L’AVENIR DES OPÉRATIONS SPÉCIALES NAVALES
Emmanuel VIVENOT
Peu médiatisées, les opérations maritimes ont été le point de départ des forces spéciales navales, même si ces dernières sont, in fine, majoritairement engagées à terre. En parallèle, les opérations spéciales sous-marines requièrent des compétences, des matériels et un entraînement si spécifiques qu’elles sont attribuées à des groupes ultraspécialisés, intégrés au sein même des forces spéciales navales.
Concernant les armées occidentales, le contexte opérationnel de ces vingt dernières années a mis l’accent sur des engagements terrestres, parfois dans des pays n’ayant aucune frontière maritime. Ce qui a eu pour effet d’éloigner les nageurs de combat de leur coeur de métier, et suscite des interrogations sur l’avenir de ce type d’opérations et celui de leurs spécialistes. Par son volume de force, le Naval Special Warfare Command (NSWC) de L’US Navy est la structure au sein de laquelle ces phénomènes et questionnements sont les plus visibles, mais ils se retrouvent dans toutes les marines alignant des commandos.
On l’observe aussi au KSM, unité spéciale de la Bundesmarine, dont les compétences maritimes n’ont retrouvé leur place qu’avec des missions de contre-piraterie telles qu’« Atalante », au large de la Somalie, après des années de déploiement en Afghanistan. Les nageurs de combat allemands ont saboté de nombreux navires utilisés par les pirates, s’infiltrant à distance à l’aide de scooters sous-marins. Ils ont également exécuté des missions VBSS (Visit, Board, Search, and Seizure) à partir de RHIB ou d’hélicoptères. Depuis 2015, la menace des pirates dans le golfe d’aden a décliné, laissant la priorité se recentrer vers le Pacifique oriental, où la Chine a accru ses capacités spéciales navales depuis les années 1990. En 2008, le SEAL Delivery Vehicle Team 2 était dissous, ne laissant plus qu’une unité affectée aux opérations spéciales sous-marines. Outre l’accroissement général du volume de force de L’USSOCOM souhaité par l’administration Obama, et auquel le NSWC participe, ce dernier entreprend de son côté un effort de reconstitution de ses capacités maritimes, à commencer par celles de ses nageurs.
En 2008, le SEAL Delivery Vehicle Team 2 était dissous, ne laissant plus qu'une unité affectée aux opérations spéciales sous-marines.
LA MOBILITÉ SOUS-MARINE
Photo ci-dessus :
Une équipe VBSS (Visit, Board, Search, and Seizure) à la mer. Les progrès dans les équipements ont été nombreux ces dernières années. (© US Navy)
Le SEAL Delivery Vehicle Team 1 détient la totalité du parc de SEAL Delivery Vehicles (SDV), qui ont atteint les 20 ans de service actif. Le NSWC a commencé à remplacer ses SDV Mk8 Mod.1, des sous-marins humides introduits en 1995 qui embarquent quatre opérateurs ainsi que deux pilotes. Longs de 6,7 m, ils déplacent 22 t et offrent un rayon d’action de 18 nautiques pour une endurance de 8 à 12 heures. Ils peuvent être déployés à partir de sous-marins équipés
du Dry Deck Shelter (DDS), un sas amovible installable à l’arrière du château pour servir d’abri et de dock d’embarquement/débarquement en immersion. Le rôle des SDV est central puisqu’ils prennent le relais quand les eaux sont trop peu profondes pour permettre à un SNA ou un SNLE de s’approcher suffisamment près de l’objectif, généralement en zone littorale ou portuaire. Le Mk8 Mod.1 doit être remplacé par le Mk11 Shallow Water Combat Submersible (SWCS), dont la livraison s’achèvera en 2019 pour un service actif prévu jusqu’en 2032.
Reprenant les capacités générales du Mk8 Mod.1, le Mk11 offre une charge utile supérieure, grâce à un volume plus imposant (33 cm plus long et plus large que son prédécesseur). Pour l’accueillir et permettre d’effectuer les manoeuvres de lock in et lock out (respectivement départ et retour dans le tube) en sécurité, le DDS nécessitera des modifications, notamment le déplacement de certains composants (canalisations et sous-systèmes hydrauliques) afin de gagner du volume interne. La principale limitation du sous-marin humide tient à l’endurance de l’appareil et à la résistance des nageurs au froid puisqu’ils sont exposés à l’eau durant tout le trajet.
