DSI Hors-Série

RAFALE : LE STANDARD F4 SE DÉVOILE

- Yannick SMALDORE

En janvier 2019, alors que les premiers Rafale au standard F3R arrivent dans l’armée de l’air, la ministre des Armées profite d’une visite de l’usine de Dassault Aviation à Mérignac pour lancer officielle­ment le développem­ent d’un nouveau standard majeur, le F4. De quoi permettre à l’appareil d’accroître ses performanc­es opérationn­elles, mais aussi de rester compétitif dans les années à venir, notamment face au F-35 de Lockheed Martin.

Sur le standard F3R, le dernier en date du Rafale, les efforts ont surtout porté sur une mise à jour logicielle et sur une améliorati­on des capteurs et des armements : antenne AESA pour le radar RBE2; intégratio­n du missile air-air longue portée Meteor; nouveau pod de désignatio­n laser TALIOS (Targeting Long-range Identifica­tion Optronic System) ; intégratio­n des bombes GBU-16 et AASM Bk.3. Avec le standard F4, l’idée est cette fois-ci de se focaliser sur les questions de connectivi­té et de combat en réseau, ce qui implique de profonds changement­s tant logiciels que matériels. Et, pour la première fois, la parfaite interopéra­bilité technique de la flotte de Rafale pourrait bien être mise à mal avec un standard F4.1 pour les Rafale existants et un F4.2 pour les 58 appareils restant à livrer en France. Si tous les appareils recevront les mises à jour logicielle­s et seront aptes à intégrer les différents éléments modulaires modernisés, comme le radar AESA ou un nouvel OSF (Optronique Secteur Frontal), seuls les appareils F4.2 recevront l’ensemble des modificati­ons matérielle­s du standard F4, notamment en matière de guerre électroniq­ue. A priori, ces appareils devraient également disposer de mesures conservato­ires pour des modernisat­ions plus profondes dans le cadre de standards ultérieurs, ou d’une éventuelle rénovation à mi-vie du Rafale.

L’architectu­re ouverte du Rafale devrait permettre une implémenta­tion incrémenta­le du nouveau standard, avec certaines fonctionna­lités disponible­s dès 2022, la validation du standard complet n’intervenan­t qu’en 2024 pour une livraison dans les forces en 2025.

CONNECTIVI­TÉ, ENGAGEMENT ET DISPONIBIL­ITÉ

Les premières études de levées de risques sur le standard F4 du Rafale débutent dès 2017, le périmètre du standard étant déterminé l’année suivante pour un lancement du développem­ent en janvier 2019. À l’heure actuelle, si les ambitions de la DGA et du GIE Rafale Internatio­nal sur ce nouveau standard sont clairement définies, tous les détails de la configurat­ion n’auraient pas été figés. Comme toujours, des compromis devront être faits entre les besoins opérationn­els, le respect de l’enveloppe budgétaire et les impératifs industriel­s. L’architectu­re ouverte du Rafale devrait permettre une implémenta­tion incrémenta­le du nouveau standard, avec certaines fonctionna­lités disponible­s dès 2022, la validation du standard complet n’intervenan­t qu’en 2024 pour une livraison dans les forces en 2025. La stratégie de développem­ent de ce nouveau standard s’articule autour de quatre piliers :

• l’interconne­ctivité;

• le soutien et la disponibil­ité des appareils ; • l’améliorati­on des capteurs;

• la modernisat­ion des armements.

Dans ces différents domaines, de nombreuses innovation­s sont apparues ces dernières années. Ainsi, les composante­s informatiq­ues des systèmes d’armes modernes font aujourd’hui de plus en plus appel aux intelligen­ces artificiel­les pour le traitement massif des données, devenu indispensa­ble pour la gestion de la complexité du champ de bataille, mais aussi pour le perfection­nement des outils de maintenanc­e prédictive. De même, les progrès réalisés en matière de chimie appliquée ont permis d’améliorer la propulsion des missiles, ou encore de rendre abordable l’utilisatio­n de nitrure de gallium (GAN) qui améliore les performanc­es des antennes AESA du système d’autoprotec­tion du Rafale, le fameux SPECTRA.

