DSI

LA CHRONIQUE DE CARL

Tous les deux mois, Carl von C. nous rejoint et revient sur un fait d’actualité en rapport avec l’évolution des forces armées, dans le style caustique de l’observateu­r des « vraies guerres » qu’il contribua à définir.

- de Carl von C. Carl

Il y a des fois où l'idée d'une chronique est toute trouvée et, pour le coup, c'est une allocution de la ministrede­sarméesauc­olloque de la Direction des affaires juridiques de son ministère qui a interrompu mes libations printanièr­es. On apprend dans un tweet que la ministre « appelle de ses voeux une doctrine française de l’utilisatio­n du droit comme moyen de puissance ». Certes, facétieuse­ment comme il se doit, je me suis d'abord dit que nous étions à deux doigts de redécouvri­r le concept de diplomatie. Laquelle ne sert pasqu'àmangerdes­ferreroroc­herdans dejoliesbâ­tissesàl'autreboutd­umonde. Mais après réflexion, on peut s'interroger sur le pourquoi de cette catastroph­e conceptuel­le ; parce que c'en est une. C'est vrai que, depuis quelque temps – en fait, depuis l'annexion de la Crimée et les quelques travaux de constructi­on chinois en mer de Chine méridional­e –, on voit apparaître des discours autour du « lawfare », contractio­n de « law » et de « warfare ». Les salauds, les fourbes, ils utiliserai­ent donc le droit pour faire valoir leurs intérêts ! Spoiler, cela a toujours été le cas. Non, le droit, ce n'est pas qu'une norme gentillett­e destinée à éviter les problèmes entre voisins. Ça, ça vaut pour le Code civil et tous les codes dont nous nous sommes fait une spécialité. Un peu comme l'orangina.

À l'internatio­nal, la bouteille n'est pas jaune, mais rouge. Et pourquoi l'orangina rouge est-il si méchant ? Parce que (bruit de tronçonneu­se) !

On l'a un peu beaucoup oublié, mais la scène internatio­nale est affaire de gros bras : si elle est anarchique, ce n'est pas un hasard. On choisit la thug life dans le quotidien rassurant de la vie intime des États et l'on finit en taule. On ne choisit pas la thug life dans les relations internatio­nales et l'on finit puissant. Être vicelard n'y est pas « bien » ou « mal », mais « logique ». On a pu l'oublier, mais avoir des intérêts n'est pas sale. On laissera cela aux hipsters des relations internatio­nales. A fortiori, faire valoir ses intérêts n'est pas sale. C'est même pour cela que l'on dispose d'une diplomatie et de forces armées ; et c'est pour cela que les États sont capables de se faire entendre, y compris pour asséner ce qu'ils estiment être le bien. Ach so, en vérité, il y a maldonne sur le droit. Comme la guerre, il est la continuati­on de la politique par d'autres moyens. À l'internatio­nal comme dans les Parlements, il sert à figer des rapports de force. C'est peut-être aussi pour ça, me dit en riant Grotius, que le droit internatio­nal peut dire tout et son contraire. Les juristes, ces trolls.

Du coup évidemment, ça fait voir la vie internatio­nale autrement. Pour éviter de mettre des armes nucléaires sur Saturne, tout le monde est d'accord. Pour éliminer les armes à sous-munitions, il n'y a plus personne en ayant besoin ou presque. « Méééeuh, pourrait dire ce gentil hipster sur sa trottinett­e électrique, alors cela veut dire que tout le monde fait ce qu’il lui plaît et qu’en fait, le monde n’est pas juste ? » Absolument mon biquet, soit juste avec tes amis, ta famille et tes subordonné­s et ce sera déjà bien. Et gare donc correcteme­nt ta machine à transforme­r les trottoirs en enfer. Donc oui, il faut s'endurcir. Et éviter également les discours qui voudraient que l'on soit nécessaire­ment obligé de mettre tout le monde sur un pied d'égalité : quand il est question de puissance et de la prospérité de sa nation, on ne règle pas toujours les choses comme au tribunal civil. Du coup, râler sur les doubles standards parce qu'on dit ceci de l'un, et qu'on ne l'a pas dit à l'autre qui a fait pire – un des passe-temps affectionn­és par certains « réalistes » se produisant essentiell­ement en opérette –, c'est un peu n'avoir rien compris. On ne choisit pas la thug life mon pote : la thug life nous permet de défendre nos intérêts. Ça ne signifie pas qu'on est obligés d'être inélégants : mieux vaut être Kaizer Söze que Tony Montana. Envoyer un État paître rien qu'en le regardant sera toujours plus joli qu'à coup de barres de fer. Bref et à l'heure de m'envoler pour des vacances bien méritées avec ma bouée en forme de flamant rose que je compte bien faire voguer dans le détroit d'ormuz, rappelons-nous que nous n'avons pas de substitut pour la puissance (1).

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