Pour résoudre le problème de l’isolation thermique durant les infiltrations sous-marines à plus longue distance, le NSW envisage l’acquisition du Dry Combat Submersible (DCS), un mini sous-marin sec reprenant le rôle précédemment attribué à l’advanced SEAL Delivery System (ASDS), mini sous-marin sec de 60 t et long de 22 m, piloté par deux SEAL et embarquant 16 opérateurs sur un rayon d’action de 125 nautiques.
Mis à l’eau en 2003, L’ASDS fut abandonné en 2009 après que l’unique exemplaire jamais construit (sur six prévus initialement) eut été détruit par un incendie. Le programme fut marqué par des difficultés techniques et des surcoûts, qui eurent également raison de son successeur, le Joint Multi Mission Submersible, annulé en 2010. Trois prototypes ont été construits pour développer le DCS. Le premier modèle mesure 7,85 m de long pour une capacité de transport de six opérateurs et deux pilotes à une vitesse maximale de 7,6 noeuds. Le second prototype, plus grand, mesure 12,9 m et peut transporter deux opérateurs supplémentaires, à une vitesse maximale de 10 noeuds. Il devrait offrir 75% des capacités de L’ASDS. Un troisième
Si les scooters sousmarins ne sont pas appelés à évoluer dans un proche avenir, la réduction de la fatigue des opérateurs lors des infiltrations à courte distance est également l'objet d'une étude portant sur le waterjets.„ remplacement des palmes par des bottes dotées d'un système de
prototype se situe entre les deux premiers, avec une longueur de 10,46 m, et peut transporter quatre opérateurs et deux pilotes à une vitesse de 9 noeuds. Là encore, les DDS devront être modifiés (notamment par une augmentation de 2,54 m de leur longueur) afin de pouvoir déployer le DCS à partir des sous-marins. Cette capacité ne sera pas disponible avant 2020.
Enfin, si les scooters sous-marins ne sont pas appelés à évoluer dans un proche avenir, la réduction de la fatigue des opérateurs lors des infiltrations à courte distance est également l’objet d’une étude portant sur le remplacement des palmes par des bottes dotées d’un système de waterjets. Pour L’USSOCOM, l’objectif est qu’un opérateur puisse arriver sur son objectif dans les meilleures conditions possibles, y compris après une longue phase de progression sous l’eau durant laquelle il ne peut ni boire ni manger. Le planning des missions pourrait s’en trouver optimisé en réduisant les phases de récupération, avec une efficacité accrue des opérateurs tant en reconnaissance que lors d’un assaut.
LA MOBILITÉ DE SURFACE
Le NSWC est en train de remplacer une large part de sa flotte de surface, le retrait du Mk V SOC ayant commencé fin 2012. En novembre 2015, les deux premiers exemplaires du Combattant Craft Medium Mk1 (CCM Mk1) ont été livrés, avec une pleine capacité opérationnelle prévue pour l’horizon 2020 avec 30 exemplaires acquis. Plus compact que le Mk V SOC, qui nécessitait un C-5 Galaxy pour être aérotransporté, le CCM Mk1 est une embarcation rapide de 19,8 m de long, et pourra entrer dans la soute d’un C-17.
Il est complété par le Combattant Craft Assault, évolution du High Speed Assault Craft (HSAC) pour remplacer une partie des RHIB, dont la flotte de 60 exemplaires sera ramenée à 40 en 2019 (et potentiellement à 20 en 2022). Un peu plus large qu’un RHIB (11 m pour une longueur de 14,85 m), le CCA offre la transportabilité, l’agilité et l’interopérabilité dont ne dispose pas le CCM Mk1. Le NSW compte aussi une troisième catégorie d’embarcations : les Combatant Craft Heavy. Les Maritime Support Vessel (MSV) sont des navires de gamme civile loués au Military Sealift Command, offrant des capacités de commandement et de ravitaillement en carburant au profit des embarcations plus petites.
D’autre part, le SEALION (SEAL Insertion, Observation and Neutralization) est une embarcation de 25,74 m de long avec une coque à hautes performances entièrement fermée, dont le dessin suggère aussi une certaine furtivité. Il élargit le spectre opérationnel du Mk V
SOC, dont il reprend les missions d’interception à grande vitesse. Enfin, les embarcations de combat de rivière continuent de donner satisfaction, mais la marine anticipe déjà un remplacement progressif des SOC-R par le Combatant Craft Riverine.
LE RÔLE DES DRONES EN EXPANSION
La DARPA travaille depuis peu sur le programme Hydra, étudiant l’idée d’une flotte de drones sous-marins (Underwater Unmanned Vehicle, ou UUV) dont le rôle serait de soulager les moyens de logistique maritime de L’US Navy, parfois surexploités par la multiplication des menaces et limitant de facto sa capacité de projection, notamment celle des forces spéciales navales.
