«ALLIED FORCE» : L’US AIR FORCE, PIÈCE MAÎTRESSE DE L’OTAN
Joseph HENROTIN
Wesley Clark désirait mener une campagne focalisée sur les forces terrestres serbes impliquées dans les opérations de nettoyage ethnique et qui aurait été menée de façon graduelle, jusqu’à des opérations stratégiques si la Serbie ne cédait pas.
Légitimées par l’action humanitaire – l’arrêt du nettoyage ethnique par les forces serbes –, menées sous l’action de L’OTAN, sans mandat des Nations unies, les opérations ont comporté une campagne aérienne et la possibilité d’un recours à une opération terrestre, au terme d'une situation qui ne faisait que dégénérer.
Lancée dans la nuit du 24 au 25 mars 1999, l’opération sacre la part de l’aérien dans la conduite des conflits, du moins dans le discours adopté par L’USAF. Mais elle incarne aussi un rapport particulier aux opinions publiques européennes. La préoccupation pour le «zéro mort» et le refus d’un engagement trop massif aboutissent à ne pas considérer l’opération comme une guerre en soi(1). Ainsi, malgré la volonté du général Michael Short, commandant les forces aériennes de L’OTAN dans la zone, de mener une action stratégique décisive dès le début des opérations(2), le volume des opérations est réduit à 53 attaques dès la première nuit, majoritairement sur des sites de L’IADS (Integrated Air Defense System) serbe.
UNE CAMPAGNE DE COERCITION
Le commandant des forces alliées, Wesley Clark, désirait mener une campagne focalisée sur les forces terrestres serbes impliquées dans les opérations de nettoyage ethnique et qui aurait été menée de façon graduelle, jusqu’à des opérations stratégiques si la Serbie ne cédait pas. Il pouvait ainsi déclarer : « Progressivement et systématiquement, nous allons attaquer, dégrader, dévaster, détruire les forces serbes. » Il considérait ainsi que la guerre pouvait être gagnée en trois jours, laissant la porte ouverte à la possibilité d’une attaque terrestre de L’OTAN. Clark poussera néanmoins Javier Solana, alors secrétaire général de l’alliance atlantique, à autoriser autant de missions de nuit qu’il était possible de le faire, et ce alors que la position du Conseil de l’atlantique Nord restait tiède. Véritable problème, la définition formelle des objectifs des opérations – outre la réaction aux opérations serbes de nettoyage ethnique – n’est intervenue qu’en avril et incluait :
• la fin immédiate des actions militaires et de répression serbes ;
• le retrait des forces militaires, paramilitaires et de police serbes du Kosovo;
• le déploiement au Kosovo d’une présence militaire internationale ;
• le retour inconditionnel et en toute sécurité de tous les réfugiés et de toutes les personnes déplacées et leur accès à des organisations d’aide humanitaire ;
• l’établissement d’un cadre de règlement du conflit concernant le Kosovo, sur la base des accords de Rambouillet.
La campagne aérienne comporta d’emblée des frappes utilisant des missiles de croisière Tomahawk et des AGM-86 (329 de ces deux types d’engins seront tirés au total durant la
campagne), affectés à la destruction des sites connus de la défense aérienne serbe, représentant la mise en application de la première phase des opérations aériennes. Environ 150 sorties ont ainsi été effectuées dans le courant de la première nuit des opérations, inaugurant une campagne aérienne de 78 jours pour des appareils de 14 États qui effectueront 37500 sorties(3), dont 1700 pour la seule première phase. Les appareils américains passeront ainsi de 112 à 323. Leur répartition pouvait se présenter comme indiqué dans le tableau p. 39.
En pratique cependant, les États-unis ont mené environ la moitié des sorties de combat, plus de 50 % des sorties d’interdiction et les deux tiers des sorties CAS. Au demeurant, ils disposaient de la majorité des moyens de guerre électronique, de reconnaissance et d’interdiction du champ de bataille disponibles sur le théâtre des opérations. Assez classiquement, l’opération a d’abord visé une manoeuvre d’acquisition de la supériorité aérienne sur une force aérienne numériquement écrasée par L’OTAN(4).
