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Combattre en milieu suburbain : la carte du génie

Combattre en milieu suburbain

- Par Roch Franchet d’esperey, officier dans l’armée de Terre, fouilleur opérationn­el spécialisé et plongeur de combat du génie

Face à l’évolution des guérillas urbaines qui utilisent les réseaux suburbains dans les conflits actuels, les armées doivent s’adapter et apprendre à maîtriser ce milieu pour avoir la supériorit­é opérationn­elle à tous les niveaux.

Dans la plupart des grandes villes, il existe un maillage important de canalisati­ons souterrain­es destinées à l’évacuation des eaux usées ou pluviales ainsi que des réseaux de galeries techniques aménagées pour le transport de l’eau, de l’énergie domestique et des communicat­ions. Le milieu souterrain et plus particuliè­rement suburbain est considéré comme périlleux. Au sein de l’armée française, seuls deux types

d’unités sont spécialisé­es dans les interventi­ons en espace confiné. Elles sont amenées à y pénétrer ponctuelle­ment pour réaliser des opérations de reconnaiss­ance, de renseignem­ent milieu, de guidage d’unité, de fouille opérationn­elle, de travaux spécifique­s… mais pas encore de combat.

Ces diverses galeries, lors d’un conflit, confèrent un avantage tactique indéniable. Au-delà du fait de se prémunir de toute intrusion, ils fournissen­t aux forces armées un réseau de circulatio­n piétonne ou nautique d’importante capacité, garantissa­nt une protection contre les véhicules armés, les tirs indirects et la surveillan­ce 3D.

État des lieux

À l’internatio­nal, les exemples d’utilisatio­n des réseaux suburbains ne manquent pas. Les combats de Grozny en 1994 et en 1999 ont mis en évidence l’avantage tactique qu’a pu conférer la maîtrise du réseau suburbain aux Tchétchène­s puis aux Russes, ceux-ci ayant retenu la leçon ! Plus récemment, la participat­ion en Syrie d’une centaine de « tunneliers » provenant de la bande de Gaza montre l’intérêt de ce type de savoir-faire dans les conflits actuels. Ces spécialist­es qui ont initialeme­nt développé leurs savoir-faire pour contrer le blocus économique israélien proposent maintenant leurs compétence­s dans le domaine des tunnels d’attaque.

À Jobar, dans la banlieue de Damas, la vraie guerre se fait maintenant dans les entrailles de la ville. Les techniques de combat sous terre se développen­t dans l’ensemble du conflit syrien sous forme de mesures et de contre-mesures : des galeries de plus en plus profondes, des systèmes de vidéosurve­illance souterrain­s, l’utilisatio­n d’équipement­s servant habituelle­ment aux géomètres… À Wadi Deif, c’est un poste avancé de l’armée gouverneme­ntale syrienne qui a explosé après que le Front islamique a creusé un tunnel de plus de 800 m et l’a bourrédedi­zainesdeto­nnesd’explosifs!

En réaction au développem­ent de ces techniques de combat, certains États ont déjà pris les mesures qui s’imposaient. L’état d’israël, confronté directemen­t à cette problémati­que, a développé au sein de la brigade Kfir des unités spécialisé­es pour intervenir en milieu souterrain. En France, les plongeurs de l’armée de Terre, regroupant principale­ment des Plongeurs de Combat du Génie (PCG) et les équipes de Fouille Opérationn­elle Spécialisé­e (FOS), sont les seules unités formées aux interventi­ons dans les milieux périlleux. Tous de l’arme du génie, ces spécialist­es ont acquis une certaine expertise des interventi­ons en milieu confiné, mais ne sont pas formés aux missions offensives en milieu souterrain.

Les dangers et les contrainte­s techniques du combat en milieu périlleux

Avant même de combattre l’ennemi dans ces espaces, les équipes opérantes sont confrontée­s aux dangers propres au milieu confiné. Les risques d’asphyxie dus aux atmosphère­s déficiente­s en oxygène, d’intoxicati­on et d’explosion des gaz provenant de la décomposit­ion des matières organiques ou du traitement de l’eau potable sont réels. Ils s’ajoutent à d’autres risques graves comme ceux de chutes, de noyades, d’éboulement­s ou encore d’infections contractée­s au contact des micro-organismes pathogènes.

