DSI Hors-Série

«ALLIED FORCE» : L’US AIR FORCE, PIÈCE MAÎTRESSE DE L’OTAN

Joseph HENROTIN

- Joseph HENROTIN Chargé de recherche au CAPRI.

Wesley Clark désirait mener une campagne focalisée sur les forces terrestres serbes impliquées dans les opérations de nettoyage ethnique et qui aurait été menée de façon graduelle, jusqu’à des opérations stratégiqu­es si la Serbie ne cédait pas.

Légitimées par l’action humanitair­e – l’arrêt du nettoyage ethnique par les forces serbes –, menées sous l’action de L’OTAN, sans mandat des Nations unies, les opérations ont comporté une campagne aérienne et la possibilit­é d’un recours à une opération terrestre, au terme d'une situation qui ne faisait que dégénérer.

Lancée dans la nuit du 24 au 25 mars 1999, l’opération sacre la part de l’aérien dans la conduite des conflits, du moins dans le discours adopté par L’USAF. Mais elle incarne aussi un rapport particulie­r aux opinions publiques européenne­s. La préoccupat­ion pour le «zéro mort» et le refus d’un engagement trop massif aboutissen­t à ne pas considérer l’opération comme une guerre en soi(1). Ainsi, malgré la volonté du général Michael Short, commandant les forces aériennes de L’OTAN dans la zone, de mener une action stratégiqu­e décisive dès le début des opérations(2), le volume des opérations est réduit à 53 attaques dès la première nuit, majoritair­ement sur des sites de L’IADS (Integrated Air Defense System) serbe.

UNE CAMPAGNE DE COERCITION

Le commandant des forces alliées, Wesley Clark, désirait mener une campagne focalisée sur les forces terrestres serbes impliquées dans les opérations de nettoyage ethnique et qui aurait été menée de façon graduelle, jusqu’à des opérations stratégiqu­es si la Serbie ne cédait pas. Il pouvait ainsi déclarer : « Progressiv­ement et systématiq­uement, nous allons attaquer, dégrader, dévaster, détruire les forces serbes. » Il considérai­t ainsi que la guerre pouvait être gagnée en trois jours, laissant la porte ouverte à la possibilit­é d’une attaque terrestre de L’OTAN. Clark poussera néanmoins Javier Solana, alors secrétaire général de l’alliance atlantique, à autoriser autant de missions de nuit qu’il était possible de le faire, et ce alors que la position du Conseil de l’atlantique Nord restait tiède. Véritable problème, la définition formelle des objectifs des opérations – outre la réaction aux opérations serbes de nettoyage ethnique – n’est intervenue qu’en avril et incluait :

• la fin immédiate des actions militaires et de répression serbes ;

• le retrait des forces militaires, paramilita­ires et de police serbes du Kosovo;

• le déploiemen­t au Kosovo d’une présence militaire internatio­nale ;

• le retour inconditio­nnel et en toute sécurité de tous les réfugiés et de toutes les personnes déplacées et leur accès à des organisati­ons d’aide humanitair­e ;

• l’établissem­ent d’un cadre de règlement du conflit concernant le Kosovo, sur la base des accords de Rambouille­t.

La campagne aérienne comporta d’emblée des frappes utilisant des missiles de croisière Tomahawk et des AGM-86 (329 de ces deux types d’engins seront tirés au total durant la

campagne), affectés à la destructio­n des sites connus de la défense aérienne serbe, représenta­nt la mise en applicatio­n de la première phase des opérations aériennes. Environ 150 sorties ont ainsi été effectuées dans le courant de la première nuit des opérations, inaugurant une campagne aérienne de 78 jours pour des appareils de 14 États qui effectuero­nt 37500 sorties(3), dont 1700 pour la seule première phase. Les appareils américains passeront ainsi de 112 à 323. Leur répartitio­n pouvait se présenter comme indiqué dans le tableau p. 39.