Utilisant des AWACS, les forces aériennes de L’OTAN abattent dès le premier jour trois MIG-29 et un MIG-21 yougoslaves (par un F-16 néerlandais et deux F-15 américains). Le 26 mars, deux autres MIG-29 connaîtront le même sort, abattus par des F-15. Les forces alliées effectueront plusieurs missions OCA (Offensive Counter Air) qui, plutôt que de se focaliser sur les pistes et taxiways – comme c’est traditionnellement le cas –, le feront sur les hangarettes abritant les appareils(5). L’alliance indiquera toutefois que 80 % des appareils serbes ont été détruits dans le courant de la guerre.
LA QUESTION DE LA DÉFENSE SERBE
Environ 3200 sorties ont été consacrées aux missions SEAD. Cependant, anticipant la menace de frappes contre ses sites de défense aérienne, la Serbie avait préventivement coupé ses radars militaires et continuait d’utiliser ses radars civils – le niveau politique otanien n’ayant pas voulu les inclure dans les plans de frappe. Les radars serbes installés au Monténégro n’ont pas été attaqués(6). En conséquence, Belgrade obtint une vision limitée de la poursuite des raids. Surtout, cela lui permit de disposer d’informations sur la direction des raids, qui seront utilisées dans le déplacement des batteries de SAM. Les missiles étaient alors lancés soit en «aveugle», soit en activant les radars d’acquisition de cible et de poursuite au dernier moment. Ces tactiques ont partiellement pris au dépourvu les forces alliées. Les États-unis avaient ainsi déployé pour cette mission 18 F-16CJ et 30 EA-6B, dotés de missiles AGM-88 HARM, tandis que le Royaume-uni, l’italie et l’allemagne utilisaient également certains de leurs Tornado à cette fin. Si au moins 743 exemplaires de L’AGM-88 ont été tirés, des déficiences ont été observées. Ainsi, alors qu’il a fallu lancer plus de 100 HARM pour détruire un seul émetteur, les Britanniques n’utiliseront que six de leurs missiles ALARM, quatre faisant coup au but dès le premier tir.
De plus, L’USAF utilisa ses EC-130H et ses RC-135, tentant de localiser les émetteurs serbes, estimés à 16 radars Low Blow (desservant les SA-3 Goa) et 25 Straight Flush (conduite de tir des SA-6 Gainful). Un des avantages du recours massif au brouillage électronique de leurs radars d’alerte avancée a été de pousser les Serbes à utiliser leurs radars de contrôle de tir, afin de pallier le manque d’informations. Mais ce faisant, ils révélaient leurs positions aux appareils de L’OTAN. Surtout, les Serbes ont été contraints de retenir l’usage de leurs défenses antiaériennes afin de les préserver. En outre, les tactiques de survie développées se sont montrées efficaces à deux reprises. D’une part, lorsqu’un F-117A fut abattu par un SA-3, son pilote étant récupéré six heures plus tard (7). Les forces serbes avaient en effet remarqué que les appareils avaient emprunté quatre nuits d’affilée les mêmes corridors d’attaque, et ont adéquatement déplacé leurs batteries. Dans le même temps, le RC-135 qui aurait pu détecter le radar de la batterie était en train de se ravitailler en vol, tandis que les EA-6B étaient tous rentrés.
