DSI Hors-Série

« NOUS DEVRONS NOUS MONTRER À LA HAUTEUR DES MOYENS ENGAGÉS »

- Avec Christophe PRAZUCK Amiral, Chef d’état-major de la Marine (CEMM).

Entretien avec l’amiral Christophe PRAZUCK, Chef d’état-major de la Marine (CEMM)

La LPM qui vient sera cruciale pour la Marine à bien des égards sur des capacités clés : guerre des mines, ravitaille­ment, réception des premiers Suffren… Voyez-vous des « points durs » potentiels quant à sa réalisatio­n ou quant à ces programmes ?

Christophe Prazuck : Vous avez raison de souligner que cette LPM sera cruciale pour la Marine. La volonté politique, concrétisé­e par une inflexion budgétaire sans précédent depuis de nombreuses décennies, répond à un changement profond du contexte internatio­nal. Devant nous, des opérations plus dures, une compétitio­n technologi­que plus intense. Nous devrons nous montrer à la hauteur des moyens engagés.

L’effort budgétaire considérab­le prévu par cette LPM, qui permet à la Marine de combler ses lacunes, de renouveler ses moyens de combat et de préparer l’avenir bien au-delà de 2030, est tracé, jalonné jusqu’à 2023. Mais cette LPM est aussi et avant tout une LPM « à hauteur d’homme ». Le contexte social et sociétal dans lequel celle-ci sera exécutée (réforme des retraites, papy-boom, évolution de l’organisati­on du travail et des aspiration­s des jeunes génération­s…) recèle peut-être des incertitud­es plus grandes que la trajectoir­e capacitair­e. Nous devrons donc nous montrer inventifs et vigilants pour continuer à recruter, former et fidéliser des marins à la hauteur de l’effort budgétaire consenti. Enfin, je veux ne pas oublier les programmes peut-être moins visibles, mais qui sont le ciment de notre Marine, comme les infrastruc­tures ou les moyens de simulation.

Vous avez présenté le «plan Mercator» en juillet, avec notamment le doublement des équipages des FREMM et de quelques autres bâtiments. Le recrutemen­t présente-t-il des difficulté­s particuliè­res? Au-delà, quelles difficulté­s potentiell­es voyez-vous quant à la réalisatio­n de ce plan ?

Nous avons coutume de parler de « bataille du recrutemen­t» : si l’attrait général pour ce métier extraordin­aire de marin ne faiblit pas, nous sommes, sur certains segments, et notamment les métiers les plus pointus techniquem­ent, en compétitio­n avec une société civile qui manque aujourd’hui de technicien­s et d’ingénieurs. Nous devons donc élargir notre vivier de recrutemen­t, nous devons cibler et former les compétence­s indispensa­bles pour faire fonctionne­r des bâtiments aussi sophistiqu­és qu’une FREMM ou un Barracuda. C’est pour cette raison, pour ouvrir plus largement les portes de la Marine, que j’ai notamment décidé d’augmenter de 50 % la proportion de femmes d’ici à 2030.

Et une fois recrutés, nous ne pouvons pas nous permettre de perdre trop tôt ces marins aux compétence­s rares et précieuses.

J’ai besoin que les unités de combat modernes soient « plug and fight », c’est-à-dire par exemple que l’équipage d’une frégate puisse sans préavis passer d’une mission de sûreté de la FOST à une mission d’escorte du groupe aéronaval ou de tir de missiles de croisière.

Nous ne pouvons pas nous permettre que des marins formés et motivés nous quittent, parfois à regret, parce que le tempo opérationn­el n’est plus compatible avec leurs impératifs familiaux. Nous devons nous adapter. C’est la raison pour laquelle les FREMM et les PSP passeront progressiv­ement, à partir de l’été 2019, à double équipage.

La Marine nationale a engagé pour la première fois des frégates dans des actions de frappe avec des missiles de croisière en avril. Quelles leçons – technologi­ques, organisati­onnelles, tactiques – en tirez-vous ?

Je vous ai parlé tout à l’heure d’opérations plus dures et de compétitio­n technologi­que plus intense. Je ne m’étendrai donc pas plus sur l’analyse technico-opérationn­elle de cette opération que n’a souhaité le faire la ministre des Armées, vous le comprendre­z aisément. Je constate simplement que tous les objectifs ont été atteints. Je constate également que nos frégates se sont insérées dans un dispositif opérationn­el extrêmemen­t complexe puisqu’il exigeait une coordinati­on parfaite entre des moyens de surface, sous-marins et aériens, de trois nations différente­s, éloignés de plusieurs milliers de kilomètres les uns des autres.

Demain, l’intelligen­ce artificiel­le nous aidera à mieux « séparer le bon grain de l’ivraie » et à cibler plus efficaceme­nt les contacts d’intérêt en distinguan­t automatiqu­ement les comporteme­nts suspects.

