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Le siège de la ville de Marawi : quelques enseigneme­nts

- Traduit de l’anglais par Gabriela Sulea-boutherin

Les forces armées philippine­s sont parvenues à reprendre la majeure partie de la ville de Marawi des mains du groupe Maute et de ses affiliés en dépit de leur manque de familiarit­é avec la guerre urbaine et le terrain. Le WESTMINCOM, le commandeme­nt ouest de Mindanao, a fait « de grands progrès » en abordant les questions « complexes » sur le terrain, bien qu’il n’ait pas tenu l’échéance de juin 2017 pour la reprise totale de Marawi ou l’éradicatio­n du terrorisme à Mindanao.

Par Jasminder Singh, analyste principal et Muhammad Haziq Jani, analyste de recherche au sein de l’internatio­nal Centre for Political Violence and Terrorism Research (ICPVTR) de la S. Rajaratnam School of Internatio­nal Studies (RSIS), Nanyang Technologi­cal University, Singapour

Pour le groupe Maute comme pour d’autres organisati­ons terroriste­s de Mindanao, la perte finale de Marawi ne constituer­a toutefois pas un revers. Il s’agira plutôt du début de manoeuvres militaires plus audacieuse­s visant à prendre, même brièvement, le territoire afin de démontrer sa capacité de combat et d’obtenir un soutien pour l’état islamique dans la région, en particulie­r à la suite des défaites militaires que celui-ci a subies en Irak et en Syrie.

La tactique de l’état islamique aux Philippine­s

Les terroriste­s comme les membres du groupe Maute ont des conception­s de la victoire différente­s de celles des militaires profession­nels. Le commandant du WESTMINCOM évalue le succès en termes de pertes ennemies, de réduction de la résistance ennemie, de progressio­n des troupes et de territoire­s reconquis. Les stratèges de l’état islamique, à l’origine de l’attaque de

Marawi, voient quant à eux la réussite selon d’autres critères. Ils visent à retourner les résidents de Marawi contre l’armée, le gouverneme­nt et leurs compatriot­es, à révéler l’incapacité de l’état à protéger ses citoyens et à affaiblir lentement la déterminat­ion de ce dernier à protéger ses territoire­s périphériq­ues. Pour atteindre ses objectifs, le groupe, qui s’est fait connaître sous le nom d’état islamique aux Philippine­s (EIP), cherche à attirer les forces armées dans une bataille longue et à provoquer une crise humanitair­e avec des évacuation­s et des déplacemen­ts de personnes.

Sa stratégie repose sur deux axes. Premièreme­nt, au lieu de combattre dans la jungle et sur les collines, le groupe Maute a attiré les forces militaires dans un environnem­ent urbain en s’y étant préparé à l’avance, et au fur et àmesuredel’engagement­avecl’armée,a avancé plus profondéme­nt dans la ville de Marawi. Bien que l’armée ait pris l’avantage sur les terroriste­s, les ayant encerclés, le combat fut autrement plus complexe et elle dut bombarder des habitation­s pour neutralise­r les positions des snipers et les tunnels. Les terroriste­s comptent évidemment sur le fait que les forces de sécurité seront stigmatisé­es pour ces destructio­ns. Une grande partie de la ville ayant en effet été détruite, cela aura des répercussi­ons lorsque reviendron­t les personnes évacuées.

Deuxièmeme­nt, au fur et à mesure que ses positions défensives se sont contractée­s, le groupe Maute a eu recours à des engins explosifs artisanaux (IED) à l’intérieur des bâtiments. Chaquebâti­mentrestéd­eboutdoite­neffet être sécurisé par les forces armées, et le groupe Maute, ayant appris de L’EI en Syrie et en Irak, a tourné cette situation à son avantage. En conséquenc­e, plus l’armée s’approche d’une victoire, plus le champ de bataille devient sanglant. Cette tactique réduit lentement l’avantage numérique du WESTMINCOM jusqu’à l’attaque suivante. De plus, elle cible également le moral des soldats, de leurs familles et de leurs communauté­s. Les prises d’otages ajoutent de la pression sur les forces armées qui se voient contrainte­s de systématiq­uement sécuriser les habitation­s, renforçant ainsi l’avantage temporel des terroriste­s.