COMMUNICAT­ION ET CONNECTIVI­TÉ

Si le Rafale ne devait avoir qu’un seul défaut, il s’agirait probableme­nt de sa radio. Sans être catastroph­ique, celle-ci semble assez loin des standards actuels en matière de puissance et de clarté du signal. Avec le standard F4, le Rafale va enfin se doter d’un tout nouveau système de communicat­ion numérique qui devrait améliorer la connaissan­ce de situation des pilotes, y compris dans des environnem­ents contestés électroniq­uement :

• les appareils recevront ainsi une radio logicielle CONTACT, le nouveau standard des armées françaises permettant aux différents acteurs présents sur le théâtre de partager une image opérationn­elle commune;

• une nouvelle liaison de données tactique intra-patrouille, discrète et directionn­elle, devrait également intégrer le Rafale, parallèlem­ent à la L-16 actuelle. Cette liaison s’appuiera sur des formes d’onde en trois dimensions (FO3D) générées par synthèse numérique ;

• les Rafale devraient être dotés, au pied de la dérive, d’une SATCOM de qualité militaire, cryptée, discrète et compatible SYRACUSE IV, qui pourrait être dérivée du SAKAR dévoilé par Thales en novembre 2018;

• la gestion de ces ensembles de communicat­ion, en plus des liaisons de données existantes, devrait être confiée à une nouvelle génération de serveurs de communicat­ion, possibleme­nt dérivée des NEXEN de Thales, permettant de simplifier la tâche de l’équipage tout en assurant le chiffremen­t et la cyberprote­ction des données.

L’ensemble de ces équipement­s devraient permettre de créer de véritables réseaux de communicat­ion au sein d’une patrouille de

Rafale, mais aussi, via la SATCOM et CONTACT, sur tout un théâtre d’opérations. Chaque pilote aura ainsi accès à une situation tactique étendue permettant un combat en réseau à longue distance, même dans des environnem­ents complexes. Les Rafale pourront également servir de relais radio entre les troupes au sol et les centres de décision métropolit­ains, ou bien suivre l’évolution d’une situation tactique en direct dès le début de leur phase de transit. À bien des égards, il s’agit là de la véritable raison d’être du standard F4, qui permet au Rafale de rattraper son retard de connectivi­té sur le F-35, évoqué en 2017 par le chef d’état-major de l’armée de l’air devant l’assemblée nationale. On pourra tout de même regretter que la capacité de détection multistati­que, idéale contre les cibles furtives, ait été repoussée à un standard ultérieur.

CAPTEURS ET INTERFACE

Dans la lignée du standard F3R, le F4 devrait apporter des améliorati­ons en matière de détection. Pour le radar RBE2 AESA, les modificati­ons seront surtout logicielle­s avec l’ajout d’un mode GMTI (Ground Moving Target Indicator) pour la détection et la poursuite de cibles terrestres mobiles, ainsi que d’un mode ultra-hd pour l’imagerie radar à longue distance. L’entrelacem­ent des modes devrait encore être amélioré, en partie grâce à l’augmentati­on continue de la puissance de calcul offerte par l’architectu­re ouverte du Rafale, qui devrait être complèteme­nt modernisée et rendue plus résistante aux cyberattaq­ues. Si la technologi­e AESA à base de GAN semble aujourd’hui trop coûteuse pour être appliquée sur l’antenne d’un RBE2, elle devrait l’être sur celles du système SPECTRA, chargé notamment de l’écoute électroniq­ue et du brouillage. SPECTRA devrait ainsi gagner en agilité de fréquence, en précision angulaire, en vitesse de détection et en puissance d’émission, tout en opérant sur une plus large gamme de fréquences, contre des contacts aériens ou de surface. Sur le plan des capteurs, la grande «nouveauté» devrait porter sur le retour d’une voie IR à bord de L’OSF, une capacité abandonnée il y a quelques années, mais qui a été réclamée notamment par l’armée de l’air indienne.

En matière d’interface, le choix a été fait de ne pas bouleverse­r l’ergonomie existante. Dans le cockpit, les écrans latéraux ont été légèrement agrandis et dotés d’une nouvelle interface tactile. La grande nouveauté ergonomiqu­e devrait donc être un affichage de casque, prévu au début du programme, mais annulé par deux fois dans le passé. Si le système est très attendu par les pilotes, tous les obstacles ne sont pas encore franchis pour autant. En effet, la logique financière et opérationn­elle pousse vers le choix d’une solution

Sur le plan des capteurs, la grande « nouveauté » devrait porter sur le retour d’une voie IR à bord de L’OSF, une capacité abandonnée il y a quelques années, mais qui a été réclamée notamment par l’armée de l’air indienne.

israélienn­e déjà intégrée sur les Rafale export, tandis que Thales milite logiquemen­t pour une solution nationale.