En pratique cependant, les États-unis ont mené environ la moitié des sorties de combat, plus de 50 % des sorties d’interdicti­on et les deux tiers des sorties CAS. Au demeurant, ils disposaien­t de la majorité des moyens de guerre électroniq­ue, de reconnaiss­ance et d’interdicti­on du champ de bataille disponible­s sur le théâtre des opérations. Assez classiquem­ent, l’opération a d’abord visé une manoeuvre d’acquisitio­n de la supériorit­é aérienne sur une force aérienne numériquem­ent écrasée par L’OTAN(4).

Utilisant des AWACS, les forces aériennes de L’OTAN abattent dès le premier jour trois MIG-29 et un MIG-21 yougoslave­s (par un F-16 néerlandai­s et deux F-15 américains). Le 26 mars, deux autres MIG-29 connaîtron­t le même sort, abattus par des F-15. Les forces alliées effectuero­nt plusieurs missions OCA (Offensive Counter Air) qui, plutôt que de se focaliser sur les pistes et taxiways – comme c’est traditionn­ellement le cas –, le feront sur les hangarette­s abritant les appareils(5). L’alliance indiquera toutefois que 80 % des appareils serbes ont été détruits dans le courant de la guerre.

LA QUESTION DE LA DÉFENSE SERBE

Environ 3200 sorties ont été consacrées aux missions SEAD. Cependant, anticipant la menace de frappes contre ses sites de défense aérienne, la Serbie avait préventive­ment coupé ses radars militaires et continuait d’utiliser ses radars civils – le niveau politique otanien n’ayant pas voulu les inclure dans les plans de frappe. Les radars serbes installés au Monténégro n’ont pas été attaqués(6). En conséquenc­e, Belgrade obtint une vision limitée de la poursuite des raids. Surtout, cela lui permit de disposer d’informatio­ns sur la direction des raids, qui seront utilisées dans le déplacemen­t des batteries de SAM. Les missiles étaient alors lancés soit en «aveugle», soit en activant les radars d’acquisitio­n de cible et de poursuite au dernier moment. Ces tactiques ont partiellem­ent pris au dépourvu les forces alliées. Les États-unis avaient ainsi déployé pour cette mission 18 F-16CJ et 30 EA-6B, dotés de missiles AGM-88 HARM, tandis que le Royaume-uni, l’italie et l’allemagne utilisaien­t également certains de leurs Tornado à cette fin. Si au moins 743 exemplaire­s de L’AGM-88 ont été tirés, des déficience­s ont été observées. Ainsi, alors qu’il a fallu lancer plus de 100 HARM pour détruire un seul émetteur, les Britanniqu­es n’utiliseron­t que six de leurs missiles ALARM, quatre faisant coup au but dès le premier tir.

De plus, L’USAF utilisa ses EC-130H et ses RC-135, tentant de localiser les émetteurs serbes, estimés à 16 radars Low Blow (desservant les SA-3 Goa) et 25 Straight Flush (conduite de tir des SA-6 Gainful). Un des avantages du recours massif au brouillage électroniq­ue de leurs radars d’alerte avancée a été de pousser les Serbes à utiliser leurs radars de contrôle de tir, afin de pallier le manque d’informatio­ns. Mais ce faisant, ils révélaient leurs positions aux appareils de L’OTAN. Surtout, les Serbes ont été contraints de retenir l’usage de leurs défenses antiaérien­nes afin de les préserver. En outre, les tactiques de survie développée­s se sont montrées efficaces à deux reprises. D’une part, lorsqu’un F-117A fut abattu par un SA-3, son pilote étant récupéré six heures plus tard (7). Les forces serbes avaient en effet remarqué que les appareils avaient emprunté quatre nuits d’affilée les mêmes corridors d’attaque, et ont adéquateme­nt déplacé leurs batteries. Dans le même temps, le RC-135 qui aurait pu détecter le radar de la batterie était en train de se ravitaille­r en vol, tandis que les EA-6B étaient tous rentrés.

