ACCÉLÉRATEURS DE START-UP : QUEL RÔLE DANS LA DÉFENSE ?
QUEL RÔLE DANS LA DÉFENSE ?
Elles semblent être au coeur de nombreuses innovations clés : les start-up. Dans la défense aussi, ces petites entreprises apportent des idées précieuses. Mais pour les faire germer dans un écosystème qui n’est pas toujours des plus ouverts aux nouveaux entrants, elles ont parfois besoin d’un coup de main. C’est le rôle des accélérateurs : ouvrir les carnets d’adresses, mettre en relation avec les décideurs, repérer les perles rares. Encore peu nombreuses dans le secteur, ces structures peuvent éviter que certaines bonnes idées ne meurent dans l’oeuf.
Il semblerait bien que ce soit un mal de notre temps : nous sommes entrés dans la génération start-up. Ces jeunes pousses, concept qui n’est pas parvenu à se traduire de l’anglais, sont désormais incontournables et semblent parties pour porter toute une part de l’innovation, dans de nombreux secteurs d’activités. Il s’agit de toutes jeunes entreprises, très dynamiques et innovantes, en cours de lancement. Pour permettre leur épanouissement, elles ont généralement besoin de tout un écosystème composé de pépinières, d’incubateurs, parfois de hacker houses, de business angels et, plus souvent, d’accélérateurs. Des objets entrepreneuriaux qui se multiplient d’autant plus que le gouvernement soutient une politique forte en leur faveur.
Et dans le monde de la défense ? L’émergence de cet écosystème semble s’y faire un peu plus timide. Quelques accélérateurs, aux moyens généralement limités, ont pourtant commencé à trouver leur place, avec l’appui de nouvelles structures mises en place par la Direction Générale de l’armement (DGA). Leur objectif : permettre à des start-up ayant des projets intéressants pour les forces armées de faire mûrir leurs technologies et d’asseoir leurs business models sur un marché pérenne.
Il est en réalité difficile aujourd’hui de faire le tri entre ces incubateurs, accélérateurs et autres hubs. Si les premiers hébergent les start-up, les seconds s’appliquent surtout à leur faire gagner du temps. Comment? En leur évitant les pièges les plus classiques, en les guidant dans les étapes cruciales et surtout en leur ouvrant des carnets d’adresses. Dans certains cas, ils peuvent aussi contribuer à financer les projets… mais les fonds restent rares dans l’hexagone.
Starburst met également en relation les start-up avec une multitude d’acteurs, institutionnels comme privés. Leur force : leur réseau s’étend au monde entier et inclut des géants de l’industrie de l’armement mondiale et les armées de nombreux pays.
L’ÉMERGENCE DES ACCÉLÉRATEURS DANS LA DÉFENSE
Le premier arrivé en France, en 2012, est Starburst Aerospace, un accélérateur consacré à l’aéronautique et à la défense. L’entreprise associe les start-up qu’elle repère à des mentors, issus des plus grandes
structures. Ces derniers apportent du temps et du conseil et peuvent même, le cas échéant, finir par prendre des parts. Starburst met également en relation les start-up avec une multitude d’acteurs, institutionnels comme privés. Leur force : leur réseau s’étend au monde entier et inclut des géants de l’industrie de l’armement mondiale et les armées de nombreux pays. À cela s’ajoute un peu d’entraînement pour «pitcher» son projet face à des investisseurs ou pour afficher sa présence dans les médias.
« Nous avons deux programmes d'accélération, explique François Chopard, son dirigeant. Un premier, qui dure trois mois, est basé à Los Angeles et à Abou Dhabi. C'est intense. En général, ce sont des start-up assez jeunes qui vont chercher à boucler leur premier niveau de financement. Le second dure douze mois. Il est international. Il va concerner des start-up un peu plus matures, qui ont déjà un produit plus avancé. »
Jusqu’en 2017, Starbust se rémunérait en prenant des commissions liées aux contrats rapportés, accompagnant ainsi un peu plus de 150 start-up dans le monde, dont une trentaine en France. Son modèle évolue en 2018 pour opter vers la prise de participations, atteignant en 2019 un portefeuille d’une quarantaine d’entreprises, dont six ou sept françaises pour un tiers dans le secteur de la défense. Sur l’ensemble, François Chopard estime qu’il y a eu entre dix et quinze échecs : « Ils se matérialisent lorsque les sociétés ne parviennent pas à lever de fonds. Je dirais que la moitié des start-up vivotent et que 20 % ont atteint des résultats significatifs. Jusqu'à maintenant, les sociétés qui se développent bien sont essentiellement américaines.»
