Le New Space : une nouvelle course à l’espace
La sélection naturelle appliquée au domaine de l’industrie des lanceurs spatiaux pourrait nous conduire à voir le New Space comme une phase d’évolution alors que l’ancien et le nouveau modèles coexistent encore. Mais pour combien de temps ? Le New Space marque-t-il la disparition d’un modèle fondé sur l’action étatique ou simplement l’apparition d’un nouveau modèle en coexistence ? La question est fondamentale en ce qu’elle influe directement sur la souveraineté, l’autonomie et l’indépendance de notre démocratie.
L’espace est devenu banal. N’importe quel quidam doté d’un téléphone emploie les principales applications spatiales – images de satellite, navigation par satellite GPS, télécommunications par satellite – de façon tellement transparente qu’il n’en a pas conscience. Plus personne ne s’émerveille du lancement des satellites ou de l’envoi d’humains en orbite, qui restent des prouesses humaines et des débauches d’énergie peu concevables. Pourtant, un homme, Elon Musk, a réussi à s’extirper du banal et à susciter l’engouement du grand public autour d’un tir de fusée, en lançant… une voiture !
Au-delà de l’opération de communication remarquablement orchestrée, cet « événement » est emblématique d’une révolution en marche : le New Space. D’après l’encyclopédie participative favorite de l’internet, il s’agit d’un mouvement qui recouvre l’ensemble des initiatives soutenant l’émergence d’une nouvelle industrie d’accès à l’espace et d’exploration spatiale ou y participant (1). Ce mouvement se distingue par son orientation commerciale et sa relative autonomie par rapport aux acteurs gouvernementaux ou industriels historiques. Son ambition : un espace accessible, une exploration spatiale relancée grâce à des lanceurs bon marché, faciles et rapides à produire. Presque un rêve pour tous les passionnés d’espace. Toutefois, en y regardant de plus près, l’essentiel du New Space se trouve aux États-unis, mené par quelques milliardaires charismatiques soutenus
(2) par les GAFA et l’état américain
(3) qui poursuivent des objectifs propres sans lien avec ceux des États. Alors, si la révolution a lieu, quelle sera la place des capacités de lancement de l’europe, sur lesquelles repose sa puissance spatiale, et a fortiori celle de la France, très soucieuse d’autonomie stratégique ?
La mutation des activités spatiales
La capacité de lancement est la dernière des technologies spatiales à tomber dans le domaine privé. Socle incontournable des autres activités spatiales, auquel sont aussi adossés les missiles balistiques, elle est stratégique à plus d’un titre. Fruit d’investissements lourds, consentis sur de longues durées par les nations accédant ainsi au rang de puissances spatiales, elle restait sous tutelle étatique, exercée notamment par les agences spatiales. Avec le New Space, de nouvelles sociétés privées américaines s’affranchissent des acteurs traditionnels du spatial. L’objectif n’est plus de garantir un accès stratégique pérenne à l’état, mais de conquérir des marchés, voire d’en développer de nouveaux, et donc d’être ambitieux, concurrentiel et innovant. Les investisseurs s’attendent à ce que la réduction des prix de lancement du New Space, associée au développement de satellites opérationnels de plus en plus petits (4), crée une dynamique, un cercle vertueux. Il viabiliserait de nouveaux concepts d’exploitation de l’espace, sources de besoins accrus de lancements qui stimuleront à leur tour le marché de l’accès à l’espace : satellites « jetables », lancements réactifs (5), exploitation d’orbites très basses, lancement de mégaconstellations, etc.
Il ne faut pas pour autant céder à la caricature. Quelle que soit la puissance spatiale, les capacités de lancement ne reposent plus, depuis longtemps, sur les seuls moyens publics, mais également sur des industries spatiales de statut privé, comme les joint-ventures United Launch Alliance (ULA) aux États-unis ou Arianegroup en Europe. Et, à l’inverse, les nouveaux industriels du New Space ne sont pas complètement autonomes. Aux États-unis, ils sont activement soutenus par l’état qui, par exemple, contractualise avec Spacex des lancements surfacturés par rapport aux tarifs commerciaux tout en lui permettant d’accéder à de coûteuses infrastructures de lancement. Ces acteurs du New Space restent également soumis au droit américain, qui s’adapte toutefois régulièrement aux opportunités commerciales des activités spatiales (6).
