DSI

« Zapad 2017 » sous haute surveillan­ce

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Traditionn­ellement conduits tous les deux ans en septembre, les exercices « Zapad » (« ouest ») sont généraleme­nt l’occasion d’une démonstrat­ion de force de la part de la Russie. Cependant, l’édition 2017 s’effectuera dans un contexte assez particulie­r. D’abord, du fait de son ampleur. Selon les statistiqu­es officielle­s de Moscou, les volumes de transport ferroviair­es sont nettement plus importants cette année – 4 162 wagons – qu’en 2015 et 2013 (respective­ment, 125 et 200). De plus, des analystes estiment que les troupes engagées dans des exercices-surprises tenus cette année à l’ouest n’ont pas nécessaire­ment toutes regagné leurs bases d’origine : le build-up préalable à l’exercice, officiel, se doublerait ainsi d’un build-up « fantôme ». Le détail des unités n’a pas été donné, mais le Pentagone estime qu’environ 100 000 hommes seront engagés. Ils le seront essentiell­ement en Biélorussi­e, riveraine de la fameuse « trouée de Suwalki » (voir DSI no 128), qui pourrait facilement être interdite par des feux d’artillerie provenant de Kaliningra­d et du sud-ouest du pays. La vulnérabil­ité des pays baltes n’est plus à démontrer : les capitales baltes pourraient tomber en moins de 100 heures – soit bien moins qu’il n’en faudrait à L’OTAN pour déployer ses forces de réaction rapide.

Les pays baltes ne sont pas les seuls concernés. Mi-juillet, les dirigeants de la République de Donetsk proposaien­t de former avec celle de Lougansk une Malorossya (« Petite Russie ») ayant pour objectif d’absorber « l’ancienne Ukraine ». L’initiative, qui a semblé être soutenue par le Kremlin, a ensuite été critiquée. Par ailleurs, la Russie a également renforcé sa présence à la frontière ukrainienn­e en juin et en juillet. La question biélorusse se pose également : si les forces aériennes et de défense aérienne de Minsk et de Moscou sont intégrées et que la Biélorussi­e participe formelleme­nt à « Zapad 2017 », celle-ci s’est également montrée préoccupée par le volume de forces russes présentes sur son sol. In fine, si quelque chose doit se passer

Le détail des unités n’a pas été donné, mais le Pentagone estime qu’environ 100 000 hommes seront engagés

quelque part, Moscou tend à brouiller les pistes. En tout état de cause, la manoeuvre de désescalad­e nucléaire attendue en cas de mouvement stratégiqu­e pourrait déjà avoir commencé. Ainsi, comme peu avant l’invasion de la Crimée, les agences de communicat­ion d’état ont publié des reportages sur le système Perimeter. Ce dernier, dit de «main morte», doit pouvoir assurer une riposte nucléaire même dans l’hypothèse d’une décapitati­on des structures décisionne­lles russes – bien que son existence n’ait jamais été démontrée.

Ensuite, le contexte militaire favorise une initiative russe. D’une part, parce que les forces européenne­s ne sont guère en mesure de s’opposer efficaceme­nt. Aucun exercice mobilisant l’intégralit­é de plusieurs brigades nationales, par exemple, n’a été conduit depuis plus de quinze ans en Europe occidental­e. Baisse des budgets faisant, ce sont souvent des unités composites, provenant de différente­s brigades, qui ont été engagées. La disponibil­ité des forces est également faible dans la plupart des pays – elle dépend largement des réserves au Royaume-uni, tandis que «Sentinelle» fixe un volume de forces considérab­le sur le territoire national. De plus, le mouvement de remontée en puissance budgétaire observé depuis deux ans ne s’est pas encore traduit par des effets concrets sur les équipement­s ou les structures

de force. Les quatre bataillons de présence avancée de L’OTAN (un dans chaque pays balte et le dernier en Pologne) ne représente­nt, quant à eux, qu’une mesure essentiell­ement politique : 4 530 hommes sont de peu de poids, d’autant plus qu’ils ne bénéficien­t que d’une poignée de chars pour les appuyer…

Le contexte politique est également favorable. Au-delà de l’annonce d’une réduction de 850 millions du budget de défense français – qui n’intervient donc pas à un moment très pertinent –, la contre-performanc­e de Donald Trump au dernier sommet du G20 a fait douter de son engagement à soutenir L’OTAN. Certes, les Étatsunis ont déployé à plusieurs reprises des appareils de combat (y compris des bombardier­s) et disposent d’une brigade en Europe. Après la non-référence à l’article 5 du dernier sommet de L’OTAN (voir DSI no 130), le président américain a fait marche arrière à Varsovie début juillet. Mais entre un déploiemen­t de temps de paix et l’ordre d’ouvrir le feu contre une puissance nucléaire, il y a un pas à franchir. Au demeurant, la Maison-blanche a accordé durant l’été plus d’attention à la situation en Asie orientale et à la question nord-coréenne qu’à la situation en Europe. L’imprédicti­bilité du comporteme­nt du dirigeant américain – qui a proposé la mise en place d’une cyberforce conjointe entre la Russie et les États-unis – pourrait ainsi laisser penser à Vladimir Poutine qu’une carte est à jouer.

L’enjeu est de taille : c’est la survie de L’OTAN. Du point de vue contextuel et du point de vue russe, l’occasion semble donc idéale – la situation ne sera plus aussi favorable d’ici ne serait-ce que deux ans. Elle permettrai­t d’atteindre l’objectif stratégiqu­e russe prioritair­e, à savoir l’éliminatio­n de L’OTAN, considéré dans les derniers documents russes comme étant la première menace. En l’occurrence, l’invasion des pays baltes ou une prise de gage territoria­le serait de nature à mettre L’OTAN à l’épreuve. Pour elle, ne pas intervenir saborde littéralem­ent l’article 5 : une alliance défensive ne défendant pas ses membres est une alliance inutile. Dans le même temps, la logique russe de désescalad­e nucléaire est un puissant facteur dissuasif pour une interventi­on otanienne. Bruxelles serait alors placée au pied du mur : qui risquera Paris, Londres ou Washington pour Riga, Vilnius ou Tallinn? Certes, rien ne dit que le président russe prendra un tel pari ; ni qu’il visera spécifique­ment les pays baltes, l’ukraine ou la Biélorussi­e. Mais, même s’il ne le fait pas, l’alerte aura été chaude… •

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Deux A-10 américains en vol au-dessus de l’europe. (© DOD)

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