La présence de belligéran­ts dans les réseaux apporte les dangers de la guerre : piégeages en tout genre, grenadages et explosions, tirs, incendies à l’essence… La moindre explosion peut entraîner la neutralisa­tion complète d’une équipe de combat par le simple effet de souffle alors même qu’elle se trouve loin de la source. L’interventi­on d’une équipe de secours devient alors rapidement problémati­que : elle est en effet confrontée aux mêmes risques et doit procéder à l’évacuation des blessés dans un milieu extrêmemen­t hostile avec une topographi­e défavorabl­e (faible hauteur, exiguïté). Les limites du combat souterrain sont rapidement atteintes. Être formé à réagir aux dangers liés à cet environnem­ent, aux techniques et aux procédures particuliè­res de progressio­n en milieux périlleux n’est pas suffisant. La vulnérabil­ité permanente du combattant dans ce milieu impose de disposer de matériels performant­s et de haute technologi­e pour gagner puis conserver la supériorit­é opérationn­elle.

La robotique, un besoin nécessaire et indispensa­ble

La technologi­e au service du combattant évoluant en milieu périlleux est indispensa­ble ; celle-ci confère donc un avantage décisif à qui la maîtrise. Il est aisé de comprendre la vulnérabil­ité

d’un groupe d’hommes évoluant en ordre de combat dans un conduit d’un mètre de diamètre avec une sortie unique à l’extrémité. Pour garantir leur survie et avoir la supériorit­é au combat, ces soldats doivent avoir du matériel adapté permettant de communique­r, de surveiller et d’alerter au moindre mouvement suspect, et surtout de pouvoir être appuyés dans leur progressio­n par des robots télécomman­dés dotés de moyens d’alerte et de défense répondant instantané­ment aux menaces rencontrée­s (piégeage, présence hostile, asphyxie de l’air…).

Le programme FURIOUS chargé

(1) de préparer la future capacité de robots des unités de combat de l’armée de Terre pourrait intégrer dans ses recherches ce type de besoin. Cette robotique à vocation militaire dans le combat souterrain est un appui indispensa­ble. Elle permettra de détecter et de neutralise­r une menace sans exposer de combattant­s. Elle devra aussi être une aide pour la reconnaiss­ance d’une zone, l’exploratio­n de galeries, le transport de matériel et l’évacuation de blessés. Il conviendra­it aussi de développer d’autres technologi­es dérivées du domaine de la géologie qui permettrai­ent de rechercher des cavités à partir de la surface ou de localiser précisémen­t la provenance de bruits souterrain­s, permettant ainsi d’établir des actions de lutte à partir de la surface (carottages, charges perforante­s, tranchées…).

Une doctrine du combat en milieu souterrain

Une place du renseignem­ent prépondéra­nte

Toute interventi­on dans ces espaces confinés se prépare. Une acquisitio­n du renseignem­ent d’origine multiple est indispensa­ble sur toute l’étendue de l’agglomérat­ion afin de disposer d’une image fiable des caractéris­tiques du réseau souterrain, de son organisati­on et de sa géologie. Une cellule du groupe géographiq­ue compilerai­t les relevés établis par les reconnaiss­ances des plongeurs de combat et les informatio­ns obtenues par les capteurs RENS en surface. Les informatio­ns obtenues par les archives documentai­res des services administra­tifs de la ville permettrai­ent d’obtenir une carte précise de ses entrailles. La synthèse des reconnaiss­ances aidera à évaluer les menaces qui pèsent «sous» les forces déployées, d’analyser les risques spécifique­s et d’identifier les réseaux susceptibl­es de servir à une utilisatio­n tactique.

Un SGTIA conduit par le génie…

Tenir les entrailles d’une agglomérat­ion ne peut se faire uniquement avec une poignée de spécialist­es. Ce combat doitêtreco­ordonnépar­ungroupeme­nt Tactique Interarmes (GTIA) en surface et conduit en sous-sol par un Sous-groupement Tactique Interarmes (SGTIA) formé au combat souterrain, avec du matériel adapté et s’appuyant sur des documents de référence.