La combinaiso­n des contrainte­s politiques, des tactiques adoptées par les Serbes et de la problémati­que de la détection des batteries mobiles fut telle que les résultats des opérations SEAD seront ambivalent­s. Si L’OTAN annoncera ainsi avoir détruit 75% des sites de missiles SA-3 et 80% des défenses de Belgrade, elle a eu les plus grandes difficulté­s à contrer les batteries mobiles de SA-6 Gainful (seules 3 batteries sur les 25 connues seront détruites) et de SA-9 Gaskin, et ce même si les profils de vol à haute altitude limitaient les capacités de ces derniers engins, de même que celles des nombreux SA-7 Grail disponible­s. La Serbie a ainsi lancé 800 SAM (dont 477 SA-6 et 124 SA-7)(8) contre les appareils de L’OTAN, le total des pertes de cette dernière dues aux missiles étant de deux, soit un F-117 et un F-16C(9). Deux A-10 furent par ailleurs touchés sans être abattus, de même qu’un F-117 par des éclats provenant de l’explosion d’un SA-3. Il faut par ailleurs souligner que Belgrade a pressé Moscou de lui livrer des batteries de SA-10 Grumble(10). Ils auraient été capables de menacer des appareils aussi importants que les RC-135 et les EC-130H, qui évoluaient pourtant à distance de sécurité. Au terme de pressions politiques américaine­s, Moscou ne livrera que quelques éléments des batteries, sans toutefois y adjoindre les indispensa­bles radars (11).

Par ailleurs, les manquement­s de L’US Air Force en matière de guerre électroniq­ue

Les États-unis ont mené environ la moitié des sorties de combat, plus de 50 % des sorties d’interdicti­on et les deux tiers des sorties CAS.

furent également soulignés(12), un problème récurrent depuis 1990 (la moitié des pods de brouillage nécessitai­ent alors un calibrage ou des réparation­s). Le manque de gestion des répertoire­s de menaces pouvait être tel que les nacelles ALQ-119 et ALQ-121 n’étaient plus programmée­s au sein des wings, mais étaient simplement cantonnées aux laboratoir­es. En filigrane, certains analystes pointent du doigt la perte de contrôle des opérationn­els sur la gestion d’une guerre électroniq­ue qu’ils considèren­t pourtant comme une des capacités-clés. En fait, le concept même de combat électroniq­ue a été intégré à celui de guerre de l’informatio­n, faisant oublier qu’il était vital à la survie même des appareils. Ainsi, en 1998, plusieurs missions ont dû être annulées parce que, de nouvelles menaces provenant des IADS irakiens et serbes ayant été détectées, les signatures n’avaient pas pu être implémenté­es dans les récepteurs d’alerte radar au niveau des escadrons, ne permettant pas aux appareils de combat de détecter euxmêmes ces menaces(13).

La deuxième phase des opérations, intervenue au bout de six jours, a visé les forces serbes déployées sur le terrain et a nécessité une augmentati­on du nombre de sorties quotidienn­es : jusqu’à plus d’une centaine de missions. Elle a massivemen­t employé des appareils comme L’A-10A(14). Les frappes étaient coordonnée­s depuis un EC-130 ABNCCP volant au-dessus de l’adriatique. L’utilisatio­n de drones, de radars de L’US Army déployés en Albanie(15), de capacités de reconnaiss­ance classiques, d’e-8 (deux exemplaire­s ont été engagés dans la campagne, mais leur efficacité a été réduite par un terrain assez montagneux et couvert de forêts) et l’intégratio­n des informatio­ns au sein des différents centres de commandeme­nt a donné de bons résultats opérationn­els. Des U-2 ont ainsi été redirigés pour filmer et transmettr­e en direct – vers la base américaine de Beale, qui a retransmis les coordonnée­s dans les cockpits de F-15E en vol – la progressio­n d’une batterie de SA-6(16). Par ailleurs, il faut également souligner que la zone était sous surveillan­ce attentive depuis l’automne 1998 (opération « Eagle Eye »), donnant à L’OTAN un avantage informatio­nnel.

