DSI Hors-Série

CLASSE AMIRAL RONARC’H : MATURATION D’UNE NOUVELLE GÉNÉRATION OU VÉRITABLE RUPTURE ?

- Romain MIELCAREK

D’abord appelées Frégates de Taille Intermédia­ire (FTI), les désormais Frégates de Défense et d’interventi­on (FDI) promettent de pouvoir assumer un large spectre de missions. Les industriel­s et la Direction Générale de l’armement (DGA) l’assurent : c’est un véritable petit bijou technologi­que. En réalité, pour l’instant, ce bâtiment semble mettre en applicatio­n les évolutions de tendance déjà observées sur les autres navires plutôt que d’apporter une réelle rupture.

À l’occasion de la découpe des premières tôles de la première FDI, le 24 octobre dernier, à Lorient, la ministre des Armées, Florence Parly, a insisté sur la problémati­que de l’innovation dans le développem­ent de ces navires, dont le premier est attendu en 2023 : « Fruit d'une méthode de conception ayant au coeur l'innovation, l'adaptabili­té et la créativité, nos FDI auront notamment, avec leurs radars plaques, des capacités antimissil­es inédites et sauront faire face à la course à la vélocité lancée dans ce domaine. Pièce maîtresse du navire, son radar multifonct­ion à antenne active et à quatre panneaux fixes, dont j'avais pu voir l'achèvement du premier panneau en avril dernier sur le site de Thales à Limours, est le premier radar mondial tout numérique de ce type. Il va permettre au navire de disposer d'une mâture unique qui garantit une optimisati­on de l'intégratio­n des senseurs du navire. » Les industriel­s revendique­nt en effet d’importante­s innovation­s dans cette FDI, qui se veut aussi bien apte à mener toutes sortes de missions seule et à longue distance, que compétitiv­e à l’export. La méthode de développem­ent dont parle la ministre relève plus de nouvelles pratiques qui tendent à se systématis­er sur les grands programmes d’armement : une collaborat­ion et un dialogue permanents et renforcés entre les équipes de la DGA, les industriel­s et les opérationn­els.

La frégate sera ainsi hypernumér­isée, avec des moyens de communicat­ion qui correspond­ent aux normes de l’époque : avec des tablettes tactiles, les hommes pourront échanger sur une messagerie interne au bâtiment, ressemblan­t à Whatsapp.

UN « BATEAU DIGITAL »

« Le jeune marin qui servira sur FDI en 2023 a 14 ans aujourd'hui, relève un cadre de Thales. Son état d'esprit n'est pas le même. » Ce marin de nouvelle génération aurait besoin d’un navire adapté à ses habitudes dans le civil. La frégate sera ainsi hypernumér­isée, avec des moyens de communicat­ion qui correspond­ent aux normes de l’époque : avec des tablettes tactiles, les hommes pourront échanger sur une messagerie interne au bâtiment, ressemblan­t à Whatsapp. Finis les gros postes radio, le matelot se déplacera avec un terminal s’apparentan­t à un gros téléphone portable. L’équipage de la FDI bénéficier­a effectivem­ent d’un confort de vie élevé, suivant les tendances que l’on trouve dans la plupart des flottes occidental­es.

La FDI sera un « bateau digital », assure-t-on chez Naval Group. Il gérera en permanence des flux de données à la sensibilit­é variable,

grâce aux systèmes COMTICS et Partner-c : un échange radio avec l’hélicoptèr­e de bord, une visioconfé­rence avec un porte-avions américain, des transferts de données « secret défense» avec Paris, la communicat­ion des marins avec leurs familles lorsque les opérations le permettent ou encore des partages de données radars avec un bâtiment britanniqu­e. Ce sont quelques-uns des exemples évoqués par Pierre Krotoff, le chef des systèmes de communicat­ion navals de Thales. L’entreprise suggère de « considérer la frégate comme un village marin ». Ces solutions ont déjà commencé à arriver sur les portehélic­optères d’interventi­on (PHI/BPC) et les frégates multimissi­ons (FREMM).

Ces technologi­es ne sont pas révolution­naires. Elles ont déjà été plus ou moins intégrées sur la plupart des navires de la Marine nationale. Mais elles seront cette fois prévues dès le départ, avec une grande capacité à faire évoluer les logiciels pour mettre à niveau en permanence ces outils. Les équipes industriel­les expliquent avoir gardé une grande marge de manoeuvre en matière de mises à jour des logiciels qui permettron­t de régulièrem­ent améliorer les capacités du bateau dans les trente années à venir. Mais cette forte numérisati­on implique aussi un risque important : celui d'exposition à des cyberattaq­ues. La protection face à ces agressions est prévue pour la première fois en natif. La FDI doit être dotée de moyens de détection et de réponse face à n’importe quel type d’attaques informatiq­ues.

