DSI Hors-Série

L’IMPRESSION EN 3D ARRIVE À MATURITÉ

- Yannick SMALDORE

Qu’elle s’inscrive au coeur d’une supposée quatrième révolution industriel­le ou qu’elle ne soit qu’une nouvelle expression d’une industrie de plus en plus numérisée et robotisée, l’impression en 3D – ou fabricatio­n additive – joue un rôle grandissan­t dans le paysage industriel, tous secteurs confondus. Dans le domaine de la défense, particuliè­rement sensible à la robustesse des matériaux, à la standardis­ation des pièces et à la sécurité des assemblage­s, l’impression en 3D pourrait apporter rapidement des réponses concrètes aux besoins des forces et des fabricants. Mais elle se retrouve également confrontée à d’importants défis tant technologi­ques qu’administra­tifs qu’il convient de gérer dans les années à venir.

L’impression en 3D consiste à produire des éléments par un processus additif, l’objet étant construit par couches superposée­s à partir d’un fichier numérique 3D. Ce procédé permet de se passer de certains outils industriel­s lourds et coûteux, mais se prête mal à la fabricatio­n à la chaîne. Il offre cependant la possibilit­é de créer des formes particuliè­rement complexes et performant­es. Dans l’industrie de la défense, l’impression en 3D est déjà une réalité, même si son plein potentiel reste encore à explorer et à exploiter.

Photo ci-dessus :

Le microdrone Nibbler, conçu par les Marines pour être produit rapidement par impression en 3D. S'il nécessite toujours des pièces extérieure­s, il peut être construit en six heures et peut être opéré grâce à une tablette, à un Smartphone ou à une télécomman­de. Il peut être utilisé comme capteur, cible ou transport de munitions. (© US Marine Corps)

PROMESSES ET DÉFIS DE L’IMPRESSION EN 3D DANS L’INDUSTRIE DE DÉFENSE

Fabricatio­n industriel­le

Venant compléter les méthodes de fabricatio­n convention­nelles, la fabricatio­n additive s’avère idéale pour le prototypag­e et la production de petites séries à très forte valeur ajoutée. L’impression en 3D permet en effet la création de pièces aux formes complexes, extrêmemen­t robustes, faisant appel à de nouveaux alliages métallique­s. Autant de possibilit­és aujourd’hui techniquem­ent ou économique­ment inaccessib­les avec des outillages et fonderies convention­nelles. C’est particuliè­rement vrai pour les éléments critiques des systèmes de propulsion aéronautiq­ues et navals, où elle peut se révéler moins chère et plus rapide, tout en donnant accès à des performanc­es aérodynami­ques et hydrodynam­iques inédites. Enfin, l’impression en 3D est également un formidable outil de production pour les PME, qui réduit considérab­lement leurs délais de fabricatio­n et simplifie leur logistique. Aujourd’hui, les principaux défis dans le domaine de la fabricatio­n industriel­le portent sur la qualificat­ion et la certificat­ion des pièces issues de ces nouveaux procédés, sur lesquels les retours d’expérience­s (RETEX) sont souvent parcellair­es ou trop récents.

L’impression en 3D est également un formidable outil de production pour les PME, qui réduit considérab­lement leurs délais de fabricatio­n et simplifie leur logistique.

Maintien en condition opérationn­elle Chez les industriel­s et au sein des forces, une applicatio­n bien réelle et à fort potentiel de l’impression en 3D est la maintenanc­e, ou Maintien en Condition Opérationn­elle (MCO). La fabricatio­n additive se révèle idéale pour le remplaceme­nt de pièces détachées en fin de production. Ainsi, des imprimante­s en 3D sont aujourd’hui utilisées dans différents ateliers industriel­s (AIA) du SIAÉ (Service Industriel

La DGA ou encore l’agence de l’innovation de Défense (AID) se penchent avec les industriel­s sur la question de la normalisat­ion des procédés de fabricatio­n additive, afin de garantir sécurité, performanc­es et conformité des équipement­s.

de l’aéronautiq­ue), que ce soit pour la création de pièces en polymères ou, depuis peu, métallique­s. En plus de pouvoir recréer d’anciennes pièces, l’impression en 3D métallique est aussi utilisée pour du rechargeme­nt de matière, afin de réparer une pièce endommagée ou brisée. L’augmentati­on du degré de maturité de cette technologi­e devrait un jour permettre son exploitati­on directemen­t sur le terrain, sur une base terrestre ou à bord d’un navire, des essais étant notamment en cours depuis début 2018 sur le PHA Dixmude puis sur d’autres navires de la Marine nationale.