La combinaison des contraintes politiques, des tactiques adoptées par les Serbes et de la problématique de la détection des batteries mobiles fut telle que les résultats des opérations SEAD seront ambivalents. Si L’OTAN annoncera ainsi avoir détruit 75% des sites de missiles SA-3 et 80% des défenses de Belgrade, elle a eu les plus grandes difficultés à contrer les batteries mobiles de SA-6 Gainful (seules 3 batteries sur les 25 connues seront détruites) et de SA-9 Gaskin, et ce même si les profils de vol à haute altitude limitaient les capacités de ces derniers engins, de même que celles des nombreux SA-7 Grail disponibles. La Serbie a ainsi lancé 800 SAM (dont 477 SA-6 et 124 SA-7)(8) contre les appareils de L’OTAN, le total des pertes de cette dernière dues aux missiles étant de deux, soit un F-117 et un F-16C(9). Deux A-10 furent par ailleurs touchés sans être abattus, de même qu’un F-117 par des éclats provenant de l’explosion d’un SA-3. Il faut par ailleurs souligner que Belgrade a pressé Moscou de lui livrer des batteries de SA-10 Grumble(10). Ils auraient été capables de menacer des appareils aussi importants que les RC-135 et les EC-130H, qui évoluaient pourtant à distance de sécurité. Au terme de pressions politiques américaines, Moscou ne livrera que quelques éléments des batteries, sans toutefois y adjoindre les indispensables radars (11).
Par ailleurs, les manquements de L’US Air Force en matière de guerre électronique
Les États-unis ont mené environ la moitié des sorties de combat, plus de 50 % des sorties d’interdiction et les deux tiers des sorties CAS.
furent également soulignés(12), un problème récurrent depuis 1990 (la moitié des pods de brouillage nécessitaient alors un calibrage ou des réparations). Le manque de gestion des répertoires de menaces pouvait être tel que les nacelles ALQ-119 et ALQ-121 n’étaient plus programmées au sein des wings, mais étaient simplement cantonnées aux laboratoires. En filigrane, certains analystes pointent du doigt la perte de contrôle des opérationnels sur la gestion d’une guerre électronique qu’ils considèrent pourtant comme une des capacités-clés. En fait, le concept même de combat électronique a été intégré à celui de guerre de l’information, faisant oublier qu’il était vital à la survie même des appareils. Ainsi, en 1998, plusieurs missions ont dû être annulées parce que, de nouvelles menaces provenant des IADS irakiens et serbes ayant été détectées, les signatures n’avaient pas pu être implémentées dans les récepteurs d’alerte radar au niveau des escadrons, ne permettant pas aux appareils de combat de détecter euxmêmes ces menaces(13).
La deuxième phase des opérations, intervenue au bout de six jours, a visé les forces serbes déployées sur le terrain et a nécessité une augmentation du nombre de sorties quotidiennes : jusqu’à plus d’une centaine de missions. Elle a massivement employé des appareils comme L’A-10A(14). Les frappes étaient coordonnées depuis un EC-130 ABNCCP volant au-dessus de l’adriatique. L’utilisation de drones, de radars de L’US Army déployés en Albanie(15), de capacités de reconnaissance classiques, d’e-8 (deux exemplaires ont été engagés dans la campagne, mais leur efficacité a été réduite par un terrain assez montagneux et couvert de forêts) et l’intégration des informations au sein des différents centres de commandement a donné de bons résultats opérationnels. Des U-2 ont ainsi été redirigés pour filmer et transmettre en direct – vers la base américaine de Beale, qui a retransmis les coordonnées dans les cockpits de F-15E en vol – la progression d’une batterie de SA-6(16). Par ailleurs, il faut également souligner que la zone était sous surveillance attentive depuis l’automne 1998 (opération « Eagle Eye »), donnant à L’OTAN un avantage informationnel.
