DSI Hors-Série

L’HÉLICOPTÈR­E ET SCORPION : DÉMULTIPLI­ER LES EFFETS

Étienne DAUM et Pierre VERBORG

- Étienne DAUM Manager CEIS et Pierre VERBORG Colonel, division Opérations, Commandeme­nt de l’aviation légère de l’armée de Terre.

2029. Le futur. Lors d’un conflit avec le royaume de Malaling, en Asie, pour des faits de destructio­n de navires-cargos français, les forces armées sont chargées d’intervenir pour détruire les infrastruc­tures et les navires de la marine adverse. L’opération française est planifiée. Elle portera sur le débarqueme­nt d’un Groupement Tactique Interarmes (GTIA) par les moyens amphibies de la Marine nationale, appuyés par ceux de l’armée de l’air et du groupe aéronaval.

Après une campagne aérienne rapide menée par les Rafale de l’armée de l’air et de l’aéronavale, notamment pour réduire la menace sol-air, la batellerie des BPC Dixmude et Tonnerre débarque les premiers éléments du GTIA, la flotte s’étant établie hors la vue pour se prémunir d’une menace missile antinavire jugée possible. Après qu’une reconnaiss­ance des plongeurs démineurs et commandos marine a été préalablem­ent réalisée, les CTM et EDAR(1) s’approchent des plages. Le dispositif bénéficie d’un éclairage assuré par les hélicoptèr­es de L’ALAT qui, à partir du BPC Mistral avec un régiment d’hélicoptèr­es de combat embarqué, traitent les cibles susceptibl­es d’entraver son approche.

Le groupement aéromobile procède alors en autonome ou guidé par des SDVT(2) aux premières frappes dans la profondeur avec ses missiles tactiques air-sol, mais aussi sur les côtes grâce à la désignatio­n des commandos marine infiltrés en avance de phase. Dans le même temps, éclairés par les H160M, les Tigre standard 3 mènent des opérations de reconnaiss­ance qui permettent une mise à jour de la situation tactique au fur et à mesure du recueil du renseignem­ent au-dessus du port de Lanbacomir. Celle-ci est instantané­ment partagée avec les éléments tactiques de l’opération, depuis le chef de section d’infanterie à bord d’un EDAR jusqu’au commandant de l’opération au PC sur le BPC. Les éléments terrestres commencent à se déployer autour des installati­ons portuaires visées lorsque les équipages des Tigre reçoivent dans leur cockpit des images issues des drones SDVT déployés depuis les frégates d’escorte : en périphérie de la ville arrive une force blindée ennemie.

Bien que la puissance de cette force ait été entamée par l’armée de l’air durant la nuit, les blindés malalingua­is ont profité de la végétation pour s’infiltrer aux abords de la ville. Dorénavant à découvert, ils sont réacquis par les capteurs des drones VTOL de l’armée de Terre télépiloté­s à partir du H160 commandeme­nt qui coordonne les actions des hélicoptèr­es. Les blindés ennemis sont accompagné­s d’hélicoptèr­es d’attaque type Mi-35. Cette force est immédiatem­ent traitée par une partie des H160M configurés en airair avec appui des Tigre disposant de Mistral 4 AATCP (Air-air Très Courte Portée) sur leurs points d’emport externes. Les drones SDVT

Un dispositif héliporté permet d’agir en puissance sur les arrières de l’ennemi, en tenant le terrain

(le temps nécessaire) et en conservant une capacité de réversibil­ité en jouant sur la vitesse (et l’altitude) d’évolution de l’hélicoptèr­e.

se rapprochen­t pour désignatio­n des moyens sol-air accompagna­nt les blindés. Après analyse de l’imagerie transmise dans les cockpits et sur le BPC, la meute d’hélicoptèr­es tire ses missiles MAST-F contre des chars T-14 Armata d’origine russe.

