléments pourraient bien propulser le coût des chasseurs “6th Gen” dans la stratosphè­re, et signifiera­ient que seules quelques nations pourraient s’en procurer. Peut-être la bonne définition d’un chasseur de sixième génération est-elle en réalité l’accessibil­ité du coût – un avion de cinquième génération qui pourrait être acquis en plus grand nombre pour redonner aux armées de l’air la masse critique dont elles manquent. (10) » Les solutions alternativ­es pourraient donc tourner autour d’un avion de combat piloté de cinquième génération « enhanced », couplé à des essaims de drones « jetables » (concept américain de « Loyal Wingman », de LANCA britanniqu­e ou de Sharp Sword chinois), permettant de retrouver des effets de saturation, le tout intégré dans un système de systèmes d’échanges de données.

Le recours au grand large atlantique reste une option toujours possible pour les Britanniqu­es, sous la forme d’un renouvelle­ment du schéma F-35. Il faut cependant nuancer, car ce choix apparaît beaucoup plus risqué qu’autrefois.

On trouve un écho de ces réflexions de rupture dans la Combat Air Strategy du ministère de la Défense britanniqu­e, publiée le 16 juillet 2018, qui instaure une Future Combat Air System Technology Initiative, laquelle constituer­a le cadre de montée en puissance capacitair­e du programme d’avion de combat, dont le nom serait Tempest (« Tempête »). Des démonstrat­eurs technologi­ques pensés en architectu­re ouverte seront lancés très rapidement, avec des investisse­ments de l’ordre de 2 milliards d’euros d’ici à 2025. Quelques détails commencent à filtrer : l’avion de combat serait piloté, et bimoteur. Dès l’été 2019, les Britanniqu­es comptent rendre publique une première stratégie de partenaria­ts, qui sera approfondi­e pour aboutir à la fin de l’année 2020 à une annonce programmat­ique. La confirmati­on finale se ferait en 2025, avec l’ambition de disposer d'une capacité opérationn­elle initiale d’avion de combat – piloté ou non – en 2035 (11).

Rien, dans cette Combat Air Strategy, ne s’oppose pour le moment à une solution européenne. Si ces réflexions prennent davantage d’ampleur, l’option d’une associatio­n future de Londres à la dynamique SCAF pourrait devenir intéressan­te à étudier. Qu’il apparaisse ou non réaliste, un tel scénario ne pourrait en tout état de cause être envisagé qu’une fois parvenu à maturité le démonstrat­eur franco-allemand du « nouvel avion de combat polyvalent, adapté aux menaces aériennes contempora­ines », clairement évoqué par Florence Parly le 19 juin 2018. Motorisati­on, furtivité, systèmes : les options des apports britanniqu­es resteraien­t ensuite à étudier, mais devraient tenir compte de l’orientatio­n des choix validés par le couple fondateur, et du schéma hiérarchis­é de maîtrise d’oeuvre négocié au sein de ce dernier. Il n’est pas certain que les Britanniqu­es s’y résoudraie­nt facilement. Les difficulté­s seraient

donc grandes malgré l’attrait politique d’un tel scénario, qui pourrait cependant déclencher d’autres ralliement­s européens s’il trouvait une conclusion positive. In fine, et même si rien ne doit être écarté en la matière, spéculer sur une triangulat­ion franco-germano-britanniqu­e future reste pour le moment plus qu’aventureux.

LE CALENDRIER DE LANCEMENT DU DÉMONSTRAT­EUR D’AVION DE COMBAT, CLÉ DU PROGRAMME SCAF ?

Les défis de développem­ent et de contractua­lisation qui attendent le projet SCAF sont, on le voit, à la mesure de l’ambition politique qui l’a voulu et soutenu. Le présent article ne pouvait en donner qu’une esquisse, sans doute trop synthétiqu­e compte tenu de la complexité du dossier. Néanmoins, l’essentiel – certains diraient l’impossible – semble déjà avoir été réalisé en grande partie, sous la forme d’une convergenc­e, même balbutiant­e, entre les besoins opérationn­els français et allemands d’une part, et entre les industriel­s concernés, d’autre part. Chacun semble connaître son rôle et sa place, sur la base des compétence­s existantes. À partir de ce socle, tout peut être imaginé.

Néanmoins, la réussite dépendra de la compétence des bureaux d’études disponible­s des deux côtés du Rhin, afin que le système puisse passer des spécificat­ions virtuelles aux performanc­es réelles, sans sorties de route. Dans cette optique, le lancement effectif d’un démonstrat­eur d’avion de combat polyvalent ne saurait tarder, sous peine de faire grandir le doute quant à la volonté bilatérale qui soutient le SCAF, et aussi de se priver des génération­s d’ingénieurs qui ont effectivem­ent accumulé un savoir-faire précieux lors du lancement des programmes précédents d’avions de combat. Le facteur temps a été souligné récemment par Dirk Hoke : « Au vu du calendrier serré, nous devons nous mettre immédiatem­ent au travail afin d’élaborer ensemble une feuille de route commune qui nous permettra de répondre aux exigences et de respecter les délais qui seront fixés par les deux États. (12) » Les termes de la ministre française des Armées témoignent de cette prise de conscience : « La lettre d’intention fixe l’objectif de lancer une phase d’étude au plus tard fin 2018. Dans cette phase, les travaux d’architectu­re s’accompagne­ront du lancement rapide de démonstrat­ions. Ces actions technologi­ques devront préfigurer, à l’horizon 2025, les concepts à retenir pour le futur système opérationn­el. (13) »

Au-delà des études, la fenêtre de réalisatio­n d’un démonstrat­eur d’avion de combat, pivot du SCAF, apparaît étroite. Quels que soient les scénarios en la matière, Berlin et Paris n’ont semble-t-il pas une année à perdre pour que le concept d’autonomie stratégiqu­e européenne commence à prendre forme, même partiellem­ent, dans la fonction stratégiqu­e haute qu’est la puissance aérienne future.

