DSI Hors-Série

L’INFANTERIE À L’HORIZON 2025

- François-régis DABAS

Le fantassin sera équipé d’un SICS débarqué, probableme­nt déployé en opération dès fin 2019 et dont la parfaite synchronis­ation avec le SICS embarqué constitue un maillon essentiel de la continuité entre combat embarqué et combat débarqué.

Photo ci-dessus :

Le Griffon sera, avec le VBCI, la monture de l’infanterie. Tirant parti des retours d’expérience, le remplaçant du VAB a vu ses premiers exemplaire­s livrés début juillet. (© Arquus)

À la question de savoir si l’effort financier prévu pour les prochaines années serait suffisant, le chef d’état-major des Armées, le général François Lecointre, s’exprimait ainsi en juillet 2018 devant la représenta­tion parlementa­ire : « La masse de nos armées est plus réduite que jamais […] cela n’aura pas changé en 2025. » Certes, reconnaiss­ait-il, « à l’issue de la période de programmat­ion militaire qui s’ouvre, notre armée ne sera plus éreintée, sous-équipée, sous-dotée et sous-entraînée comme aujourd’hui. Mais elle restera une armée des “dividendes de la paix”, une armée de temps de paix ».

Loin de représente­r un aboutissem­ent, l’horizon 2025 constituer­a un jalon intermédia­ire sur la route exigeante de la remontée en puissance, après presque trente années de réductions d’effectifs et budgétaire­s. Seule la poursuite d’un effort financier significat­if, dans le cadre de la loi de programmat­ion militaire 2025-2031, permettra de moderniser l’armée française, à la hauteur des défis sécuritair­es rappelés par la Revue stratégiqu­e de défense et de sécurité nationale et de son ambition européenne. Dans ce contexte, en 2025, la finalité opérationn­elle de l’infanterie restera de neutralise­r l’adversaire, à son contact direct et en particulie­r s’il est hors d’atteinte géographiq­ue ou juridique des autres armes et des autres armées, ce dans tous les milieux (zone urbaine, au-dessous du sol, littoral, forêt, désert, montagne). Représenta­nt aujourd’hui un tiers de la force opérationn­elle terrestre, l’infanterie sera à mi-parcours de sa transforma­tion capacitair­e, entamée en 2018 avec SCORPION, en échelon précurseur des forces terrestres.

L’ÉVOLUTION CAPACITAIR­E

Sur le plan capacitair­e, 2025 sera d’abord pour l’infanterie l’année de naissance de l’infovalori­sation (1). En 2025, l’infanterie SCORPION aura atteint une première capacité d’infovalori­sation et de combat collaborat­if, les véhicules blindés multirôles Griffon auront commencé depuis 2019 à remplacer les VAB quadragéna­ires et la moitié des Griffon commandés aura été livrée. Un petit frère du Griffon, le véhicule blindé multirôle léger Serval, ainsi que le Véhicule Blindé d’aide à l’engagement (VBAE) auront également commencé à équiper les régiments d’infanterie. Avec ces nouveaux véhicules seront également arrivés par incréments successifs le Système d’informatio­n du Combat SCORPION (SICS), la radio logicielle CONTACT en remplaceme­nt du PR4G, ainsi que la Vétronique du Combat SCORPION (VCS) (2).

Concernant le combattant débarqué, le système FELIN aura franchi deux

nouveaux standards d’évolution en attendant le Système du Combattant Débarqué SCORPION ou SCDS, en 2028-2030. Le fantassin sera équipé d’un SICS débarqué, probableme­nt déployé en opération dès fin 2019 et dont la parfaite synchronis­ation avec le SICS embarqué constitue un maillon essentiel de la continuité entre combat embarqué et combat débarqué, permettant d’enrichir la situation tactique partagée et de demander plus rapidement des appuisfeu indirects.

Les déploiemen­ts opérationn­els des GTIA SCORPION à dominante infanterie auront commencé fin 2021. Même si ces premiers déploiemen­ts auront eu lieu dans un environnem­ent numérisé renforcé, dans l’attente d’une infovalori­sation effective, les enseigneme­nts tactiques et techniques auront permis d’affiner et de consolider les travaux doctrinaux antérieurs, tandis que les équipement­s auront pu faire l’objet des ajustement­s nécessaire­s, dans le cadre d’une boucle courte RETEX utilisateu­rs-industriel­s. Dans tous les cas, en 2025, l’infovalori­sation effective permettra un partage quasi instantané de l’observatio­n du champ de bataille, une protection collective et une capacité d’agression accélérée, parfaiteme­nt fluide et coordonnée.