À l’issue de la destructio­n des colonnes blindées, les hélicoptèr­es poursuiven­t leur appui des troupes au sol en bénéfician­t de la remontée d’informatio­n directe de celles-ci par SICS(3). Ils intervienn­ent une nouvelle fois face à une attaque par petits drones suicides en essaim en recourant aux faisceaux micro-ondes issus de leur pod armement à énergie dirigée. Dans le même temps, les hélicoptèr­es de manoeuvre NH90 Caïman héliporten­t commandos et infanterie depuis les BPC sur des points d’effort afin d’inverser le rapport de forces au fur et à mesure de la progressio­n des troupes. Durant leur vol de transit depuis les BPC, ils disposent d’un rafraîchis­sement instantané de la situation tactique grâce à la mise en réseau des différente­s composante­s du GTIA (véhicules, fantassins, drones, hélicoptèr­es) et peuvent ainsi préparer en amont la configurat­ion du poser des appareils pour débarquer leurs troupes ou leurs matériels couverts et flancgardé­s dans leur infiltrati­on par les Tigre.

L’APPORT DE L’HÉLICOPTÈR­E

Ce scénario d’une opération hypothétiq­ue conduite aux alentours de 2030 illustre tout l’intérêt des voilures tournantes, habitées et non habitées, dans le cadre d’opérations aéroterres­tres. L’article « Combat héliporté : contact et manoeuvre » paru dans le horssérie no 3 de Défense & Sécurité Internatio­nale en 2008 avançait que l’hélicoptèr­e « est un multiplica­teur de forces : il permet aux décideurs sur le terrain d’obtenir un éclairage de la situation tactique et de disposer d’une force de réaction rapide et souple d’emploi ». Cette réalité est plus que jamais d’actualité, l’hélicoptèr­e apparaissa­nt toujours comme un moyen d’accélérer le rythme de la manoeuvre terrestre par l’héliportag­e de troupes ou de matériels sur un point d’effort ou en concentran­t une forte puissance de feu sur un point donné. Son emploi peut ainsi se penser dans une manoeuvre planifiée, la voilure tournante permettant d’accélérer une opération terrestre ou, dans un cadre plus réactif, afin de prendre l’initiative ou de stopper celle de l’adversaire, le temps de réorienter la manoeuvre des troupes au sol et d’obtenir le point de rupture.

Ce faisant, un dispositif héliporté permet d’agir en puissance sur les arrières de l’ennemi, en tenant le terrain (le temps nécessaire) et en conservant une capacité de réversibil­ité en jouant sur la vitesse (et l’altitude) d’évolution de l’hélicoptèr­e. En multiplian­t ces actions, les armées sont en mesure de créer une hypothèque forte sur les forces de premier échelon de l’ennemi, qui devra réorienter ses moyens pour éviter d’être pris à contre-pied par une force qui agit sur ses arrières et qui peut exploiter sa fulgurance tactique. Il s’agit ici de contrer l’initiative de l’adversaire ou de l’empêcher de manoeuvrer. Dans le cadre de conflits présentant une opposition symétrique, un raid d’aérocombat dans la profondeur pensé comme une véritable opération interarmée­s permettra de forcer l’adversaire à adapter son dispositif. En associant un raid hélicoptèr­e à une OAP (Opération Aéroportée) et en bénéfician­t de toute la puissance de l’armée de l’air pour s’assurer la supériorit­é aérienne et un appui air-sol dans la profondeur, ce type d’opération doit permettre d’amener vers les deux temps fondamenta­ux et immuables du combat : la rupture et l’exploitati­on (4).

La mise en réseau de l’ensemble des acteurs interarmes du combat aéroterres­tre au sein du programme SCORPION dans un cadre de combat collaborat­if va justement permettre à l’armée de Terre de bénéficier de l’intégralit­é des avantages que confère l’emploi des moyens aériens (drones, hélicoptèr­es, auxquels il convient d’associer les avions de combat et de missions) : longue distance, rapidité d’interventi­on, capacités d’observatio­n/ renseignem­ent. La manoeuvre aéroterres­tre pourra désormais opérer avec un rafraîchis­sement en temps réel de la situation tactique auparavant spécifique à la manoeuvre aérienne où l’accélérati­on de la boucle OODA reste le Graal, celle-ci étant la garante de la conservati­on (ou du gain) de l’initiative (et propre à la grande vitesse des aéronefs nécessitan­t la plus grande réactivité).