Cette future flotte D’UUV devra permettre d’acheminer personnels, équipements et ravitaillements au plus près des côtes et entre bâtiments, tant de surface que sous-marins. Le programme est également chargé d’explorer les possibilités d’un UUV mère capable de lancer des drones aériens pour des missions D’ISR, armé ou non. Les drones logistiques du programme Hydra pourraient également servir de caches d’armes ou de réserves sous-marines prépositionnées en réseau, exploitables à la demande en fonction de l’évolution d’une situation tactique ou stratégique. Actuellement, le rôle des drones sous-marins est de réduire les risques encourus par les plongeurs et d’accroître les capacités des capteurs embarqués sur les sous-marins nucléaires. L’un des axes de recherche actuels est de permettre à ces derniers d’embarquer et de déployer directement des UUV, qui restent pour l’instant mis en oeuvre à partir de bâtiments de surface. L’une des différences majeures entre les UUV et les UAV réside dans l’impossibilité de contrôler en temps réel un UUV depuis la terre. Tout le protocole de mission doit donc être préprogrammé avant le lancement, et ne peut plus être modifié après, excepté des messages très courts (du type « remonter à la surface » ou « abandonner la mission ») transmis de manière acoustique dans un rayon n’excédant pas 2000 m. Le développement du potentiel des UUV passera donc aussi par celui des transmissions sous-marines.
UN GAME CHANGER POUR LES NAGEURS DE COMBAT
Cette future flotte D'UUV devra permettre d'acheminer personnels, équipements et ravitaillements au plus près des côtes et entre bâtiments, tant de surface que sousmarins. Le programme est également chargé d'explorer les possibilités d'un UUV mère capable de lancer des drones aériens pour des missions D'ISR, armé ou non.
Cette question concerne également les transmissions individuelles utilisées par les nageurs de combat. L’eau ne transmettant pas les ondes hertziennes, les communications radio ont toujours été cantonnées aux activités de surface, ne laissant aux nageurs en immersion que le langage visuel pour communiquer, avec les limitations posées par la clarté variable de l’eau selon la profondeur, l’heure et le point géographique où ils se trouvent. De plus, à certaines profondeurs, les nageurs respirent un mélange à l’hélium qui distord leurs voix et les rend plus aiguës, ne permettant pas de communiquer vocalement. Pour accroître l’avantage tactique des SEAL, L’USSOCOM est en train d’investir dans la recherche et le développement de nouvelles technologies de transmission sous-marine.
L’objectif de ce projet est de permettre des échanges de textes et de données entre la surface et les nageurs en immersion, ainsi qu’entre les nageurs eux-mêmes. Ce besoin devient plus important à l’heure actuelle, du fait que les nageurs de combat opèrent dans des eaux de plus en plus profondes et de plus en plus froides. Cela permettra également une utilisation plus poussée des drones sous-marins, notamment dans la reconnaissance sous-marine. Un UUV pourrait ainsi être envoyé en avant d’une équipe de SEAL et renvoyer des données vers un SDV durant son infiltration.
Le dispositif recherché aurait la taille d’un Smartphone et serait porté au poignet. Il autoriserait une perception affinée de l’espace de bataille, un suivi précis de la position et du statut d’une équipe en immersion par d’autres opérateurs situés à terre ou en surface, et des échanges entre capteurs embarqués. Les autres enjeux de cette numérisation du combattant immergé résident dans la maîtrise de la signature acoustique, électro-optique, infrarouge et radar, ainsi que dans la gestion de l’énergie embarquée par le nageur. Les batteries au lithium sont généralement interdites dans les environnements confinés tels que les sous-marins pour des raisons de sécurité (mesures anti-incendie, notamment). Augmenter l’énergie électrique embarquée par les SEAL nécessitera donc le développement de technologies alternatives.
NOUVELLES MUNITIONS SOUS-MARINES
Le combat entre nageurs en immersion est un autre domaine traditionnellement très limité, les armes de combat terrestres étant impossibles à utiliser sous l’eau et leurs munitions étant très instables et imprécises lorsqu’elles touchent la surface depuis l’extérieur. Cela laisse pour seules possibilités le corps à corps, l’utilisation de couteaux de combat et certaines armes spécifiques telles que le pistolet sous-marin Heckler & Koch P-11. Ce dernier, développé au cours des années 1970, comporte cinq canons tirant chacun une fléchette d’acier en calibre 7,62 mm. L’énergie nécessaire au tir est électrique, fournie par une batterie intégrée dans la poignée-pistolet, et l’arme offre une portée pratique de 10 à 15 m sous l’eau, grimpant à 30 m en surface. Une fois les munitions épuisées, le rechargement de l’arme n’est pas possible sur le terrain et nécessite un renvoi en atelier chez le constructeur, ce qui limite radicalement le volume de feu.
