« JE VEUX DES ARMÉES MODERNES »
Entretien Florence PARLY, ministre des Armées
“On a souvent craint que cette remontée en puissance exceptionnelle des crédits de la défense se heurte à un prétendu « mur budgétaire ». J’ai une bonne nouvelle pour tous, à commence „ r par nos armées : le mur budgétaire n’existe pas.
VVous êtes en poste depuis maintenant un an, à la tête d’un ministère très particulier. Comment vous êtes-vous approprié cette fonction? Quelle est votre vision de ce que devrait être un ministre des Armées ?
Florence Parly : Quelques jours seulement après avoir été nommée ministre, j’ai présidé les obsèques d’un soldat mort au Mali : Albéric Riveta. Je me souviens et je crois que je me souviendrai toujours de ce moment, de la dignité de sa famille, de la force de ses frères d’armes, du respect infini pour un homme qui a donné sa vie pour servir la France. Ce jour-là, j’ai compris plus que jamais le sens du mot engagement. Nos militaires se battent au quotidien pour la France, pour notre sécurité et notre liberté. C’est pour eux que j’ai envie d’agir, de me battre. Ils sont le sens et le guide de mon action.
Et cette action, je la définirai assez simplement : je veux des armées modernes. C’est le seul moyen de répondre au défi des nouvelles menaces, de répondre au défi d’armées de plus en plus techniques, de répondre au défi de l’attractivité de nos armées. Des armées modernes, cela signifie des armées adaptées aux menaces nouvelles, capables de combattre le terrorisme, investissant dans le renseignement et prêtes pour intervenir dans les nouveaux espaces de confrontation comme le cyberespace ou l’espace exoatmosphérique. Cela veut dire des armées innovantes, numériques, technologiques. Cela veut dire aussi des armées attractives qui sentent le pouls de la société et vivent à son rythme. Des armées ouvertes, mixtes et prêtes à répondre à la soif d’engagement de la jeunesse.
La récente Loi de Programmation Militaire (LPM) permet de confirmer la tendance haussière observée depuis 2015, mais les accroissements budgétaires les plus notables interviendront après 2023, ce qui suscite les craintes de nombre d’acteurs quant à leur concrétisation. Que leur répondez-vous ?
La LPM a été construite autour d’un objectif clair, fixé par le président de la République : la France consacrera 2 % de sa richesse nationale à la défense en 2025. C’est un objectif ambitieux, je le dis, et nous nous sommes donné les moyens d’y parvenir. Concrètement, ce sont donc 198 milliards d’euros que la France investira dans sa défense entre 2019 et 2023 et 295 milliards qui sont programmés sur l’ensemble de la période de la LPM.
On a souvent craint que cette remontée en puissance exceptionnelle des crédits de la défense se heurte à un prétendu « mur budgétaire ». J’ai une bonne nouvelle pour tous, à commencer par nos armées : le mur budgétaire n’existe pas. Je reste cependant vigilante et j’ai bien conscience que les efforts consentis par la Nation et par les Français en faveur des armées sont considérables : chaque euro doit être dépensé de façon efficace.
Le budget des armées va augmenter de 1,7 milliard d’euros chaque année jusqu’en 2022 et, à partir de 2023, de 3 milliards d’euros. Réfléchissons un instant de manière dynamique. Déjà, sur ce que nous avons réalisé : en 2018, avec la hausse de 1,8 milliard d’euros de notre budget, le budget de la mission défense a augmenté de 5,6 %.
En 2023, la première augmentation de 3 milliards d’euros correspondra à une hausse de 7,3% du budget de la mission défense. C’est une différence de 1,7 point de pourcentage environ. C’est donc une marche qui est parfaitement franchissable, réaliste eu égard à l’ambition, et beaucoup moins raide que certains veulent bien le présenter.
