PATROUILLE ET SURVEILLANCE MARITIME : BATAILLE COMMERCIALE EN PERSPECTIVE
Yannick SMALDORE
En Europe, les enjeux géostratégiques se redessinent progressivement. Dans un contexte de réémergence des menaces, d’incertitudes sur les alliances historiques et d’ouverture de nouvelles routes commerciales, notamment au nord, le domaine de la lutte aéromaritime s’ouvre vers plus de polyvalence, et se présente alors comme un outil de surveillance, de contrôle et d’intervention particulièrement efficient.
Alors que la contraction des flottes de combat semble encore difficile à enrayer pour les membres européens de L’OTAN(1), les plates-formes de Patrouille et de Surveillance Maritime (PATMAR et SURMAR) de nouvelle génération sont présentées par les avionneurs européens, Airbus, Dassault et Saab en tête, comme de véritables multiplicateurs de force. Reste, comme toujours, à anticiper au mieux le besoin des forces et à trouver les financements nécessaires, sans négliger les enjeux de politique industrielle.
La disparition du Pacte de Varsovie a failli sonner le glas des capacités PATMAR stratégiques européennes au profit des seuls avions SURMAR, généralement désarmés et de plus faible portée, mais essentiels à la conduite d’opérations de service public. Le besoin de protéger les SNLE et les porte-avions britanniques et français a contribué à maintenir une capacité PATMAR lourde minimale, mais même cet argument stratégique n’a pu éviter le retrait de service anticipé des Nimrod britanniques au début des années 2010. Et si la Marine nationale a démontré en permanence la polyvalence de ses Atlantique 2 (ATL2) employés comme plates-formes C3ISTAR au Moyen-orient et en Afrique, elle continue de subir des réductions de flotte. Sur les 27 appareils survivants, seuls 21 sont encore en ligne, et 18 seulement seront rénovés pour leur permettre de combattre, en mer et audessus des terres, jusqu’en 2035, quand bien même leur utilisation n’a jamais été aussi intensive (2).
Outre le retour en force des sous-marins russes au large des côtes occidentales, on note également depuis le début de la décennie une évolution de la nature et de la diversité des menaces militaires et des crises humanitaires auxquelles les avions de PATMAR et de SURMAR doivent faire face.
NOUVELLES MENACES ET NOUVEAUX BESOINS
Malgré le déclin numérique des moyens de patrouille armée à longue distance en Europe (3), ces dernières années ont marqué le début d’une évolution profonde du contexte stratégique régional, que les amirautés commencent à prendre très sérieusement en considération dans leurs planifications à long terme. Outre le retour en force des sousmarins russes au large des côtes occidentales, largement commenté dans nos pages, on note également depuis le début de la décennie une évolution de la nature et de la diversité des menaces militaires et des crises humanitaires auxquelles les avions de PATMAR et de SURMAR doivent faire face. Et ce d’autant
Photo ci-dessus : Modernisé, l’atlantique 2 restera une plate-forme de pointe. Mais son remplacement fait déjà l’objet de réflexions. (© MARCOM OTAN)
plus que la géographie européenne offre une multitude de milieux opérationnels différents, nécessitant parfois des réponses tactiques contradictoires. Les moyens nécessaires pour contrôler les eaux peu profondes des fjords de la Baltique ne seront pas ceux utilisés en mer Méditerranée, particulièrement profonde, ou au-dessus du plateau continental, sur la côte Atlantique. Sans compter les besoins liés à la surveillance et à la protection des régions ultramarines de l’union européenne.
En termes militaires, la principale menace pour la navigation européenne va être la militarisation grandissante de l’atlantique nord et de l’océan Arctique. D’autant plus que l’ouverture à la navigation et l’exploitation des ressources du Grand Nord sont définitivement actées, sans que l’on mesure vraiment toutes les implications futures d’un réchauffement climatique incontrôlable dans cette région du monde. Pour les déploiements outre-mer, notamment dans le Pacifique et en Océanie, les patrouilles de plus en plus lointaines de la marine et des gardes-côtes chinois exposent également les appareils de SURMAR à des rencontres jusqu’alors inédites.