Les autres armes connues du même type sont le Mk1 Underwater Defense Gun, utilisé
Les autres enjeux de cette numérisation du combattant immergé résident dans la maîtrise de la signature acoustique, électro-optiq ue, infrarouge et radar, ainsi que dans la gestion de l'énergie embarquée par le nageur.
par l’armée américaine durant la Deuxième Guerre mondiale avant d’être remplacé par le P-11, et le SPP-1, développé à la fin des années 1960 pour la marine soviétique. Tirant des fléchettes de 4,5 mm de diamètre pour 115 mm de long, ce dernier fonctionne en double action et comporte quatre chambres et quatre canons, rechargeables en surface ou même sous l’eau. Sa portée pratique est de 17 m à 5 m de profondeur, de 11 m à 20 m de profondeur et de 6 m par 40 m de fond. Son inventeur, Vladimir Simonov, a également mis au point le fusil sous-marin APS, fonctionnant selon les mêmes principes hydrodynamiques que le SPP-1 avec des fléchettes d’acier de 5,66 mm mesurant 120 mm de long embarquées dans un chargeur de 26 coups.
Pour cette raison, ces deux armes sont très imprécises lors du tir en surface, bien que L’APS offre tout de même 50 m de portée pratique. Sous l’eau, leur puissance plus élevée que celle d’un harpon de chasse permet de perforer une tenue de plongée renforcée, un masque, de même que les équipements respiratoires, ou encore les verrières de certains véhicules sous-marins légers. L’APS et le SPP-1 ont tous deux été en dotation auprès des nageurs affectés à la protection des bases navales russes. Les nageurs de combat des unités de Spetsnaz, préférant utiliser un AK-74 pour le combat à terre et un SPP-1 pour l’autodéfense en immersion, ont attendu l’an 2000 pour recevoir un fusil sous-marin hybride adapté à leurs besoins, L’ASM-DT, combinant les avantages respectifs de L’AK-74 et de L’APS. Construit par Tula et chambré en 5,45 × 39 mm, L’ASM-DT tire deux types de munitions : la 7N6 classique en surface et une 5,45 mm MGTS pour le tir sous l’eau. L’ASM-DT est alimenté par deux chargeurs séparés, mais engagés simultanément dans l’arme, le régulateur des gaz s’ajustant automatiquement lorsque l’opérateur passe d’un couloir d’alimentation à l’autre.
Une nouvelle munition est en développement aux États-unis, par la firme DSG Technology : la CAV-X, une balle à supercavitation conçue pour être utilisée sous l’eau, mais aussi pour des échanges de tirs à changement de milieu, aussi bien depuis la surface vers une cible immergée qu’en sens inverse. La densité de l’eau étant supérieure à celle de l’air, la supercavitation forme autour de l’ogive une bulle qui supprime la friction entre l’eau et cette dernière, réduisant la résistance et accroissant sa vitesse. Elle permet aussi de pénétrer la surface lors de tirs à faible angulation, là où une munition classique tend à ricocher. Un avantage de la CAV-X réside dans sa capacité à être tirée par les armes existantes : tous les calibres peuvent ainsi être envisagés, et équiper les systèmes d’armes actuellement en service, du fusil d’assaut en 5,56 mm à la mitrailleuse de 12,7 mm. Une équipe de commandos peut ainsi s’infiltrer dans un port ou près d’un navire, et éliminer des sentinelles sous le couvert de la surface, tandis qu’un RHIB armé d’une mitrailleuse peut engager un groupe de nageurs ennemis.
Selon le calibre, le même type de combat entre un hélicoptère ou une embarcation de surface et des cibles situées sous l’eau pourrait également devenir possible. Sous l’eau, la portée d’une CAV-X est de 15 m en 5,56×45 mm, de 24 m en 7,62×51 mm et de 66 m en 12,7×99 mm : si ces chiffres sont bien moins élevés que ceux de leurs homologues terrestres, une telle dotation ouvrirait de nouvelles perspectives pour les SEAL, et potentiellement pour leurs alliés, dans tout le spectre des opérations spéciales sousmarines. D’autres calibres plus imposants peuvent être envisagés pour des applications anti-torpilles, voire contre les sous-marins.