Quelques années plus tard, Generate a émergé du côté du GICAT, le Groupement des industries françaises de défense et de sécurité terrestres et aéroterrestres. Le projet est porté par deux jeunes cadres : François Mattens et Mathilde Herman. « La première idée naît en août 2016 d'une discussion que nous avons eue avec Mathilde, raconte le premier. C'était une logique très corporate : nous nous sommes rendu compte qu'il y avait de petites entreprises avec des technologies intéressantes qui voulaient postuler au GICAT, mais qui ne remplissaient pas les critères, faute d'ancienneté et d'un chiffre d'affaires suffisant. Il faut ajouter à cela le fait que l'écosystème commence à s'agiter sur l'innovation et les start-up. »
À l’époque, Emmanuel Chiva, l’actuel directeur de l’agence de l’innovation de défense, est président de la commission innovation, recherche et technologie au sein du GICAT. Il soutient pleinement le projet. Ensemble, à partir de mi-2017, ils cherchent les jeunes entreprises dont les technologies pourraient plaire à l’armée de Terre et ils leur ouvrent leurs réseaux, plutôt bien pourvus. Le premier appel à candidatures génère vite une bonne dynamique. « Cela a fait appel d'air, se souvient Mathilde Herman. Nous nous sommes rendu compte en lançant le projet qu'il répondait encore plus que nous ne l'avions anticipé à un besoin de start-up qui souhaitaient pénétrer un marché qui leur semblait pertinent, mais qui n'avaient aucune idée de la façon d'y parvenir. Nous, nous leur proposions cela. » Un peu plus de deux ans plus tard, une trentaine de startup sont accompagnées, pendant deux à trois ans, avant de pouvoir devenir pleinement membres du GICAT.
Les moyens de la petite équipe restent modestes. L’activité de ses membres au sein de l’accélérateur Generate s’ajoute aux tâches qu’ils ont déjà au sein du GICAT. Ils jouent la transparence avec les start-up qu’ils accompagnent : ils ne parviendront pas à faire de miracles, mais ils pourront probablement ouvrir une multitude de portes et permettre aux entrepreneurs de gagner du temps. « Nous nous sommes rapidement rendu compte que les besoins n'avaient rien de spécifique au terrestre, explique François Mattens. Nous, nous étions insérés au sein du secteur de la défense et nous pouvions leur permettre de comprendre des choses basiques : qu'est-ce que c'est qu'un militaire? Que fait la DGA? Comment obtenir des subventions ? » Plusieurs des start-up qui ont suivi le programme de Generate en témoignent aujourd’hui : elles ont été agréablement surprises par la réactivité du duo et par sa capacité à identifier contacts et solutions dans des délais extrêmement courts. Une vitesse cruciale pour des entreprises qui vivent souvent au jour le jour.
« Lorsqu'un entrepreneur est confronté à une difficulté, qu'il peine à identifier un interlocuteur, nous lui donnons le contact, raconte François Mattens. Nous lui disons : “Voilà le numéro, tu l'appelles de notre part, dans tous les cas tu auras un rendez-vous, après tu te débrouilles.” Nous lui faisons gagner trois semaines de démarches et de mails. Et nous faisons cela sur tous les aspects : le financement, l'industriel, l'institutionnel… Nous sommes des facilitateurs au quotidien et nous ne disons jamais non. Si nous ne savons pas tout de suite, nous activons le réseau pour au moins apporter des éléments de réponse dans les 48 heures. »
« Notre objectif, notre retour sur investissement, c'est qu'au bout de deux ans, la start-up devienne une petite PME », résume François
Plusieurs des start-up qui ont suivi le programme de Generate en témoignent aujourd’hui : elles ont été agréablement surprises par la réactivité du duo et par sa capacité à identifier contacts et solutions dans des délais extrêmement courts.
Mattens. « En contrepartie, poursuit sa collègue Mathilde Herman, outre une petite contribution de 250 euros pour marquer le coup, nous attendons d'elles qu'elles s'impliquent dans le programme, qu'elles adoptent une logique de communauté, de partage d'expérience. Elles deviennent également nos ambassadeurs et nous aident parfois à identifier des projets intéressants. »
Au niveau du ministère des Armées, l’agence de l’innovation de Défense (AID) s’applique à fédérer tout ce petit monde, afin de rendre les différentes démarches plus cohérentes. « Nous essayons de tisser un réseau avec les acteurs qui sont capables de nous adresser des start-up intéressantes dans le domaine, que ce soit des incubateurs ou des accélérateurs », explique le colonel Fabrice Talarico, chef du pôle innovation ouverte au sein de cet organisme. « Ce que nous attendons des incubateurs et des accélérateurs, c'est qu'ils orientent des entreprises vers nous, poursuit l’officier. Nous sommes un canal d'entrée au sein du ministère des Armées. Ils font partie de notre réseau de veilleurs.»