Sur le plan politique, la fragilisation des rapports internes à L’OTAN, entre les Étatsunis et l’europe d’une part, mais aussi avec la Turquie de l’autre, les risques de perte de cohésion de l’union européenne à la suite du Brexit et l’influence grandissante de la Russie dans les processus décisionnels occidentaux suscitent des interrogations quant à la stabilité du lien transatlantique, et à la nécessité pour l’europe de garantir elle-même la défense de ses abords et frontières. Alors que les crises climatiques, énergétiques et militaires devraient précipiter de plus en plus de monde sur la route de l’exil, notamment à travers la Méditerranée, cette surveillance des frontières reviendra de plus en plus souvent à surveiller et contrôler les risques sécuritaires et les crises humanitaires en mer, notamment par des moyens aéroportés.
QUELLE PATROUILLE MARITIME EN EUROPE ?
Ces nouveaux besoins ne modifient pas en profondeur l’application tactique de la PATMAR et de la SURMAR, mais conduisent à repenser la stratégie des moyens en matière d’aéronavale pour de très nombreux pays du nord et du sud du continent. Avec des budgets encore particulièrement contraints, une des réponses au défi du financement du renouvellement des moyens de patrouille consiste ainsi à rendre les plates-formes plus polyvalentes, les vecteurs capables de surveillance maritime étant équipés sans grande modification pour pouvoir également assurer des missions de surveillance terrestre, de contrôle aérien ou encore de veille électronique. De quoi renforcer la position de ces vecteurs, véritables multiplicateurs de force, au coeur des futurs réseaux de défense intégrés.
Comme aujourd’hui, les futurs avions de patrouille et de surveillance maritime seront principalement équipés de radars, de capteurs ESM et de moyens optroniques, même si les dernières avancées technologiques facilitent aujourd’hui la polyvalence des vecteurs. Les antennes AESA, couplées à un traitement numérique du signal très avancé, permettent de ne plus limiter les radars des PATMAR à la seule détection maritime. Le Searchmaster de Thales, installé en rétrofit sur les ATL2, présente ainsi d’excellentes capacités face aux cibles terrestres, mais aussi aériennes. La technologie AESA, employée sur les antennes d’écoute électronique, améliore considérablement la précision angulaire des détections passives, même face à des émetteurs discrets et agiles en fréquence. Les nouvelles boules optroniques, plus compactes, offrent des capacités de désignation de cible par tous temps nettement améliorées, et des capacités d’identification automatique des cibles, même sur des aéronefs légers. Enfin, pour la mission Anti-sous-marine (ASM), les avions
Avec des budgets encore particulièrement contraints, une des réponses au défi du financement du renouvellement des moyens de patrouille consiste à rendre les plates-formes plus polyvalentes.
de surveillance et de patrouille qui entrent actuellement en service sont dotés de nouvelles bouées acoustiques plus performantes, géolocalisées et interconnectées, permettant une localisation plus précise des submersibles. Les données des différents capteurs, fusionnées grâce à des intelligences artificielles (IA) spécialisées, permettront aux opérateurs embarqués de traiter plus rapidement et plus efficacement un plus grand nombre de cibles, dans un environnement tactique complexe et électroniquement saturé. Si les bases techniques devraient s’avérer assez semblables pour tous les acteurs du marché, c’est la nature et les capacités mêmes des différents vecteurs proposés par les industriels qui permettent de répondre à des demandes très diversifiées.
Dans le sud de l’europe, où les moyens d’intervention ASM de surface et héliportés ne manquent pas et où les budgets de défense restent limités, les appareils de SURMAR légers et moyens devraient continuer à remporter la majorité des marchés, notamment au Portugal, en Espagne, en Italie et en Grèce. Leurs missions principales restent la surveillance de surface, notamment pour des missions d’assistance en mer, de recherche et de sauvetage, de lutte antipollution, de contreterrorisme, de protection anti-piraterie et de surveillance des frontières. En Europe du Nord, la donne change selon la disposition géographique des pays, l’ouverture vers la Baltique demandant des moyens légers et maniables, là où l’accès à la mer du Nord et à la mer de Norvège requiert des moyens océaniques très lourds. Pour les besoins à courte et moyenne portée, l’intégration de capteurs ASM (voire de torpilles) sur des plates-formes SURMAR pourrait se généraliser, renforçant le phénomène d’émergence d’une PATMAR légère, également constaté en Asie du Sudest, face à la montée en puissance chinoise (4). Enfin, les puissances centrales du continent, France et Allemagne en tête, misent principalement sur des moyens polyvalents de très longue portée pour défendre leurs intérêts stratégiques, même si la double ouverture nord-sud de la France et ses déploiements outre-mer permanents la conduisent à maintenir une capacité SURMAR crédible, quoique vieillissante.
