L’IMPRESSION EN 3D ARRIVE À MATURITÉ
Qu’elle s’inscrive au coeur d’une supposée quatrième révolution industrielle ou qu’elle ne soit qu’une nouvelle expression d’une industrie de plus en plus numérisée et robotisée, l’impression en 3D – ou fabrication additive – joue un rôle grandissant dans le paysage industriel, tous secteurs confondus. Dans le domaine de la défense, particulièrement sensible à la robustesse des matériaux, à la standardisation des pièces et à la sécurité des assemblages, l’impression en 3D pourrait apporter rapidement des réponses concrètes aux besoins des forces et des fabricants. Mais elle se retrouve également confrontée à d’importants défis tant technologiques qu’administratifs qu’il convient de gérer dans les années à venir.
L’impression en 3D consiste à produire des éléments par un processus additif, l’objet étant construit par couches superposées à partir d’un fichier numérique 3D. Ce procédé permet de se passer de certains outils industriels lourds et coûteux, mais se prête mal à la fabrication à la chaîne. Il offre cependant la possibilité de créer des formes particulièrement complexes et performantes. Dans l’industrie de la défense, l’impression en 3D est déjà une réalité, même si son plein potentiel reste encore à explorer et à exploiter.
Photo ci-dessus :
Le microdrone Nibbler, conçu par les Marines pour être produit rapidement par impression en 3D. S'il nécessite toujours des pièces extérieures, il peut être construit en six heures et peut être opéré grâce à une tablette, à un Smartphone ou à une télécommande. Il peut être utilisé comme capteur, cible ou transport de munitions. (© US Marine Corps)
PROMESSES ET DÉFIS DE L’IMPRESSION EN 3D DANS L’INDUSTRIE DE DÉFENSE
Fabrication industrielle
Venant compléter les méthodes de fabrication conventionnelles, la fabrication additive s’avère idéale pour le prototypage et la production de petites séries à très forte valeur ajoutée. L’impression en 3D permet en effet la création de pièces aux formes complexes, extrêmement robustes, faisant appel à de nouveaux alliages métalliques. Autant de possibilités aujourd’hui techniquement ou économiquement inaccessibles avec des outillages et fonderies conventionnelles. C’est particulièrement vrai pour les éléments critiques des systèmes de propulsion aéronautiques et navals, où elle peut se révéler moins chère et plus rapide, tout en donnant accès à des performances aérodynamiques et hydrodynamiques inédites. Enfin, l’impression en 3D est également un formidable outil de production pour les PME, qui réduit considérablement leurs délais de fabrication et simplifie leur logistique. Aujourd’hui, les principaux défis dans le domaine de la fabrication industrielle portent sur la qualification et la certification des pièces issues de ces nouveaux procédés, sur lesquels les retours d’expériences (RETEX) sont souvent parcellaires ou trop récents.
L’impression en 3D est également un formidable outil de production pour les PME, qui réduit considérablement leurs délais de fabrication et simplifie leur logistique.
Maintien en condition opérationnelle Chez les industriels et au sein des forces, une application bien réelle et à fort potentiel de l’impression en 3D est la maintenance, ou Maintien en Condition Opérationnelle (MCO). La fabrication additive se révèle idéale pour le remplacement de pièces détachées en fin de production. Ainsi, des imprimantes en 3D sont aujourd’hui utilisées dans différents ateliers industriels (AIA) du SIAÉ (Service Industriel
La DGA ou encore l’agence de l’innovation de Défense (AID) se penchent avec les industriels sur la question de la normalisation des procédés de fabrication additive, afin de garantir sécurité, performances et conformité des équipements.
de l’aéronautique), que ce soit pour la création de pièces en polymères ou, depuis peu, métalliques. En plus de pouvoir recréer d’anciennes pièces, l’impression en 3D métallique est aussi utilisée pour du rechargement de matière, afin de réparer une pièce endommagée ou brisée. L’augmentation du degré de maturité de cette technologie devrait un jour permettre son exploitation directement sur le terrain, sur une base terrestre ou à bord d’un navire, des essais étant notamment en cours depuis début 2018 sur le PHA Dixmude puis sur d’autres navires de la Marine nationale.