Conséquences sur le modèle américain
Les tarifs pratiqués par Spacex bousculent le monde des lanceurs : 60 millions de dollars pour un lancement – commercial – de Falcon 9, contre 150 pour une Ariane 5, voire 400 en moyenne pour ceux D’ULA. Dans le domaine très réservé du lancement des satellites de sécurité nationale des États-unis, Spacex a cassé le monopole
D’ULA en devenant, en 2015, le second opérateur de lancement certifié par L’USAF. De son côté ULA tente de redevenir concurrentiel, se tournant vers les moteurs de Blue Origin pour maîtriser sa production, et se restructurant pour réduire ses coûts. Et depuis, Blue Origin a affiché ses ambitions sur ce marché protégé.
En fin de compte, sans abandonner tout contrôle sur la capacité stratégique de lancement de satellites, les États-unis tirent avantage du New Space. Le bénéfice le plus évident est budgétaire, compte tenu du grand nombre de satellites qu’ils lancent et de l’ouverture des lancements de satellites de sécurité nationaux à une concurrence choisie. Au niveau stratégique, l’autonomie nationale est rétablie vis-à-vis des moteurs RD180 russes utilisés par ULA. Du point de vue politique, la démonstration de la supériorité technologique américaine renforce l’influence extérieure des États-unis tout en restaurant, à l’intérieur, une fierté nationale sur un sujet culturellement sensible. Enfin, si le New Space tient ses promesses concernant la disponibilité et les coûts, il donnera un tout autre relief à L’ORS – production et lancement
(7) de moyens spatiaux de défense, compatibilité des besoins et délais militaires en opérations – jusqu’à l’échelle tactique.
En Europe
L’europe se retrouve dans une situation complètement différente. Après l’engouement des années 2000, nombre de projets plus ou moins ambitieux semblent tomber dans l’oubli : Skylon de REL au Royaumeuni,
(8) IAR-111 Excelsior et sa fusée Haas 2 en Roumanie, North Star du centre spatial Andoya en Norvège, le Spaceplane d’airbus, le Sparrow du même industriel né en 2016 et mort en 2017, MLA et VEHRA chez
(9) (10) Dassault Aviation, etc. Contrairement aux États-unis, à la Russie et à la Chine, l’europe ne protège pas le marché du lancement de ses satellites de sécurité et de défense. Sans ce type de débouchés minimum garantis, il semble logique que les projets New Space européens de lanceurs lourds ne captent pas les investissements privés qui leur permettraient de survivre. Peu subsistent de fait en Europe : Zero 2 Infinity en Espagne avec le Bloostar, et ARCA en Roumanie avec les fusées Haas 2CA et 2B en sont des représentants. Invariablement, ces sociétés ne visent plus que le lancement de petits satellites en orbite basse, laissant le champ libre à Spacex et Blue Origin.
Bien entendu, les acteurs historiques du spatial européen ont réagi au New Space. Ariane 6, réponse à la Falcon 9 de Spacex, vise un coût aussi maîtrisé que possible, entre 90 et 100 millions de dollars le lancement. Si sa fiabilité est à la hauteur des attentes, c’està-dire comparable à celle d’ariane 5, son positionnement peut s’avérer encore compétitif pour les satellites les
plus onéreux. L’ESA (European Space Agency) comme le CNES (Centre National des Études Spatiales) poursuivent, avec d’autres agences de recherche ou des industriels, leurs projets de recherche sur des technologies innovantes pour les lanceurs : FLPP (11), PROMETHEUS (12), CALLISTO (13), ALTAIR (14), etc. Plusieurs explorent des pistes dans la veine du New Space, comme la réduction des coûts ou la réemployabilité.
Les enjeux et problématiques des lanceurs européens face à la rupture du New Space sont clairement identifiés : le rapport français « Open Space – L’ouverture comme réponse aux défis de la filière spatiale » de juillet 2016
(15) les décrit de façon complète. Ce rapport n’a toutefois pas anticipé la brutalité du changement, estimant par exemple qu’arianespace resterait « bien placé à court terme pour conserver sa place de leader ». Or, dès l’année suivante, la Falcon 9 de Spacex détrônait sur le marché commercial une Ariane 5 qui, par sa fiabilité sans égale, dominait pourtant les lanceurs lourds depuis plusieurs années. Ariane 6, elle, arrivera en 2020 déjà plus chère qu’une Falcon 9 en 2018, avec au moins quelques mois pour asseoir sa fiabilité. La Falcon 9, avec les effets de série et un réemploi d’étages pleinement opérationnel, ambitionne à terme un prix divisé par 10 ! Blue Origin va arriver sur le marché, et ULA a annoncé vouloir se lancer sur le marché commercial pour survivre. L’europe peut-elle réellement espérer dans ces conditions que le financement de son lanceur s’appuiera encore significativement sur sa commercialisation ?