Par ailleurs, une actualisation de la LPM aura lieu en 2021 afin de mettre en oeuvre les bons moyens pour atteindre l’objectif de 2% de notre PIB. Cette actualisation, c’est à la fois la garantie de la bonne exécution de la LPM et la garantie que tous les moyens promis seront bel et bien investis pour nos forces.
L’innovation est devenue un terme clé dans le discours des armées, mais l’une des critiques adressées est de la considérer comme excessivement technocentrée, alors qu’elle est aussi organique et doctrinale. Quelle doit être la place de la technologie dans les armées ?
En réalité, les technologies sont déjà présentes partout dans nos armées : dans les états-majors comme sur les théâtres d’opérations. Le numérique aussi est présent partout, il structure nos conflits. Nos soldats sont capables d’innover sur le terrain pour s’adapter aux situations et nos chercheurs et nos ingénieurs se dépassent tous les jours pour offrir les meilleures technologies, les innovations les plus performantes. L’innovation n’est pas négociable.
Ou nous innovons et nous sommes à la pointe de la recherche et des technologies ou alors nous serons condamnés à être dépassés, exposés et tributaires des autres puissances. Ce n’est vraiment pas ma conception des choses.
C’est pourquoi j’ai décidé l’augmentation de plus d’un tiers des crédits consacrés à la recherche et aux technologies. J’ai lancé la DGNUM, chargée de mettre en musique la révolution numérique au sein du ministère et, avec «Défense Connect», j’ai présenté un plan d’action complet pour la digitalisation du ministère des armées. Definvest, le premier fonds d’investissement commun entre la DGA et Bpifrance, a été créé et a déjà réussi son premier investissement. J’ai lancé, enfin, l’agence pour l’innovation de défense, résolument ouverte vers l’économie civile, les start-up, les coopérations, l’europe.
Mais pour vous répondre précisément, je ne crois pas du tout que l’innovation soit seulement technologique. En réalité, l’innovation, c’est avant tout un état d’esprit. Un état d’esprit qui doit se répandre dans toute notre communauté de défense. Les phrases « on n’a jamais fait comme ça» ou «ça ne marchera jamais » doivent être bannies de nos vocabulaires. Il faut laisser les conservatismes au placard et toujours privilégier l’audace, l’expérimentation et l’action.
Coopérer a été vu, depuis ces vingt dernières années, comme un moyen de compensation à la baisse structurelle du volume des forces. Mais l’affaire est difficile sur le plan européen : pour coopérer, il faut être plusieurs… Quel serait selon vous «l’état final recherché » d’une Europe de la défense… ou d’une défense européenne ? Comment y parvenir ?
L’europe de la défense, il est vrai, a longtemps été un sujet de colloque plus qu’autre chose. Cela change enfin et l’europe de la défense devient une réalité bien concrète.
L’europe de la défense n’a jamais autant avancé. Avec le Brexit, avec des alliés plus incertains et avec des menaces toujours aussi fortes, il y a eu une réelle prise de conscience des Européens quant à la nécessité d’assurer leur propre défense. L’europe de la défense avance sur le plan des institutions. L’union Européenne (UE) a annoncé un budget de 13 milliards d’euros pour le Fonds européen de défense. Rendez-vous compte : L’UE est tombée d’accord pour un budget commun et important sur la défense. Replaçons-nous deux ans en arrière : dans cette phrase, tout aurait prêté à sourire.
Ensuite, l’europe de la défense avance aussi dans ce que j’appelle la « culture stratégique commune », c’est-à-dire la capacité de nos armées en Europe à se comprendre, à se connaître et, le cas échéant, à agir ensemble. Et c’est précisément le but de l’initiative européenne d’intervention que nous avons lancée avec huit autres nations européennes à la fin du mois de juin. C’est une initiative voulue par le président de la République et une initiative pragmatique, complémentaire des projets dans le cadre des institutions et une initiative résolument orientée vers les opérations.