FRAPPER VITE
Au demeurant, la détection et le traitement de cibles mobiles (TST) reste un problème majeur. La topographie particulière de la zone, mais aussi des problèmes organisationnels ont partiellement empêché la rentabilisation des moyens C4ISR et de frappe disponibles. Ainsi, ce n’est qu’en avril, un mois après le début des opérations, qu’a été mise en place une cellule TST au sein du CAOC (Combined Air Operations Center)(17). Dans la conduite des frappes visant les TST, trois approches, dites de « flex alert» ont été utilisées, toutes s’appuyant sur le recueil et la diffusion d’informations depuis les moyens à la disposition de L’OTAN :
• l’affectation expresse d’appareils maintenus en degré d’alerte élevé sur les bases ou les porte-avions ;
• la diversion d’appareils volant vers des cibles planifiées pour frapper des cibles mobiles ;
• la préplanification de missions lancées à la demande depuis des hippodromes, un profil de mission utilisé seulement à partir du 20e jour d’opérations aériennes. L’approche fut ensuite affinée : des F-16, des A-10 et des Tornado étaient utilisés comme FAC dans des kill boxes prédéterminées, permettant la recherche et l’identification des objectifs, de même que la détermination des risques de dommages collatéraux. L’autorisation d’attaquer était ensuite demandée au C-130 ABNCCP ou au CAOC, lesquels déroutaient éventuellement d’autres appareils pour épauler les premiers dans la conduite des frappes.
Par ailleurs, les opérations ont été compliquées par l’usage intensif fait par les Serbes de leurres, éventuellement chauffés de sorte
Alors qu’il a fallu lancer plus de 100 HARM pour détruire un seul émetteur, les Britanniques n’utiliseront que six de leurs missiles ALARM, quatre faisant coup au but dès le premier tir.
qu’ils puissent laisser une signature permettant de les détecter. Il en a résulté une controverse sur le résultat des missions. Dans un premier temps, les forces de L’OTAN déclarèrent qu’elles avaient détruit 450 pièces d’artillerie et mortiers, 220 transports de troupes et 120 chars. De plus, elles s’attaquèrent aux cantonnements et installations des forces terrestres, signalant qu’elles avaient détruit 35% de ceux de la 1re armée, 20% de ceux de la 2e armée et 60% de ceux de la 3e armée(18). Le rapport finalement présenté au Congrès durant l’été 1999 indiquait pour sa part que 93 chars, 153 transports de troupes et 389 mortiers et pièces d’artillerie avaient été détruits(19). L’efficacité des munitions a également été remise en question. En fait, un peu plus de 35% des armes utilisées durant la campagne étaient guidées. En particulier, L’AGM-65 Maverick s’est particulièrement bien comporté,
Les manquements de L’US Air Force en matière de guerre électronique furent également soulignés, un problème récurrent depuis 1990 (la moitié des pods de brouillage nécessitaient alors un calibrage ou des réparations).
offrant des taux de réussite supérieurs à 90%, des munitions telles que les CBU-87 et les bombes lisses Mk82 étant fréquemment utilisées dans les missions tactiques.
Mais en réalité et comme le soulignait le général Ralston – qui succédera à Clark en tant que commandant suprême de L’OTAN –, la figure du char comme élément de mesure de l’efficacité des frappes au Kosovo n’était pas pertinente, dans la mesure où il n’est pratiquement d’aucune utilité dans la conduite d’un nettoyage ethnique, à l’exception de la valeur psychologique qu’il représente. Toutefois, si certains observateurs indiqueront que les forces serbes, en se retirant du Kosovo, ne pouvaient pas être considérées comme étant démoralisées, le fait est que l’effet recherché – le retrait serbe de la province – a bel et bien été atteint. La focalisation excessive sur le décompte des chars détruits plutôt que sur la capacité des forces serbes à effectivement mener leurs opérations peut, de ce point de vue, être considérée comme le reflet d’une pensée technicienne, au sein de L’USAF, mais aussi dans les médias comme les opinions publiques. Cette dernière dimension – qui certes dépasse la stricte évolution de
la stratégie aérienne, mais l’englobe aussi – s’est révélée d’autant plus importante que les objectifs des opérations faisaient référence à une éthique dont partisans et opposants des opérations se réclamaient.
