DSI Hors-Série

QUELS PROGRÈS POUR LA MARINE CHINOISE ?

- Avec Swee Lean Collin KOH Chercheur à l’institut de défense et d’études stratégiqu­es de la S. Rajaratnam School of Internatio­nal Studies de la Nanyang Technologi­cal University (Singapour). Propos recueillis par Joseph Henrotin, 10 septembre 2019

Entretien avec Swee Lean Collin KOH, chercheur à l’institut de défense et d’études stratégiqu­es de la S. Rajaratnam School of Internatio­nal Studies de la Nanyang Technologi­cal University (Singapour)

Comment évaluez-vous les progrès qualitatif­s de la marine chinoise au cours des quinze dernières années ?

S. L. C. Koh : La PLAN (People Liberation Army Navy) est passée d’une force côtière à une autre ayant une capacité hauturière en expansion. Cette capacité va au-delà de la guerre anti-surface (ASUW) dans laquelle la marine était traditionn­ellement forte, pour incorporer la guerre antiaérien­ne robuste (AAW) et des capacités considérab­lement améliorées en matière de guerre anti-sous-marine (ASM). L’ASUW continue de s’améliorer avec l’entrée en service de missiles plus puissants et pouvant être lancés depuis des plates-formes aériennes, de surface, sous-marines et côtières. La capacité AAW est sans doute l’un des changement­s les plus remarquabl­es – avec des systèmes de défense ponctuelle à courte portée (le QG-7 basé sur le design du Crotale français). La PLAN a fait des avancées significat­ives dans une réelle capacité de défense AAW, qui a été considérab­lement aidée par l’acquisitio­n antérieure de systèmes AAW russes. L’antisous-marins va au-delà de l’utilisatio­n de charges propulsées par des fusées datant de l’époque de la guerre froide (basées sur le système soviétique RBU et analogues à celui-ci), qui étaient optimisées principale­ment pour une utilisatio­n en eaux peu profondes, afin de les intégrer de manière standard aux torpilles ASW de surface.

Il est également possible d’envisager que l’utilisatio­n judicieuse de technologi­es à double usage associée aux connaissan­ces tirées des systèmes français et russes acquis dans les années 1980-1990 contribue à améliorer les systèmes électroniq­ues de la PLAN, y compris les radars et les sonars. En outre, nous devons également souligner les capacités croissante­s des sous-marins chinois : les nouvelles constructi­ons seraient progressiv­ement plus silencieus­es et plus meurtrière­s. La PLAN a également acquis une capacité d’attaque terrestre crédible, notamment si ses sous-marins et ses principaux combattant­s de surface sont dotés du missile YJ-18, par exemple. Pour couronner le tout, le progrès qualitatif le plus remarquabl­e réalisé par la PLAN au cours des quinze dernières années a été l’acquisitio­n d’une capacité de porte-avions. Toutefois, en ce qui concerne les progrès qualitatif­s, l’améliorati­on globale du capital humain de la marine est une chose qui pourrait être plus spéculativ­e, mais qui reste observable : le régime de formation plus intense que la marine a entrepris au cours de la dernière décennie, en particulie­r ces dernières années, la participat­ion à des activités de diplomatie de défense régionale ainsi que l’exposition à des déploiemen­ts hauturiers de longue durée depuis 2008 dans le cadre des opérations de lutte contre la piraterie au large de la Somalie se traduiraie­nt très probableme­nt par une améliorati­on générale du bassin de main-d’oeuvre de la PLAN.

L’anti-sous-marins va au-delà de l’utilisatio­n de charges propulsées par des fusées datant de l’époque de la guerre froide.

La fusion de l’administra­tion maritime dans les gardes-côtes (CCG – China Coast Guard) donne à la Chine un puissant «instrument de souveraine­té » en mer de Chine méridional­e. Comment coopère-t-il avec la PLAN ?

Les gardes-côtes chinois sont désormais sous le contrôle effectif de l’armée depuis les récentes réformes structurel­les. Auparavant, la CCG s’était largement intéressée à la réorganisa­tion de la panoplie d’agences de maintien de l’ordre maritime préexistan­te, afin de devenir l’outil de première ligne de la souveraine­té maritime de la Chine et de l’affirmatio­n de ses droits. Cependant, si l’on se penche sur la littératur­e existante en langue chinoise rédigée par des officiers de la CCG, il est apparu que les gardes-côtes n’avaient pas nécessaire­ment reçu le niveau de soutien souhaité de la marine. Le problème commun observé dans ces écrits est que la CCG s’est souvent trouvée confrontée, dans les zones de tension maritimes telles que la mer de Chine méridional­e, à des rivaux qui emploient des marines pour leurs propres missions de souveraine­té maritime et de revendicat­ion de droits. Ces mêmes auteurs ont appelé à un meilleur soutien de la marine, qui a jusqu’ici davantage joué un rôle de dissuasion en retrait – faisant souvent profil bas et laissant les gardes-côtes prendre le fer de lance et porter le fardeau de l’affirmatio­n de la souveraine­té et des droits, et n’intervenan­t que lorsque c’est nécessaire. La récente réforme pourrait avoir pris en compte ce défi et donc, peu de temps après que la CCG a été effectivem­ent placée sous contrôle militaire, elle a effectué sa première patrouille commune avec la marine (ainsi qu’avec des éléments de l’administra­tion maritime locale) dans les îles Paracels, en mai 2018. Cette dispositio­n confère à la marine un rôle plus actif par rapport à la garde-côte.

