SCORPION : LES ATOUTS DE L’INFOVALORISATION
Entretien avec le colonel OLIVIER, officier de programme SCORPION à l’état-major de l’armée de Terre
On peut avoir tendance à l’oublier, mais la France a été un leader en matière de réseaux, avec un système comme ATLAS dans l’artillerie par exemple. Que va changer la numérisation pour l’armée de Terre ?
Colonel Olivier : En tant qu’ancien officier de programme ATLAS, ce n’est pas moi qui vous dirai le contraire. Ce système d’armes continue d’ailleurs à rendre d’éminents services sur tous les théâtres d’opérations où l’artillerie française est engagée. Il est vrai que, dès le début des années 2000, l’armée de Terre s’est résolument engagée dans la Numérisation de l’espace de Bataille (NEB), mettant en oeuvre des Systèmes d’information Opérationnels et de Communication (SIOC) tels que le SIR(1) et les SIT(2) au niveau des régiments. Le partage de données numériques, l’automatisation des tâches et l’interopérabilité sont donc dans notre ADN depuis vingt ans. Néanmoins, aujourd’hui, il s’agit d’aller plus loin, avec le combat collaboratif infovalorisé qui sera permis par SCORPION. Il consiste à mettre en réseau des plates-formes aéroterrestres, à la fois capteurs et effecteurs, et à proposer à l’humain des réactions face à telle ou telle situation tactique, grâce à des algorithmes de combat collaboratif développés dans le cadre du programme.
Parler de numérisation, c’est aussi ouvrir la voie au multidomaine et au «multimilieux» : dans une manoeuvre efficiente, les armées de Terre et de l’air comme la Marine doivent pouvoir se parler de manière fluide, pour les appuis notamment. Où en sommes-nous et notamment à propos de CONTACT ?
Aujourd’hui, nous sommes dans une démarche de rationalisation des systèmes d’information, notamment avec le Système d’information des Armées (SIA), qui est par essence un système interarmées. Il opère plutôt dans le domaine du temps réfléchi, qui est celui du commandement et de la planification des opérations. La même démarche existe pour optimiser après 2025 les systèmes d’appuis-feu interarmées en temps réel, dans l’optique d’aboutir, pour ce qui concerne notre milieu, à une pleine intégration des effets au profit de la composante terrestre. Le poste radio CONTACT, qui arrive dès cette année dans l’armée de Terre, sera un vecteur important de l’interopérabilité interarmées, avec des formes d’ondes communes entre les troupes au sol et les aéronefs, mais aussi avec la Marine dans le cadre des opérations amphibies. CONTACT sera par ailleurs un élément majeur du combat collaboratif SCORPION, car il contribuera à créer à partir de 2023 une véritable Liaison de Données Tactique (LDT) terrestre, plaçant l’armée de Terre dans le temps quasi immédiat.
Le partage de données numériques, l’automatisation des tâches et l’interopérabilité sont dans notre ADN depuis vingt ans. Néanmoins, aujourd’hui, il s’agit d’aller plus loin.
Photo ci-dessus : L’infovalorisation n’est récente qu’en tant que vocable : historiquement, l’armée de Terre a rapidement développé le concept, notamment au profit de l’artillerie. (© Fadel Senna)
Derrière la numérisation se cache toujours le piège de l’infobésité et de la surcharge informationnelle… Comment l’éviter ?
Ce sont les algorithmes et la subsidiarité donnée aux subordonnés qui permettront de l’éviter. En effet, le combat infovalorisé sera avant tout une révolution au niveau des échelons tactiques bas, c’est-à-dire au sein des compagnies d’infanterie et des escadrons de cavalerie. À ce niveau, les algorithmes et le Système d’information du Combat SCORPION (SICS) permettront d’avoir une meilleure connaissance de la situation tactique, aideront à traiter les informations rapidement et proposeront la réaction la plus appropriée face à la menace. Dans ce contexte, il ne s’agira pas de faire remonter pléthore d’informations vers le poste de commandement du régiment ou de la brigade pour obtenir une autorisation, mais bien de réagir plus vite que l’ennemi au contact. Il faudra donc développer le principe de délégations vers les sections, pelotons, groupes et engins, afin de ne pas freiner leur action. Pour cela, il faudra également développer et cultiver l’autonomie de nos hommes dans l’adversité.
