AVIATION DE COMBAT EN EUROPE : DES CAPACITÉS PLUS ÉCLATÉES QU’IL N’Y PARAÎT
Lorsque l’on parle d’aviation de combat, l’attention médiatique se concentre fort logiquement ces deux dernières années sur les nouveaux programmes d’avions d’arme européens, en l’occurrence le Tempest britannique et le SCAF (Système de Combat Aérien Futur) conduit par la France et l’allemagne, récemment rejointes par l’espagne. Pourtant, le dégagement de l’horizon aéronautique vers 2035-2040 ne doit pas cacher le dynamisme actuel du marché des avions de combat au sein de l’union européenne et de l’europe occidentale au sens large.
Ces deux dernières années, un certain nombre d’appels d’offres et de contrats, parfois assez discrets, ont été annoncés. À terme, ils devraient permettre de remplacer la quasi-totalité des chasseurs d’ancienne génération hérités de la guerre froide. Mais ils contribuent également, dès à présent, à redéfinir plus ou moins subtilement le jeu de l’offre et de la demande en matière d’avions de combat sur le Vieux Continent. Historiquement à la fois importatrice et productrice d’appareils de combat, l’europe n’est pas encore capable de se passer de L’OTAN pour sa défense, ce qui confère aux avionneurs américains un rôle essentiel dans la fourniture de matériel militaire de premier rang.
EUROPE DE L’OUEST : UN RENOUVELLEMENT DES FLOTTES DÉJÀ BIEN ENTAMÉ
La quasi-totalité des grands avionneurs et conglomérats aéronautiques européens se concentre en Europe occidentale, dans des pays qui ont commencé le renouvellement de leurs flottes de combat durant les dernières heures de la guerre froide.
• En France, c’est bien évidemment le Rafale qui constitue désormais le fer de lance de l’armée de l’air et de la Marine, essentiellement aux côtés de Mirage 2000 en cours de modernisation.
• En Suède, 204 JAS-39 Gripen ont été livrés à la Flygvapnet à partir de 1993. Une centaine seulement sont encore opérationnels, les cellules restantes étant disponibles pour l’exportation. À terme, les 60 Gripen E/F devant être livrés dans les années à venir viendront remplacer une partie des Gripen C/D (1).
• À la suite de sa sélection par la Composante Air belge l’année dernière, c’est l’ensemble des utilisateurs de F-16 du « Contrat du siècle » qui opte pour le F-35 de Lockheed Martin. En raison de l’évolution du contexte politique, mais aussi d’un prix d’achat et de maintenance bien plus élevé, les quantités de F-35 commandées par le Danemark, les Pays-bas, la Norvège et la Belgique ne permettront pas de remplacer nombre pour nombre les F-16 encore en service. Mais une
À la fois importatrice et productrice d’appareils de combat, l’europe n’est pas encore capable de se passer de L’OTAN pour sa défense, ce qui confère aux avionneurs américains un rôle essentiel dans la fourniture de matériel militaire de premier rang.
telle persistance sur un marché européen de plus en plus concurrentiel reste en soi une victoire pour l’avionneur américain.
• L’allemagne, l’italie, le Royaume-uni et l’espagne articulent désormais leur défense aérienne autour de l’eurofighter Typhoon. Si l’appareil est considéré comme un bon intercepteur, il cumule néanmoins les problèmes techniques et programmatiques. D’une part, la remise à niveau des appareils obsolètes de la Tranche 1, également vendus en Autriche, ne semble pas économiquement viable. D’autre part, les participations italienne et britannique dans le programme F-35 ont très tôt empêché le financement d’une véritable variante multirôle de l’eurofighter.
Aujourd’hui, les forces aériennes occidentales se retrouvent donc avec un double problème de financement. D’une part, les premières ébauches des Rafale, Typhoon et Gripen datant du milieu des années 1980, il convient d’anticiper dès à présent leur remplacement au cours de la décennie 2040. Le SCAF et le Tempest, largement abordés dans nos précédentes éditions, pourraient nécessiter plusieurs dizaines de milliards d’euros d’investissement. D’autre part, alors que le Rafale et le Gripen ont été conçus dès l’origine pour être polyvalents, le Typhoon reste intrinsèquement un chasseur de supériorité aérienne. Pour l’allemagne, l’italie et le Royaume-uni, le remplacement des Tornado nécessite donc des investissements immédiats qui grèvent les capacités de financement d’appareils de nouvelle génération. Le Royaume-uni et l’italie ont déjà perçu leurs premiers F-35 qui doivent remplacer à la fois les Tornado et les Harrier. Mais, à l’instar des Pays-bas ou de la Norvège, l’escalade des coûts et les retards incessants du F-35 imposent de revoir continuellement à la baisse le format des flottes de combat.
