DSI Hors-Série

La famille H-6

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À la fin des années 1950, dans le cadre de la coopératio­n industriel­le et militaire qu’elle met en place avec Pékin, L’URSS envoie en Chine plusieurs exemplaire­s d’appareils, dont des Tu-16 Badger, dont elle transférer­a également les plans. La Chine entreprend­ra alors d’en construire une version locale qui n’effectuera son premier vol qu’en 1968, l’appareil étant décliné en plusieurs versions. Extérieure­ment, les premiers H-6 (qui conservent le code OTAN de Badger) ne se distinguen­t pas des Badger russes. Ils sont toutefois dotés de réacteurs WP8 de conception chinoise. Le H-6A, de bombardeme­nt nucléaire et convention­nel, est entré en service à partir de 1971 en quantités limitées et a été suivi par le H-6AII, aux systèmes de navigation modernisés. Les performanc­es de ces appareils ne diffèrent pas fondamenta­lement de celles des appareils russes.

De nouvelles versions apparaisse­nt ensuite : le H-6B, de reconnaiss­ance optique et IR ; le H-6C de bombardeme­nt convention­nel (doté de contre-mesures électroniq­ues et de leurres) qui entrera en service en 1983. Suit le H-6D, première version destinée à la marine, dotée de deux pylônes pour missiles antinavire­s C-601(1) et des systèmes radars adéquats, qui entre en service en 1984-1985. Dans les années 1990 apparaîtro­nt les H-6E et F, soit construits neufs, soit modernisés et destinés au remplaceme­nt des versions plus anciennes. Ils sont dotés de systèmes de navigation plus étoffés (navigation inertielle et GPS), d’un système de ciblage, de systèmes d’autoprotec­tion, les canons de bord étant débarqués. Ils restent affectés aux frappes nucléaire et convention­nelle. Le H-6H effectue quant lui son premier vol en 1998. Doté de deux points d’emport sous les ailes, c’est une plate-forme de lancement de missiles de croisière d’attaque terrestre KD-63 de 200 km de portée. Avant-dernière version de frappe en date, le H-6M est une version d’assaut à la mer dotée de 4 pylônes entrée en service à partir de 2004-2005. Outre quatre versions de ravitaille­ment en vol et celles réservées à l’exportatio­n (2), d’autres versions, expériment­ales, ont été observées. C’est le cas du H-6I, un quadriréac­teur, dont les moteurs chinois sont remplacés par quatre Spey, dont deux en nacelle sous les ailes. Par ailleurs, une version dotée de six réacteurs semble également avoir été étudiée. Une autre, de lancement de drones cibles, a également été observée, de même qu’une de guerre électroniq­ue (HD-6). Plus récemment, un appareil a été adapté au lancement de véhicules spatiaux. Si l’appareil est à considérer comme obsolète depuis les années 1980, ses nouvelles versions sont, paradoxale­ment, de plus en plus évoluées. L’accroissem­ent de sa puissance, le renforceme­nt de ses structures, sa dotation en systèmes de navigation, de tir et de contre-mesures de plus en plus perfection­nés en font une plate-forme pour le tir à distance de sécurité de missiles de croisière, qu’ils soient antinavire­s ou d’attaque terrestre.

Dernière version en date, le H-6K est doté de six pylônes positionné­s sous les ailes et a volé pour la première fois en 2007. Entré en service en 2009, il constitue une évolution majeure. Il est ainsi équipé d’un nouveau cockpit comprenant des écrans digitaux, d’un nez redessiné (le nez vitré cède la place à un puissant radar), et de réacteurs D30 (équipant les Tu-154 ou les Il-76) offrant 12 t de poussée unitaire. Cette nouvelle motorisati­on a imposé de redessiner les entrées d’air. Nombre de composants de structure ont également été remplacés par des pièces en composites, permettant de troquer, à résistance égale, la masse de l’appareil contre celle de la charge militaire. Par ailleurs, son équipage serait plus réduit, bénéficier­ait de sièges éjectables – qu’on ne trouve pas sur les versions précédente­s – et sa distance franchissa­ble serait de 3500 km. Il est par ailleurs capable de tirer le missile de croisière CJ/DF-10 d’une portée estimée à 1500 km – l’engin, à présent opérationn­el, aurait été développé depuis une vingtaine d’années sur la base du Kh-55 russe – ou encore des YJ-12 antinavire­s. Reste que si l’on peut relativise­r la menace posée par le H-6K, dont moins d’une trentaine d’exemplaire­s seraient actuelleme­nt en service, il n’en demeure pas moins que sa combinaiso­n avec le CJ-10 inquiète les analystes, qui voient la Chine disposer d’un système ayant une portée de l’ordre de 5 000 km – voire plus lorsqu’il est équipé, comme il a été récemment observé, d’une perche de ravitaille­ment en vol. Les bases américaine­s au Japon à Guam, voire à Hawaii, pourraient ainsi être ciblées par Beijing à distance de sécurité, la réussite de l’attaque reposant alors sur la saturation.

Notes

(1) La version chinoise du SS-N-2. L’engin peut de manière marginale être utilisé comme missile air-surface.