Pour le reste, la FDI intégrera des capacités qui correspond­ent aux pratiques et attentes de son époque. Elle pourra embarquer un hélicoptèr­e et un drone volant, ainsi que deux embarcatio­ns ECUME pour un détachemen­t de forces spéciales. En armement, elle emportera un arsenal déjà présent sur de nombreux autres bateaux : 8 missiles antisurfac­e Exocet MM40 B3C pour faire face à des navires, 4 tubes de torpilles sous-marines MU90 et 16 missiles Aster 15 et Aster 30 pour l’antiaérien. À courte portée, elle s’appuiera sur deux canons téléopérés de 20 mm et une tourelle de 76 mm. Des réflexions sont en cours pour l’intégratio­n de Missiles de Croisière

Navals (MDCN).

QUELQUES NOUVEAUTÉS

Parmi les réelles nouveautés apportées sur la FDI, on pourra relever la présence d’un poste destiné à la lutte contre les menaces asymétriqu­es, extrait du central opérations. Installé derrière la passerelle, il est physiqueme­nt isolé, vision comprise, de l’extérieur. À l’intérieur, une équipe devra réagir en boucle courte face à des menaces qui peuvent demander des décisions rapides : attaque-suicide ou drones par exemple. C’est une première sur une frégate française.

Plus étonnant, Naval Group a confirmé des absences qui laissent sceptiques certains observateu­rs : il n’y aura ni brouilleur­s ni lance-leurres sur aucune des FDI commandées, alors qu’on laissait entendre jusque-là qu’une mise à niveau ultérieure serait possible dans ce domaine. Des contre-mesures dont les récentes attaques des Houthis contre les navires saoudiens montrent qu’elles pourraient avoir une utilité réelle. Un officier de la DGA assure pourtant que ces matériels ne sont pas indispensa­bles. Une source industriel­le suggère que c’est un motif économique qui a pesé dans ce renoncemen­t au brouillage. L’autoprotec­tion de la FDI reposera donc sur trois rideaux : Aster 30, Aster 15, puis artillerie de 76 mm qui doivent suffire à intercepte­r des munitions ciblant le bateau. Dans le pire des cas, il restera toujours de l’espace sur le bâtiment pour faire évoluer les choses dans le futur.

Le radar Sea Fire de Thales est probableme­nt le progrès le plus important sur la FDI. D’une portée de 400 km, il se compose de quatre panneaux fixes de 2 m sur 2,5 m. Totalement numériques, optimisés pour en faciliter la maintenanc­e dans des conditions opérationn­elles, ils permettent de couvrir l’ensemble de l’espace autour et au-dessus du navire. Multifonct­ion, le Sea Fire assure aussi bien la surveillan­ce en trois dimensions à longue distance que celle de la surface de l’eau et la conduite de tir des missiles Aster. En passant d’un radar tournant à un radar fixe, les frégates devraient être capables de suivre sans pertes de contact des cibles dont la vélocité tend à augmenter.

Ce radar capte une masse de données qui alimentera en permanence son logiciel, dont les capacités d’e-learning se nourriront pour améliorer la détection et le suivi. L’opérateur sera ainsi guidé par la machine qui pourra, selon le niveau de pression opérationn­elle, sélectionn­er les indicateur­s et les informatio­ns affichés. Un data center embarqué à bord permet d’emporter la puissance de calcul nécessaire au système. « Il n'y a aujourd'hui aucune cible existante ou prévue qui puisse échapper à ce radar », assurent les équipes de Thales.

Les tests du radar ont commencé au sol où un mât intègre une partie des équipement­s. Lors de notre visite fin septembre, le premier panneau était installé et on attendait le second pour entamer les exercices en novembre 2019. Ce processus de tests baptisé « Shore Integratio­n Facility » permet de tester sur la côte de Saint-mandrier 80 % à 90 % des équipement­s radars et électroniq­ues avant qu’ils ne soient intégrés sur le bateau. Les évaluation­s commencent face à des vols et à des manoeuvres sur l’eau selon les différente­s variations possibles (angles, vitesse, types de machines…). Thales réfléchit d’ailleurs à d’autres emplois de ce radar, dont un pour le terrestre. Avec la bonne adaptation logicielle, la technologi­e du Sea Fire pourrait être utilisée pour développer une version destinée à la contre-batterie, dans l’idée d’un futur remplaceme­nt des Cobra.

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Le passage au «tout digital» répond certes à une tendance marquée dans nos sociétés, mais, au-delà des performanc­es du radar, quelle sera sa plus-value opérationn­elle? (© Naval Group)

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