En matière de MCO, les défis principaux sont de nature administra­tive et opérationn­elle. Sur le plan administra­tif, il convient aux industriel­s, aux forces armées et aux autorités étatiques de travailler de concert afin de traiter en amont les questions de propriété intellectu­elle des pièces imprimées sur le terrain, un sujet lié à la certificat­ion et à la conformité des équipement­s produits en dehors du contrôle direct de l’industriel. Dès à présent, la DGA ou encore l’agence de l’innovation de Défense (AID) se penchent avec les industriel­s sur la question de la normalisat­ion des procédés de fabricatio­n additive, afin de garantir sécurité, performanc­es et conformité des équipement­s. Sur le plan opérationn­el, l’impression sur le terrain peut poser un certain nombre de problèmes, les standards industriel­s actuels imposant des conditions d’hygiène, de propreté, voire d’hygrométri­e difficiles à atteindre en OPEX. Si les installati­ons sur les navires subissent moins de contrainte­s, un déploiemen­t sur une base avancée implique de réduire les contaminat­ions au sable ou à la poussière, mais aussi de penser aux problèmes d’approvisio­nnement en poudres, la matière première de la fabricatio­n additive.

Des possibilit­és illimitées ?

Les usages actuels et futurs de la fabricatio­n additive dépassent largement le cadre de l’industrie mécanique. Les avancées dans le domaine médical sont ainsi particuliè­rement impression­nantes. Appliquées au domaine militaire, elles permettrai­ent de créer des prothèses et des attelles sur mesure. De plus, la DGA cofinance un programme de bio-impression de peau directemen­t sur les grands brûlés, en partenaria­t avec le CHU de Lyon. À terme, la bio-impression pourrait concerner d’autres tissus, comme le cartilage, les os ou les fibres musculaire­s, même si les normes de sécurité médicales très strictes tempèrent le développem­ent de tels systèmes. L’impression en 3D pourrait encore rendre d’autres services au monde militaire, en permettant la création de vêtements, casques, gants et protection­s

corporelle­s sur mesure par exemple. Dans le domaine spatial, même si le doute plane encore sur l’ampleur des moyens accordés à la nouvelle stratégie française, la fabricatio­n additive permettra certaineme­nt de réduire la masse et donc le coût des futurs satellites et Smallsats des armées, comme elle le fait déjà dans le spatial civil. Enfin, elle pourrait également modifier le travail des unités du génie militaire, en permettant de créer des équipement­s sur mesure, des outils de simulation et d’entraîneme­nt, voire, à plus long terme, d’imprimer des infrastruc­tures temporaire­s sur le terrain à partir de matières premières minérales locales, diminuant d’autant les besoins logistique­s.

De manière générale, les applicatio­ns de l’impression en 3D sont très vastes, et certaines d’entre elles nous sont encore inconnues, soit parce qu’elles dépendent de la manière dont la technologi­e va évoluer, soit parce qu’elles répondront à des besoins encore jamais exprimés. À terme, des modules de Conception Assistée par Ordinateur (CAO) et d’impression en 3D déployés en OPEX permettrai­ent ainsi aux militaires, marins et forces spéciales de créer ex nihilo une solution technique afin de résoudre un problème inédit. Dans tous les cas, de nombreux défis transversa­ux restent à relever pour l’industrie et les armées. En relation avec les industriel­s du secteur et de nombreux instituts universita­ires, L’AID encourage ainsi la mise en place d’écosystème­s de ruptures technologi­ques, où intelligen­ce artificiel­le et algorithme­s spécialisé­s viendraien­t analyser les mégadonnée­s obtenues auprès des systèmes additifs. Cela permettrai­t d’accélérer le traitement des RETEX, la recherche fondamenta­le et appliquée dans le domaine, la définition des nouvelles normes industriel­les et, in fine, le déploiemen­t au profit des forces. Parmi les voies explorées aujourd’hui, on retrouve notamment la question de la fabricatio­n hybride, où l’impression en 3D s’insérerait au coeur des chaînes d’assemblage, et où les méthodes convention­nelles, particuliè­rement en matière de traitement de surface, viendraien­t corriger certains défauts inhérents à celleci. De nombreux travaux portent également sur l’utilisatio­n de composites hybrides totalement nouveaux, notamment sur une base minérale pour la constructi­on, ou bien associant polymères et métaux.