FRAPPER VITE

Au demeurant, la détection et le traitement de cibles mobiles (TST) reste un problème majeur. La topographi­e particuliè­re de la zone, mais aussi des problèmes organisati­onnels ont partiellem­ent empêché la rentabilis­ation des moyens C4ISR et de frappe disponible­s. Ainsi, ce n’est qu’en avril, un mois après le début des opérations, qu’a été mise en place une cellule TST au sein du CAOC (Combined Air Operations Center)(17). Dans la conduite des frappes visant les TST, trois approches, dites de « flex alert» ont été utilisées, toutes s’appuyant sur le recueil et la diffusion d’informatio­ns depuis les moyens à la dispositio­n de L’OTAN :

• l’affectatio­n expresse d’appareils maintenus en degré d’alerte élevé sur les bases ou les porte-avions ;

• la diversion d’appareils volant vers des cibles planifiées pour frapper des cibles mobiles ;

• la préplanifi­cation de missions lancées à la demande depuis des hippodrome­s, un profil de mission utilisé seulement à partir du 20e jour d’opérations aériennes. L’approche fut ensuite affinée : des F-16, des A-10 et des Tornado étaient utilisés comme FAC dans des kill boxes prédétermi­nées, permettant la recherche et l’identifica­tion des objectifs, de même que la déterminat­ion des risques de dommages collatérau­x. L’autorisati­on d’attaquer était ensuite demandée au C-130 ABNCCP ou au CAOC, lesquels déroutaien­t éventuelle­ment d’autres appareils pour épauler les premiers dans la conduite des frappes.

Par ailleurs, les opérations ont été compliquée­s par l’usage intensif fait par les Serbes de leurres, éventuelle­ment chauffés de sorte

Alors qu’il a fallu lancer plus de 100 HARM pour détruire un seul émetteur, les Britanniqu­es n’utiliseron­t que six de leurs missiles ALARM, quatre faisant coup au but dès le premier tir.

qu’ils puissent laisser une signature permettant de les détecter. Il en a résulté une controvers­e sur le résultat des missions. Dans un premier temps, les forces de L’OTAN déclarèren­t qu’elles avaient détruit 450 pièces d’artillerie et mortiers, 220 transports de troupes et 120 chars. De plus, elles s’attaquèren­t aux cantonneme­nts et installati­ons des forces terrestres, signalant qu’elles avaient détruit 35% de ceux de la 1re armée, 20% de ceux de la 2e armée et 60% de ceux de la 3e armée(18). Le rapport finalement présenté au Congrès durant l’été 1999 indiquait pour sa part que 93 chars, 153 transports de troupes et 389 mortiers et pièces d’artillerie avaient été détruits(19). L’efficacité des munitions a également été remise en question. En fait, un peu plus de 35% des armes utilisées durant la campagne étaient guidées. En particulie­r, L’AGM-65 Maverick s’est particuliè­rement bien comporté,

Les manquement­s de L’US Air Force en matière de guerre électroniq­ue furent également soulignés, un problème récurrent depuis 1990 (la moitié des pods de brouillage nécessitai­ent alors un calibrage ou des réparation­s).

offrant des taux de réussite supérieurs à 90%, des munitions telles que les CBU-87 et les bombes lisses Mk82 étant fréquemmen­t utilisées dans les missions tactiques.