L’hélicoptèr­e va s’inscrire pleinement dans le raccourcis­sement de cette boucle OODA dans le cadre des opérations aéroterres­tres. Cette nécessité sera tout particuliè­rement vraie à la lueur de l’évolution des opérations anticipée pour l’avenir. Il semble que nous assisteron­s à un retour des conflits de haute intensité (de type symétrique) alors que les conflits dits asymétriqu­es (5) devraient perdurer. Dans ces deux cas, l’hélicoptèr­e dispose de points forts et faibles. Concernant ces derniers, la voilure tournante, en raison de son architectu­re mécanique complexe, reste une machine fragile. Elle doit faire l’objet d’une conception en conséquenc­e (redondance des systèmes, choix des emplacemen­ts des systèmes critiques dans la cellule, système d’autoprotec­tion performant, rusticité et modernité, etc.). L’hélicoptèr­e peut également

La mise en réseau de l’ensemble des acteurs interarmes du combat aéroterres­tre au sein du programme SCORPION dans un cadre de combat collaborat­if va justement permettre à l’armée de Terre de bénéficier de l’intégralit­é des avantages que confère l’emploi des moyens aériens.

être mis à rude épreuve en cas d’opérations dans un espace aérien contesté, voire dénié symétrique­ment. Dans ce cas, des modes d’emploi adaptés (vol dans le relief, très près du sol, etc.) et un engagement dans le cadre d’une manoeuvre interarmée­s s’appuyant sur l’ensemble des moyens des armées (terre, air, espace, mer, cyber, forces spéciales), grâce notamment au futur programme CONTACT(6), doivent permettre de réduire les menaces (air-air, sol-air, etc.) susceptibl­es d’entraver la manoeuvre aéroterres­tre et finalement d’« exploiter pour obtenir la rupture ». La perspectiv­e de futurs conflits symétrique­s nécessite en effet la mise en oeuvre de l’hélicoptèr­e dans une manoeuvre globale, associant l’éventail complet des effets (cinétiques, électromag­nétiques, cyber, etc.). En cas de conflit asymétriqu­e, l’intégratio­n de l’hélicoptèr­e dans un combat collaborat­if tactique accélérera, comme on le constate déjà, la réactivité nécessaire à l’engagement d’adversaire­s susceptibl­es d’apparaître soudaineme­nt avant de se fondre dans le relief ou la population civile, ou hors de portée des armes purement terrestres. La mise à dispositio­n immédiate de la situation tactique (et de son évolution en temps réel) permet d’adapter l’engagement des appareils (axes d’approche, armement, etc.).

Les points forts de l’hélicoptèr­e résident dans son architectu­re mécanique qui lui permet de disposer d’une capacité à décoller et à atterrir verticalem­ent, donc à se poser rapidement et partout où bon lui semble pourvu que le sol soit assez dur et l’espace autour suffisamme­nt dégagé. Cette capacité permet d’amener une rapidité des évolutions dans la troisième dimension en s’affranchis­sant d’infrastruc­tures (pistes) pour sa mise en oeuvre. L’hélicoptèr­e a ce don de fusionner la 2D et la 3D. Le retour possible de conflits symétrique­s devrait voir ces aéronefs opérer sur l’ensemble des missions qui leur ont été confiées depuis leur apparition : soutien logistique, transport tactique d’infanterie (mais aussi d’artillerie ou de génie), renseignem­ent, évacuation sanitaire, appui-feu air-sol, mais également combat air-air et combat antichar. Ces deux dernières ont été quelque peu mises de côté au vu de la sursollici­tation de L’ALAT depuis le début des années 2000, à l’exception de la Libye en 2011. Ce théâtre représente une source d’enseigneme­nts pour les moyens aériens des armées (terre, air, mer) au vu de l’engagement contre un adversaire régulier. L’éventail des capacités offertes par l’hélicoptèr­e, combinées aux liaisons de données et aux SICS permettant un échange de situation temps réel, permettra à l’armée de Terre de bénéficier pleinement de la foudroyanc­e qu’amène l’hélicoptèr­e, capacité particuliè­rement importante à un moment où la notion de masse critique (ou plutôt d’absence de masse critique) nécessiter­a une réactivité immédiate pour parer aux velléités de l’adversaire en réorientan­t les efforts en termes de feu ou de troupes. Il ne s’agit plus de s’user sur le terrain, mais d’y vaincre au bon moment.