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Je ne crois pas du tout que l’innovation soit seulement technologique. En réalité, l’innovation, c’est avant tout un état d’esprit. Un état d’esprit qui doit se répandre dans toute notre communauté de défense. Les phrases « on n’a jamais fait comme ça » ou « ça ne marchera jamais „ » doivent être bannies de nos vocabulaires.
Enfin, la construction d’une industrie de défense est l’un des moteurs de la construction de l’europe de la défense. Les États doivent s’unir autour de programmes industriels fédérateurs et nos industries européennes ne pas se tromper de concurrents. Et, là encore, il y a de grandes avancées : la France et l’allemagne ont annoncé leur intention de travailler en commun pour le char de combat du futur et pour le système de combat aérien du futur avec, pour chacun de ces projets, un pays leader. Et nos industries aussi accélèrent leurs coopérations. C’est un mouvement que nous sommes déterminés à accompagner.
Le retour de la France dans le commandement intégré de L’OTAN aura dix ans en avril prochain, dans un contexte où l’allié le plus puissant – les États-unis – est dirigé par l’administration Trump. Face à ses méthodes particulières, la qualité du partenariat transatlantique est-elle affectée dans le secteur « défense » ?
Nous avons un excellent partenariat avec les États-unis dans le domaine de la défense. Les Américains nous apportent un soutien très important dans la lutte contre le terrorisme au Sahel et au Levant. Ils sont intervenus avec nous pour détruire les capacités chimiques clandestines du régime d’assad en Syrie. L’OTAN reste, par ailleurs, le pilier de notre sécurité. Il peut y avoir des hauts et des bas dans la relation transatlantique, c’est déjà
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Il peut y avoir des hauts et des bas dans la relation transatlantique, c’est déjà arrivé par le passé – je vous rappelle l’épisode de la guerre d’irak en 2003 –, mais quand il s’agit de notre sécurité partagée, je crois que les États-unis comme „ la France sont toujours au rendez-vous.
arrivé par le passé – je vous rappelle l’épisode de la guerre d’irak en 2003 –, mais quand il s’agit de notre sécurité partagée, je crois que les États-unis comme la France sont toujours au rendez-vous. J’ajoute enfin que mon homologue américain, Jim Mattis, est un homme remarquable avec lequel j’ai développé une excellente relation personnelle.
Le Service National Universel (SNU) continue de faire débat, notamment quant à ses conséquences sur les forces, en ce qui concerne les ressources humaines notamment. Les forces doivent-elles participer ? À quel point ?
Beaucoup ont cru que le SNU ne se ferait jamais. Les annonces du début de l’été ont montré que le SNU aurait lieu, et qu’il aurait bien lieu. Avec Geneviève Darrieussecq, Jeanmichel Blanquer et tout le gouvernement, nous mettrons toutes nos forces pour le mener à bien. Le SNU se fera en deux temps. D’abord, un mois, à l’âge de 16 ans. Un mois de rassemblement et de brassage social. Un mois qui sera utile pour nos jeunes, par l’apprentissage des gestes qui sauvent, la détection de l’illettrisme, la formation citoyenne. Ensuite, plus tard, une phase d’engagement, plus longue et volontaire. Cette phase va s’appuyer sur les dispositifs existants, les développer. L’objectif est simple : répondre à cette soif d’engagement de notre jeunesse, lui permettre de se donner pour les autres et pour notre pays. On parle d’engagement, de jeunesse, de formation du citoyen, d’esprit d’entraide : autant dire que nos armées ont toute leur place dans ce dispositif! Mon ministère va s’investir pleinement pour aider à bâtir ce projet afin qu’il tienne toutes ces promesses. Mais l’heure est maintenant à la consultation, des jeunes, des associations, des corps intermédiaires. Le SNU sera un projet utile, attractif et, surtout, il sera le projet de la jeunesse.
Propos recueillis par Joseph Henrotin, le 11 juillet 2018