De même, quelle est la rentabilité d’investissements publics dans des technologies qui n’ont de sens que dans le modèle économique du New Space ? Le réemploi de tout ou partie d’un lanceur, par exemple, n’est rentable qu’avec de grandes séries, ce qui ne correspond pas à ce qu’ambitionne Arianespace avec un peu plus de 10 lancements de satellite lourds par an. Les agences spatiales doivent garantir l’accès à l’espace : elles ne sont pas conçues pour la vitesse et la prise de risque d’un environnement concurrentiel. L’ESA a, par construction, des coûts de fonctionnement très élevés, tout à fait contraires à l’idée même du New Space (16). L’argument porte jusqu’aux industriels historiques : Arianegroup, comme ULA, détient la technologie et le savoir-faire indispensables pour accéder à l’espace, mais c’est une joint-venture dont on peut douter qu’elle ait la cohérence, l’unité d’objectif et la réactivité d’un acteur du New Space.
L’adaptation du modèle : une vieille histoire
La question suscitée par l’évolution du secteur des lanceurs spatiaux n’est pas nouvelle. Des problématiques du même ordre se sont posées de tout temps dans d’autres secteurs, faisant pencher la balancedesappareilsproductifsdusecteur public vers ceux du secteur privé selon les contextes technique, économique et politique. Trois principes semblent avoir été centraux dans ces choix. Le premier est celui de la souveraineté, c’està-dire la capacité pour un État de régler ses propres affaires sans devoir rendre de comptes ou solliciter l’autorisation d’un tiers. Cela implique la nécessité de contrôler son espace géographique, ses ressources, ses moyens et d’en user pour atteindre ses propres objectifs, définis en toute indépendance (17). Cela induit deux autres principes : l’autonomie d’évaluation et l’indépendance des moyens. L’autonomie d’évaluation suppose la connaissance de la situation et du contexte, issue de sa propre analyse, à partir d’éléments vérifiables dont les sources sont connues, critiquées et recoupées, ce que l’on nomme généralement le renseignement. Sans cela, aucune décision fondée ne peut être prise. L’indépendance des moyens fonde la capacité d’agir. Elle nécessite la liberté d’emploi pleine et entière de l’ensemble des outils, dont les armements, capables d’obtenir les effets et d’atteindre les objectifs visés.
Ces moyens, lorsqu’il s’agit des affaires militaires, sont très souvent obtenus par l’emploi des technologies les plus en pointe. Le concept de haute technologie est une chose relative dans le temps, qui a toujours été une question de comparaison, autant des savoirfaire que des ressources, humaines, matérielles et financières, entre deux groupes en concurrence.
Le modèle de la manufacture
Le domaine des armes blanches et des techniques de la métallurgie
démontre, par exemple, que la question est considérée comme fondamentale dès avant la révolution industrielle et la production de masse. Au VIIIE/IXE siècle, l’empire carolingien détient la supériorité dans le secteur de la métallurgie, donc un avantage militaire, qui conduit à l’édiction d’interdictions d’exportation des cottes de mailles, puis des épées, dès 779. Cela démontre la sensibilité du sujet pour Charlemagne, mais aussi l’importance de ce secteur d’un point de vue économique. Disposant ici d’une supériorité marquée, l’état décide de la conserver en en limitant la diffusion (18). C’est le même raisonnement qui a conduit à l’interdiction, toujours appliquée par les États-unis, d’exporter le F-22 Raptor (19).