LA TROISIÈME PHASE
Au cours d’une troisième phase d’«allied Force», les missions stratégiques conduites ont concerné une large gamme d’appareils. Les B-2 ont ainsi été utilisés au combat pour la première fois, au cours de missions d’une durée de 28 à 32 heures, et ce, directement depuis leur base de Whiteman, effectuant jusqu’à cinq ravitaillements en vol au cours d’une mission. Emportant 16 bombes JDAM – dont c’était également la première utilisation au combat – qu’ils larguaient à haute altitude, les appareils étaient lancés plusieurs heures avant la conduite d’autres raids, de façon à obtenir une planification optimale des effets des frappes. Surtout, bien qu’ils n’aient effectué que 49 missions – soit 1 % des sorties –, ils ont largué 10 % du total des munitions guidées de précision utilisées durant la guerre. Ils ont été engagés contre des objectifs stratégiques (centres de commandement, batteries SAM, ministères), notamment dans Belgrade, leur radar à ouverture synthétique étant en mesure de raffiner les coordonnées données par le renseignement et de reprogrammer leurs bombes. Dans le même temps, ils disposaient d’une capacité de transfert des informations recueillies à l’ensemble des forces sur le théâtre d’opérations.
La volonté de minimiser les dommages a abouti à un total de 70 révisions des règles d’engagement en 78 jours de campagne aérienne.
L’USAF a également utilisé pour ces missions des B-1B et des B-52. L’ensemble de la campagne a été conduit de sorte que les dégâts collatéraux puissent être minimisés. Dans certains cas, des objectifs ont été éliminés des plans d’opérations parce que les effets de souffle auraient pu endommager les habitations civiles. Toujours afin de minimiser les risques, de nombreuses missions ont été abandonnées.
Dans le même temps, la volonté de minimiser les dommages a abouti à un total de 70 (!) révisions des règles d’engagement en 78 jours de campagne aérienne. Cependant, le bombardement de l’ambassade chinoise à Belgrade par trois JDAM lancées depuis un B-2, mais aussi la destruction d’un pont sur lequel passait un train, de même que l’attaque d’un groupe de réfugiés erronément pris pour un convoi militaire serbe, le 14 avril, ont suscité de vifs débats sur l’aptitude à mener des opérations de précision. En réalité, les opérations menées dans les zones urbaines ou contre des objectifs industriels auraient pu provoquer bien plus de dégâts collatéraux.
Les opérations «stratégiques» se sont déroulées en bon ordre. Les cibles avaient en effet été préalablement identifiées et leur désignation a posé nettement moins de problèmes que lors des opérations tactiques. Remarquons au passage que la distinction entre phases tactiques et stratégiques de l’opération est purement conceptuelle. En effet, dès le 6e jour de l’opération, le quartier général de la police, en plein Belgrade, était détruit. De même, la destruction de ponts (68 durant toute la durée de la guerre) dans le nord de la Serbie visait à interdire tout mouvement des forces serbes vers le sud, où elles auraient pu renforcer les forces en place au Kosovo. De ce point de vue, il est donc plus exact de parler d’une campagne d’interdiction. L’OTAN a ainsi visé les usines d’armement (elle annoncera avoir détruit 65% des capacités serbes en la matière), les centres logistiques de l’armée, mais aussi les raffineries. L’alliance confirmera ainsi avoir détruit la totalité des capacités serbes. Des dépôts de carburant et de munitions l’ont également été, de même que des usines automobiles et d’aviation. L’utilisation de bombes au graphite BLU-114 – dont les filaments créent des courtscircuits dans les installations électriques – a eu des effets difficilement mesurables sur la volonté de Slobodan Milosevic de poursuivre le combat. Il apparaît toutefois qu’elle a eu des effets militaires directs, bloquant par exemple la production d’eau potable, qui s’appuyait sur la disposition de pompes électriques(20). En outre, des effets psychologiques ont également été notés. La guerre du Kosovo a également vu pour la première fois l’utilisation à grande échelle de hackers et la mise en oeuvre d’une cyberguerre afin de réduire l’opérationnalité des réseaux informatiques serbes, qui visera également les médias gouvernementaux(21). En plus de chercher à rendre inopérants les réseaux de transmission d’informations et les infrastructures informatiques de la défense yougoslave, les opérations ont également visé les sites progouvernementaux, entreprenant par voie électronique des opérations d’influence (22).
