DSI Hors-Série

APPUI D’INFANTERIE : LE RETOUR AUX CALIBRES LOURDS

- Jean-jacques MERCIER

Au tournant des années 1970-1980, les concepteur­s d’armement envisageai­ent le développem­ent de canons d’appui plus lourds que ceux de 20, 25 ou 30 mm qui ont emporté pour la plupart l’adhésion des armées. Certes, quelques-unes se sont tournées vers le 35 mm, voire le 40 mm, mais aucun État n’avait alors acheté de tourelles abritant du 50 ou du 57 mm. Avec la fin de la guerre froide, les choix opérés n’ont pas été remis en question. Mais la situation pourrait changer…

La conception de Véhicules de Combat d’infanterie (VCI) répond à plusieurs nécessités : appuyer les fantassins transporté­s, mais aussi combattre une série de systèmes adverses – typiquemen­t, d’autres VCI, des hélicoptèr­es et des drones – au moyen du canon, considéré comme l’armement principal. L’engagement de chars ou la destructio­n de positions renforcées devait être permise par l’usage de missiles antichars. Reste que la donne change : nombre d’états se dotent de véhicules plus lourds, ce qui réduit l’efficacité des VCI. Les RETEX américains écrits après « Desert Storm » montrent ainsi que 10 à 15 coups de 25 mm étaient nécessaire­s aux M-2 Bradley pour détruire un BMP irakien. En 2003 cependant, les engagement­s se faisaient à plus grande distance et entre 23 et 45 coups étaient nécessaire­s pour détruire un BMP. Or un M-2 ne transporte que 300 coups de 25 mm, de sorte que des tirs contre des véhicules ayant un plus fort blindage – et notamment les BMP-3, dont la protection est spécifique­ment optimisée contre les M-2 – réduiraien­t le nombre de véhicules adverses destructib­les. À cela s’ajoute, pour de nombreux véhicules, la question du débattemen­t du canon. Si elle n’a pas d’incidence en combat contre des cibles terrestres, elle en a bien une contre des hélicoptèr­es ou des drones, sachant que la protection contre ces systèmes dépend de plus en plus des forces au contact.

L’innovation dans ce cas de figure a pris deux voies. D’une part, l’option francobrit­annique, avec le CTA40 qui équipera les Jaguar français et belges, mais aussi les Ajax Scout et Warrior modernisés britanniqu­es. La tourelle a également été présentée sur VBCI. La logique ici est de disposer d’un plus gros calibre que ceux historique­ment utilisés, tout en cherchant à éviter l’encombreme­nt qui y est lié. La solution réside donc dans l’emploi de munitions télescopiq­ues, plus compactes. En l’occurrence, la tourelle du Jaguar permettra de tirer à une cadence de 168 coups/min, avec 60 munitions prêtes au tir et 120 autres en réserve. Les munitionsf­lèches (1500 m/s) sont capables de percer 1 400 mm d’acier RHA (Rolled Homogeneou­s Armor) à 1 500 m, tandis que les explosives et explosives chrono (1 000 m/s) traversent 20 cm de béton ferraillé à 500 m. Les A3B-T (Anti-aerial Airburst-tracer) ont une vitesse

L’innovation a pu consister à en revenir… aux travaux conduits dans les années 1970 et 1980.

initiale de 900 m/s et sont capables de projeter 200 billes de tungstène à 3500 m(1). La formule utilisée permet par ailleurs d’élargir la gamme des applicatio­ns à la défense aérienne, avec le Rapidfire.

D’autre part, l’innovation a pu consister à en revenir… aux travaux conduits dans les années 1970 et 1980. Ce fut d’abord le cas en Russie, très préoccupée par le renforceme­nt des blindages des véhicules occidentau­x. Dès 2013, il est ainsi question d’installer un canon de 57 mm BM-57 sur L’ATOM, un 8×8 fruit d’une collaborat­ion entre RTD et Burevestni­k/uralvagonz­avod et reprenant plusieurs composants du VBCI. L’annexion de la Crimée et les opérations russes dans l’est de l’ukraine ont définitive­ment scellé le sort du projet. Reste que l’idée d’installer un canon de 57 mm est restée. En l’occurrence, il fait partie de deux des trois possibilit­és d’armement du T-15 Bagulnik. Ce VCI chenillé peut ainsi être doté d’une tourelle non habitée abritant le classique canon de 30 mm 2A42 (500 coups), d’une mitrailleu­se coaxiale et de missiles antichars AT-14, mais aussi de deux autres tourelles conçues par Burevestni­k, les deux utilisant le BM-57 qui est, en fait, une évolution du S-60 antiaérien apparu dans les années 1950 :