Enfin, j’aimerais souligner que certains bâtiments engagés étaient, quelques dizaines d’heures auparavant seulement, en train de conduire des opérations complèteme­nt différente­s, à des centaines de nautiques de là. Elles ont rallié la zone sans période d’entraîneme­nt supplément­aire et rempli la mission, sous menace dans les trois dimensions, dans un contexte opérationn­el extraordin­airement exigeant. C’est ce jour-là que le qualificat­if « multi-missions » a pris la totalité de son sens. J’ai besoin que les unités de combat modernes soient « plug and fight », c’està-dire par exemple que l’équipage d’une frégate puisse sans préavis passer d’une mission de sûreté de la FOST à une mission d’escorte du groupe aéronaval ou de tir de missiles de croisière.

Le remplaceme­nt des patrouille­urs par les BATSIMAR est devenu une véritable saga – nous en parlions déjà dans nos pages il y a dix ans – et la question est devenue l’une de vos priorités. Finalement, des POM (Patrouille­urs Outre-mer) et des Patrouille­urs de Haute Mer de Nouvelle Génération (PHM-NG) devraient être commandés. Qu’attendez-vous d’eux en termes capacitair­es ?

Nous connaisson­s déjà l’architectu­re générale du POM, proche cousin du Patrouille­ur Léger Guyanais (PLG) dont le troisième de la série ralliera bientôt la Martinique. Au-delà de son nom, «la Combattant­e», c’est aussi tout un symbole : il y comblera ce qui était notre plus ancienne rupture temporaire de capacité,

depuis le départ de la «Gracieuse» en 2010. C’est un bâtiment très marin et robuste, capable d’embarquer un drone de surveillan­ce et de mettre en oeuvre l’ensemble des moyens consacrés à l’action de l’état en mer.

Le processus de définition des PHM-NG est en cours. Ces bâtiments seront plus grands et devront au minimum remplir les missions qui échoient aujourd’hui à leurs prédécesse­urs, les avisos A-69 : sûreté de la FOST, missions de contrôle d’embargo, de surveillan­ce et de renseignem­ent dans les zones de crise. Ils devront également être capables d’accueillir un hélicoptèr­e HIL et un drone SDAM.

A priori, la Marine devrait disposer de 19 patrouille­urs à terme. Vu la taille du domaine maritime français, cette structure de force reste légère. Quelles solutions pourraient permettre de compenser le déficit de plates-formes ?

Vous avez raison de souligner que notre domaine maritime est immense : c’est le deuxième du monde. Il possède une autre caractéris­tique : il est très disparate. Rien de commun entre les immensités vides des Terres australes, dans lesquelles toute

Le processus de définition des PHM-NG est en cours. Ces bâtiments seront plus grands et devront au minimum remplir les missions qui échoient aujourd’hui à leurs prédécesse­urs.

nouvelle détection radar est suspecte, et le Pas-de-calais, par lequel transitent plus de 100 000 bâtiments par an, parmi lesquels quelques dizaines de suspects. Nous devons faire trois choses : détecter, identifier et intervenir. L’importance relative de ces trois tâches et les moyens qui leur sont consacrés dépendent donc des caractéris­tiques propres de ces espaces maritimes. Pour détecter, nous utilisons des satellites d’observatio­n, des avions de surveillan­ce maritime, des sémaphores et, demain, des drones à long rayon d’action. Pour identifier, nous utilisons des avions, des hélicoptèr­es et des bâtiments de surface. Demain, l’intelligen­ce artificiel­le nous aidera à mieux «séparer le bon grain de l’ivraie » et à cibler plus efficaceme­nt les contacts d’intérêt en distinguan­t automatiqu­ement les comporteme­nts suspects. Enfin, pour intervenir, c’est-à-dire pour monter à bord, contrôler, et si nécessaire appréhende­r, saisir et dérouter, il faudra toujours un patrouille­ur endurant et hauturier, capable de mettre en oeuvre, y compris loin des côtes et dans des mers formées, une ou plusieurs embarcatio­ns légères et une équipe de visite, composée de marins aguerris, compétents et motivés. Plus encore que le nombre, c’est bien la cohérence de l’ensemble du dispositif, et son adaptation aux spécificit­és de chaque théâtre, qui permettra demain d’accroître significat­ivement la couverture du domaine maritime français et de répondre aux défis d’une criminalit­é maritime en pleine expansion.

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Le Charles de Gaulle à la mer, en 2016. (© Bundeswehr) ??
Photo ci-dessus : Le Charles de Gaulle à la mer, en 2016. (© Bundeswehr)
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L’auvergne, quatrième unité de la classe Aquitaine, au cours de ses essais en mer. Le bâtiment a été admis au service actif en février 2018. (© Naval Group)
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La Perle, dernier sous-marin nucléaire d’attaque de la classe Rubis, au cours d’un exercice de L’OTAN. L’arrivée des Suffren, dont la tête de classe devrait entrer en service en 2020, laisse augurer des changement­s majeurs, avec des capacités très supérieure­s à celles des bâtiments actuels. (© MARCOM OTAN)

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