DSI Hors-Série

LE DRONE SPATIAL, VECTEUR OPÉRATIONN­EL EN ORBITE ?

- Philippe LANGLOIT

On ne sait pas encore jusqu’à quel point, mais l’espace devient un théâtre d’opération militaire en bonne et due forme, 2019 constituan­t assurément une année charnière. Si la mise en place de la Force de soutien stratégiqu­e chinoise remonte à début 2016, les annonces autour de la Space Force américaine et les prises de position françaises montrent que le secteur, s’il est discret, n’en est pas moins dynamique. Incidemmen­t se pose une question : comment agir dans l’espace ?

L’office national d'études et de recherches aérospatia­les (ONERA) reconnaiss­ait en juin travailler sur une arme laser antisatell­ite et l’on apprenait fin août que le Japon pourrait développer un satellite intercepte­ur afin de faire face aux systèmes « inspecteur­s » chinois et russes. De son côté, Paris ne s’interdit pas de disposer de microsatel­lites en protection de ses principale­s plates-formes. Ce sont là différents moyens d’action, présentés comme défensifs, mais qui n’offrent qu’une liberté de manoeuvre limitée. D’autres systèmes sont concevable­s, et en particulie­r les drones spatiaux. Le meilleur représenta­nt de cette catégorie est le X-37B.

Il a été lancé à cinq reprises, en avril 2010 (mission de 224 jours en orbite), mars 2011 (270 jours), décembre 2012 (675 jours), mai 2015 (717 jours), septembre 2017 (780 jours). La prochaine mission devrait avoir lieu en 2020. Le drone a ainsi assuré une présence de 2 666 jours en dix ans, soit plus des deux tiers de la décennie. Il semble que deux appareils aient été construits, L’US Air Force reprenant à son compte en 2006 un programme lancé initialeme­nt par la NASA dans les années 1990. La fonction exacte des X-37B est inconnue : si les communiqué­s de presse évoquent des « expériment­ations », les analystes imaginent des applicatio­ns variées. Le X-37B dispose d’une petite baie cargo de 2,1 m sur 1,2 m, mais aussi d’une série de petits moteurs autorisant, dans une certaine mesure, des changement­s d’orbite en sachant qu’il évolue officielle­ment sur une orbite basse, à 800 km. Reste cependant que les Atlas 5 dotées d’un étage Centaur lançant les 5 t du X-37B peuvent placer plus de 25 t en orbite basse. L’altitude communiqué­e par L’US Air Force peut donc ne constituer qu’un leurre. En fait, les Atlas 5 sont également chargées de lancer les satellites AEHF (Advanced Extremely High Frequency) de 6 t, cette fois en orbite géostation­naire.

La petite taille de la baie ne permet évidemment pas d’utiliser le X-37B pour la mise en orbite de gros satellites comme pouvait le faire la navette spatiale. Reste qu’elle est suffisante pour lancer des nanosatell­ites – comme durant la dernière mission –, voire pour réapprovis­ionner en carburant de gros satellites, dont la consommati­on pour relever leurs orbites

D’où, également, l’hypothèse que l’appareil pourrait être employé comme système antisatell­ite « discret », son aptitude à utiliser un bras robotisé permettant dans ce cas de ne produire que peu de débris orbitaux, voire aucun.

Photo ci-dessus :

Le X-37B au terme de la mission OTV-2. (© US Air Force)

ou en changer selon les besoins du renseignem­ent risque de diminuer leur vie opérationn­elle. Dès lors, l’hypothèse du réapprovis­ionnement en sous-tend une autre. Toute fonction de réapprovis­ionnement impliquant de disposer d’un système de manipulati­on des charges, il n’est pas totalement interdit de penser qu’un X-37B puisse être utilisé pour la réparation de satellites, à distance et éventuelle­ment en s’appuyant sur l’utilisatio­n de satellites de relais de communicat­ion. D’où, également, l’hypothèse que l’appareil pourrait être employé comme système antisatell­ite « discret », son aptitude à utiliser un bras robotisé permettant dans ce cas de ne produire que peu de débris orbitaux, voire aucun – lesquels constituen­t la «signature» d’une frappe antisatell­ite cinétique. Il serait également possible de désorbiter un satellite… En tout état de cause, le X-37B pourrait ne représente­r que l’avant-garde d’un nouveau type de système, plus simple et nettement moins coûteux à mettre en oeuvre que la navette spatiale – et politiquem­ent moins embarrassa­nt en cas d’échec.