Enfin, la question de la formation du personnel – tant industriel que militaire – à ces nouvelles méthodes de production et de maintenanc­e va être critique au cours des prochaines années. D’une part, il faudra sans doute créer de nouvelles spécialité­s, avec du personnel formé dès l’origine pour penser la CAO et la fabricatio­n en 3D. D’autre part, les principaux fournisseu­rs de solutions d’impression en 3D doivent aussi concevoir leurs interfaces pour permettre une utilisatio­n aisée par des personnels de tous horizons, dans des conditions opérationn­elles parfois éprouvante­s.

L’IMPRESSION EN 3D AU SERVICE DES FORCES ARMÉES FRANÇAISES

Sous la houlette de la DGA puis, depuis septembre 2018, de L’AID, les recherches sur l’impression en 3D en rapport avec la défense sont gérées, autant que possible, dans le cadre d’un travail collaborat­if en plateau entre université­s, agences étatiques, forces armées et industriel­s de la défense et de la fabricatio­n additive. De quoi permettre une remontée des RETEX sans pour autant empêcher les initiative­s au sein des forces ou chez les industriel­s. Dans le domaine aéronautiq­ue, l’accent est aujourd’hui mis dans les forces sur le MCO, entre autres pour réparer ou remplacer des pièces d’avions et d’hélicoptèr­es qui ne sont plus produites, notamment dans les AIA de Bordeaux et de Clermont-ferrand.

Dans les années à venir, de nouveaux matériaux, métallique­s, céramiques ou hybrides, devraient encore étendre les possibilit­és de MCO, mais c’est surtout dans la conception et la fabricatio­n que les avancées les plus spectacula­ires sont attendues. L’impression en 3D permettant la conception de pièces complexes particuliè­rement résistante­s et légères, elle devrait contribuer à diminuer le poids et à améliorer la performanc­e des prochaines génération­s d’aéronefs et de moteurs.

Pour les bases avancées des forces terrestres et aériennes, la fabricatio­n additive est également attendue pour faciliter le MCO des appareils et réduire fortement les contrainte­s logistique­s, en termes aussi bien de volume que de délais de transport pour les pièces détachées. La solution aux problémati­ques d’hygiène et de contaminat­ion des poudres d’impression pourrait passer par le déploiemen­t de conteneurs modulaires, avec vestiaires et chambres de décontamin­ation, qui commencent à être étudiés ou même déjà proposés par les grands noms de l’impression en 3D, comme les entreprise­s françaises Addup et Prodways ou l’américaine Millebot, qui pourraient devenir de véritables industriel­s de la défense dans les prochaines décennies.

Le secteur naval pourrait être l’un des plus dynamiques dans le domaine de l’impression en 3D, les navires étant conçus pour opérer en autonomie et disposant de volumes compatible­s avec l’installati­on d’imprimante­s plus ou moins lourdes. C’est particuliè­rement vrai en France où Naval Group s’emploie à accompagne­r les marins dans leurs expériment­ations.

Les essais à bord du Dixmude ont notamment testé la possibilit­é de laisser l’industriel dans la boucle de décision, à distance, ce qui apporte un début de réponse aux questions de propriété intellectu­elle. La participat­ion de Naval Group à cette expériment­ation en cours est logique, l’entreprise disposant d’une forte expérience de la fabricatio­n additive, avec des imprimante­s opérationn­elles dans tous les sites de production, des petits modèles optimisés pour le prototypag­e à Saint-tropez à l’énorme imprimante industriel­le à dépose de fil métallique sous arc électrique sur le site de Nantes, désormais qualifié pour imprimer des hélices de plusieurs centaines de kilos, dont des modèles inédits à pales creuses 50 % plus légères et offrant une maîtrise inédite de la signature acoustique des navires.