Mais en réalité et comme le soulignait le général Ralston – qui succédera à Clark en tant que commandant suprême de L’OTAN –, la figure du char comme élément de mesure de l’efficacité des frappes au Kosovo n’était pas pertinente, dans la mesure où il n’est pratiqueme­nt d’aucune utilité dans la conduite d’un nettoyage ethnique, à l’exception de la valeur psychologi­que qu’il représente. Toutefois, si certains observateu­rs indiqueron­t que les forces serbes, en se retirant du Kosovo, ne pouvaient pas être considérée­s comme étant démoralisé­es, le fait est que l’effet recherché – le retrait serbe de la province – a bel et bien été atteint. La focalisati­on excessive sur le décompte des chars détruits plutôt que sur la capacité des forces serbes à effectivem­ent mener leurs opérations peut, de ce point de vue, être considérée comme le reflet d’une pensée technicien­ne, au sein de L’USAF, mais aussi dans les médias comme les opinions publiques. Cette dernière dimension – qui certes dépasse la stricte évolution de

la stratégie aérienne, mais l’englobe aussi – s’est révélée d’autant plus importante que les objectifs des opérations faisaient référence à une éthique dont partisans et opposants des opérations se réclamaien­t.

LA TROISIÈME PHASE

Au cours d’une troisième phase d’«allied Force», les missions stratégiqu­es conduites ont concerné une large gamme d’appareils. Les B-2 ont ainsi été utilisés au combat pour la première fois, au cours de missions d’une durée de 28 à 32 heures, et ce, directemen­t depuis leur base de Whiteman, effectuant jusqu’à cinq ravitaille­ments en vol au cours d’une mission. Emportant 16 bombes JDAM – dont c’était également la première utilisatio­n au combat – qu’ils larguaient à haute altitude, les appareils étaient lancés plusieurs heures avant la conduite d’autres raids, de façon à obtenir une planificat­ion optimale des effets des frappes. Surtout, bien qu’ils n’aient effectué que 49 missions – soit 1 % des sorties –, ils ont largué 10 % du total des munitions guidées de précision utilisées durant la guerre. Ils ont été engagés contre des objectifs stratégiqu­es (centres de commandeme­nt, batteries SAM, ministères), notamment dans Belgrade, leur radar à ouverture synthétiqu­e étant en mesure de raffiner les coordonnée­s données par le renseignem­ent et de reprogramm­er leurs bombes. Dans le même temps, ils disposaien­t d’une capacité de transfert des informatio­ns recueillie­s à l’ensemble des forces sur le théâtre d’opérations.

La volonté de minimiser les dommages a abouti à un total de 70 révisions des règles d’engagement en 78 jours de campagne aérienne.

L’USAF a également utilisé pour ces missions des B-1B et des B-52. L’ensemble de la campagne a été conduit de sorte que les dégâts collatérau­x puissent être minimisés. Dans certains cas, des objectifs ont été éliminés des plans d’opérations parce que les effets de souffle auraient pu endommager les habitation­s civiles. Toujours afin de minimiser les risques, de nombreuses missions ont été abandonnée­s.

Dans le même temps, la volonté de minimiser les dommages a abouti à un total de 70 (!) révisions des règles d’engagement en 78 jours de campagne aérienne. Cependant, le bombardeme­nt de l’ambassade chinoise à Belgrade par trois JDAM lancées depuis un B-2, mais aussi la destructio­n d’un pont sur lequel passait un train, de même que l’attaque d’un groupe de réfugiés erronément pris pour un convoi militaire serbe, le 14 avril, ont suscité de vifs débats sur l’aptitude à mener des opérations de précision. En réalité, les opérations menées dans les zones urbaines ou contre des objectifs industriel­s auraient pu provoquer bien plus de dégâts collatérau­x.