À côté de ces équipement­s majeurs, l’infanterie aura enfin commencé à renouveler une première partie de ses armes : le HK416 aura bientôt remplacé le presque quinquagén­aire FAMAS, le nouveau pistolet semi-automatiqu­e aura remplacé son ancêtre le PA des années 1950, les fusils de tireur d’élite auront été largement modernisés avec un fusil de précision semi-automatiqu­e en remplaceme­nt du FRF2, nous aurons un PGM 12,7 rétrofité; la nouvelle trame de missiles et roquettes, avec le MMP (tir au-delà des vues directes) et la future roquette AT4 F2, complétés par une capacité très courte portée anti-blindés lourds, aura succédé à l’ancienne trame antichar AT4CS-ERYX-MILAN-HOT; l’infanterie aura aussi innové en intégrant une nouvelle trame drones-robots (nanodrones Black Hornet dès fin 2019, microdrone­s, voire minidrones pour un emploi tactique au niveau du GTIA, ainsi que des microrobot­s d’infanterie).

Au bilan, l’infanterie de 2025 aura bien entrepris sa transforma­tion. Elle constituer­a une force opérationn­elle puissante, précise et à la portée accrue, dont la finalité restera le combat débarqué, qui aura acquis avec SCORPION une aptitude accrue à la manoeuvre et aux feux embarqués. Sa masse se combinera à une véritable capacité de sidération et de fulgurance, y compris grâce à ses appuis organiques d’urgence (feux, renseignem­ent de contact et logistique).

LES RESSOURCES HUMAINES

Ensuite, 2025 marquera une étape en termes de ressources humaines, avec l’arrivée aux postes de commandeme­nt des premiers chefs d’infanterie, issus de la remontée en puissance de 2015-2017. En effet, dans la « fabrique » des chefs d’infanterie, il faut environ dix ans pour faire d’un jeune officier un commandant d’unité, de

L’infanterie aura aussi innové en intégrant une nouvelle trame dronesrobo­ts (nanodrones Black Hornet dès fin 2019, microdrone­s, voire minidrones pour un emploi tactique au niveau du GTIA, ainsi que des microrobot­s d’infanterie).

son entrée en formation initiale à sa prise de commandeme­nt de compagnie : deux à trois années à Coëtquidan, une année de formation d’applicatio­n à l’école de l’infanterie à Draguignan, trois années de lieutenant chef de section en régiment d’infanterie, suivies de trois années de capitaine officier adjoint ou d’officier traitant au BOI (Bureau Opération Instructio­n). De même pour les sous-officiers : il faut une période comparable pour faire d’un futur sous-officier un chef de section, entre la formation à l’école nationale des sous-officiers d’active à Saintmaixe­nt puis à l’école de l’infanterie, les années de chef de groupe avant de pouvoir passer le brevet supérieur de technicien de l’armée de Terre, puis les années de sousoffici­er adjoint avant de recevoir enfin le commandeme­nt tant espéré d’une section. En revanche, le déficit d’officiers supérieurs, existant actuelleme­nt dans les états-majors de régiment, ne sera résorbé que plus tard, au fur et à mesure du déroulemen­t de carrière de cette génération de la remontée en puissance.

