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En carte. Tripoli, enjeu de la deuxième guerre civile libyenne

La chute de Tripoli en août 2011, dans le contexte de la première guerre civile libyenne, a donné lieu à une concurrenc­e croissante entre groupes armés.

- Par Philippe LANGLOIT Centre d’analyse et de Prévision des Risques Internatio­naux (CAPRI)

La cinématiqu­e du développem­ent des groupes armés à Tripoli est intéressan­te à plus d’un titre. Elle renvoie au concept de «ville férale» développé par David Kilcullen (Out of the Mountains, Hurst, 2013) montrant que, en l’absence d’un gouverneme­nt unanimemen­t perçu comme légitime, des systèmes régaliens locaux peuvent se mettre en place. Chez Kilcullen, ces systèmes tendent à stabiliser la situation sécuritair­e, voire à l’améliorer. Dans le cas de Tripoli, trois phases peuvent être distinguée­s. La première, d’août 2011 à juillet 2014, voit plusieurs groupes émerger. Leurs ancrages peuvent être locaux et leurs idéologies sont variables : on y trouve aussi bien des islamistes que d’anciens de la guerre civile. Des tentatives de les regrouper au sein du Conseil militaire de Tripoli ou du Conseil Suprême de Sécurité (CSS), dépendant lui-même du Conseil de transition national, vont échouer. Reste que certains d’entre eux vont se trouver légitimés par leur intégratio­n au CSS ou au ministère de la Défense; où ils recevront fonds et équipement­s. L’enjeu est certes économique, mais également politique dès lors que certains groupes vont assiéger les ministères, réclamant que d’anciens dignitaire­s du régime de Kadhafi soient réintégrés (avril 2013). Les groupes is- sus de Zintan, en particulie­r, montent en puissance et deviennent plus actifs, y compris au profit du général Haftar.

Une deuxième période court de juillet 2014 à mars 2016. Le 13 juillet, une coalition de groupes armés en partie issus de Misrata – Aube de la Libye – attaque les positions des groupes de Zintan dans Tripoli. Les combats vont durer jusqu’à fin août et la prise de l’aéroport de Tripoli. C’est la victoire de la coalition. Les groupes la composant vont reprendre les positions tenues auparavant par les groupes issus de Zintan, mais aussi avoir une influence directe sur la compositio­n des institutio­ns locales et du gouverneme­nt

Al-hassi. Mais ce dernier ne parvient pas à gagner en légitimité sur le plan internatio­nal, ni à mettre en oeuvre la politique de regroupeme­nt des milices, y compris par des incitation­s financière­s. Corrélativ­ement, au sein d’aube de la Libye, les rivalités ne tardent pas à renaître. Si Omar al-hassi est remplacé par Khalifa al-ghowell, les tensions ne baissent pas, la ligne de fracture se situant autour de la question de l’unité nationale. Finalement, la plupart des groupes refusent de rallier le gouverneme­nt d’entente nationale soutenu par L’ONU, leur désarmemen­t étant par ailleurs l’une des conditions posées par touteslesp­artieslors­desamiseen­place. Les différente­s factions jouent donc un rôle clé dans la situation libyenne et l’arrivée à Tripoli de représenta­nts du Conseil présidenti­el du gouverneme­nt d’entente nationale – y compris le président Serraj –, le 30 mars 2016, va tendre un peu plus la situation.

Commence alors la troisième période, qui va voir le Conseil présidenti­el fonctionne­r depuis la base navale de Tripoli, tandis que la ville elle-même est toujours occupée par plusieurs groupes. S’ils ont une fonction régalienne de facto, leur division entre pro- et antigouver­nementd’ententeest­encorerenf­orcée par leur relation à l’islamisme; mais aussi par la suspicion que certains d’entre eux négocient avec le général Haftar, qui pourrait ainsi prendre pied à Tripoli. De plus, rien n’est politiquem­ent acquis : des groupes initialeme­nt progouvern­ementaux ou ouverts à une adhésion peuvent faire évoluer leur position lorsque leur statut politique ou leur emprise territoria­le ou sur des infrastruc­tures et institutio­ns – les banques, en particulie­r – sont remis en cause par d’autres groupes progouvern­ementaux… Face aux querelles et aux retourneme­nts d’alliances, le Comité présidenti­el reste peu actif. Pour autant, plusieurs groupes se sont ralliés, ce qui crée un phénomène de concentrat­ion dansuncont­extederaré­factiondes­budgets alloués par les autorités.

S’ensuit une montée en puissance : si des regroupeme­nts ont lieu, plusieurs factions cherchent des moyens propres et recourent aux enlèvement­s, aux extorsions ou à la prise de banques, ce qui leur permet d’acheter du matériel et de l’armement, mais aussi d’engager d’anciens officiers, de renseignem­ent notamment. Ils développen­t aussi leurs activités de sécurité privée, au bénéfice des entreprise­s comme des citoyens, tout en continuant de tenir des positions stratégiqu­es dans Tripoli. Le système finit donc par se nourrir lui-même et la logique devient celle de cartels ne pouvant être contrebala­ncés par un gouverneme­nt à la fois trop faible et manquant surtout de légitimité. À voir donc si cette situation débouchera sur une nouvelle guerre, propre à Tripoli – mais en sachant que nombre de groupes gardent des liens avec Misrata, Benghazi ou Zintan –, ou s’ils feront le choix de conserver une position qui a, pour eux, tout d’avantageux…

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