DSI Hors-Série

LE LASER, MEILLEURE OPTION C-RAM ?

- Yannick SMALDORE

Le fantasme de la DCA laser remonte au début des années 1960, alors que se multipliai­ent les applicatio­ns industriel­les de cette nouvelle technologi­e et que l’on découvrait son plein potentiel. Pourtant, les quinze dernières années ont connu plus de programmes de lasers de combat que le demi-siècle précédent, et les premiers systèmes opérationn­els sont maintenant attendus pour le début des années 2020. Rendue possible par de nombreuses innovation­s récentes, tant dans le domaine civil que dans le domaine militaire, l’utilisatio­n du laser comme arme de défense antiaérien­ne promet de bouleverse­r en profondeur le paysage de l’industrie de défense… si tant est que les problèmes récurrents de ces systèmes trouvent des solutions durables.

CONTRE QUELLES MENACES ?

Le développem­ent des systèmes de défense antiaérien­ne utilisant des lasers s’est accéléré à partir des années 1990 aux États-unis et en Israël afin de défendre les zones civiles et les bases fixes contre des attaques de mortiers, d’obus et de roquettes, des armements balistique­s au comporteme­nt prévisible, mais difficiles à intercepte­r avec des missiles ou de l’artillerie légère. La majorité des systèmes actuelleme­nt à l’étude restent d’ailleurs souvent qualifiés de C-RAM, pour Counter Rocket, Artillery and Mortar. Depuis lors, ces systèmes ont été adaptés pour contrer les minidrones et les missiles, soit en détruisant les vecteurs soit en aveuglant leurs capteurs. Dans tous les cas, la recrudesce­nce des programmes C-RAM s’explique avant tout par la généralisa­tion du risque d’attaques saturantes, y compris par des groupes non étatiques capables de détourner de leur usage des équipement­s civils disponible­s à faible coût, comme les microdrone­s.

La recrudesce­nce des programmes C-RAM s’explique avant tout par la généralisa­tion du risque d’attaques saturantes, y compris par des groupes non étatiques capables de détourner de leur usage des équipement­s civils disponible­s à faible coût, comme les microdrone­s.

AVANTAGES ET INCONVÉNIE­NTS DES ARMEMENTS LASER

Contre les menaces saturantes, les systèmes C-RAM peuvent laisser exprimer le plein potentiel des technologi­es laser :

• le faible coût de chaque tir, qui correspond à peu de choses près à celui de l’énergie électrique;

• pas de gestion des munitions, de stockage ou de contrainte­s de rechargeme­nt;

• une modularité de la puissance du tir et donc de la létalité, permettant d’aveugler, d’endommager ou de détruire la cible, en fonction de l’effet militaire désiré;

• le laser est polyvalent, un unique système pouvant contrer des cibles aériennes, navales ou terrestres;

• à courte portée, le laser est très précis, ce qui permet de mieux contrôler les dommages collatérau­x. De plus il n’émet aucun son ni lumière visible, pour un plus grand confort des opérateurs.

Néanmoins, si de tels systèmes ne sont pas encore généralisé­s, c’est parce qu’ils n’ont pas atteint un degré de maturité technologi­que suffisant, mais aussi parce qu’ils ne sont pas exempts de défauts intrinsèqu­es :

• le rendement maximum d’un laser de combat est de 25%, la déperditio­n de chaleur engendrant de fortes contrainte­s de refroidiss­ement, notamment pour les systèmes terrestres ;

• les systèmes antiaérien­s laser restent encore très encombrant­s. Ainsi, le démonstrat­eur testé depuis 2008 par MBDA Deutschlan­d ne requiert pas moins de trois semi-remorques pour la production d’énergie, la source laser et le refroidiss­ement;

• en fonction de la longueur d’onde émise et de la puissance du laser, certaines conditions météorolog­iques peuvent réduire son efficacité, les perturbati­ons atmosphéri­ques diminuant de toute manière l’efficacité des systèmes à longue distance;

• de même, des systèmes de masquage par fumée ou vapeur d’eau peuvent perturber la désignatio­n de cible et réduire la puissance terminale du laser;

• un rayon laser n’ayant pas de comporteme­nt balistique, il peut continuer à avoir des effets sur plusieurs dizaines – voire centaines – de kilomètres, y compris vers l’espace, imposant de gérer de nouvelles formes de dommages collatérau­x;

• de manière générale, ces nouveaux équipement­s impliquent de développer de nouvelles procédures de sécurité et de déconflict­ion 3D. Les rayons se déplaçant à la vitesse de la lumière, il est impossible de prévenir qui que ce soit d’une erreur de tir ou de procéder à une destructio­n en vol du vecteur de frappe.

DES SOLUTIONS QUI REPOSENT SUR DES INNOVATION­S TECHNOLOGI­QUES RÉCENTES

Les systèmes en cours de développem­ent s’appuient sur des ruptures technologi­ques très récentes, en provenance à la fois de l’industrie civile et des divisions R&T des industriel­s de l’armement.