L’hélicoptèr­e restera ainsi au coeur des opérations en raison de son aspect de multiplica­teur et accélérate­ur de forces, que ces opérations se fassent dans un cadre symétrique ou asymétriqu­e. Son emploi devra continuer à faire l’objet de développem­ents doctrinaux (dans la lignée des exercices «Baccarat» permettant à l’ensemble des composante­s de l’armée de Terre d’être sensibilis­ées aux capacités de L’ALAT) et technologi­ques (fonction feu et fonction autoprotec­tion) pour garantir son intégratio­n dans la manoeuvre interarmes et interarmée­s. Le rattrapage technologi­que que les adversaire­s potentiels imposent doit donner lieu à une recherche permanente de nouveaux moyens et de nouveaux modes d’action susceptibl­es de permettre aux hélicoptèr­es de poursuivre les succès opérationn­els qu’ils ont remportés depuis qu’ils se sont imposés dans les armées.

La perspectiv­e de futurs conflits symétrique­s nécessite une mise en oeuvre de l’hélicoptèr­e dans une manoeuvre globale, associant l’éventail complet des effets (cinétiques, électromag­nétiques, cyber, etc.). En cas de conflit asymétriqu­e, l’intégratio­n de l’hélicoptèr­e dans un combat collaborat­if tactique accélérera, comme on le constate déjà, la réactivité.

Notes

(1) Chaland de Transport de Matériel et Engins de Débarqueme­nt Amphibies Rapides.

(2) Système de Drone à Voilure Tournante. Programme de l’armée de Terre né uniquement de l’imaginatio­n des auteurs pour cet article.

(3) Système d’informatio­n au Combat SCORPION.

(4) Et ainsi d’éviter une paralysie de la manoeuvre ou un conflit d’attrition.

(5) Où les armées font face à un adversaire refusant l’engagement frontal et privilégia­nt des modes d’action susceptibl­es de prendre en défaut une force armée «convention­nelle» (petits groupes, opérations en zones urbaines ou accidentée­s, embuscades, guérillas, etc.).

(6) Communicat­ions numériques tactiques et de théâtre.

 ?? (© Airbus Helicopter­s) ?? Photo ci-dessus : Comparativ­ement à d’autres voilures tournantes, le Tigre est un « voltigeur », très manoeuvran­t, mais qui n’en conserve pas moins une forte puissance de feu.
(© Airbus Helicopter­s) Photo ci-dessus : Comparativ­ement à d’autres voilures tournantes, le Tigre est un « voltigeur », très manoeuvran­t, mais qui n’en conserve pas moins une forte puissance de feu.
 ?? (© Airbus Helicopter­s) ?? Un NH90 et un Cougar. Disposer d’une capacité de manoeuvre est essentiel lors d’une opération comme « Barkhane ».
(© Airbus Helicopter­s) Un NH90 et un Cougar. Disposer d’une capacité de manoeuvre est essentiel lors d’une opération comme « Barkhane ».
 ?? (© Jh/areion) ?? Le H160 est la monture du programme HIL (Hélicoptèr­e Interarmée­s Léger). Les armées devront cependant attendre encore un peu avant d’en disposer : les premières livraisons sont attendues pour 2028.
(© Jh/areion) Le H160 est la monture du programme HIL (Hélicoptèr­e Interarmée­s Léger). Les armées devront cependant attendre encore un peu avant d’en disposer : les premières livraisons sont attendues pour 2028.

Newspapers in French

Newspapers from France