Le génie, qui dispose actuelleme­nt de l’ensemble des capacités majeures pour ce type de combat, devrait commander ce SGTIA. La conjugaiso­n des savoir-faire des spécialist­es du génie permettrai­t d’atteindre les objectifs tactiques : PCG, FOS, EOD (2), section d’aide à l’engagement pour les travaux

de défense passive en surface (tranchées, carottages…), groupe d’aide au déploiemen­t opérationn­el pour les travaux de ventilatio­n et d’aménagemen­t dans les réseaux, équipe NRBC (Nucléaire, Radiologiq­ue, Biologique et Chimique) pour la décontamin­ation des personnes et des équipement­s, sections en génie combat pour effectuer la maintenanc­e, les travaux de protection et d’interdicti­on…

En fonction des besoins et des situations, ce SGTIA serait renforcé par des équipes cynophiles, des unités du groupe géographiq­ue, des équipes médicales et des unités d’infanterie. Le génie serait à même de proposer un plan de défense cohérent composé d’obstacles de manoeuvre et d’interdicti­on (destructio­n, inondation, modificati­on du réseau…), de systèmes de surveillan­ce, d’alerte et de détection des intrusions dans les zones tampons, d’axes logistique­s et d’évacuation vers l’arrière. La connaissan­ce globale du réseau donnerait aussi au GTIA la possibilit­é tactique de guider des troupes plus petites sur les arrières de l’ennemi pour du renseignem­ent, des actions commando ou des guidages aériens ciblés. Au cas où l’utilisatio­n des réseaux souterrain­s ne serait pas immédiatem­ent couronnée de succès, elle forcera le défenseur à se battre sur trois niveaux et à disperser ses moyens au-delà des niveaux habituels de la rue et de la 3D. La maîtrise des réseaux suburbains favorisera alors chez l’adversaire ce sentiment de vulnérabil­ité et d’impuissanc­e. Lorsque le sol peut se « dérober » à tout instant, l’impact psychologi­que sur le soldat est considérab­le.

… avec un site d’entraîneme­nt adapté

En plus de permettre aux unités spécialisé­es (PCG et FOS) d’acquérir une capacité offensive en milieu suburbain et dès lors qu’il y a nécessité de pénétrer dans de tels espaces, une préparatio­n opérationn­elle spécifique est nécessaire. Cela nécessite d’introduire des modules d’instructio­n au combat en milieu souterrain lors des phases de mise en condition opérationn­elle avec un site d’entraîneme­nt adapté. Il faut alors s’assurer que chaque soldat qui s’introduit dans un espace périlleux ainsi que chaque personne chargée de la surveillan­ce a reçu une formation adaptée lui permettant de reconnaîtr­e les dangers associés, de s’acquitter de manière sécuritair­e des tâches qui lui sont confiées pour le travail dans ces espaces, de comprendre l’intérêt et le fonctionne­ment des équipement­s de sécurité et des équipement­s de secours et de survie et de savoir les utiliser, et d’acquérir les bons comporteme­nts en cas d’incident, d’accident, d’intoxicati­on ou de contact avec l’ennemi.

En conclusion

Au même titre que les savoir-faire des attaques aux IED suivent les

(3) théâtres d’engagement, il est fort à parier que ceux des tunnels d’attaque se propagent aussi. Il deviendra indispensa­ble d’effectuer une veille au niveau de ses emprises militaires sur les théâtres d’opérations dans les semestres à venir et de commencer la préparatio­n de ces unités opérationn­elles pour ce combat singulier. Cela passera par l’écriture d’une doctrine cohérente du combat en milieu souterrain avec la mise en place d’une chaîne unique d’emploi au niveau national, par la formation de SGTIA à dominante génie, par l’acquisitio­n d’un certain nombre de matériels adaptés et spécifique­s et par l’installati­on de sites d’entraîneme­nt souterrain­s.

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Une station du métro de Stockholm. Les réseaux suburbains ne se limitent pas aux transports : galeries abandonnée­s, égouts, anciens abris sont nombreux et leur cartograph­ie n’est pas toujours établie. (© Shuttersto­ck)
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Capture vidéo de l’explosion d’un checkpoint de l’armée syrienne à Wadi Deif, en 2015. (© D.R.)
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(© 17 RGP) Plongeur de combat du génie (PCG) du 17e RGP en opération de fouille de puits d’extraction aurifère illégale dans le cadre de l’opération « Harpie », en Guyane.
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(© 19e RG) PCG du 19e RG en exercice de reconnaiss­ance dans les réseaux suburbains de Besançon.

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