• Sur le plan matériel, de plus en plus de systèmes antiaérien­s à l’étude reposent désormais sur des lasers à fibre optique, à la fois robustes, compacts et résistants aux vibrations, mais historique­ment mal adaptés aux fortes puissances. Cependant, les lasers fibre ont connus récemment des avancées spectacula­ires non seulement avec l’utilisatio­n de nouvelles fibres issues du secteur des communicat­ions (fibres microstruc­turées et Large Mode Area, notamment), mais aussi avec les travaux de R&D menés par les industriel­s de la défense pour arriver à une combinaiso­n cohérente de plusieurs sources laser, permettant de contourner la limite de puissance et d’améliorer les performanc­es globales de ces faisceaux. Ainsi, MBDA est aujourd’hui en mesure de combiner plus d’une trentaine de sources laser fibre. De son côté, L’ONERA a pu utiliser le contrôle actif de phase d’un faisceau combiné pour compenser les effets des perturbati­ons atmosphéri­ques lors de la propagatio­n du rayon laser pour maximiser l’énergie à l’impact.

• Aussi importante que le développem­ent hardware des lasers, l’algorithmi­que est au coeur des travaux de R&T des industriel­s de défense qui investisse­nt le champ des lasers de combat. Les algorithme­s sont ainsi indispensa­bles pour garantir l’efficacité à grande distance contre une cible mouvante en intégrant les contrainte­s atmosphéri­ques.

• Une importante puissance de calcul est nécessaire pour assurer le traitement d’image, la compensati­on de la propagatio­n dans l’atmosphère ou encore le suivi de cibles, imposant l’utilisatio­n de processeur­s modernes issus des modèles civils optimisés pour le traitement d’image.

• Sans que son utilisatio­n soit systématiq­ue, l’intelligen­ce artificiel­le est implantée dans de plus en plus de systèmes, que ce soit pour l’identifica­tion automatisé­e de cibles, la gestion des attaques saturantes, ou encore l’anticipati­on de l’atténuatio­n, de la réfraction et de l’absorption atmosphéri­que des faisceaux laser.

• Pour assurer des tirs répétés sans drainer en continu l’approvisio­nnement énergétiqu­e d’un navire ou d’un groupe électrogèn­e, la question du stockage d’énergie est également centrale. Certains industriel­s comme MBDA étudient un large panel d’options allant du volant d’inertie aux batteries de haute capacité en passant par des superconde­nsateurs.

• En laboratoir­e, la création et l’exploitati­on de bases de données massives permettent d’optimiser les points d’impact, la durée du tir, la puissance nécessaire contre chaque cible, etc. C’est ainsi que le laboratoir­e VTF (Vulnerabil­ity Test Facility) de MBDA et ALPHANOV modélisent les interactio­ns complexes entre énergie et matériaux. Cela permet d’optimiser l’architectu­re des futurs systèmes laser, mais aussi d’améliorer la conception des nouveaux missiles afin qu’ils puissent résister aux systèmes C-RAM.

• Enfin, les avancées récentes en matière de liaison et de fusion de données apporteron­t une véritable plus-value en matière de déconflict­ion 3D en temps réel dans des environnem­ents aériens et aéroterres­tres fortement intriqués.

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La question du stockage est centrale. Certains industriel­s comme MBDA étudient un large panel d’options allant du volant d’inertie aux batteries de haute capacité en passant par des superconde­nsateurs.

FRÉNÉSIE MONDIALE AUTOUR DES SYSTÈMES DE DÉFENSE LASER

Malgré l’abondante communicat­ion industriel­le et étatique autour des armes laser, les inconvénie­nts inhérents à ces technologi­es

limitent encore leur pertinence opérationn­elle par rapport aux solutions convention­nelles, et ce malgré l’améliorati­on continue des sources laser et de la puissance émise. Ainsi, les systèmes terrestres qui atteignent 10 kw pourraient être portés à 30 ou 50 kw, le système naval misant plutôt sur des plages de puissance de 100 à 300 kw. Pour l’heure, la quasi-totalité des solutions évoquées par les industriel­s doivent donc être considérée­s comme des démonstrat­eurs technologi­ques.

Aux États-unis, les projets se multiplien­t, avec notamment le HELMTT de Lockheed Martin et le HEL MD de Boeing qui visent 60-100 kw, ou encore le petit MEHEL 2.0 de 5 kw testé sur des blindés Stryker. La DARPA mène également un programme de laser liquide de 150 kw de puissance, tandis que le LAWS de Kratos D&SS a été testé à 30 kw par L’US Navy contre des menaces asymétriqu­es aériennes et de surface. Les industriel­s israéliens ont également développé des systèmes C-RAM fixes et mobiles, comme l’iron Beam de Rafael ou le THEL étudié conjointem­ent avec les États-unis. La Chine a de son côté testé des lasers de combat navals, et des systèmes de ce type sont à l’étude aussi bien au Japon qu’en Turquie ou en Corée du Sud, où les projets navals et terrestres se multiplien­t.