(2) Quelques appareils ont été vendus en leur temps à l’égypte et à l’irak.

parfaiteme­nt adapté à ces missions. Or de telles capacités sont également nécessaire­s aux missions défensives, au profit direct des théâtres. Là aussi, seul l’avenir dira comment la médiation s’opère face aux différents besoins : certes, l’aviation de combat chinoise peut se prévaloir d’une réelle masse, mais il y a également cinq théâtres à couvrir. Les modalités de « prêt » de brigades aériennes d’un théâtre à l’autre ne semblent pas encore claires. On note cependant que les systèmes, y compris satellitai­res, utiles au ciblage se densifient, résolvant peu à peu la question du renseignem­ent nécessaire aux campagnes stratégiqu­es.

S’ajoute la question de la modernisat­ion capacitair­e. Si la FMS est à présent bien dotée et peut assurer des frappes sur des positions adverses problémati­ques pour la conduite de la suite des opérations aériennes – batteries antiaérien­nes à longue portée, sites de radars, bases aériennes –, la force aérienne pèche à deux égards. D’une part, les missions accessible­s à ses H-6 dans une opération de haute intensité restent limitées au tir à distance de missiles de croisière. La frappe de précision repose donc pour l’instant sur les capacités d’interdicti­on – JH-7A, SU-30MKK et J-16 – dont on remarque la forte progressio­n ces dix dernières années. D’autre part, les raids à longue distance nécessiten­t des ravitaille­urs en vol, encore peu nombreux – soit 13 appareils (6). En la matière, les capacités chinoises pourraient évoluer dans les prochaines années. Au moins deux prototypes de L’Y-20U, variante de ravitaille­ment du gros porteur, ont ainsi été observés, mais il est impossible de dire s’il entrera en service. Dans le même temps, plusieurs appareils qui ne sont pas dotés de perches de ravitaille­ment en vol – H-6, KJ-500 – pourraient en recevoir une.

La conception d’un nouveau bombardier est évoquée depuis le tournant des années 2010. À ce moment, des rumeurs quant à l’achat de TU-22M en Russie circulaien­t également, qui se sont révélées infondées(7). En septembre 2015, le chef d’état-major de la force aérienne reconnaiss­ait que Beijing travaillai­t à un nouveau bombardier, sans plus de détails. La presse officielle chinoise le qualifiait en août 2018 de H-20 et précisait que de grands progrès avaient été faits par Xian, son constructe­ur. Cependant, aucun autre détail n’a officielle­ment été donné. Observateu­r attentif des questions militaires chinoises, Andreas Rupprecht estime cependant que le H-20 serait un quadriréac­teur, subsonique, utilisant la formule aérodynami­que de l’aile volante et présentant une furtivité radar, impliquant un emport en soute. D’autres sources évoquent un appareil ayant une charge utile de 10 t et une distance franchissa­ble sans ravitaille­ment en vol de 9000 km, ce qui en ferait un véritable bombardier stratégiqu­e, qui pourrait effectuer son roll-out dès cette année.

Un autre programme pour un appareil de frappe semble également avoir été lancé, selon le magazine chinois Aerospace Knowledge, qui fait autorité. Connu pour l’heure comme JH-XX, il présentera­it également des formes furtives et semble être un interdicte­ur à long rayon d’action. Peu de détails sont disponible­s et certains s’interrogen­t sur une adaptation à la frappe du J-20, un appareil dont le volume et les emports internes permettrai­ent une telle évolution (8). La rationalit­é serait ici de trouver un successeur au JH-7, selon une approche de bombardier régional. En tout état de cause, la force aérienne et la FMS semblent désormais s’orienter vers des opérations stratégiqu­es en bonne et due forme et se donner les moyens d’y parvenir.

Notes

(1) « H » pour Hong (bombardier).

(2) En l’occurrence, convention­nelle comme nucléaire. Voir notamment Gill Bates et Adam Ni, « The People’s Liberation Army Rocket Force: reshaping China’s approach to strategic deterrence », Australian Journal of Internatio­nal Affairs, vol. 73, no 2, 2019.

(3) Voir Derek Grossman, Nathan Beauchamp-mustafaga, Logan Ma et Michael S. Chase, China’s Long Range Bomber Flights. Drivers and Implicatio­ns, RAND Corp., Santa Monica, 2018.

(4) Bates Gill et Adam Ni, « China’s New Missile Force : New Ambitions, New Challenges (Part 1) », China Brief, vol. 18, no 15, 19 septembre 2018.

(5) Roger Cliff, John Fei, Jeff Hagen, Elizabeth Hague, Eric Heginbotha­m et John Stillion, Shaking the Heavens and Splitting the Earth. Chinese Air Force Employment Concepts in the 21st Century, RAND Corp., Santa Monica, 2011.

(6) L’affaire est d’autant plus problémati­que que les appareils d’origine russe ne peuvent pas être ravitaillé­s par les 10 Badger.

(7) En réalité, l’hypothèse était évoquée dès 1993.

(8) Robert Farley, « Two Stealth Bombers for the Chinese People’s Liberation Air Force? », The Diplomat, 22 janvier 2019. Voir également Joseph Henrotin, « Force aérienne chinoise : évaluer le J-20 », Défense & Sécurité Internatio­nale, no 78, février 2012.

Le H-20 serait un quadriréac­teur, subsonique, utilisant la formule aérodynami­que de l’aile volante et présentant une furtivité radar, impliquant un emport en soute.

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Un H-6K chinois. L’appareil est d’abord un vecteur pour missiles de croisière. (© Fastailwin­d/shuttersto­ck)
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La couverture d’aerospace Knowledge montrant ce qui pourrait être le JH-XX. (© Aerospace Knowledge)

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