Ce que «Vostok2018» nous apprend
La Russie et la Chine ont mené conjointement l’exercice « Vostok 2018 » dans l’extrême-orient russe du 11 au 17 septembre 2018. Il est d’abord significatif par son ampleur. Depuis «Zapad-81», Moscou n’avait plus mobilisé un tel volume de forces. Les deux pays ont ainsi annoncé avoir engagé 300000 personnels, 36000 véhicules, 1000 aéronefs et 80 navires dans une série d’opérations simulées au sol (sur les polygones de Tsugol, Bamburovo, Radigino, Uspenovsky et Bikinsky), dans les airs, mais aussi en mer d’okhotsk et en mer de Béring. La participation terrestre chinoise s’est limitée à Tsugol, tandis que les forces terrestres des districts Centre et Est ont également utilisé d’autres polygones. Les forces navales russes ont envoyé des éléments de la Flotte du Nord. Concrètement, il n’est pas certain que les chiffres communiqués par Moscou correspondent aux personnels effectivement déployés : certaines brigades, par exemple, n’ont eu qu’un rôle très limité. Certains analystes estiment ainsi que l’exercice n’a concerné que 50000 militaires russes. « Vostok 2018 » est néanmoins significatif au regard de la présence chinoise. Si cette dernière est de plus en plus fréquente dans les exercices russes, le volume était ici relativement important : 3200 hommes, 24 hélicoptères et 6 appareils de combat, 900 véhicules.
L’exercice est également significatif par son scénario. Les derniers exercices « Vostok » étaient centrés sur des opérations contre-terroristes ou de maintien de la paix. Cette rationalité
prévalait aussi dans les différents exercices menés conjointement avec la Chine depuis quelques années. Or, « Vostok 2018 » était clairement centré sur des opérations de combat de haute intensité. Les volumes de munitions utilisés ont été importants – en, particulier dans le domaine de l’artillerie – tandis que les opérations aériennes ont simulé des attaques dans la profondeur opérative contre des infrastructures critiques. On remarquera par ailleurs la symétrie géographique de « Vostok 2018 » avec « Trident Juncture 2017 » : ce dernier s’était tenu pour l’essentiel dans la péninsule Ibérique, loin de la frontière avec la Russie. Au demeurant, « Trident Juncture 2018 » doit avoir lieu en octobre et novembre plus près de la Russie – en Norvège – en ne rassemblant « que » 45 000 personnels. À voir donc si la Russie effectuera un exercice majeur ensuite à proximité de la Pologne ou des États baltes.
Toujours du point de vue du scénario, la logique retenue a montré un changement méthodologique fondamental. Habituellement – et y compris pour «Zapad 2017» –, les exercices majeurs russes comprennent une mobilisation de forces engagées dans un scénario qui peut avoir été répété, contre un adversaire généralement simulé par l’état-major général. La logique retenue ici est que des forces du district Centre ont joué le rôle de force adverse, chacune commandée par un état-major de niveau opératifstratégique. Concrètement donc, ce sont deux exercices qui se sont tenus, à la fois défensifs et offensifs, dans une vision nettement plus réaliste. De plus, les consignes données mettaient l’accent sur l’innovation tactique et l’assouplissement des procédures traditionnellement appliquées. Ce n’était pas la seule nouveauté : ont aussi été abordés la question logistique – qu’il s’agisse de projection sur de longues distances ou de logistique de combat –, le commandement et contrôle, talon d’achille russe traditionnel, et la mobilisation.
La puissance de feu déployée comme le réalisme ont été importants. À la forte mobilisation de l’artillerie, il faut ajouter un usage approprié du génie, dans les opérations de franchissement ou de camouflage. Des drones tactiques ont fréquemment été utilisés, de même que des systèmes contre-drones. Les opérations aéroportées ont également démontré des innovations organiques. Il semble ainsi que des bataillons composés sur base de trois brigades aéroportées ont été engagés dans des raids qui ont pu concerner jusqu’à 47 hélicoptères. Dans un raid plus classique, ce sont 25 appareils de transport lourd pour le largage de 700 parachutistes et 51 BMD qui ont été utilisés. Des unités de l’infanterie de marine et de la nouvelle brigade arctique ont aussi été déployées. L’analyste Michael Kofman indique ainsi qu’un raid a été conduit sur une profondeur de 270 km. Enfin, les exercices ont également comporté un volet nucléaire, et ce, dès les premiers jours. Des TU-95MS ont ainsi effectué des vols à longue distance, jusqu’à entrer dans la zone d’identification aérienne américaine avant de lancer des missiles de croisière après être rentrés en Russie.