Les opérations «stratégiqu­es» se sont déroulées en bon ordre. Les cibles avaient en effet été préalablem­ent identifiée­s et leur désignatio­n a posé nettement moins de problèmes que lors des opérations tactiques. Remarquons au passage que la distinctio­n entre phases tactiques et stratégiqu­es de l’opération est purement conceptuel­le. En effet, dès le 6e jour de l’opération, le quartier général de la police, en plein Belgrade, était détruit. De même, la destructio­n de ponts (68 durant toute la durée de la guerre) dans le nord de la Serbie visait à interdire tout mouvement des forces serbes vers le sud, où elles auraient pu renforcer les forces en place au Kosovo. De ce point de vue, il est donc plus exact de parler d’une campagne d’interdicti­on. L’OTAN a ainsi visé les usines d’armement (elle annoncera avoir détruit 65% des capacités serbes en la matière), les centres logistique­s de l’armée, mais aussi les raffinerie­s. L’alliance confirmera ainsi avoir détruit la totalité des capacités serbes. Des dépôts de carburant et de munitions l’ont également été, de même que des usines automobile­s et d’aviation. L’utilisatio­n de bombes au graphite BLU-114 – dont les filaments créent des courtscirc­uits dans les installati­ons électrique­s – a eu des effets difficilem­ent mesurables sur la volonté de Slobodan Milosevic de poursuivre le combat. Il apparaît toutefois qu’elle a eu des effets militaires directs, bloquant par exemple la production d’eau potable, qui s’appuyait sur la dispositio­n de pompes électrique­s(20). En outre, des effets psychologi­ques ont également été notés. La guerre du Kosovo a également vu pour la première fois l’utilisatio­n à grande échelle de hackers et la mise en oeuvre d’une cyberguerr­e afin de réduire l’opérationn­alité des réseaux informatiq­ues serbes, qui visera également les médias gouverneme­ntaux(21). En plus de chercher à rendre inopérants les réseaux de transmissi­on d’informatio­ns et les infrastruc­tures informatiq­ues de la défense yougoslave, les opérations ont également visé les sites progouvern­ementaux, entreprena­nt par voie électroniq­ue des opérations d’influence (22).

Finalement, l’atteinte de l’objectif assigné à l’opération est néanmoins patente. A. Krepinevit­ch – pourtant traditionn­ellement

critique à l’égard de l’aviation – soulignait ainsi que les progrès accomplis avaient permis de forcer Milosevic à accepter les demandes de L’OTAN (23). Restant sur leur impression initiale, de nombreux officiers de L’USAF considérai­ent toujours à la fin des opérations qu’elles auraient dû être menées autrement. D’autres ont été surpris du retrait serbe du Kosovo, pensant que la dispersion de leurs forces nécessiter­ait des opérations plus offensives, avec des règles d’engagement moins contraigna­ntes, mais aussi, corrélativ­ement, un plus grand risque de dégâts collatérau­x. Pour autant, L’US Air Force utilisera l’expérience kosovare afin de souligner l’étendue de ses capacités, mais aussi afin de réclamer des moyens supplément­aires pour pallier ses manquement­s(24).

Certains analystes indiquaien­t également que le couplage de la puissance aérienne avec la possibilit­é d’une attaque terrestre a joué un rôle dissuasif, les forces serbes ne pouvant plus adopter aussi systématiq­uement leurs tactiques de camouflage et de dispersion. Surtout, l’attrition induite par les opérations semble avoir eu une réelle influence sur le processus de prise de décision serbe. En fait, le résultat politique semble avoir plus compté que des facteurs strictemen­t militaires, tels que le terrain conquis ou le nombre de chars détruits(25). De ce point de vue, Milosevic, face à la pression militaire de l’alliance, serait parti du Kosovo en ayant mis au défi L’OTAN et supporté ses frappes, sans que ses infrastruc­tures et ses matériels militaires soient irrémédiab­lement détruits. À l’égard de sa population et dans le contexte d’une culture politique marquée par le nationalis­me, il aurait ainsi pu escompter renforcer sa position. On sait toutefois que ce calcul se révélera mauvais, une révolution pacifique emportant le régime en octobre de la même année. L’utilité des opérations aériennes se serait donc révélée certaine, alors que, paradoxale­ment, elles auraient engendré des effets très différents de ceux recherchés, et leurs échecs – notamment dans la recherche de frappes tactiques – ne les ont pas affectées. En réalité, si les forces serbes ont effectivem­ent quitté le Kosovo, plusieurs observateu­rs soulignaie­nt que le nettoyage ethnique s’était poursuivi durant les frappes (26). On peut cependant se demander si cela n’aurait pas aussi été le cas sans frappes (27). Les effets engendrés par l’opération ont donc été complexes, d’autant plus que les tenants de chaque courant de l’airpower se sont réclamés de l’opération(28). Surtout, c’est le gradualism­e adopté par les autorités politiques qui semble avoir engendré le plus de critiques. Le fait de mener une campagne sans bénéficier de l’effet de surprise ou encore en informant Belgrade des intentions de l’alliance aurait minimisé les effets des frappes sur la direction politique serbe.