PLUS DE TYPHOON POUR L’ALLEMAGNE ?
Face à cette problématique budgétaire, le cas allemand reste particulièrement parlant. Alors que plusieurs voix au sein des forces aériennes réclamaient le remplacement des 85 Tornado allemands par des F-35, le manque de transparence autour du programme et les tensions diplomatiques entre l’allemagne et l’administration Trump ont conduit Berlin à rejeter cette option. La Luftwaffe devra alors opter pour une nouvelle tranche d’eurofighter ou pour le Super Hornet de Boeing. Une première commande de 33 Typhoon aux capacités air-sol accrues est attendue prochainement pour compenser le retrait des appareils de la Tranche 1, laissant présager que tout ou partie des Tornado pourraient être remplacés par des Typhoon. Reste que le Super Hornet possède assez d’atouts pour justifier la commande d’au moins un ou deux escadrons, notamment dans sa variante Growler en remplacement des Tornado ECR.
Pour certains analystes, le choix d’un avion américain permettrait hypothétiquement de ne pas perdre la capacité de mise en oeuvre des armes nucléaires des Tornado. Malheureusement, l’intégration de la nouvelle B61 Mod 12 reste aujourd’hui limitée au seul F-35. Le choix d’un avion non compatible par la Luftwaffe, couplé au potentiel retrait à terme des B61 présentes en Turquie, pourrait modifier le cercle fermé des nations participant à la dissuasion au sein de l’alliance. Plus largement, les succès du F-35 confirment que la défense de l’europe reste globalement subordonnée à L’OTAN. Inversement, les rares rejets du F-35 par des gouvernements alliés revêtent rapidement une dimension hautement politique et symbolisent une défiance de plus en plus affichée entre certaines puissances européennes et les États-unis.
Alors que le Rafale et le Gripen ont été conçus dès l’origine pour être polyvalents, le Typhoon reste intrinsèquement un chasseur de supériorité aérienne. Pour l’allemagne, l’italie et le Royaumeuni, le remplacement des Tornado nécessite donc des investissements immédiats qui grèvent les capacités de financement d’appareils de nouvelle génération.
LOCKHEED MARTIN REPREND LA MAIN DANS L’EST…
Si la France, l’allemagne ou encore certains pays scandinaves militent pour une reprise en main au sein de l’europe des outils de défense collectifs, de nombreux pays d’europe de l’est maintiennent une analyse différente de la situation. Soumis à une plus forte pression de la part de Moscou et, pour certains d’entre eux, bien plus alignés politiquement avec le locataire de la Maison Blanche, ils estiment généralement qu’une remontée en puissance conventionnelle ne peut se faire qu’avec le soutien total de Washington. Un positionnement qui, encore une fois, fait les affaires de Lockheed Martin.
À la fin de la guerre froide, les pays d’europe de l’est ont intégré progressivement à la fois L’UE et L’OTAN, ce qui a exigé d’eux la modernisation de leur défense aérienne. Dans ces pays aux budgets limités, la Suède s’est rapidement imposée grâce à des offres de leasing de Gripen récemment sortis des rangs de la Flygvapnet. Ainsi, la Hongrie et la République tchèque ont reçu chacune 14 Gripen, les appareils tchèques opérant aux côtés d’une petite flotte d’avions d’attaque L-159 produits localement. Fort de ces premiers succès, Saab a entrepris en 2009 de développer son nouveau Gripen E/F avec notamment la volonté de participer au remplacement des derniers MIG et Sukhoi dans la décennie 2020. Pourtant, alors que la plupart des analystes misaient il y a dix ans encore sur les solutions low cost pour le marché d’europe de l’est, l’intervention russe en Ukraine et, ironiquement, les retards du F-35 ont permis aux États-unis de s’imposer progressivement sur les marchés les plus récents avec du matériel neuf ou d’occasion.