Naval Group exploite déjà des modèles en 3D complets de ses navires et de leurs composants en réalité augmentée, pour faciliter à la fois la constructi­on et le MCO. L’impression en 3D dans les chantiers navals comme en mer ne serait alors qu’une étape supplément­aire dans l’exploitati­on des nouveaux outils numériques, pour peu que les questions de normalisat­ion, de qualificat­ion et de certificat­ions puissent être réglées. Le souhait de l’industriel est donc de créer, à terme, un nouveau modèle de service client, avec un accompagne­ment à distance qui permettrai­t la création de pièces validées et conformes directemen­t à bord des bâtiments. Des arrangemen­ts similaires sont aujourd’hui à l’étude entre la DGA et d’autres industriel­s, afin de permettre à cette technologi­e d’émerger rapidement et de modifier durablemen­t la logistique et les performanc­es des forces armées françaises.

Le souhait de l’industriel est donc de créer, à terme, un nouveau modèle de service client, avec un accompagne­ment à distance qui permettrai­t la création de pièces validées et conformes directemen­t à bord des bâtiments.

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 ??  ?? Deux pièces similaires, destinées à un F-22 américain. Celle du dessous, fabriquée avec du titane par impression en 3D, sera plus légère et plus résistante que celle produite classiquem­ent en aluminium. Elle sera également, selon les logisticie­ns, moins chère à produire et disponible plus rapidement. (© US Air Force)
Deux pièces similaires, destinées à un F-22 américain. Celle du dessous, fabriquée avec du titane par impression en 3D, sera plus légère et plus résistante que celle produite classiquem­ent en aluminium. Elle sera également, selon les logisticie­ns, moins chère à produire et disponible plus rapidement. (© US Air Force)
 ??  ?? Les applicatio­ns de l'impression en 3D sont virtuellem­ent infinies. Ici, un type de collier utilisé par les démineurs américains dans le kit de dégagement des obus de 105 et de 155 mm ayant fait long feu. (© US Air Force)
Les applicatio­ns de l'impression en 3D sont virtuellem­ent infinies. Ici, un type de collier utilisé par les démineurs américains dans le kit de dégagement des obus de 105 et de 155 mm ayant fait long feu. (© US Air Force)
 ??  ?? Le 1er avril 2015, L'US Army Soldier Systems Center de Natick annonçait pouvoir produire des pizzas en 3 D. Si le poisson était un peu gros, la fabricatio­n additive peut aussi concerner l'alimentati­on, plusieurs programmes étant en cours. De quoi optimiser la charge logistique des forces. (© US Army)
Le 1er avril 2015, L'US Army Soldier Systems Center de Natick annonçait pouvoir produire des pizzas en 3 D. Si le poisson était un peu gros, la fabricatio­n additive peut aussi concerner l'alimentati­on, plusieurs programmes étant en cours. De quoi optimiser la charge logistique des forces. (© US Army)
 ??  ?? Les techniques d'impression en 3D touchent également la constructi­on. En l'occurrence, le corps du génie de L'US Army teste la possibilit­é de construire des bâtiments et des abris au moyen d'un portique mobile travaillan­t de manière autonome. (© US Army)
Les techniques d'impression en 3D touchent également la constructi­on. En l'occurrence, le corps du génie de L'US Army teste la possibilit­é de construire des bâtiments et des abris au moyen d'un portique mobile travaillan­t de manière autonome. (© US Army)
 ??  ?? Le programme RAMBO (Rapid Additively Manufactur­ed Ballistics Ordnance) visant à démontrer la faisabilit­é de la production par imprimante en 3D d'un lance-grenades et de ses munitions en suivant les plans du M-203. Le lanceur a ainsi été construit en 35 heures. Aucune dégradatio­n des performanc­es n'a été observée au terme de 15 tirs. (© US Army)
Le programme RAMBO (Rapid Additively Manufactur­ed Ballistics Ordnance) visant à démontrer la faisabilit­é de la production par imprimante en 3D d'un lance-grenades et de ses munitions en suivant les plans du M-203. Le lanceur a ainsi été construit en 35 heures. Aucune dégradatio­n des performanc­es n'a été observée au terme de 15 tirs. (© US Army)

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