EXPÉRIENCES DE START-UPEURS
Cerbair, start-up spécialisée dans la lutte contre les drones, a bénéficié des services de Generate. « Le milieu de la sécurité et de la défense est très fermé pour une start-up, estime son directeur, Lucas Le Bell. Dans certains secteurs, si les créateurs de start-up ne portent pas de pulls fluo, ils ne sont pas crédibles. Dans le milieu sécuritédéfense, c'est plutôt un boulet. Il y a des enjeux de vie ou de mort, de confidentialité… Quand on n'a pas vingt ans d'expérience derrière soi, on est beaucoup moins crédible à qualité égale. Il est difficile de faire son trou. L'accélérateur ouvre son carnet d'adresses pour identifier des acheteurs, mais aussi pour faire du lobbying à un niveau institutionnel, pour faire connaître des gens au sein de la DGA, de la Direction générale de l'aviation civile, pour aider à comprendre les licences export pour les matériels considérés comme du matériel de guerre. Si nous n'avions pas d'accélérateurs pour nous aider dans tout cela, nous mettrions cinq fois plus de temps et commettrions cinq fois plus d'erreurs. Nous irions dans le mur. »
Pour lui, l’expérience avec Generate a été un réel succès, qui lui a permis d’éviter de nombreux pièges. À tel point qu’il s’applique à présent à décliner les expériences avec d’autres partenaires de ce type. Il voit ainsi dans le Cercle de l’arbalète un accélérateur spécifique au monde des forces spéciales. « Ils apportent tout un tas de connaissances et ouvrent quantité d'accès qui font gagner beaucoup de temps. Dans ce cas spécifique, ils permettent d'accéder au Commandement des Opérations Spéciales (COS) et surtout aux bonnes unités et aux bons décideurs. Pour une start-up, ils nous font gagner des mois, si ce n'est des années. »
Nicolas Sczaniecki, dirigeant d’internest, un fabricant de systèmes de positionnement pour drones et hélicoptères, a d’abord été suivi par Starburst. À propos de celui-ci, il salue l’ouverture en dehors du marché français : « Au début, ils travaillaient surtout comme apporteur d'affaires, mais au profit de beaucoup trop de start-up pour que cela fonctionne. L'intérêt, pour nous, c'était l'accès à de grands comptes, notamment à l'international. Nous avons pu avoir des rencontres avec Northrop Grumman ou Lockheed Martin, ce qui n'est pas mal, car il est très difficile d'accéder à de telles structures, surtout quand on n'est pas américain. » C’est finalement avec la société israélienne IAI qu’un projet se monte concrètement. Starburst a également ouvert à Internest les portes des salons d’armement et d’un écosystème qui était alors inconnu à la petite structure. Mais le coût est élevé : Nicolas Sczaniecki a dû ouvrir son capital à Starburst pour bénéficier de ses services. Un pari qu’il ne regrette pas, estimant encore aujourd’hui qu’il fallait tenter cette carte.
Internest rejoint ensuite Generate, moins coûteux. Le start-upeur salue le ton et la pertinence de l’accompagnement : « Ils ont une très bonne connaissance de l'écosystème, ils ne font jamais de bullshit. Nous, nous sommes des bleus. Nous n'avons pas fait de service militaire, nous n'avons pas de généraux dans nos familles, nous
L’agence de l’innovation de Défense (AID) s’applique à fédérer tout ce petit monde, afin de rendre les différentes démarches plus cohérentes. « Nous essayons de tisser un réseau avec les acteurs qui sont capables de nous adresser des start-up intéressantes. »
n'avons jamais fait de stages dans le secteur. Alors c'est un gain de temps énorme pour comprendre le rôle de chaque acteur. »
Comment améliorer les choses ? « Le nerf de la guerre, c'est l'argent, estime Lucas Le Bell. En France, obtenir des financements est difficile. Generate gagnerait à fédérer les acteurs susceptibles d'aider à l'obtention de financements. On dit souvent qu'à qualités égales, une boîte aux États-unis ou en Israël récupère un financement dix fois supérieur à ce qu'on peut obtenir en France. » Autre difficulté majeure : trouver des locaux. De nombreuses applications spécifiques à la défense demandent d’avoir des bureaux dotés de certains équipements de sécurité. Rares sont les infrastructures le permettant. Le directeur de Cerbair s’interroge sur la possibilité de créer des pôles portés par de grandes entreprises, qui prévoiraient des locaux réservés à des start-up : un modèle que l’on voit émerger notamment aux États-unis où État, chercheurs et entreprises privées se regroupent physiquement sur des sites parfaitement protégés.