Ainsi, la Roumanie a reçu en septembre 2018 ses premiers F-16MLU acquis auprès du Portugal. Dans les années qui viennent, Bucarest devrait acquérir une vingtaine d’appareils d’occasion supplémentaires auprès des États-unis ou d’alliés européens. En mars 2018, c’était au tour de la Croatie d’acheter 16 F-16 d’occasion à Israël. Cette vente fut cependant annulée en janvier dernier à la suite de pressions américaines, forçant Zagreb à analyser de nouvelles offres américaines et suédoises. Si, encore une fois, le choix pourrait se faire entre des Gripen et des F-16 d’occasion, Lockheed Martin n’hésite pas à faire le forcing pour promouvoir son F-16V qui a connu un succès fulgurant en quelques mois.
Les problèmes et retards à répétition du F-35 ont en effet poussé Lockheed Martin à développer ces dernières années une ultime version du F-16, vendue comme une alternative abordable pour les forces aériennes qui ne peuvent s’offrir un véritable avion de cinquième génération. Le F-16V Block 70/72 Viper est ainsi disponible en cellules neuves ou en rétrofit de flottes plus anciennes. Doté d’une suite de guerre électronique modernisée, d’une configuration de cockpit inspirée de celle du F-35 et d’un radar AESA APG-83, le F-16V joue dans la même catégorie de prix que le Rafale, mais bénéficie de toute la force commerciale de Lockheed Martin et des Foreign Military Sales. Le 12 décembre 2018, la Slovaquie annonçait la commande de 14 F-16V en remplacement de sa douzaine de MIG-29 vieillissants. Surprenant par son ampleur et son montant, ce contrat est suivi début 2019 par l’annonce de négociations concernant la livraison de huit F-16V en Bulgarie. Alors que Sofia penchait depuis quelque temps pour l’acquisition de Gripen d’occasion, le choix du Viper apparaît simultanément comme un geste fort en direction de l’administration américaine et comme une réponse aux tensions actuelles en mer Noire.
Ces ventes viennent ainsi s’ajouter aux 48 F-16C/D Block 52+ acquis par la Pologne en 2002, préférentiellement au Mirage 2000. De quoi confirmer que le F-16 est le nouveau chasseur de référence en Europe de l’est. Après avoir annoncé en 2017 vouloir porter son budget de la défense à 2,5% du PIB et manifesté à de nombreuses reprises sa volonté d’augmenter la présence militaire américaine sur son sol, la Pologne a choisi en mai 2019 d’acquérir 32 F-35 pour remplacer ses derniers MIG-29 et Su-22. Un saut capacitaire majeur et une véritable lettre d’intention de la part de Varsovie, qui tient notamment à accroître son pouvoir décisionnel au sein des instances de L’OTAN et qui se positionne comme un candidat crédible pour l’hébergement de bombes nucléaires B61-12.
Comme toute vente d’armes, l’achat de Viper reste éminemment politique, mais il
Alors que la plupart des analystes misaient il y a dix ans encore sur les solutions low cost pour le marché d’europe de l’est, l’intervention russe en Ukraine et, ironiquement, les retards du F-35 ont permis aux États-unis de s’imposer progressivement sur les marchés les plus récents avec du matériel neuf ou d’occasion.
répond également à de véritables besoins intrinsèquement opérationnels, comme la communalité des flottes pour les armées déjà équipées de F-16, les économies de fonctionnement ou encore la logistique simplifiée. Si le F-35 est toujours apparu comme un outil diplomatique au service des nations souhaitant prêter allégeance à L’OTAN et, à travers elle, à la puissance américaine, l’apparition du F-16V permet donc de diversifier le jeu de Washington.
… ET DANS LE SUD DE L’EUROPE
Les États-unis ne cachent d’ailleurs pas leur ambition de fédérer les forces aériennes de L’OTAN autour du F-35 ou, à défaut, d’un appareil conçu pour opérer au sein des mêmes réseaux, en l’occurrence le F-16V. En avril dernier, un représentant du Pentagone exprimait devant le Congrès la volonté de promouvoir le F-35 dans plusieurs pays par le biais d’accords de gouvernement à gouvernement. En Europe, outre la Pologne et la Roumanie, c’est également la Grèce et l’espagne qui sont citées. Et pour séduire Athènes, Washington n’hésite pas à jouer la carte de l’antagonisme vis-à-vis de la Turquie. En effet, à l’heure où paraîtront ces lignes, Ankara pourrait bien avoir été définitivement exclue du programme JSF, sur fond d’achat de système S-400 en Russie et de divergences de vues géopolitiques de plus en plus grandes. L’annulation des livraisons de F-35 marquerait un ralentissement brutal de la montée en puissance des capacités offensives turques dans les domaines aérien et aéronaval(2). Mais ce serait aussi une véritable bouffée d’oxygène pour Athènes, qui ne parvient plus à maintenir l’équilibre militaire avec son puissant voisin depuis la crise de 2008.
