Plan de défense majeur
Si le Japon a conservé une attitude mesurée sur le plan militaire ces vingt dernières années, sa richesse lui offre également la possibilité d'accroître rapidement ses investissements. C'est d'autant plus le cas que ces derniers semblent de plus en plus servir de levier à sa recherche & développement duale. Par ailleurs, le contexte international se tend : si la Chine continue d'affirmer ses revendications en mer de Chine méridionale, elle le fait également d'une manière plus assertive. Outre une militarisation plus active de ses îlots et îles artificielles – elle semble déployer des matériels de guerre électronique sur certains d'entre eux –, elle se positionne aussi de manière plus nette face aux îles qu'elle dispute à Tokyo. Le 8 juin, on apprenait ainsi qu'un bâtiment chinois entamait son 57e jour de présence à proximité des Senkaku/diaoyu. L'analyse japonaise, dans le même temps, est que l'archipel pourra de moins en moins compter sur les États-unis pour assurer sa défense.
Le contexte appelle donc à la prudence, de sorte que Tokyo a rendu publique une politique de défense de cinq ans, initialement proposée en décembre 2018 et validée en avril, qui permet de clarifier des questionnements organiques. Ainsi, les activités spatiales militaires seront dorénavant du ressort de la force aérienne, tandis que les activités cyber relèveront des forces terrestres d'autodéfense. Ces dernières seront également responsables de deux nouvelles unités antimissiles. L'ensemble des armées devraient connaître des évolutions du point de vue des capacités électromagnétiques, défensives comme offensives. De facto, si la Chine réalise des progrès notoires en guerre électronique, c'est également le cas de la Russie. S'ajoutent à ces capacités celles déjà commandées ou sur le point de l'être : les nouvelles frégates ; de nouveaux F-35 – y compris ceux destinés à embarquer sur l'izumo – ; des systèmes de canon électromagnétique pour la marine; les deux batteries Aegis Ashore ; les nouveaux missiles antinavires supersoniques ; ou encore neuf E-2D de détection aérienne avancée en complément des quatre E-767 déjà en service.
Ces choix ne sont pas neutres. D'abord, budgétairement : sur cinq ans, le Japon entend dépenser 248 milliards de dollars pour sa défense. Ensuite, politiquement. Pour nombre de technologies, le Japon reste dépendant des États-unis, avec lesquels il entend maintenir et conforter l'alliance politique. Elle reste nécessaire, ne serait-ce que du point de vue matériel : le Japon pourrait tout à fait développer les systèmes qu'il importe actuellement… mais à quel coût ? De facto, celui-ci est direct (le coût des matériels conçus sur place) comme indirect (ce qui n'est pas économisé par l'importation ne peut pas être investi dans la R&D sur des systèmes de rupture). Enfin, stratégiquement : la population japonaise vieillit inexorablement, de sorte qu'un modèle de défense fondé sur la masse est de moins en moins envisageable. Dans pareil cadre, la seule option est une stratégie de compensation technologique.
En tout état de cause, Tokyo semble également dans une phase de transition, ce qui rend sa posture délicate. Le processus de modernisation en cours permet d'améliorer à la marge l'actuel système militaire alors que la Chine progresse à grande vitesse, tant sur le plan qualitatif que sur le plan quantitatif. Or, Tokyo accorde aussi une grande importance à des innovations de rupture qui ne se concrétiseront dans les forces que dans quelques années. Ce sera, au premier chef, le cas en matière de robotisation et d'usages de l'intelligence artificielle, mais aussi d'armement hypersonique. En tout état de cause, l'évolution des forces armées japonaises dans les prochaines années pourrait bien avoir, pour nos propres armées, valeur de laboratoire. •