Une stratégie indopacifique
C’est une belle manoeuvre en trois temps qu'aura conduite la France en Asie dans le courant du mois de mai. Dans un premier temps, la DGRIS (Direction Générale des Relations Internationales et de la Stratégie) a rendu publique La France et la sécurité en Indopacifique, une plaquette de 20 pages présentant les défis sécuritaires et stratégiques de la zone, mais aussi la présence française sur place. Ensuite, la ministre des Armées s'est rendue au dialogue de Shangri-la, début juin, incontournable forum de la sécurité-défense en Asie-pacifique. Dans le même temps, le groupe aéronaval, porte-avions compris, faisait escale à Singapour, après avoir conduit des exercices avec les marines indienne, japonaise et australienne. On le comprend donc, la stratégie déclaratoire de la France à l'égard de la région a changé : face aux revendications chinoises et à une potentielle instabilité due aux revendications des autres pays en mer de Chine méridionale, Paris décide donc
de se positionner avec force – même si l'on notera que le porte-avions n'a pas effectué de mission de liberté de navigation en mer de Chine.
Le concept même d’indopacifique peut laisser perplexe. De facto, il couvre une zone allant de Djibouti à San Francisco, avec des réalités politiques, sociologiques, religieuses, économiques et bien évidemment militaires et stratégiques extrêmement diverses. En l'occurrence, tout un spectre de risques et menaces est présent, allant de la prolifération nord-coréenne à la lutte contre les trafics et la pêche illégale ou encore la lutte contre le djihadisme. Pour autant, cette vision donne aussi la mesure de l'étendue de la France ultramarine : des îles Éparses à Clipperton en passant par la Nouvelle-calédonie et la Polynésie, il existe une «ceinture française» qui positionne Paris dans la macrorégion. En outre, toute la zone est évidemment vitale pour l'économie française, en représentant 14 % des exportations et 17% des importations. Dès lors, la terminologie a d'abord un « usage interne » : rappeler que les priorités stratégiques françaises ne sont pas cantonnées dans la métropole, le théâtre européen et les opérations au Levant ou au Sahel.
Le message est également externe. Si le Royaume-uni exerce une présence intermittente dans la région – notamment avec le FPDA (Five Powers Defence Agreement) – et que les États-unis effectuent tant bien que mal leur « pivot », la France est naturellement présente. Reste qu'il peut y avoir hiatus quant à la nature de cette présence. Si les dossiers chauds ne manquent pas dans la macro-région, la question de la cohérence des stratégies opérationnelle et déclaratoire pourrait se poser. De facto, la DGRIS montre bien dans sa plaquette que les forces françaises, sans être négligeables, ne sont pas non plus légion : 7 000 hommes au total – dont 2 900 dans le Pacifique – en comptant les unités positionnées aux
Émirats et à Djibouti ; 10 appareils de combat ; 12 bâtiments, dont 4 frégates de surveillance de classe Floréal.
Cette posture « légère » et centrée sur les DOM-TOM n’est cependant qu’apparente. Par définition, les forces françaises ont une vocation globale. La disposition même du groupe aéronaval en fait un outil d'usage mondial, au-delà de ses traditionnelles missions dans le Golfe ou dans l'océan Indien. De même, après quelques années marquées par les réductions budgétaires, les exercices de l'armée de l'air ont repris avec l'australie. La coopération avec les États amis de la zone tend d'ailleurs à s'intensifier, d'autant plus que d'autres pays, comme le Japon, sortent de leur traditionnelle réserve en matière d'interactions avec des forces navales autres qu'américaines. En fin de compte, la manoeuvre politico-militaire de mai-juin replace la France sur une bonne partie de la carte mondiale. Reste aussi que c'est en période de crise que la cohérence entre le déclaratoire et l'opérationnel se vérifiera… •