Malheureusement, le F-35 s’avère encore loin d’être parfaitement opérationnel, et ses coûts d’entretien et de mise en oeuvre semblent encore rédhibitoires pour Athènes qui doit également moderniser sa flotte de surface, ses sous-marins et une partie de ses équipements terrestres. En attendant des jours meilleurs, la Grèce a tout de même commandé en avril 2018 auprès de Lockheed
Martin des kits pour convertir 85 de ses F-16C/D en F-16V. Dans la prochaine décennie, l’avionneur américain espère également moderniser une partie de la flotte portugaise. En effet, si Lisbonne a uniformisé sa quarantaine de F-16 au standard MLU, elle escompte désormais ne conserver que deux escadrons opérationnels et revendre progressivement les appareils restants. Une ultime modernisation du système d’armes pourrait alors avoir lieu avant leur remplacement à l’horizon 2035.
Dans le Sud de l’europe, c’est finalement la position de l’espagne qui sera politiquement, industriellement et opérationnellement la plus intéressante à observer dans les années à venir. Aujourd’hui équipée d’eurofighter Typhoon et de F/A-18 Hornet, l’ejército del Aire dispose de forces globalement équilibrées. La participation de l’espagne au programme SCAF laisse envisager un remplacement des Hornet par un futur avion européen. Pourtant, face aux délais de développement d’un tel appareil, Madrid est confronté au même problème que les Italiens, Britanniques et Allemands. Bien que le retrait des F/A-18 ne soit pas aussi urgent que celui des Tornado, il est peu probable que la petite centaine d’appareils encore opérationnels puisse rester en première ligne jusqu’à l’horizon 2040. Pour le chef d’état-major de l’ejército del Aire, une solution palliative pourrait consister en l’achat d’une nouvelle tranche d’eurofighter Typhoon. Une position qui permettrait alors à Berlin et à Madrid de financer conjointement les futures évolutions de l’appareil.
Pourtant, alors que le rejet du F-35 semblait une condition essentielle à la participation de Berlin dans le programme SCAF, la marine espagnole espère encore que Madrid obtiendra un traitement plus clément de la part de ses partenaires européens. L’armada est en effet le seul opérateur de Harrier II à ne pas encore avoir officiellement opté pour un remplacement par le F-35B. Et la situation est loin d’être simple. Sans être urgent, le retrait des Harrier pourrait survenir une décennie avant l’arrivée en service du nouveau chasseur européen. Et si celui-ci devrait donner naissance à un chasseur embarqué, il s’agira d’un avion considérablement plus lourd que le Harrier, exigeant un véritable porte-avions pour sa mise en oeuvre. Sur le papier, rien n’empêche l’espagne de rejoindre alors la France à bord du programme de porte-avions nouvelle génération attendu autour de 2038. Mais il s’agirait là d’une entreprise d’une tout autre ampleur, bien plus coûteuse que l’achat d’une unique flottille de F-35B. Et si une douzaine de F-35B représentent théoriquement un risque mineur pour un programme aussi ambitieux que le SCAF, une implication de l’armada pourrait ouvrir la porte à l’achat de F-35 au profit de l’ejército del Aire en cas de retards prolongés
La position de l’espagne sera politiquement, industriellement et opérationnellement la plus intéressante à observer dans les années à venir.
du programme SCAF. Or Madrid est historiquement un excellent élève de la coopération européenne en matière aéronautique. Esquiver le F-35 s’apparenterait ainsi à un pari à long terme, celui de meilleurs retours industriels dans le cadre du programme SCAF. Ce pourrait être aussi l’occasion de réaliser un rêve ancien de l’armada : opérer un véritable porte-avions. Au risque, si les investissements ne suivent pas, de perdre définitivement toute capacité de combat aéronaval.