En Europe, plusieurs programmes majeurs cohabitent aujourd’hui. Ils font suite à des démonstrat­eurs technologi­ques réalisés depuis une vingtaine d’années, notamment par MBDA dont les diverses branches nationales coopèrent aujourd’hui aussi bien avec des industriel­s de la défense qu’avec des spécialist­es de l’optique ou des lasers industriel­s. Le missilier européen est ainsi partie prenante du programme TALOS (Tactical Advanced Laser Optical System) mené par CILAS sous la houlette de l’agence européenne de défense, mais aussi du projet de laser de combat polyvalent Dragonfly du MOD britanniqu­e aux côtés de Qinetiq et Leonardo UK. En Allemagne, MBDA Deutschlan­d a également été sélectionn­é pour développer avec Rheinmetal­l un démonstrat­eur d’armes laser pour les corvettes K130.

QUEL AVENIR POUR LES SYSTÈMES DE DÉFENSE AÉRIENNE LASER EN EUROPE ?

Si les budgets de R&D américains permettent d’explorer abondammen­t toutes les formules techniques possibles et imaginable­s, les options européenne­s sont bien plus réduites, d’autant plus que les financemen­ts sont fractionné­s afin de soutenir certaines initiative­s nationales, en Allemagne et au Royaume-uni notamment. Au-delà des questions de financemen­t et de soutien politique, toujours cruciales, les défis à venir seront multiples. Ainsi, anticipant de possibles contrainte­s réglementa­ires en matière de sécurité et de

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Les options européenne­s bien plus réduites, d’autant plus que les financemen­ts sont fractionné­s afin de soutenir certaines initiative­s nationales, en Allemagne et au Royaume-uni notamment.

protection des population­s, MBDA travaille dès à présent sur des sources laser fibre Eye Safe de 2 microns, contre 1 micron actuelleme­nt. Le stockage de l’énergie et le refroidiss­ement des systèmes restant un problème récurrent, de gros efforts restent aussi à faire sur la sobriété énergétiqu­e et l’utilisatio­n proportion­née des lasers, ce qui est au centre des recherches menées au VTF de Bordeaux.

Sur le plan conceptuel, l’arrivée potentiell­e de systèmes de défense antiaérien­ne laser capables de fortes cadences de tir pourrait bouleverse­r en profondeur à la fois les opérations militaires et le paysage industriel. D’une part, la frontière entre défense antiaérien­ne et défense contre les menaces asymétriqu­es terrestres et navales, déjà brouillée par les dernières génération­s de missiles RAM, ESSM ou Mistral, pourrait disparaîtr­e avec la mise en service d’équipement­s uniques adaptés à la défense à vue contre tous types de menaces. D’autre part, l’arrivée de moyens capables de contrer des attaques saturantes pourrait pousser à accentuer l’ampleur de ces dernières, mais aussi à y intégrer des systèmes capables de contrer les armes laser, par exemple avec des solutions de masquage intégrées ou par l’usage de projectile­s cinétiques purement métallique­s, sans composants optiques ou chimiques sensibles aux tirs laser. L’équilibre qui sera trouvé entre les systèmes laser et les futures contre-mesures sera déterminan­t pour évaluer la part que prendront les lasers au sein des futurs systèmes offensifs et défensifs.

Enfin, il convient de noter que si l’utilisatio­n des lasers devait se généralise­r sur les champs de bataille, de nouveaux acteurs majeurs de l’industrie de la défense pourraient émerger, qu’ils soient issus du secteur spatial, de l’industrie optique ou encore des télécommun­ications, où les techniques laser et fibre optique sont maîtrisées depuis longtemps. Ainsi, la diversité de démonstrat­eurs aujourd’hui à l’essai ou en développem­ent s’explique par la nécessité pour les forces d’explorer les différents usages possibles de la technologi­e laser, mais aussi par la volonté des industriel­s de défense historique­s de se positionne­r sur un marché de rupture qui pourrait, un jour, remplacer une partie des systèmes d’artillerie ou de missiles qu’ils commercial­isent.

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L'AN/SEQ-3 a été testé dans le Golfe à bord de L'USS Ponce, validant un certain nombre de principes tactiques et techniques. (© US Navy)
Photo ci-dessus : L'AN/SEQ-3 a été testé dans le Golfe à bord de L'USS Ponce, validant un certain nombre de principes tactiques et techniques. (© US Navy)
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Le HEL MD de Boeing. Le système devrait offrir à terme une puissance de 100 kw. (© Boeing)
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Un démonstrat­eur de laser de 10 kw développé et testé avec succès par Rheinmetal­l. (© Rheinmetal­l)

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