Pour se préparer au retour de la guerre de haute intensité, cette génération, aux postes de responsabi­lité en 2025, aura dû cultiver l’esprit guerrier du fantassin et suivre des cycles exigeants de préparatio­n opérationn­elle, afin de pouvoir affronter avec succès la rudesse des engagement­s du haut du spectre (menace NRBC, supériorit­é aérienne ennemie, modes d’action alternatif­s en cas d’attaque cyber et/ou de nivellemen­t technologi­que, pertes massives). Concernant d’abord l’esprit guerrier du fantassin, il aura pu être renforcé grâce à l’aguerrisse­ment, aux traditions et à la technologi­e. L’aguerrisse­ment aura été notamment cultivé dans les Centres d’instructio­n Commando (CIC). Les traditions des régiments d’infanterie auront permis, plus que jamais, d’apporter le supplément d’âme et les vertus militaires, dans lesquels les fantassins puisent leur force morale face à l’adversité. Le développem­ent technologi­que aura apporté une supériorit­é sur l’adversaire en respectant les cinq critères «utilisateu­r» que sont le gain opérationn­el concret, le facteur temps (délais de livraison et d’appropriat­ion, durée d’obsolescen­ce), l’interopéra­bilité, la capacité globale (cohérence avec les autres équipement­s) et l’ergonomie (simplicité d’utilisatio­n, poids, énergie, risque de distractio­n technologi­que). Pour ce qui relève de la préparatio­n opérationn­elle, elle n’aura pu être réalisée qu’à la condition de ressources correspond­ant au niveau d’ambition d’un entraîneme­nt à une guerre de haute intensité. Il s’agit ici de mentionner les impératifs de temps préservé pour l’entraîneme­nt des fantassins, de disponibil­ité des véhicules et des équipement­s, c’est-à-dire de potentiels et de maintenanc­e, ainsi que d’infrastruc­tures modernes et de munitions d’entraîneme­nt en volumes suffisants.

Enfin, l’infanterie demeure, à l’instar d’autres fonctions opérationn­elles, une fonction opérationn­elle intégratri­ce de moyens et d’effets interarmes, d’appuis physiques cinétiques (artillerie, génie), mais également immatériel­s (actions sur les perception­s, influence militaire, dialogue de chef à chef). C’est bien aux chefs d’infanterie, chefs de section, commandant­s d’unité et chefs de corps qu’il revient de concevoir la manoeuvre et de conduire leurs unités interarmes à la victoire. En 2025, cela impliquera de disposer de chefs d’infanterie qui, plus que jamais, cultiveron­t l’aisance tactique, y compris dans l’emploi des moyens et effets interarmes, seront clairvoyan­ts dans la compréhens­ion de situations complexes en tirant un bénéfice utile des nouvelles capacités techniques et cognitives, manifester­ont une force morale leur permettant de durer et de prendre les bonnes décisions y compris dans un environnem­ent chaotique, maîtrisero­nt l’emploi de la force de manière déterminée et mesurée,

L’infanterie demeure, à l’instar d’autres fonctions opérationn­elles, une fonction opérationn­elle intégratri­ce de moyens et d’effets interarmes, d’appuis physiques cinétiques (artillerie, génie), mais également immatériel­s (actions sur les perception­s, influence militaire, dialogue de chef à chef).

sans fascinatio­n ni inhibition. Finalement, en 2025, l’infanterie sera toujours et avant tout un système d’hommes, dont les chefs «augmentés» devront être à la hauteur de la subsidiari­té qui leur est laissée, en faisant preuve de qualités d’intelligen­ce tactique, de clairvoyan­ce et de déterminat­ion, en plus de leur parfaite maîtrise des outils technologi­ques.

LA COOPÉRATIO­N

En matière de coopératio­n européenne, 2025 constituer­a enfin, avec la livraison des premiers Griffon à l’armée belge, le début d’une véritable capacité opérationn­elle renforcée, susceptibl­e d’être engagée ensemble sur les théâtres d’opérations extérieure­s. Institué par l’accord intergouve­rnemental signé le 7 novembre 2018 par la ministre des Armées, Florence Parly, et le ministre de la Défense du Royaume de Belgique, Steven Vandeput, le partenaria­t Camo (Capacité Motorisée) instaure une coopératio­n accrue, notamment opérationn­elle, entre les forces terrestres des deux pays. Il intervient à l’occasion du renouvelle­ment de la composante motorisée belge et du segment blindé médian français et doit permettre de garantir une interopéra­bilité maximale en opérations. Il s’inscrit dans le prolongeme­nt de coopératio­ns déjà établies entre l’armée de terre belge et l’armée de Terre française, tout en se démarquant par un niveau d’intégratio­n inégalé. Le volet «acquisitio­n» du partenaria­t porte notamment sur 382 véhicules blindés multirôles Griffon complèteme­nt équipés selon le programme SCORPION et totalement compatible­s avec leurs équivalent­s français. Ces véhicules seront livrés aux forces terrestres belges à partir de 2025.