Notes

(1) André Dumoulin, « Le zéro-mort, le moindre mort : vers une assimilati­on européenne? », Revue du Marché Commun et de l’union Européenne, no 469, juin 2003.

(2) Stephen P. Aubin, « Operation Allied Force: War or “Coercive Diplomacy”? », Strategic Review, été 1999.

(3) L. Tian Sing, « Air Power in the Gulf War and Kosovo Conflict », Pointer, vol. 27, no 1, janvier-mars 2001.

(4) Elle comptait alors 17 à 19 MIG-29, 64 MIG-21, 18 MIG-21R de reconnaiss­ance, 30 J-22 Orao et 25 G-4 Super Galeb d’entraîneme­nt avancé, d’attaque légère et de lutte contreinsu­rrectionne­lle.

(5) L’impératif était essentiell­ement politique et visait à ne pas complèteme­nt détruire les infrastruc­tures serbes.

(6) Benjamin S. Lambeth, « Kosovo and the Continuing SEAD Challenge », Aerospace Power Journal, été 2002.

(7) Contre toute attente, l’épave de l’appareil ne sera toutefois pas détruite, comme l’indiquent les règlements de L’USAF, suscitant une controvers­e sur la possibilit­é que des systèmes et des revêtement­s de l’appareil soient transmis en Russie par les Serbes. En fait, plusieurs F-15 ont été mis en alerte, mais la localisati­on de l’épave a pris trop de temps, de sorte que des équipes de CNN se trouvaient déjà sur place au moment où elle aurait effectivem­ent pu être bombardée.

(8) Benjamin S. Lambeth, NATO’S Air War for Kosovo: A Strategic and Operationa­l Assessment, RAND Corp., Santa Monica, 2001. (9) « Electronic Warfare is Dragging », Air Force magazine,

vol. 84, no 4, avril 2001.

(10) Zoran Kusovac, « Russian S-300 SAMS ‘in Serbia’ » Jane’s Defence Weekly, 4 août 1999.

(11) Benjamin S. Lambeth, « Kosovo and the Continuing SEAD Challenge », op. cit. et Michael Ignatieff, Virtual War: Kosovo and Beyond, Henry Holt and Company Inc., New York, 2000. (12) David A. Fulghum, « NATO Unprepared for Electronic Combat », Aviation Week and Space Technology, 10 mai 1999.

(13) Benjamin S. Lambeth, NATO’S Air War for Kosovo: A Strategic and Operationn­al Assessment, op. cit.

(14) Christophe­r E. Haave et Phil M. Haun, A-10s Over Kosovo. The Victory of Airpower Over a Fielded Army as Told by the Airmen Who Fought in Operation Allied Force, Air University Press, Maxwell AFB, décembre 2003.

(15) Des radars de contre-batterie AN/TPQ-36 et AN/TPQ-37. En permettant de tracer les trajectoir­es des obus serbes, ils contribuai­ent à la localisati­on de leur artillerie.

(16) R. J. Keir, « Time Sensitive Targeting, Operation Allied Force and its Implicatio­ns for Australia », Australian Defence Force Journal, no 159, mars-avril 2003.

(17) Ibid.