UN POTENTIEL INDUSTRIEL
PLUS QUE SUFFISANT, MAIS DISPERSÉ
La surveillance et la patrouille maritime et frontalière relevant des missions de souveraineté nationale, il est logique de distinguer des besoins européens très dispersés, requérant à la fois des vecteurs légers et maniables et des plates-formes lourdes, avec ou sans capacités offensives, selon la doctrine de chacun. D’un point de vue industriel, c’est à la fois la grande force du continent sur ce marché aéronautique bien particulier, mais aussi son plus gros point faible, puisque cela assure une vraie diversité de l’offre sans empêcher de diluer les budgets de développement qui pourraient servir à la conception de moyens stratégiques plus complets.
La plupart des projets PATMAR et SURMAR actuels étant basés sur des avions de transport militaires ou civils déjà opérationnels, l’europe ne manque pas de vecteurs sur lesquels implanter les systèmes de mission développés par Thales, Leonardo, Safran,
La surveillance et la patrouille maritime et frontalière relevant des missions de souveraineté nationale, il est logique de distinguer des besoins européens très dispersés, requérant à la fois des vecteurs légers et maniables et des plates-formes lourdes, avec ou sans capacités offensives, selon la doctrine de chacun.
Airbus, Orbital ATK, L-3 ou Raytheon, notamment. Depuis plusieurs années, Airbus propose ainsi le C-295 Persuader, une version de patrouille maritime de son CASA C-295 équipée d’un radar à 360°, d’une boule optronique et, pour la version ASM, d’un détecteur d’anomalie magnétique (MAD) et d’une paire de torpilles ou de missiles air-mer sous les ailes. En Italie, Leonardo propose un appareil de classe similaire sur une base civile D’ATR-72-600. Quatre exemplaires ont été achetés par la Marina Militare, en version SURMAR avec un radar AESA panoramique Seaspray 7300E de Leonardo. La Turquie a, de son côté, acquis la version ATR-72ASW équipée d’un MAD, d’une suite de guerre électronique améliorée, de lanceurs de bouées acoustiques et de pylônes d’emport pour torpilles fixés au fuselage avant.
En France, Dassault commercialise sa gamme Falcon dans des versions maritimes multirôles. Le Falcon 2000MRA est ainsi équipé d’un radar Searchmaster de Thales, d’une boule optronique rétractable à l’arrière du fuselage et de liaisons SATCOM, avec un soin tout particulier apporté à l’aérodynamique et aux performances de l’appareil. Selon la configuration souhaitée, l’avion peut être gréé pour des missions SURMAR ou PATMAR. En fonction des options, il peut embarquer deux à quatre consoles opérateur, quatre pylônes d’armement pour missiles Exocet et torpilles MU-90, des lanceurs de bouées acoustiques ou encore une suite de guerre électronique avancée. Le Japon est déjà client de la version SURMAR, et la Corée du Sud a opté pour une version d’écoute électronique, y compris en milieu naval. Pour le programme AVSIMAR visant à remplacer ses Falcon 200 et Falcon 50, la Marine nationale devrait recevoir treize Falcon 2000 dans une version SURMAR désarmée. Enfin, pour des missions PATMAR de plus longue endurance,
Les gros avions d'affaires comme le Global 6000 et le Falcon 2000 peuvent se projeter sur zone bien plus rapidement et bien plus loin, et gardent la possibilité de patrouiller quelques heures.
le triréacteur Falcon 900MPA est proposé avec les mêmes options d’armement que le Falcon 2000, sur une cellule plus volumineuse et plus endurante.