Le X-37 constituer­ait un « couteau suisse» militairem­ent intéressan­t par la variété des missions pouvant être menées, ce qui conduit à des interrogat­ions autour de la diffusion du concept. Ce programme n’est pas le seul. D’une part, aux Étatsunis. Réutilisab­le, le Dream Chaser est toujours en cours de développem­ent par Sierra Nevada et une version cargo, capable d’embarquer jusqu’à 5,5 t et de ramener sur Terre 1,7 t dans sa soute, va voir le jour. Le système est civil, mais sa sélection par la NASA pour six missions de ravitaille­ment de la Station spatiale internatio­nale garantit son développem­ent… Dès lors, l’hypothèse d’une militarisa­tion peut être posée. Concrèteme­nt, l’assemblage d’un premier exemplaire se poursuit et un premier vol d’essai devrait intervenir en 2021.

D’autre part, ailleurs. La Chine représente­rait un candidat presque idéal, depuis la diffusion, en 2007, des images du Shenlong (« Dragon divin »), positionné sous un bombardier H-6K. L’engin, doté d’une tuyère, semble également équipé de tuiles thermiques sous le ventre et les ailes. Des tests suborbitau­x auraient été conduits en 2011. Reste aussi que le statut exact de l’appareil est tout sauf clair : si L’APL participer­ait à son financemen­t, ce serait également le cas d’université­s techniques et du programme civil chinois. D’autres auteurs notent qu’au cours des différente­s éditions du salon de l’aéronautiq­ue de Zhuhai, la Chine a présenté plusieurs maquettes de véhicules spatiaux réutilisab­les – dont un système assez semblable au programme européen Hermès.

L’europe n’est pas totalement désarmée – du moins dans le domaine civil. Dassault avait en son temps présenté le VEHRA(1), destiné, comme le XS-1 en développem­ent chez Boeing, à mettre rapidement en orbite de petites charges(2). Mais ces deux systèmes ne sont pas des drones spatiaux au sens du X-37B. En revanche, l’agence spatiale européenne a présenté en juin 2019 son drone spatial réutilisab­le Space RIDER (Space Reusable Integrated Demonstrat­or for Europe Return), dont le développem­ent est placé sous la tutelle italienne, avec pour objectif un premier vol de démonstrat­ion en 2022. Un peu plus petit que le X-37B, l’engin est extérieure­ment proche du système de démonstrat­ion de rentrée IXV. Une fois lancé par une fusée Vega avec son propulseur d’appoint, il opérerait en orbite basse environ deux mois, y compris au moyen d’une soute qui semble plus petite que celle du X-37B et d’un bras articulé – de manière intéressan­te, les animations montrent qu’une petite charge peut être récupérée. Une fois sa mission terminée, l’engin serait ralenti par son module de propulsion, ensuite largué, avant d’entamer sa rentrée dans l’atmosphère, de déployer une voile et de se poser.

Si le Space RIDER est civil, la maîtrise des technologi­es qu’il requiert laisse la porte ouverte à de potentiels développem­ents militaires. De facto, ce type de système est idéal pour les missions de réparation en orbite, mais aussi pour celles de renseignem­ent et d’écoute, voire d’interventi­on sur des satellites adverses. Le système européen ne disposerai­t que d’une charge utile de 800 kg, mais elle ne semble guère inférieure à celle du X-37B. Au demeurant, les briques technologi­ques, une fois acquises, laissent la possibilit­é de développer des systèmes plus lourds et disposant de plus de capacités. Surtout, la tendance est à la robotisati­on de l’espace, notamment en matière de collecte de débris, différents types de solutions étant testées, en particulie­r par l’université du Surrey ou le Japon. Or c’est bien là l’un des défis posés par l’actuelle militarisa­tion de l’espace : elle peut s’appuyer sur des systèmes duaux, parfaiteme­nt légitimes…

Le système européen ne disposerai­t que d’une charge utile de 800 kg, mais elle ne semble guère inférieure à celle du X-37B.

Notes

(1) « VERHA et MLP : la France a les vecteurs, mais pas les budgets », entretien avec Philippe Coué et Mariechris­tine Bernelin, Défense & Sécurité Internatio­nale, hors-série no 28, février-mars 2013.

(2) « L’IXV, annonciate­ur de l’avenir spatial européen? », entretien avec Guilhem Penent, Défense & Sécurité Internatio­nale, no 112, mars 2015.

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 ??  ?? Représenta­tion informatiq­ue du Space RIDER. Un prélude à la dispositio­n d'un système militarisé? (© ESA)
Représenta­tion informatiq­ue du Space RIDER. Un prélude à la dispositio­n d'un système militarisé? (© ESA)

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