Entre mobilité tactique accrue et numérisation, SCORPION implique de pouvoir jouer la carte d’une plus grande dispersion sur le terrain. Quelles sont les incidences sur la formation tactique et, plus généralement, sur le combat ?
Il est vrai que le concept exploratoire du combat SCORPION envisage un combat plus lacunaire, permis par une plus grande mobilité et une meilleure connaissance de la situation tactique. Les capacités des nouvelles platesformes (Griffon, Jaguar, Serval, char Leclerc rénové) et du SICS seront indéniablement des facteurs de supériorité. En nous appuyant sur la simulation, nous sommes en pleine phase d’analyse de leur impact sur le combat futur, au travers d’un cycle d’exercices mené par le laboratoire du combat SCORPION. Même si les principes fondamentaux de la guerre ne devraient pas être bouleversés, la doctrine sera adaptée en conséquence et testée sur le terrain dans le cadre d’expérimentations tactiques. À ce stade, il est donc encore trop tôt pour tirer des conclusions définitives sur la forme des combats de demain.
Dans le même temps, les robots semblent assez peu présents dans le programme lui-même, en dépit d’expérimentations. SCORPION est-il compatible avec une montée en puissance future de la robotique (terrestre ou aérienne) dans les forces ?
La robotique est pleinement intégrée dans la feuille de route du programme SCORPION. Un premier standard de robots télécommandés équipera rapidement l’infanterie et le génie, afin d’aider nos fantassins et sapeurs dans leurs missions de reconnaissance, permettant ainsi de moins exposer nos hommes. Ultérieurement, dans un deuxième standard, ces robots seront intégrés au combat collaboratif SCORPION. Terrestres ou aériens, ils étendront alors les champs d’action de nos unités de combat, agissant comme des démultiplicateurs d’effets. Par ailleurs, les prochains véhicules et standards SCORPION ont vocation à intégrer la téléopération ponctuelle, développant la synergie entre systèmes habités et systèmes automatisés.
Dans un deuxième standard, ces robots seront intégrés au combat collaboratif SCORPION. Terrestres ou aériens, ils étendront alors les champs d’action de nos unités de combat, agissant comme des démultiplicateurs d’effets.
Il y a toujours une marge entre le concept et sa réalisation. Nous n’en sommes évidemment que tout au début, mais a-t-on déjà les premiers retours d’expériences de SCORPION en matière de simulations impliquant la numérisation notamment ?
Concernant l’infovalorisation, nous avons dépassé le concept, puisque les premières évaluations se sont déroulées sur le terrain dès octobre 2018 avec le SICS et des platesformes terrestres existantes (char Leclerc, VBCI). Elles se sont révélées extrêmement prometteuses, permettant d’envisager rapidement une plus grande fluidité du combat. Ainsi, le Blue Force Tracking (BFT) (3), permis par le SICS et les évolutions de nos postes radios actuels (PR4G), apporte de manière numérique une meilleure connaissance de la situation tactique, réduisant le recours à la voix (phonie). De plus, les réseaux apportent une plus grande capacité de réarticulation en dynamique des unités, gommant ainsi certaines rigidités des systèmes d’information antérieurs. Dès 2021, ces premières briques technologiques devraient être déployées au combat, puisqu’un premier Groupement Tactique Interarmes SCORPION (GTIA-S) devrait être projeté avec des Griffon, donnant ainsi à l’infovalorisation une réalité opérationnelle.
Propos recueillis par Joseph Henrotin, le 17 juillet 2019
Notes
(1) SIR : Système d’information Régimentaire. (2) SIT : Système d’information Tactique.
(3) BFT : positionnement des unités amies.