LES AVIONS DE MISSION DE SAAB, UN MODÈLE DU GENRE
Si l’utilisation d’une base d’avion de transport tactique permet de proposer des appareils polyvalents conservant leurs missions de transport, voire d’aérolargage, les appareils de SURMAR et PATMAR conçus à partir d’avions civils présentent des avantages indéniables, notamment en matière de performance en croisière, de coût et de facilité de maintenance, mais aussi de production électrique, de climatisation et de pressurisation de cabine. Et c’est justement le choix très clair qu’a effectué Saab, qui commercialise depuis 2016 sa solution modulaire Swordfish MPA sur des cellules de l’avionneur canadien Bombardier.
Pour des missions SURMAR, le système de mission sera intégré à l’avion de transport régional Q400, tandis qu’il équipera l’avion d’affaires à très long rayon d’action Global 6000 pour les missions PATMAR. Le choix de cette dernière plate-forme est parfaitement logique pour Saab, qui a déjà développé l’avion de guet aérien Globaleye à partir de cet appareil. Pour Swordfish, le Global 6000 conserve d’ailleurs le radar AESA ventral Seaspray 7500E ainsi que la boule optronique FLIR Star Safire 380HD – ou HLD – déjà implantés sur le Globaleye. Un MAD de queue est ajouté, optimisé pour la détection de petits submersibles en eaux côtières, et l’arrière du fuselage embarquera des lanceurs pour une centaine de bouées acoustiques. De plus, à l’instar du Falcon 2000MRA, quatre points d’accroche pour armements seront disponibles sous voilure à la demande du client, pour un emport de deux torpilles légères et deux missiles RBS-15 Mk3 antinavires.
Pour la mission SURMAR, c’est la base du Q400 qui est privilégiée par Saab, même si ce biturbopropulseur recevra un système de mission très proche de celui du Global 6000. De base, le Q400 est proposé avec quatre consoles opérateur au lieu de cinq, et son emport en bouées acoustiques sera réduit. L’emport de deux torpilles légères pourrait être possible en option, si un client en fait la demande. Finalement, comme pour les autres solutions médianes proposées en Europe, ce sont surtout les différences de performances des vecteurs qui déterminent l’emploi tactique de l’appareil. Si les appareils turbopropulsés permettent en théorie de larguer bouées et torpilles avec plus de précision, et s’ils conservent un net avantage en durée de patrouille, ils ne représentent plus la panacée aujourd’hui. Les gros avions d’affaires comme le Global 6000 et le Falcon 2000 peuvent se projeter sur zone bien plus rapidement et bien plus loin, et gardent la possibilité de patrouiller quelques heures. De plus, ils sont plus discrets sur le plan acoustique, et peuvent opérer à des altitudes les mettant à l’abri des missiles antiaériens pouvant être mis en oeuvre par les sous-marins modernes.
Avec ses cinq consoles opérateur, son impressionnant emport en bouées acoustiques et sa suite de guerre électronique embarquée, le Swordfish Global 6000 se veut une bonne alternative à la fois au P-8 américain, lourd et cher, mais aussi au Falcon 2000, plus petit et presque deux fois moins endurant. Sur le spectre bas du marché, le Q400 s’avère un vecteur tout aussi pertinent que L’ATR-72 ou le C-295, avec un léger avantage en autonomie
et en volume disponible. Ensemble, Global et Q400 sont destinés à couvrir le segment médian du marché et à répondre à la majorité des besoins européens, aussi bien en mer Baltique qu’en Méditerranée ou dans l’atlantique nord. Saab et Bombardier fondent d’ailleurs de grands espoirs sur le programme Multinational Maritime Multi Mission Aircraft Capabilities de L’OTAN, lancé en 2017 par la France, l’allemagne, la Grèce, l’italie, l’espagne et la Turquie, rejoints en février dernier par la Pologne et le Canada. Étant donné le rapprochement bilatéral opéré depuis lors entre la France et l’allemagne, il est possible que le programme otanien ne débouche pas sur des commandes communes. Mais Saab pourrait y voir l’occasion de démontrer la pertinence de ses solutions pour des pays comme le Canada, la Pologne ou encore la Grèce.
FRANCE-ALLEMAGNE : L’AVENIR DE LA PATMAR EUROPÉENNE EN JEU ?