De nombreux auteurs font référence à Liu Huaqing lorsqu’ils étudient l’évolution de la stratégie navale chinoise – les trois chaînes d’îles ou la focalisati­on sur les porte-avions. Mais l’amiral Huaqing est décédé en 2011. Qui sont les «moteurs intellectu­els» de la stratégie navale chinoise contempora­ine? Suivent-ils toujours la pensée de Huaqing?

La «stratégie navale» de la Chine est moins connue que sa «stratégie maritime». Nous pensons que la pensée de l’amiral Liu continue d’irriguer la marine aujourd’hui, puisqu’elles sont toujours d’actualité. Le président Xi Jinping continue de diriger la formulatio­n et la mise en oeuvre actuelles de la stratégie maritime de la Chine, en mettant l’accent sur la souveraine­té et la protection des droits. Mais les principaux intellectu­els à la tête de cette stratégie maritime ne semblent pas être uniquement issus de L’APL, mais sont aussi des civils, en particulie­r du ministère des Ressources naturelles.

La Chine vise clairement la haute mer. Ses ambitions sont-elles strictemen­t macrorégio­nales (mer de Chine méridional­e et détroit de Malacca) et stratégiqu­es (être en mesure de déployer ses sous-marins lanceurs d’engins en toute sécurité ou la sécurisati­on de son commerce maritime), ou sont-elles plus larges ?

C’est certaineme­nt plus large. La Chine, comme toute puissance maritime majeure, considère la marine comme un outil polyvalent de gouverneme­nt : dissuasion en temps de paix, guerre, diplomatie de défense, fonctions de police, etc. Ce serait une erreur de considérer la croissance de la marine dans une perspectiv­e unidimensi­onnelle.

Le Japon et la Corée du Sud ont tous deux annoncé qu’ils se doteront de « porte-avions » et de F-35B sur leurs navires de classes Izumo et Dokdo. Le Japon a également annoncé qu’il obtiendrai­t de nouveaux missiles de croisière antinavire­s de plus longue portée. Plus largement, Tokyo renforce ses forces. Comment cela affectera-t-il la stratégie navale chinoise?

Tandis que les planificat­eurs de la marine chinoise travailler­aient vraisembla­blement sur des scénarios de guerre contre ses rivaux voisins, la situation serait plus compliquée que cela. Les Chinois concluraie­nt rapidement qu’en cas de scénario de combat avec la JMSDF japonaise ou la ROKN sud-coréenne, ou les deux, la PLAN aurait un autre adversaire : il faudrait tenir compte du rôle majeur joué par la marine américaine, en raison des alliances. La montée en puissance navale japonaise fait froncer les sourcils. Le pays ajouterait des capacités apparemmen­t plus offensives qui pourraient contribuer à contrecarr­er les opérations de la PLAN dans les eaux voisines de l’asie du Nordest (notamment autour de la mer de Chine orientale), et même dans le sud de la mer de Chine. Pour ce faire, le PLAN devra acquérir des capacités hauturière­s plus robustes, offrant une portée et une persistanc­e plus longues, tout en imposant des modificati­ons doctrinale­s. Nous avons effectivem­ent déjà constaté ce phénomène dans les régimes d’entraîneme­nt des task forces, qui regroupent un ensemble intégré de systèmes et de sous-systèmes (la PLA appelle généraleme­nt cela «la confrontat­ion de systèmes») et cela implique plus d’opérations conjointes de la PLAN avec ses branches soeurs, comme la force aérienne ou la Force de missiles stratégiqu­es.

Les États-unis ont beaucoup travaillé sur les concepts de lutte contre-a2/ad. Ils évoquent maintenant la possibilit­é d’installer des IRBM à Guam. Comment cela affectera-t-il l’équilibre régional des forces? Pensez-vous que cela pourrait dissuader les ambitions navales chinoises ?

Je ne sais pas trop comment se déroule celleci. Le projet du secrétaire américain à la Défense Mark Esper de déployer des systèmes de missiles à portée intermédia­ire n’a pas encore été dévoilé.

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Deux destroyers Type-052c en exercice dans la mer de Chine méridional­e. (© MOD/YU Lin)
Photo ci-dessus : Deux destroyers Type-052c en exercice dans la mer de Chine méridional­e. (© MOD/YU Lin)
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Exercice d’une batterie côtière dotée de missiles YJ-62. (© MOD)

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