En matière de MCO, les défis principaux sont de nature administrative et opérationnelle. Sur le plan administratif, il convient aux industriels, aux forces armées et aux autorités étatiques de travailler de concert afin de traiter en amont les questions de propriété intellectuelle des pièces imprimées sur le terrain, un sujet lié à la certification et à la conformité des équipements produits en dehors du contrôle direct de l’industriel. Dès à présent, la DGA ou encore l’agence de l’innovation de Défense (AID) se penchent avec les industriels sur la question de la normalisation des procédés de fabrication additive, afin de garantir sécurité, performances et conformité des équipements. Sur le plan opérationnel, l’impression sur le terrain peut poser un certain nombre de problèmes, les standards industriels actuels imposant des conditions d’hygiène, de propreté, voire d’hygrométrie difficiles à atteindre en OPEX. Si les installations sur les navires subissent moins de contraintes, un déploiement sur une base avancée implique de réduire les contaminations au sable ou à la poussière, mais aussi de penser aux problèmes d’approvisionnement en poudres, la matière première de la fabrication additive.
Des possibilités illimitées ?
Les usages actuels et futurs de la fabrication additive dépassent largement le cadre de l’industrie mécanique. Les avancées dans le domaine médical sont ainsi particulièrement impressionnantes. Appliquées au domaine militaire, elles permettraient de créer des prothèses et des attelles sur mesure. De plus, la DGA cofinance un programme de bio-impression de peau directement sur les grands brûlés, en partenariat avec le CHU de Lyon. À terme, la bio-impression pourrait concerner d’autres tissus, comme le cartilage, les os ou les fibres musculaires, même si les normes de sécurité médicales très strictes tempèrent le développement de tels systèmes. L’impression en 3D pourrait encore rendre d’autres services au monde militaire, en permettant la création de vêtements, casques, gants et protections
corporelles sur mesure par exemple. Dans le domaine spatial, même si le doute plane encore sur l’ampleur des moyens accordés à la nouvelle stratégie française, la fabrication additive permettra certainement de réduire la masse et donc le coût des futurs satellites et Smallsats des armées, comme elle le fait déjà dans le spatial civil. Enfin, elle pourrait également modifier le travail des unités du génie militaire, en permettant de créer des équipements sur mesure, des outils de simulation et d’entraînement, voire, à plus long terme, d’imprimer des infrastructures temporaires sur le terrain à partir de matières premières minérales locales, diminuant d’autant les besoins logistiques.
De manière générale, les applications de l’impression en 3D sont très vastes, et certaines d’entre elles nous sont encore inconnues, soit parce qu’elles dépendent de la manière dont la technologie va évoluer, soit parce qu’elles répondront à des besoins encore jamais exprimés. À terme, des modules de Conception Assistée par Ordinateur (CAO) et d’impression en 3D déployés en OPEX permettraient ainsi aux militaires, marins et forces spéciales de créer ex nihilo une solution technique afin de résoudre un problème inédit. Dans tous les cas, de nombreux défis transversaux restent à relever pour l’industrie et les armées. En relation avec les industriels du secteur et de nombreux instituts universitaires, L’AID encourage ainsi la mise en place d’écosystèmes de ruptures technologiques, où intelligence artificielle et algorithmes spécialisés viendraient analyser les mégadonnées obtenues auprès des systèmes additifs. Cela permettrait d’accélérer le traitement des RETEX, la recherche fondamentale et appliquée dans le domaine, la définition des nouvelles normes industrielles et, in fine, le déploiement au profit des forces. Parmi les voies explorées aujourd’hui, on retrouve notamment la question de la fabrication hybride, où l’impression en 3D s’insérerait au coeur des chaînes d’assemblage, et où les méthodes conventionnelles, particulièrement en matière de traitement de surface, viendraient corriger certains défauts inhérents à celleci. De nombreux travaux portent également sur l’utilisation de composites hybrides totalement nouveaux, notamment sur une base minérale pour la construction, ou bien associant polymères et métaux.
Enfin, la question de la formation du personnel – tant industriel que militaire – à ces nouvelles méthodes de production et de maintenance va être critique au cours des prochaines années. D’une part, il faudra sans doute créer de nouvelles spécialités, avec du personnel formé dès l’origine pour penser la CAO et la fabrication en 3D. D’autre part, les principaux fournisseurs de solutions d’impression en 3D doivent aussi concevoir leurs interfaces pour permettre une utilisation aisée par des personnels de tous horizons, dans des conditions opérationnelles parfois éprouvantes.