Depuis le Brexit, le rapprochement aéronautique entre la France et l’allemagne est plus qu’effectif. Mieux encore, il semble partir du principe qu’il vaut mieux privilégier les compétences existantes plutôt que les manoeuvres de gestion politique des programmes de défense, qui ont fait tant de mal par le passé. En avril, le salon ILA 2018 de Berlin a été l’occasion de sceller le programme SCAF, centré sur le remplacement des Rafale français et des Typhoon allemand (5). Mais il a aussi vu la signature d’une lettre d’intention concernant le développement d’un nouvel appareil de patrouille maritime, destiné à remplacer les ATL2 français et les P-3C Orion allemands à l’horizon 2040. Cette décision, politique avant tout, semble pourtant faire écho aux demandes du principal avionneur européen, Airbus, qui tente depuis des années de trouver le financement pour développer un concurrent au P-8 Poseidon de Boeing, jusqu’ici bien seul sur le marché international.
Sur le papier, cependant, rien n’est encore fait. L’accord franco-allemand porte avant tout sur l’évaluation des besoins, et ne ferme aucune porte, d’autant plus que les divergences doctrinales existent entre les deux pays. Ainsi, la Marine nationale a l’habitude de considérer ses avions PATMAR comme des plates-formes de combat aussi bien aéronaval qu’aéroterrestre, capables de soutenir les troupes au sol. Berlin, de son côté, a historiquement utilisé des appareils PATMAR pour les missions d’écoute électronique, et a d’ailleurs obtenu au mois d’avril une autorisation d’achat pour quatre drones HALE MQ-4C Triton, démontrant sur ce point une avance notable sur Paris. Ces écarts de vue devraient cependant être lissés assez rapidement, afin de fixer un calendrier et un cahier des charges communs.
Après avoir longtemps proposé un A319MPA, l’option la plus probable aujourd’hui se base sur l’a320neo. Fort de son expérience sur L’A330MRTT, mais aussi sur les versions spéciales du Casa C-295, Airbus entend développer une famille complète d’avions de mission désignée A320neo M3A (Modular Multi Mission Aircraft), pouvant servir d’appareils de commandement, d’alerte aérienne avancée, d’écoute électronique ou, bien entendu, de patrouille maritime, en fonction des modules qui y auront été intégrés. Extérieurement, une telle solution n’aurait rien d’exceptionnel : l’appareil embarquerait un radar AESA panoramique, une suite optronique, un MAD, des moyens de communication complets, y compris SATCOM, et un armement lourd installé sous voilure et dans une soute interne. Les nouveautés porteraient bien plus sur l’intégration de l’appareil au sein des réseaux tactiques, et notamment des futurs standards du SCAF, faisant de l’appareil de PATMAR tout à la fois un vecteur nodal, un multiplicateur de puissance et un effecteur tactique. Puisant dans les pistes obtenues par les capteurs de l’avion et par les autres vecteurs au-dessus du théâtre des opérations, notamment les UAV, la situation tactique présentée aux opérateurs pourrait ainsi découler d’une fusion de données qui ferait la part belle aux IA embarquées et à l’exploitation des mégadonnées, éventuellement traitées au sol grâce à des liaisons de données à très haut débit. Dans un tel contexte, et en prenant en compte les avancées en matière d’antennes AESA et la réserve de puissance et de volume de l’a320neo, il est même possible d’envisager un vecteur commun pour la PATMAR, les missions ISR, mais aussi l’alerte aérienne avancée, les AWACS français devant également être remplacés à l’horizon 2040. Il faudrait pour cela accepter de diluer en réseau les missions aujourd’hui fixées sur un vecteur unique, ce qui est un des enjeux du SCAF. La capacité d’opérer conjointement avec des drones, éventuellement dérivés du MALE RPAS européen, serait alors essentielle, et devra être précisément évaluée avant le lancement du programme.