En 1730, le contexte a diamétralement changé s’agissant des armes blanches en France. Il n’existe pas de centre de production d’importance forgeant des lames. Les fourbisseurs français importent l’essentiel de Solingen, en Westphalie. La manufacture royale d’armes blanches de Klingenthal, chargée notamment d’équiper les armées, est alors créée selon un modèle économique et industriel mis en oeuvre en particulier par Colbert. Comme pour d’autres manufactures, pour certaines encore en activité sous des formes diverses comme les Gobelins, Sèvres ou Baccarat (20), ce sont des questions d’autonomie, d’indépendance, de rééquilibrage des échanges économiques, mais aussi de prestige qui président à leur fondation. Il s’agit tout d’abord d’acquérir puis de développer un savoir-faire, par le débauchage des ouvriers et artisans étrangers provenant des centres auxquels on souhaite faire concurrence, voire par un véritable espionnage industriel. Cette pratique est encore d’actualité et a notamment été à l’origine d’une forte concurrence entre les vainqueurs de la Deuxième Guerre mondiale, s’agissant des ingénieurs allemands par exemple (21). Dans le cas de Klingenthal, la production est à l’origine confiée à un groupe d’artisans agissant individuellement et selon leur spécialité, qui fournissent à l’état des armes contrôlées et inspectées avant d’être réceptionnées puis réparties dans les armées. Cela n’empêche pas une activité commerciale pour les armes civiles et celles, personnelles, des officiers. Ce modèle est donc un modèle hybride fondé principalement sur un entrepreneuriat privé, favorisé et organisé afin de répondre aux besoins du secteur public.
Le modèle de l’arsenal
L’autre modèle prédominant à l’époque moderne est celui de l’arsenal, essentiellement développé à l’origine pour les constructions navales (22), sûrement le secteur le plus complexe, le plus coûteux et le plus spécifique de l’époque. Dans ce cas, il s’agit de créer un instrument de production, dont les débouchés sont a priori limités et pour lequel l’initiative privée s’avère insuffisante. Pour y parvenir, on usera de toutes les ressources, y compris le travail forcé des bagnards, afin de remplir les objectifs stratégiques poursuivis, notamment en matière d’autonomie. Ce modèle est celui qui ressemble le plus aux politiques mises en oeuvre dans les débuts de l’industrie des lanceurs spatiaux. Les investissements étaient colossaux. La volonté politique et la nécessité stratégique remplaçaient les débouchés d’un marché encore inexistant. La sensibilité du domaine, par son lien avec la dissuasion nucléaire, impliquait une direction et un contrôle très serrés par l’état.
D’un modèle à l’autre : le cas de l’artillerie
Un autre exemple historique, sur une relative longue durée, montre une évolution possible pour le secteur des lanceurs spatiaux, faisant appel aux deux modèles décrits précédemment, et concerne le système qui porte le mieux l’innovation : l’artillerie. À l’origine, l’artillerie est un secteur majoritairement privé pour la production, l’innovation et même l’emploi de l’arme sur le champ de bataille. C’est ainsi que l’ingénieur hongrois qui construisit l’artillerie ayant permis aux Turcs de faire brèche dans les murs de Byzance en 1453 avait tout d’abord proposé ses services à l’empereur byzantin qui ne put répondre à ses demandes financières et en matières premières, ce qui le conduisit à se retourner vers le sultan Mehmet II (23). Par la suite, l’artillerie devint, notamment en France, l’instrument de l’affirmation et de la concentration du pouvoir royal qui s’arrogea le privilège de son emploi. Il était en effet l’un des seuls acteurs à
disposer de l’ensemble des ressources nécessaires.
Avec Gribeauval qui impose, au XVIIIE siècle, des caractéristiques très précises d’interopérabilité et de standardisation des constituants, créant ainsi un des premiers systèmes d’armes conçus en tant que tels, la production peut être confiée aussi bien au secteur public qu’au secteur privé. Tant que le marché est limité à certains États, qui peuvent de plus imposer un embargo sur les commercialisations, l’incitation à l’entrepreneuriat privé est bornée aux périodes de conflits majeurs. En revanche, dès que les marchés potentiels existent et sont ouverts, l’esprit d’entreprise reprend le dessus et est à l’origine de la création de grands groupes comme Krupp en Allemagne ou Schneider en France, fondés sur de grandes capacités d’innovation, notamment dans le domaine sidérurgique. On assiste donc à une forme de mouvement de pendule entre secteur public et secteur privé qui correspond, sans que l’un des modèles soit complètement exclusif de l’autre, à des choix structuraux conjoncturels fondés sur des raisons politiques, économiques, ou encore technologiques. Mouvement et évolutions que l’on a pu constater aussi dans le domaine de l’aéronautique, en France, entre 1914 et actuellement.