Finalement, l’atteinte de l’objectif assigné à l’opération est néanmoins patente. A. Krepinevitch – pourtant traditionnellement
critique à l’égard de l’aviation – soulignait ainsi que les progrès accomplis avaient permis de forcer Milosevic à accepter les demandes de L’OTAN (23). Restant sur leur impression initiale, de nombreux officiers de L’USAF considéraient toujours à la fin des opérations qu’elles auraient dû être menées autrement. D’autres ont été surpris du retrait serbe du Kosovo, pensant que la dispersion de leurs forces nécessiterait des opérations plus offensives, avec des règles d’engagement moins contraignantes, mais aussi, corrélativement, un plus grand risque de dégâts collatéraux. Pour autant, L’US Air Force utilisera l’expérience kosovare afin de souligner l’étendue de ses capacités, mais aussi afin de réclamer des moyens supplémentaires pour pallier ses manquements(24).
Certains analystes indiquaient également que le couplage de la puissance aérienne avec la possibilité d’une attaque terrestre a joué un rôle dissuasif, les forces serbes ne pouvant plus adopter aussi systématiquement leurs tactiques de camouflage et de dispersion. Surtout, l’attrition induite par les opérations semble avoir eu une réelle influence sur le processus de prise de décision serbe. En fait, le résultat politique semble avoir plus compté que des facteurs strictement militaires, tels que le terrain conquis ou le nombre de chars détruits(25). De ce point de vue, Milosevic, face à la pression militaire de l’alliance, serait parti du Kosovo en ayant mis au défi L’OTAN et supporté ses frappes, sans que ses infrastructures et ses matériels militaires soient irrémédiablement détruits. À l’égard de sa population et dans le contexte d’une culture politique marquée par le nationalisme, il aurait ainsi pu escompter renforcer sa position. On sait toutefois que ce calcul se révélera mauvais, une révolution pacifique emportant le régime en octobre de la même année. L’utilité des opérations aériennes se serait donc révélée certaine, alors que, paradoxalement, elles auraient engendré des effets très différents de ceux recherchés, et leurs échecs – notamment dans la recherche de frappes tactiques – ne les ont pas affectées. En réalité, si les forces serbes ont effectivement quitté le Kosovo, plusieurs observateurs soulignaient que le nettoyage ethnique s’était poursuivi durant les frappes (26). On peut cependant se demander si cela n’aurait pas aussi été le cas sans frappes (27). Les effets engendrés par l’opération ont donc été complexes, d’autant plus que les tenants de chaque courant de l’airpower se sont réclamés de l’opération(28). Surtout, c’est le gradualisme adopté par les autorités politiques qui semble avoir engendré le plus de critiques. Le fait de mener une campagne sans bénéficier de l’effet de surprise ou encore en informant Belgrade des intentions de l’alliance aurait minimisé les effets des frappes sur la direction politique serbe.
Notes
(1) André Dumoulin, « Le zéro-mort, le moindre mort : vers une assimilation européenne? », Revue du Marché Commun et de l’union Européenne, no 469, juin 2003.
(2) Stephen P. Aubin, « Operation Allied Force: War or “Coercive Diplomacy”? », Strategic Review, été 1999.
(3) L. Tian Sing, « Air Power in the Gulf War and Kosovo Conflict », Pointer, vol. 27, no 1, janvier-mars 2001.
(4) Elle comptait alors 17 à 19 MIG-29, 64 MIG-21, 18 MIG-21R de reconnaissance, 30 J-22 Orao et 25 G-4 Super Galeb d’entraînement avancé, d’attaque légère et de lutte contreinsurrectionnelle.
(5) L’impératif était essentiellement politique et visait à ne pas complètement détruire les infrastructures serbes.
(6) Benjamin S. Lambeth, « Kosovo and the Continuing SEAD Challenge », Aerospace Power Journal, été 2002.
