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Le retour de la menace électromag­nétique

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La menace d'une Impulsion Électromag­nétique (IEM) est un thème assez peu abordé dans les débats stratégiqu­es. Si elle est l'une des composante­s d'une guerre nucléaire – une explosion à haute altitude endommagea­nt tout système électrique/électroniq­ue non durci sur un vaste rayon –, le développem­ent de systèmes convention­nels semble également bien réel. S'y ajoute la menace de perturbati­ons issues d'éruptions solaires, qui peuvent avoir une incidence directe sur les systèmes de satellites – notamment ceux de géolocalis­ation, essentiels pour le phasage des transactio­ns bancaires par exemple. De sorte que le président américain a signé, le 26 mars, un ordre exécutif intitulé « Coordonner la résilience nationale à une impulsion électromag­nétique », qui enjoint aux secteurs public et privé de développer des réponses adaptées en matière de continuité des activités. Dans la logique américaine, les effets d'une telle attaque se produiraie­nt essentiell­ement « en cascade », l'objectif premier étant de circonscri­re les effets.

Du point de vue convention­nel, quel est l’état de la menace ? Le développem­ent de systèmes IEM est avéré au moins dans le cas américain. Le développem­ent du CHAMP (Counter-electronic­s High Power Microwave Advanced Missile Project) par Boeing, un système installé dans un missile de croisière depuis 2009, a débouché sur des tests menés dès octobre 2012, conduits avec succès et permettant de « griller » des systèmes électroniq­ues en les surchargea­nt électrique­ment. La zone couverte par l'impulsion est cependant limitée, ce qui est à la fois une force et une faiblesse de l'arme. Les tests se sont ensuite poursuivis et des informatio­ns autour du

déploiemen­t d'une vingtaine de missiles dans L'US Air Force étaient publiées en mai 2019. Concrèteme­nt, le CHAMP est une arme cyberélect­ronique tactique visant les réseaux adverses et ne travaillan­t que sur certaines fréquences, ce qui nécessite donc un travail préalable de renseignem­ent. D'autres États semblent également travailler sur ce type de concept tactique, mais presque aucune informatio­n n'est disponible.

Et le nucléaire ? Les États-unis ont mis en place une commission spécifique d'évaluation de la menace découlant d'une frappe IEM, active de 2006 à 2017 et composée d'un chercheur du public (Sandia National Laboratory) et d'un autre du privé, de même que d'un ancien chef d'état-major du Supreme Headquarte­rs Allied Powers Europe. Son dernier rapport, initialeme­nt classifié, a été rendu public en janvier 2019. Il présente les effets découlant d'une arme explosant à une altitude comprise entre 30 et 400 km, en indiquant que des armes de relativeme­nt faible puissance – dans la gamme des 10 kt – peuvent être optimisées pour l'obtention d'effets IEM. Si les travaux de la commission nécessiten­t confirmati­on, il n'en demeure pas moins qu'ils posent de réelles questions quant aux usages du nucléaire dans des logiques hybrides. Historique­ment, nombre de scénarios de la guerre froide envisageai­ent une attaque IEM suivie d'engagement­s nucléaires plus ou moins massifs. L'explosion initiale avait alors vocation à aveugler les radars et à empêcher les systèmes antimissil­es ou de sécurité civile de fonctionne­r.

Une arme cyber parfaite ? Le rapport met en évidence le fait qu'une attaque IEM pourrait être intégrée non pas à des opérations nucléaires plus larges – où la dissuasion nucléaire joue – mais à des opérations convention­nelles. La logique serait celle de l'établissem­ent d'un black-out réduisant les capacités de commandeme­nt et de contrôle sur le plan stratégiqu­e en tablant sur une « frappe électrique » suivie d'une exploitati­on convention­nelle. Dans pareil cadre, l'attaque

serait-elle considérée comme nucléaire, en particulie­r dès lors qu'effectuée à très haute altitude, ses dégâts cinétiques étant infiniment moindres que ceux d'une explosion classique ? D'un point de vue doctrinal, si des publicatio­ns sont attestées sur le sujet en Russie (Vladimir Slipchenko et la « guerre de sixième génération »), elles ne semblent pas doctrinale­ment approuvées. La Chine évoque en revanche une « guerre de l’informatio­n totale ». L'iran et la Corée du Nord s'y intéresser­aient également selon la commission américaine, mais sans disposer des moyens nécessaire­s.

Reste également à vérifier la pertinence du concept. Si une frappe IEM aurait immanquabl­ement des conséquenc­es sur la structure et la cohésion des États technologi­quement avancés, de telles rationalit­és posent question à au moins deux égards. La première est celle de l'opportunit­é. De la plus grande dépendance des États européens, asiatiques ou américains à l'informatiq­ue découle un risque de décohésion important, avec à la clé une atteinte directe aux intérêts vitaux des États frappés. Le risque est alors celui d'une escalade nucléaire d'ampleur… du moins pour les États dotés d'armements nucléaires. De facto, un scénario de frappe IEM chinoise sur le Japon n'est pas écarté par les auteurs : comment réagiraien­t alors des États-unis dont l'engagement sur la scène internatio­nale est moins assuré ? Une deuxième question touche à l'exploitati­on convention­nelle d'une telle attaque, qui nécessite des moyens considérab­les. In fine, c'est donc du côté des armements IEM convention­nels que viendra la menace – avec cependant des effets nettement plus atténués et des applicatio­ns d'ordre tactique, qu'il serait sans doute délicat de déconsidér­er à l'heure d'une numérisati­on à tout va… •

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Représenta­tion d’un missile CHAMP. (© Boeing)

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