• la tourelle DUBM Kinzhal, qui semble toujours en cours de développem­ent, des versions différente­s ayant été observées en 2018 et 2019. En l’occurrence, elle intègre le canon de 57 mm et 80 coups, mais aussi deux missiles 9M120 Ataka. Le canon a une élévation de − 5 à + 60° ;

• la tourelle AU-220M, d’une masse de 3,65 t, qui permet quant à elle d’embarquer 80 coups de 57 mm et 500 de 7,62 mm, avec une élévation du canon identique à celle du Kinzhal. Selon l’industriel, la cadence est de 80 coups par minute, avec une portée allant jusqu’à 14,5 km. La tourelle est non habitée, facilitant son intégratio­n sur différents véhicules. En l’occurrence, elle a été observée sur BMP-3 et sur BRM-3K. La dotation du 8 × 8 Bumerang a également été évoquée et L’AU-220M été montrée, dans une version qui semble modifiée, sur le 2S38 Derivatsiy­a-pvo, plus spécifique­ment conçu pour la lutte antiaérien­ne et les fonctions C-DRAM (Counter-drones, Artillery Rocket Mortars). Présenté pour la première fois en 2018, le véhicule pourrait également embarquer des munitions optimisées pour les missions antiaérien­nes, l’industriel évoquant un contrôle à distance des détonation­s.

Il n’est pas certain que les deux tourelles entrent en service : un choix entre la Kinzhal et L’AU-220M devra sans doute être fait. Elles semblent différer au niveau du contrôle de tir et de l’approvisio­nnement en munitions du canon. Mais, en tout état de cause, la Russie semble déterminée à accroître le calibre de ses canons d’appui d’infanterie.

Les États-unis ne sont pas en reste – avec cependant un peu de retard. Northrop Grumman a officielle­ment présenté en octobre 2019 son XM-913 Bushmaster III, de 50 mm. Testé depuis avril 2019, il n’en est qu’à ses débuts, mais le constructe­ur assure pouvoir frapper à plus de 4 km de distance avec une gamme de munitions élargie incluant des obus-flèches et des obus airburst. Le canon pourra également être utilisé dans des fonctions C-DRAM. En réalité, les travaux américains sont encore peu avancés. Outre qu’aucune tourelle adaptée n’existe encore, les États-unis n’en sont qu’au début de leur programme Next Generation Combat Vehicle (NGCV) destiné au remplaceme­nt des M-2 Bradley et qui sera doté du 50 mm. L’appel d’offres concernant ce véhicule n’a en effet été rendu public que fin mars 2019.

Les travaux américains sont encore peu avancés. Outre qu’aucune tourelle adaptée n’existe encore, les États-unis n’en sont qu’au début de leur programme Next Generation Combat Vehicle.

Note

(1) Pierre Petit, « Griffon et Jaguar au coeur de SCORPION », Défense & Sécurité Internatio­nale, hors-série no 55, août-septembre 2017.

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La tourelle DUBM Kinzhal sur un T-15, en 2018. Son design a légèrement évolué depuis lors. (© Mikhail Leonov/shuttersto­ck)
Photo ci-dessus : La tourelle DUBM Kinzhal sur un T-15, en 2018. Son design a légèrement évolué depuis lors. (© Mikhail Leonov/shuttersto­ck)
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Le 2S38 Derivatsiy­a-pvo, doté de la tourelle AU-220M. Paradoxe, le canon du système est une évolution du S-60 dont une version modifiée équipait les ZSU-58/2 conçus pour la même mission… dès la fin des années 1940. (© Boris Dianov/shuttersto­ck)

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