(7) Contre toute attente, l’épave de l’appareil ne sera toutefois pas détruite, comme l’indiquent les règlements de L’USAF, suscitant une controverse sur la possibilité que des systèmes et des revêtements de l’appareil soient transmis en Russie par les Serbes. En fait, plusieurs F-15 ont été mis en alerte, mais la localisation de l’épave a pris trop de temps, de sorte que des équipes de CNN se trouvaient déjà sur place au moment où elle aurait effectivement pu être bombardée.
(8) Benjamin S. Lambeth, NATO’S Air War for Kosovo: A Strategic and Operational Assessment, RAND Corp., Santa Monica, 2001. (9) « Electronic Warfare is Dragging », Air Force magazine,
vol. 84, no 4, avril 2001.
(10) Zoran Kusovac, « Russian S-300 SAMS ‘in Serbia’ » Jane’s Defence Weekly, 4 août 1999.
(11) Benjamin S. Lambeth, « Kosovo and the Continuing SEAD Challenge », op. cit. et Michael Ignatieff, Virtual War: Kosovo and Beyond, Henry Holt and Company Inc., New York, 2000. (12) David A. Fulghum, « NATO Unprepared for Electronic Combat », Aviation Week and Space Technology, 10 mai 1999.
(13) Benjamin S. Lambeth, NATO’S Air War for Kosovo: A Strategic and Operationnal Assessment, op. cit.
(14) Christopher E. Haave et Phil M. Haun, A-10s Over Kosovo. The Victory of Airpower Over a Fielded Army as Told by the Airmen Who Fought in Operation Allied Force, Air University Press, Maxwell AFB, décembre 2003.
(15) Des radars de contre-batterie AN/TPQ-36 et AN/TPQ-37. En permettant de tracer les trajectoires des obus serbes, ils contribuaient à la localisation de leur artillerie.
(16) R. J. Keir, « Time Sensitive Targeting, Operation Allied Force and its Implications for Australia », Australian Defence Force Journal, no 159, mars-avril 2003.
(17) Ibid.
(18) Anthony H. Cordesman, The Lessons and Non-lessons of the Air and Missile Campaign in Kosovo, CSIS, Washington, 2003.
(19) William S. Cohen et Henry H. Shelton, Kosovo/operation Allied Force After-action Report, Department of Defense, Report to Congress Washington, 31 janvier 2000.
(20) Christina Patterson, Lights Out and Gridlock: The Impact of Urban Infrastructure Disruptions on Military Operations and Non-combatants, Institute for Defense Analyses, Washington D.C., 2000.
(21) David A. Fulghum, « Yugoslavia Successfully Attacked by Computers », Aviation Week and Space Technology, 23 août 1999.
(22) Zachary P. Hubbard, « Information Warfare in Kosovo », Journal of Electronic Defense, vol. 22, no 11, novembre 1999. (23) Andrew F. Krepinevich, « Two Cheers for Air Power », Wall Street Journal, 11 juin 1999.
(24) Clifford Beal, « Lessons from Kosovo », Jane’s Defence Weekly, 7 juillet 1999.
(25) Alan Stephens, Kosovo, or the Future of War, Air Power Studies Center, Fairbairn, août 1999.
(26) Michael Mandelbaum, « A Perfect Failure: NATO’S War Against Yugoslavia », Foreign Affairs, septembre-octobre 1999. (27) Benjamin S. Lambeth, NATO’S Air War for Kosovo: A Strategic and Operational Assessment, op. cit.
(28) Daniel L. Byman et Matthew C. Waxman, « Kosovo and the Great Air Power Debate », International Security, vol. 24, no 4, printemps 2000.
Finalement, l’atteinte de l’objectif assigné à l’opération est néanmoins patente. A. Krepinevitch – pourtant traditionnellement critique à l’égard de l’aviation – soulignait ainsi que les progrès accomplis avaient permis de forcer Milosevic à accepter les demandes de L’OTAN.