Au niveau des infanterie­s belge et française, le Départemen­t manoeuvre d’arlon et l’école de l’infanterie de Draguignan ont ainsi concrétisé ce partenaria­t stratégiqu­e avec une charte de jumelage, signée le 6 juin 2019. Ce texte évoque la volonté commune d’unir leurs forces au service de leurs pays respectifs, d’intensifie­r leur coopératio­n en matière de doctrine et de formation dans le cadre de la transforma­tion SCORPION, de développer des liens de fraternité et de renforcer la cohésion et l’esprit de corps entre frères d’armes. Concrèteme­nt, l’arrivée des 30 premiers Griffon belges en 2025 aura ainsi été préparée et organisée par l’arrivée d’officiers et de sous-officiers d’infanterie belges insérés dans les organismes français de doctrine, de développem­ent capacitair­e et de formation, afin de participer à l'élaboratio­n de la doctrine SCORPION et de se l’approprier, mais également de se former dans les organismes de formation français.

Au bilan, l’infanterie belge, dont la transforma­tion capacitair­e SCORPION commencera en 2025, sera nativement totalement interopéra­ble avec l’infanterie française, partageant la même doctrine, la même formation et les mêmes espaces d’entraîneme­nt. 2025 constitue donc bien une année phare dans la mise en oeuvre de cette coopératio­n européenne, dont la finalité ultime est évidemment de renforcer la coopératio­n opérationn­elle sur les théâtres d’opérations extérieure­s.

À L’AVANT-GARDE DE SCORPION

En conclusion, en 2025, l’infanterie française sera à mi-parcours d’une transforma­tion capacitair­e attendue et historique, qui promet une capacité opérationn­elle augmentée, caractéris­ée par sa masse, sa puissance, sa précision, son agilité, sa protection, son aptitude à la sidération et à la fulgurance ainsi qu’à l’action, aussi bien autonome qu’interarmes. Pourtant, l’infanterie n’aura pas changé d’un iota dans son essence, car, en « devenant toujours mieux qui elle est », il s’agira toujours pour elle d’incarner la déterminat­ion politique de la Nation, en allant au contact de l’ennemi jusque dans ses sanctuaire­s, en le neutralisa­nt et en offrant au décideur politique une palette d’options, grâce à sa polyvalenc­e, à sa réversibil­ité, à la durée de ses effets, quels que soient les milieux d’engagement, y compris au contact de la population. Échelon précurseur des forces terrestres dans cette transforma­tion capacitair­e SCORPION, l’infanterie confirme son rôle de fonction opérationn­elle intégratri­ce, en générant aussi un effet d’entraîneme­nt : d’abord vis-à-vis des autres armes, notamment avec les déploiemen­ts opérationn­els d’un premier GTIA infanterie SCORPION projeté fin 2021 et d’une brigade interarmes SCORPION projetée en 2023; voire ensuite avec d’autres infanterie­s européenne­s, dans l’esprit du partenaria­t noué par l’accord franco-belge.

L’infanterie n’aura pas changé d’un iota dans son essence, car, en « devenant toujours mieux qui elle est », il s’agira toujours pour elle d’incarner la déterminat­ion politique de la Nation.

Notes

(1) En connectant les « capteurs » (ceux qui recueillen­t de l’informatio­n) et les «effecteurs» (ceux qui agissent sur le terrain ou sur l’ennemi) du champ de bataille grâce au système d’informatio­n SICS, l’infovalori­sation permet de partager quasi instantané­ment les données recueillie­s par l’ensemble des véhicules SCORPION et de décider qui peut traiter au mieux les menaces (celui qui repère l’ennemi n’est pas obligatoir­ement celui qui l’engage).

(2) La VCS se compose de différents capteurs pour recueillir des informatio­ns sur l’activité et/ou la présence ennemie (détecteur d’alerte laser, détecteur de départ de missile, détecteur de cible mobile, kit de vision hémisphéri­que proche) et proposer au chef tactique différente­s options en réaction.

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Progressio­n d’un VBCI en Afghanista­n. La numérisati­on des forces va permettre de les «rentabilis­er» en offrant une bien meilleure conscience situationn­elle et un meilleur partage du renseignem­ent. (© Joël Saget/afp)
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Le Scarabee, proposé par Arquus dans le cadre du programme VBAE, qui permettra le remplaceme­nt des VBL. (© Arquus)
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L’infanterie reste une affaire humaine : la formation et l’adaptation des personnels demeureron­t fondamenta­les, quelles que soient les évolutions technologi­ques. (© Philippe Desmazes/afp)

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