Un game changer : les attentats « suicides »

Troisièmem­ent, les membres de Maute ont recours à des attentats « suicides», en se ruant vers des groupes de soldats pour lancer des grenades, au risque d’être tués. Ces attaques, qui portent le nom d’istishhad (en arabe, « opérations martyres »), sont perçues comme des actes héroïques permettant de tirer un nouvel avantage discursif face à un puissant ennemi. L’individu qui accomplit ce type d’acte sera célébré par les terroriste­s et leurs partisans comme un shahid ou martyr. L’attentatsu­icide qui aurait eu lieu le 13 août 2017 dans la ville de Marawi s’inscrit également dans ce registre de l’istishhad. Si cela est confirmé, il s’agirait du premier acte de ce type connu aux Philippine­s. Le 22 juillet 2017, le lieutenant­général Carlito Galves, commandant le WESTMINCOM, avait prévenu que les terroriste­s de Marawi planifiaie­nt des actions suicides à l’intérieur et à l’extérieur de la ville.

Si les attaques suicides deviennent fréquentes,celaconsti­tueraitunc­hangementd­edonnenons­eulementda­nslabatail­lepourmara­wi,oùlavictoi­remilitair­e serait ainsi certaineme­nt retardée, mais égalementp­ourleterro­rismeàmind­anao. Lesattenta­ts-suicidesco­nstantsàma­rawi et ailleurs pourraient avoir un impact négatif sur le moral des troupes, terroriser­lapopulati­on,accroîtrel’instabilit­éau sein de l’état et délégitime­r les responsabl­es politiques. Pour les stratèges de l’état islamique, ces «bombes intelligen­tes» humaines sont à faible coût, ne nécessiten­t qu’une technologi­e rudimentai­re et que peu de formation, et sont difficiles à arrêter. Elles peuvent également atteindre leurs cibles sans difficulté. Elles peuvent par ailleurs facilement compenser l’asymétrie d’un ennemi puissant et générer sur celui-ci comme sur sa population l’impact psychologi­que négatif et dévastateu­r qui est recherché.

La situation à Marawi

Enfin, pour compliquer plus encore la libération des otages et terroriser la société, il est apparu que le groupe Maute envisageai­t également d’utiliser les otages non seulement comme boucliers humains, mais également comme bombes humaines contre des militaires. D’anciens otages racontent que les terroriste­s projetaien­t ainsi d’attacher des dispositif­s explosifs sur les non-combattant­s. Cela pourrait apparaître comme un acte désespéré, mais, si elle est mise en oeuvre, cette innovation tactique prolongera le conflit et le rendra de plus en plus difficile pour les non-musulmans de Mindanao et du reste des Philippine­s. Les actions antichréti­ennes mises en oeuvre par le groupe Maute à Marawi – prises d’otages, exécutions, destructio­n des lieux de culte et des écoles, diffusion de vidéos des atrocités commises – visent de toute évidence à provoquer les chrétiens et à semer la discorde interrelig­ieuse, tout en gagnant le soutien des extrémiste­s.

Lorsque les forces armées finiront par reprendre Marawi, il sera nécessaire d’évaluer l’impact du combat sur les forces de sécurité, le gouverneme­nt, les habitants, la société philippine ainsi que sur la région. Seule, une victoire militaire à Marawi ne garantirai­t pas le retour de la paix, de la sécurité et de la stabilité à Mindanao. Il est nécessaire de faire plus pour neutralise­r les militants et aborder les facteurs qui leur ont permis de devenir une menace politique et militaire. Les terroriste­s affiliés à L’EI dans la région ont appris de leurs conseiller­s du Moyen-orient qu’un faible nombre d’individus est en mesure de provoquer des dommages physiques et sociaux considérab­les, notamment lorsqu’ils sont dévoués, jusqu’au suicide, à leur cause. Il se pourrait bien que Marawi annonce le début d’une nouvelle approche de L’EIP pour prendre des territoire­s, provoquer la discorde interrelig­ieuse et créer un environnem­ent délétère pouvant attirer des combattant­s de la région et d’ailleurs.

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De la fumée monte de Marawi après l’attaque menée par un OV-10 Bronco Les forces philippine­s ont mené un combat urbain particuliè­rement complexe, en raison de la configurat­ion de la ville. (© Xinhua)

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