APPELS D’OFFRES EN SUISSE ET EN FINLANDE : UNE CARTE À JOUER POUR LE RAFALE
De manière générale, le Rafale reste relativement absent des marchés européens. D’une part, en l’absence de cellules déclassées, il n’est pas en mesure de se présenter sur le marché de l’occasion. D’autre part, Dassault Aviation évite autant que possible d’investir de lourds moyens dans des appels d’offres a priori favorables aux produits américains ou politiquement intenables pour un appareil français(3). Assez logiquement, les deux marchés européens les plus favorables au Rafale se trouvent donc en dehors de L’OTAN : en Finlande, pour 64 appareils, et en Suisse pour une trentaine. Réputés pour leurs compétitions ouvertes et relativement impartiales, ces deux pays ont également la particularité d’être actuellement équipés de F/A-18 Hornet, un appareil de la génération précédente, mais conceptuellement assez proche du Rafale. En
Suisse, les essais en vol des différents concurrents sont en cours de finalisation, le Rafale étant opposé au Super Hornet de Boeing, au F-35 de Lockheed Martin et à l’eurofighter Typhoon. Alors que le Gripen NG avait remporté l’appel d’offres de 2011, par la suite débouté par une votation populaire, c’est cette fois-ci son immaturité qui a conduit à l’élimination du Gripen E. Une situation qui pourrait arranger les aviateurs suisses qui avaient déjà affiché leur préférence pour le Rafale en 2011, avant que le Gripen ne soit sélectionné sur des critères financiers. Face au Rafale, c’est désormais le Super Hornet qui apparaît comme le compétiteur à abattre. Moins bon sur le plan dynamique, le biréacteur de Boeing est cependant disponible à un meilleur prix et compte séduire par sa filiation avec les Hornet déjà en service.
En Finlande, la compétition est moins avancée, mais on y retrouve les mêmes candidats qu’en Suisse, le Gripen E/F en plus. Principale frontière entre L’UE et la Russie, la Finlande promet une compétition particulièrement ouverte et impartiale. Prenant très au sérieux la possibilité d’opérer en temps de crise ou de guerre au-dessus de son propre territoire, Helsinki accorde une importance vitale au maintien de sa chaîne logistique et de son indépendance opérationnelle. N’étant pas membre de L’OTAN, elle ne peut se permettre de faire reposer sa défense sur l’implication des Alliés et de leurs multiplicateurs de force, ce qui pourrait militer en faveur d’une solution européenne. Cette posture doctrinale conduit également la force aérienne finlandaise à voir d’un mauvais oeil la centralisation et la dématérialisation des opérations de maintenance, pourtant au coeur du F-35. Autant d’éléments qui, s’ils n’éliminent pas la possibilité d’un choix américain, justifient pleinement les espoirs de Dassault en Finlande.
Les deux marchés européens les plus favorables au Rafale se trouvent donc en dehors de L’OTAN : en Finlande, pour 64 appareils, et en Suisse pour une trentaine.
QUELLE PLACE POUR LES PETITS CONSTRUCTEURS EUROPÉENS ?
Malgré une présence américaine qui s’étend vers l’est de l’europe, les grands avionneurs européens, mis à mal au début des années 2010, n’ont pas disparu du paysage aéronautique pour autant. Mais la situation est plus complexe pour les constructeurs plus modestes qui souffrent du retour progressif de la menace à l’est et peinent à vendre leurs avions d’entraînement survitaminés. L’aero Vodochody L-159 ALCA, bien équipé, mais terriblement modeste, n’a finalement pas trouvé sa place sur le marché de remplacement du MIG-21. Si l’italien Aermacchi, depuis intégré à Leonardo, a vendu 12 M-346 d’entraînement en Pologne, sa proposition de version armée de cet appareil pour le remplacement des Su-22 fait désormais pâle figure face au choix du F-35. Ce qui n’empêche pas les variantes de combat de se multiplier, comme le M-346FA dévoilé au Bourget en 2017 ou le F/A-259 Striker présenté en 2018 par Aero et IAI. Finalement, sur ce segment de marché comme sur celui des avions de combat médians, la plupart des débouchés viennent du Moyen-orient. Une région où, ironiquement, le contexte politique est parfois plus favorable au choix de solutions européennes… qu’en Europe même.
Notes
(1) Yannick Smaldore, « Gripen E/F, dernier appareil suédois ? », Défense & Sécurité Internationale, hors-série no 66, juin-juillet 2019.
(2) Le premier porte-aéronefs turc, le TCG Anadolu, doit en effet entrer en service en 2021.
(3) Notamment en Allemagne, où le Rafale n’est jamais évoqué pour le remplacement des Tornado. De facto, sa simple présence face au Typhoon constituerait un échec symbolique pour le programme Eurofighter.