L’IMPRESSION EN 3D AU SERVICE DES FORCES ARMÉES FRANÇAISES
Sous la houlette de la DGA puis, depuis septembre 2018, de L’AID, les recherches sur l’impression en 3D en rapport avec la défense sont gérées, autant que possible, dans le cadre d’un travail collaboratif en plateau entre universités, agences étatiques, forces armées et industriels de la défense et de la fabrication additive. De quoi permettre une remontée des RETEX sans pour autant empêcher les initiatives au sein des forces ou chez les industriels. Dans le domaine aéronautique, l’accent est aujourd’hui mis dans les forces sur le MCO, entre autres pour réparer ou remplacer des pièces d’avions et d’hélicoptères qui ne sont plus produites, notamment dans les AIA de Bordeaux et de Clermont-ferrand.
Dans les années à venir, de nouveaux matériaux, métalliques, céramiques ou hybrides, devraient encore étendre les possibilités de MCO, mais c’est surtout dans la conception et la fabrication que les avancées les plus spectaculaires sont attendues. L’impression en 3D permettant la conception de pièces complexes particulièrement résistantes et légères, elle devrait contribuer à diminuer le poids et à améliorer la performance des prochaines générations d’aéronefs et de moteurs.
Pour les bases avancées des forces terrestres et aériennes, la fabrication additive est également attendue pour faciliter le MCO des appareils et réduire fortement les contraintes logistiques, en termes aussi bien de volume que de délais de transport pour les pièces détachées. La solution aux problématiques d’hygiène et de contamination des poudres d’impression pourrait passer par le déploiement de conteneurs modulaires, avec vestiaires et chambres de décontamination, qui commencent à être étudiés ou même déjà proposés par les grands noms de l’impression en 3D, comme les entreprises françaises Addup et Prodways ou l’américaine Millebot, qui pourraient devenir de véritables industriels de la défense dans les prochaines décennies.
Le secteur naval pourrait être l’un des plus dynamiques dans le domaine de l’impression en 3D, les navires étant conçus pour opérer en autonomie et disposant de volumes compatibles avec l’installation d’imprimantes plus ou moins lourdes. C’est particulièrement vrai en France où Naval Group s’emploie à accompagner les marins dans leurs expérimentations.
Les essais à bord du Dixmude ont notamment testé la possibilité de laisser l’industriel dans la boucle de décision, à distance, ce qui apporte un début de réponse aux questions de propriété intellectuelle. La participation de Naval Group à cette expérimentation en cours est logique, l’entreprise disposant d’une forte expérience de la fabrication additive, avec des imprimantes opérationnelles dans tous les sites de production, des petits modèles optimisés pour le prototypage à Saint-tropez à l’énorme imprimante industrielle à dépose de fil métallique sous arc électrique sur le site de Nantes, désormais qualifié pour imprimer des hélices de plusieurs centaines de kilos, dont des modèles inédits à pales creuses 50 % plus légères et offrant une maîtrise inédite de la signature acoustique des navires.
Naval Group exploite déjà des modèles en 3D complets de ses navires et de leurs composants en réalité augmentée, pour faciliter à la fois la construction et le MCO. L’impression en 3D dans les chantiers navals comme en mer ne serait alors qu’une étape supplémentaire dans l’exploitation des nouveaux outils numériques, pour peu que les questions de normalisation, de qualification et de certifications puissent être réglées. Le souhait de l’industriel est donc de créer, à terme, un nouveau modèle de service client, avec un accompagnement à distance qui permettrait la création de pièces validées et conformes directement à bord des bâtiments. Des arrangements similaires sont aujourd’hui à l’étude entre la DGA et d’autres industriels, afin de permettre à cette technologie d’émerger rapidement et de modifier durablement la logistique et les performances des forces armées françaises.
Le souhait de l’industriel est donc de créer, à terme, un nouveau modèle de service client, avec un accompagnement à distance qui permettrait la création de pièces validées et conformes directement à bord des bâtiments.