COMMENT ALLER PLUS LOIN ?
« Nous avons besoin d'aller prospecter de manière un peu plus large », estime le colonel Talarico. Au-delà de la défense, de nombreuses technologies peuvent être identifiées dans des industries civiles. Generate, par exemple, a échangé avec des géants de la cosmétique, notamment ceux qui ont entrepris des recherches dans le domaine du maquillage évolutif. Une piste inattendue qui pourrait pourtant donner lieu à des déclinaisons utilisables pour le camouflage des combattants.
François Chopard, chez Starburst Aerospace, insiste lui sur les écarts entre la France et d’autres pays : les start-up américaines réussissent mieux que les françaises. La raison? « Le financement, tranche-t-il. Il y a beaucoup plus de capitaux disponibles aux États-unis. On y trouve des start-up qui lèvent 10, 20 ou 30 millions alors que l'on continue de les développer. Ce que nous n'avons jamais vu en France dans les domaines de l'aéronautique et de la défense. Nous essayons de convaincre les acteurs étatiques et corporate d'investir plus. Mais il est vrai que, pour le moment, c'est encore assez limité. » Il voit un début d’évolution dans le domaine du spatial où quelques start-up sont parvenues à lever un peu plus de fonds.
François Chopard relève également un manque de culture entrepreneuriale. « En France, il y a beaucoup de projets, expliquet-il. Dans la plupart des cas, les entrepreneurs manquent de vision et d'ambition. Dans l'aéronautique et la défense, nous sommes encore un peu dans le modèle de l'entrepreneur-inventeur, qui est très focalisé sur la technologie et pas assez sur le business. Aux États-unis, nous allons trouver plus d'entrepreneurs avec une compétence technique plus faible, mais avec une volonté de changer les règles du marché. »
Du côté de Generate, on arrive aujourd’hui aux limites de l’exercice. Avec deux personnes à temps partiel sur le programme, difficile d’aller plus loin. « Jusque-là, nous nous en sommes toujours bien sortis parce qu'en bons Français, nous nous sommes débrouillés avec des bouts de ficelle, s’amuse François Mattens. Aujourd'hui, nous devrions pouvoir professionnaliser certains sujets, le financement en particulier. Au bout de trois ans, nous arrivons aux limites de ce que l'on peut faire avec de la bonne volonté. » Generate reste d’ailleurs dans une logique encore éloignée de celle des grands accélérateurs internationaux, faute de capacité d’investissement.
Le problème du financement est récurrent. « C'est un problème très franco-français, regrette François Mattens. Nous avons deux ou trois boîtes chez nous qui ont une belle technologie, qui ont déjà des contrats avec les armées, des partenariats avec de grosses entreprises… Mais aujourd'hui, aucune banque ne veut les financer, même pour des sommes qui restent très modestes, entre 50000 et 100000 euros. Pour certaines banques, la défense pose un problème de compliance. Cette situation rend les start-up particulièrement vulnérables. Et là aussi, lorsque l'on évoque la question de la souveraineté avec les banques, ce n'est pas leur problème. Et cela nous inquiète beaucoup. » Parmi les pistes à l’étude pour échapper à cette contrainte : des business angels spécialisés dans la défense ou un fonds réservé aux start-up de défense, qui puissent financer en ayant conscience des particularités de ce marché (souveraineté, temps long des programmes, image spécifique).
En attendant de résoudre ces défis majeurs, le nombre d’acteurs en matière d’accélération tend à augmenter. L’AID est régulièrement citée comme un précieux renfort institutionnel. Après le GICAT, c’est le GICAN, le Groupement des Industries de Construction et Activités Navales, qui s’y est mis à l’automne 2019 en lançant officiellement son propre accélérateur, baptisé « Sea Start », pour accompagner une première série d’une douzaine de sociétés. Enfin, quelques grands groupes ont lancé des dynamiques en interne, comme Naval Group et son Naval Innovation Hub ou encore Airbus avec le Bizlab.
« C’est un problème très franco-français. Nous avons deux ou trois boîtes chez nous qui ont une belle technologie, qui ont déjà des contrats avec les armées, des partenariats avec de »„ grosses entreprises… Mais aujourd’hui, aucune banque ne veut les financer.