Deux nécessités : volonté politique et esprit d’entreprise
Dans tous les cas et quel que soit le modèle mis en oeuvre, un point commun apparaît : la nécessité d’une forte volonté de l’état qui soit use du tissu industriel et technologique existant, soit crée les conditions de sa création et de son développement pour répondre à ses besoins. Cela soulève pour la France et l’europe la question du modèle le plus adapté pour l’accès à l’espace, posée en termes d’autonomie et d’indépendance, mais aussi en termes de soutenabilité du point de vue économique et politique. Si l’on semble devoir écarter la possibilité pour la France, seule, de s’assurer une complète autonomie dans le domaine en soutenant le secteur par les seuls fonds publics, il reste la question du modèle et des objectifs communs à l’europe. Ne rien faire peut conduire à perdre ce secteur industriel entier. Dès lors, il ne pourra alors plus être question d’autonomie, d’indépendance, ni même de souveraineté, tant le secteur spatial irrigue maintenant nos activités stratégiques, militaires, scientifiques et économiques.
Or, à bien étudier la situation de Spacex, il s’avère que la société d’elon Musk bénéficie de ce qui s’apparente aux privilèges des manufactures, en devenant le fournisseur attitré, mais pas unique, de L’USAF et de la NASA. Acteur privé, il jouit de commandes publiques, dans un cadre protégé, qui, ajoutées à celles d’un secteur marchand en plein développement, lui assurent la soutenabilité de son business model. Ce dernier étant fondé sur une capacité d’innovation que l’outil industriel public n’avait pas.
Cela permet de ne pas oublier que la volonté politique, exprimée à travers l’action des États, est nécessaire, mais pas suffisante, pour construire les conditions indispensables à la fondation d’un secteur de développement majeur. L’entrepreneuriat privé et l’intérêt de l’opinion publique sont des éléments incontournables et fondamentaux pour susciter le dynamisme et atteindre la taille critique indispensable. L’état doit pouvoir appuyer son action sur l’engagement des citoyens, des entrepreneurs ou des financeurs de ces grands desseins par nature onéreux, mais aussi fédérateurs au niveau national ou international.
Cependant, s’il faut agir vite parce que le secteur des lanceurs spatiaux évolue rapidement et qu’il est devenu hautement concurrentiel en quelques années, il ne faut pas le faire par une simple action mimétique par rapport aux États-unis. D’ailleurs, l’europe estelle assez riche pour imiter maladroitement le New Space, c’est-à-dire essayer d’en reproduire plus ou moins les ruptures marketing et innovations techniques, mais avec des organismes publics ? Et quelle est la cohérence quand, dans le même temps, elle dissuade les investisseurs privés de financer le New Space européen en s’interdisant une « légitime défense » qui pratiquerait
(24) la préférence européenne pour les lancements de ses satellites – au moins ceux de sécurité et de défense ? Est-ce bien là un modèle pérenne, capable de soutenir l’autonomie d’accès à l’espace de l’europe, et les ambitions stratégiques de ses membres? La Russie, pour sa part, semble avoir trouvé son cap en envisageant son retrait du marché des lancements commerciaux (25).
Ce qu’il faut, en réalité, c’est se fonder sur les atouts particuliers de l’europe et de la France, et sur notre différence de nature avec les États-unis. Or tout dépend du degré d’ambition et de volonté des partenaires européens soucieux du niveau d’autonomie et d’indépendance nécessaire à leur souveraineté. Deux axes de réflexion au moins sont envisageables, sans être exclusifs l’un de l’autre, à l’exemple de ce qui a été déjà mis en oeuvre dans le passé :
• assumer le besoin d’autonomie et se préparer à financer sur fonds publics, seuls, la pérennité de l’accès à l’espace. Il faudrait donc aussi s’assurer que ce coût soit tolérable politiquement à long terme, face à des offres commerciales étrangères qui seront bien meilleur marché. Concrètement, cela porterait la priorité des projets de recherche sur la maîtrise technique (autonomie, fiabilité, etc.), et l’économie de moyens, sans rogner sur la maîtrise ;
• fédérer suffisamment de volontés politiques pour convaincre rapidement l’union européenne de classer sans tarder le lancement de ses satellites stratégiques, et ceux de ses membres, comme secteurs de souveraineté, et de formaliser une préférence européenne réellement contraignante.
Dans tous les cas, et même si un signal politique fort est encore susceptible de fonder un New Space européen pouvant produire des lanceurs lourds privés commercialement compétitifs, la question d’une restructuration de l’industrie spatiale européenne au bénéfice d’un accès pérenne à l’espace doit être posée.