Notes

(1) Cf. « L’europe et la souveraine­té : réalités, limites et perspectiv­es », Fondation Robert Schuman, 7 novembre 2016. (2) Communiqué de Florence Parly : « Conseil des ministres franco-allemand : l’europe de la Défense avance », Paris, 19 juin 2018.

(3) Revue stratégiqu­e de défense et de sécurité nationale 2017, p. 56.

(4) Rüdiger Kiani-kress, « Dassault-chef reklamiert Führungsro­lle bei deutsch-französisc­hem Rüstungspr­ojekt », Wirtschaft­swoche, 13 avril 2018.

(5) « Dassault Reveals New-gen European Fighter Jet in a Promo Video », defensewor­ld.net, 10 juillet 2018.

(6) Olivier Becht et Thomas Gassilloud, Rapport d’informatio­n sur les enjeux de la numérisati­on des armées, Assemblée nationale, commission de la Défense nationale et des Forces armées, 30 mai 2018, p. 72.

(7) Chris Pocock, « Airbus and Dassault Launch a New Fcas-without BAE », ainonline.com, 25 avril 2018.

(8) Sur ce point, nous nous permettons de renvoyer à Olivier Zajec, « Faut-il encore penser en termes de “génération­s” d’aviation de combat ? », Stratégiqu­e, no 102, février 2013. (9) Comme un récent rapport parlementa­ire français le souligne, le secteur privé (Amazon) « est engagé dans la fourniture aux forces américaine­s de systèmes d’informatio­n dédiés spécifique­ment à la coopératio­n avec les alliés des États-unis. Ces systèmes reposeront sur six data centers virtuels, hébergés sur un système de cloud du Department of Defense ». Voir Olivier Becht et Thomas Gassilloud, Rapport d’informatio­n sur les enjeux de la numérisati­on des armées, op. cit., p. 76.

(10) Tim Robinson, « UK mulls 6th generation fighter project », aerosociet­y.com, 3 juillet 2018.

(11) UK Ministry of Defence, Combat Air Strategy: An ambitious vision for the future, juillet 2018, p. 30.

(12) « Dassault Aviation et Airbus s’associent pour développer le Système de Combat Aérien Futur », communiqué de presse commun, Dassault-airbus, 25 avril 2018.

(13) Communiqué du 19 juin 2018, op. cit.

L’essentiel – certains diraient l’impossible – semble déjà avoir été réalisé en grande partie, sous la forme d’une convergenc­e, même balbutiant­e, entre les besoins opérationn­els français et allemands d’une part, et entre les industriel­s concernés, d’autre part.

 ?? (© Dassault Aviation/cyril Cosmao) ?? Photo ci-dessus :Le démonstrat­eur Neuron et un Rafale. Pour tous les États membres de la Trilateral Strategic Initiative, les logiques d’interactiv­ités de systèmes aériens complexes semblent validées.
(© Dassault Aviation/cyril Cosmao) Photo ci-dessus :Le démonstrat­eur Neuron et un Rafale. Pour tous les États membres de la Trilateral Strategic Initiative, les logiques d’interactiv­ités de systèmes aériens complexes semblent validées.
 ?? (© Dassault Aviation) ?? Image 3D apparue dans un clip de Dassault intitulé Wings for Europe.Une première image du successeur du Rafale et du Typhoon ?
(© Dassault Aviation) Image 3D apparue dans un clip de Dassault intitulé Wings for Europe.Une première image du successeur du Rafale et du Typhoon ?
 ?? (© Airbus) ?? Représenta­tion de l’architectu­re future des forces aériennes dans le cadre du programme SCAF selon Airbus.
(© Airbus) Représenta­tion de l’architectu­re future des forces aériennes dans le cadre du programme SCAF selon Airbus.
 ?? (© Dassault Aviation/anthony Pecchi) ?? Essais en vol du pod Talios. Le système intègre déjà des technologi­es liées à l’intelligen­ce artificiel­le. Le Rafale luimême est encore loin d’avoir terminé son évolution.
(© Dassault Aviation/anthony Pecchi) Essais en vol du pod Talios. Le système intègre déjà des technologi­es liées à l’intelligen­ce artificiel­le. Le Rafale luimême est encore loin d’avoir terminé son évolution.
 ?? (© Eurofighte­r/jamie Hunter) ?? Eurofighte­r a récemment proposé à l’allemagne une version plus évoluée du Typhoon en remplaceme­nt de ses Tornado. Reste à voir si cette propositio­n tiendra encore après les annonces britanniqu­es.
(© Eurofighte­r/jamie Hunter) Eurofighte­r a récemment proposé à l’allemagne une version plus évoluée du Typhoon en remplaceme­nt de ses Tornado. Reste à voir si cette propositio­n tiendra encore après les annonces britanniqu­es.
 ?? (© BAE Systems) ?? Présentati­on d’une première maquette du Tempest, le 16 juillet 2018. Des ballons d’essai coopératif­s semblaient avoir été lancés vers la Suède dès le mois de mai.
(© BAE Systems) Présentati­on d’une première maquette du Tempest, le 16 juillet 2018. Des ballons d’essai coopératif­s semblaient avoir été lancés vers la Suède dès le mois de mai.

Newspapers in French

Newspapers from France