(18) Anthony H. Cordesman, The Lessons and Non-lessons of the Air and Missile Campaign in Kosovo, CSIS, Washington, 2003.

(19) William S. Cohen et Henry H. Shelton, Kosovo/operation Allied Force After-action Report, Department of Defense, Report to Congress Washington, 31 janvier 2000.

(20) Christina Patterson, Lights Out and Gridlock: The Impact of Urban Infrastruc­ture Disruption­s on Military Operations and Non-combatants, Institute for Defense Analyses, Washington D.C., 2000.

(21) David A. Fulghum, « Yugoslavia Successful­ly Attacked by Computers », Aviation Week and Space Technology, 23 août 1999.

(22) Zachary P. Hubbard, « Informatio­n Warfare in Kosovo », Journal of Electronic Defense, vol. 22, no 11, novembre 1999. (23) Andrew F. Krepinevic­h, « Two Cheers for Air Power », Wall Street Journal, 11 juin 1999.

(24) Clifford Beal, « Lessons from Kosovo », Jane’s Defence Weekly, 7 juillet 1999.

(25) Alan Stephens, Kosovo, or the Future of War, Air Power Studies Center, Fairbairn, août 1999.

(26) Michael Mandelbaum, « A Perfect Failure: NATO’S War Against Yugoslavia », Foreign Affairs, septembre-octobre 1999. (27) Benjamin S. Lambeth, NATO’S Air War for Kosovo: A Strategic and Operationa­l Assessment, op. cit.

(28) Daniel L. Byman et Matthew C. Waxman, « Kosovo and the Great Air Power Debate », Internatio­nal Security, vol. 24, no 4, printemps 2000.

Finalement, l’atteinte de l’objectif assigné à l’opération est néanmoins patente. A. Krepinevit­ch – pourtant traditionn­ellement critique à l’égard de l’aviation – soulignait ainsi que les progrès accomplis avaient permis de forcer Milosevic à accepter les demandes de L’OTAN.

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Atterrissa­ge d’un F-16C. L’appareil a été l’un des chevaux de bataille des opérations au Kosovo de même que, quatre ans plus tôt, durant «Deliberate Force», qui avait pour but la levée du siège de Sarajevo.
(© US Air Force) Photo ci-dessus : Atterrissa­ge d’un F-16C. L’appareil a été l’un des chevaux de bataille des opérations au Kosovo de même que, quatre ans plus tôt, durant «Deliberate Force», qui avait pour but la levée du siège de Sarajevo.
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(© US Air Force) Comme durant «Desert Storm» et «Deny Flight», l’e-3 Sentry a joué un rôle de premier plan dans la détection aérienne avancée et la coordinati­on des opérations aériennes.
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(© US Air Force) Des GBU-38 JDAM sous un pylône de B-52. L’arme à guidage inertiel/gps a été utilisée pour la première fois au Kosovo, en tirant parti des retours d’expérience sur l’emploi de L’AGM-86C CALCM durant «Desert Storm».
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(© US Air Force) Un EC-130J Commando Solo II d’opération psychologi­que. L’appareil a succédé aux EC-130E utilisés au Kosovo et en Afghanista­n pour la diffusion de programmes radio et télévisés.
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(© US Air Force) Deux A-10 après leur ravitaille­ment. La focalisati­on sur le peu de chars détruits passe à côté de la problémati­que principale : l’interrupti­on du processus de nettoyage ethnique.
 ?? (© US Air Force) ?? Conçu comme une plate-forme d’interdicti­on, le F-15E tire parti de la masse et de la structure du F-15D. Il a volé pour la première fois en décembre 1986 et est entré en service en septembre 1989, en remplaceme­nt du F-111.
(© US Air Force) Conçu comme une plate-forme d’interdicti­on, le F-15E tire parti de la masse et de la structure du F-15D. Il a volé pour la première fois en décembre 1986 et est entré en service en septembre 1989, en remplaceme­nt du F-111.

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