LES CHANCES INFIMES DES P-8 POSEIDON ET KAWASAKI P-1
Reste, pour autant, que les jeux ne sont pas (complètement) faits en faveur d’airbus. Si l’a320neo est séduisant, son financement
Airbus entend développer une famille complète d'avions de mission désignée A320neo M3A (Modular Multi Mission Aircraft), pouvant servir d'appareils de commandement, d'alerte aérienne avancée, d'écoute électronique ou, bien entendu, de patrouille maritime, en fonction des modules qui y auront été intégrés.
pourrait s’avérer très coûteux, et rendre plausible l’hypothèse d’une solution plus légère. La logique d’interconnexion évoquée plus haut resterait pertinente entre un MALE et un Falcon 900 ou un C-295ASW, par exemple, pour un coût de développement, d’acquisition et d’opération nettement inférieur. Cependant, le choix d’une solution aussi légère ne satisferait que peu les besoins expéditionnaires français, notamment.
L’option d’un achat de P-8 Poseidon américains, déjà acquis par le Royaume-uni et la Norvège, ne doit pas non plus être négligée. Pourtant, elle n’entraînerait presque aucune retombée économique en Europe, d’autant plus que les procédures d’achat françaises et allemandes ne prennent pas en compte la valorisation fiscale des productions locales, se concentrant plutôt sur les arguments de politique industrielle. Et c’est là que le bât blesse pour l’avion de Boeing. Malgré les déconvenues du programme A400M, Airbus Defense & Space a démontré sa capacité à modifier des vecteurs existants pour leur adjoindre des systèmes de missions avec une grande efficience : CN-235, C-295, A310MRTT, A330MRTT. Devant le potentiel d’évolution et la rentabilité commerciale de l’a320neo civil, la tentation est grande, industriellement et politiquement, de renouveler le succès mondial que connaît Airbus avec son A330MRTT.
En matière de solutions disponibles sur étagère, c’est le Japon qui tente une percée en Europe, Kawasaki cherchant à tout prix à placer à l’exportation son quadriréacteur P-1. Particulièrement bien conçu et lourdement armé, le P-1 a été développé spécifiquement pour la mission PATMAR, et est sans doute le meilleur appareil disponible sur le marché, malgré un prix élevé et le manque d’expérience des négociateurs japonais. Pour séduire la France et l’allemagne, le P-1 a fait le déplacement au Bourget en 2017, puis à ILA 2018, avant de rendre visite aux ATL2 français sur leur base de Lann-bihoué. L’offre de Kawasaki pourrait comprendre une européanisation de l’appareil et un partage de la production, sans qu’une telle option atteigne les retombées économiques et industrielles d’un programme A320neo M3A. En toute logique, le seul espoir pour Kawasaki sur ce marché serait d’intégrer le Japon au coeur du programme SCAF, et de conditionner l’achat de P-1 à la sélection du futur chasseur franco-allemand comme base du prochain chasseur japonais. Malheureusement, ce programme est géré par Mitsubishi, avec un calendrier bien plus avancé que celui du SCAF.
Pour le Japon, concourir en Europe est surtout une manière d’engranger de l’expérience commerciale et d’occuper le terrain. Si l’a320neo M3A devient un jour une réalité, il aura du mal à atteindre les performances pures du P-1. Mais il pourrait bien surprendre par sa polyvalence, sa modularité, ses coûts réduits, et sa capacité à coordonner des avions SURMAR et différents modèles de drones. En jouant sur le type et le nombre de ces vecteurs annexes, il sera ainsi possible d’adapter le système M3A aux besoins et aux moyens de chaque client, l’a320neo agissant avant tout comme une plate-forme de contrôle centralisée et résiliente. Une affaire à suivre attentivement, donc.
Notes
(1) Voir notre article « Quelle évolution pour les forces aériennes de L’OTAN? », Défense & Sécurité Internationale,
hors-série no 57, décembre 2017-janvier 2018.
(2) Voir notre article « Un nouveau souffle dans la lutte ASM pour l’aéronavale », Défense & Sécurité Internationale, horssérie no 55, août-septembre 2017.
(3) À ce sujet, voir « L’aviation de patrouille maritime fait de la résistance », Défense & Sécurité Internationale, hors-série no 50, octobre-novembre 2016.
(4) Ibid.
(5) Olivier Zajec, « Le système de combat aérien futur franco-allemand : une opportunité stratégique européenne », Défense & Sécurité Internationale, hors-série no 61, août-septembre 2018.
En matière de solutions disponibles sur étagère, c'est le Japon qui tente une percée en Europe, Kawasaki cherchant à tout prix à placer à l'exportation son quadriréacteur P-1.