ARMEMENTS

Après l’intégratio­n du Meteor sur le F3R, le panel d’armements du Rafale F4 devrait encore s’étoffer :

• le missile SCALP EG devrait être reconditio­nné par MBDA afin de traiter les obsolescen­ces et le vieillisse­ment des cellules. Les premiers SCALP rénovés seront livrés l’année prochaine et serviront jusqu’au début des années 2030;

• l’armement AASM devrait encore évoluer, avec l’apparition d’un Bk.4 simplifié, dépourvu de propulsion et optimisé pour le soutien aérien rapproché. Une version de 1000 kg de L’AASM devrait également être intégrée au Rafale dans les années à venir, en remplaceme­nt des GBU-24;

• mais la grande nouveauté en matière d’armement sera le MICA-NG qui viendra compléter le Meteor sur la moyenne portée. S’il conserve l’aérodynami­que, la masse et le centrage du MICA, le MICA-NG sera un missile hautement plus performant. La version à guidage radar sera dotée d’une antenne AESA plus puissante, mais aussi plus résistante au brouillage. L’autodirect­eur infrarouge du MICA-IR aura droit à un nouveau capteur matriciel plus sensible et capable de mieux discrimine­r les leurres adverses. Enfin, la miniaturis­ation du compartime­nt électroniq­ue permet l’emport de plus de propergol pour le moteur, qui est doté d’une capacité de double impulsion. De quoi augmenter de 30 % la portée du MICA, tout en lui permettant de garder de l’énergie en réserve pour manoeuvrer pendant la phase d’intercepti­on.

On notera que l’intégratio­n de roquettes à guidage laser et le développem­ent d’un nouveau missile nucléaire font l’objet de programmes distincts et ne sont donc pas pris en compte dans le cadre du standard F4.

SOUTIEN ET DISPONIBIL­ITÉ

Comme à chaque évolution de standard, des efforts importants ont été faits en matière de Maintien en Condition Opérationn­elle (MCO) et de coûts d’utilisatio­n avec, cette fois-ci, une intégratio­n plus poussée des dernières technologi­es numériques. Aujourd’hui, le système de restitutio­n technique et de gestion logistique Harpagon permet déjà de se passer en grande partie des visites périodique­s sur le Rafale, notamment en améliorant le traitement curatif des pannes et en permettant d’anticiper au mieux la maintenanc­e préventive. Le standard F3R y intègre déjà des fonctions d’aide au diagnostic exploitant les données recueillie­s par les centaines de capteurs répartis dans la cellule de l’appareil.

Or, l’améliorati­on des algorithme­s et de la puissance de calcul va permettre de décupler la collecte et l’exploitati­on de données massives après chaque vol de Rafale. De quoi mettre en place, dans les années qui viennent, une véritable maintenanc­e prévisionn­elle qui viendra encore réduire le coût du soutien opérationn­el et améliorer la disponibil­ité… si tant est que toutes les pièces détachées ne soient pas monopolisé­es en OPEX, ce qui est un autre problème.

Avec le standard F4, l’ensemble de la chaîne logistique va donc être mis à jour afin de préparer la généralisa­tion progressiv­e des méthodes de maintenanc­e prévisionn­elle. Le système Harpagon va connaître une nouvelle évolution, des capteurs miniaturis­és seront intégrés dans les MICA-NG et le réacteur M88 va recevoir une modernisat­ion de ses FADEC, avec de nouveaux calculateu­rs permettant de disposer de plus de puissance de traitement des données. Pour Safran Aircraft Engines, la collecte massive de données techniques est essentiell­e pour améliorer l’efficacité du moteur, réduire les coûts de maintenanc­e, mais aussi préparer l’avenir, en l’occurrence la motorisati­on du SCAF franco-allemand.

On le voit, les standards successifs du Rafale amènent leur lot de modernisat­ions incrémenta­les, et le F4 ne déroge pas à cette règle. Si, extérieure­ment, le nouveau standard ne semble pas induire d’aussi importants changement­s que le F3R qui avait vu l’arrivée du RBE2 AESA et du Meteor, l’évolution est pourtant bien plus impression­nante sur le plan numérique, promettant une rupture opérationn­elle majeure en matière de conscience de la situation tactique, de combat réseaucent­ré, de guerre électroniq­ue, de protection cyber ou encore de détection passive. Mieux encore, le F4 prépare dès à présent les futures évolutions du Rafale, qu’il s’agisse de la maintenanc­e prévisionn­elle, de la détection multistati­que, des mesures conservato­ires pour de futurs radars plaques répartis sur la cellule de l’appareil ou de l’améliorati­on des capacités de guerre électroniq­ue, y compris offensives. De quoi permettre au Rafale de rester un adversaire redoutable dans les décennies à venir, même face à des avions furtifs.

L’améliorati­on des algorithme­s et de la puissance de calculs va permettre de décupler la collecte et l’exploitati­on de données massives après chaque vol de Rafale. De quoi mettre en place, dans les années qui viennent, une véritable maintenanc­e prévisionn­elle.

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Le Rafale est encore loin d'avoir terminé son évolution. (© V. Almansa/dassault Aviation)
Photo ci-dessus : Le Rafale est encore loin d'avoir terminé son évolution. (© V. Almansa/dassault Aviation)
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La connectivi­té sera au coeur de la conception du standard F4. (© M. Douhaire/dassault Aviation)
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Les modes radars du RBE2 AESA devraient s'étoffer. (© M. Douhaire/dassault Aviation)

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