Une nouvelle stratégie spatiale
La modernisation des forces européennes progresse. Au-delà des très symboliques lancement du SNA Suffren et de l'arrivée des premiers Griffon dans l'armée de Terre, les annonces se sont succédé en France. C'est d'abord le cas en matière de doctrine spatiale, avec à la clé l'intégration à l'armée de l'air – qui deviendrait à terme « l'armée de l'air et de l'espace » – d'un commandement de l'espace, dès septembre. Surtout, les travaux sur la doctrine – engagés depuis plus d'un an (voir notamment les articles publiés dans DSI no 138, novembre-décembre 2018) – ont été approuvés par le président de la République, débouchant ainsi sur une vision qui restera certes fondamentalement défensive, mais qui ne s'interdira pas des actions offensives contre des capacités adverses. Le général Lavigne indiquait ainsi dans nos pages qu'il était impératif de développer des « capacités d’action dans, depuis et vers l’espace pour protéger nos moyens et conserver notre liberté d’action face aux menaces émergentes »(DSI, horssérie no 66, juin-juillet 2019). À l'échelle internationale, la France se positionne donc dans le peloton de tête des États investissant le domaine spatial selon une optique dépassant le seul usage de satellites de renseignement, de transmissions et de navigation.
C’est d’autant plus le cas que L’ESA a récemment présenté son drone spatial réutilisable Space RIDER (Space Reusable Integrated Demonstrator for Europe Return), dont le développement est placé sous la tutelle italienne. Un peu plus petit que le X-37B américain, l'engin est civil. Mais la maîtrise des technologies qu'il requiert laisse la porte ouverte à de potentiels développements militaires. Ce type de systèmes est idéal pour les missions de réparation en orbite, mais aussi de renseignement et d'écoute, voire d'intervention sur des satellites adverses. Comme les systèmes laser sur lesquels travaille L'ONERA, les drones militaires ont pour principal avantage de pouvoir interférer avec un satellite adverse sans pour autant créer une pollution de débris spatiaux en orbite, à l'instar des tirs antisatellites effectués par la Chine ou l'inde. Par ailleurs, les travaux sur la génération de satellites devant succéder aux CSO (Composante Spatiale Optique) en cours de déploiement et aux futurs CERES (Capacité de Renseignement Électromagnétique Spatiale) ont été officiellement lancés le 17 juin. Les nouvelles
constellations porteront respectivement les noms d'iris et de Céleste.
On note que ces progrès dans le secteur spatial devancent plusieurs efforts par ailleurs. L'OTAN a ainsi indiqué fin juin qu'elle allait mettre en place une politique spatiale qui doit « créer un cadre sur la manière dont L’OTAN doit faire face aux opportunités et aux défis dans l’espace ». De son côté, le Royaume-uni a également annoncé, le 18 juillet, rejoindre l'initiative américaine « Operation Olympic Defender », destinée à coaliser plusieurs États autour des facteurs de dissuasion d'actions hostiles dans l'espace et de lutte contre les débris spatiaux. Huit officiers britanniques seront ainsi postés à L'US STRATCOM américain, en charge de l'opération. Reste cependant à voir quelle sera la position de Paris sur un secteur hautement stratégique, alors que les États-unis, le Royaume-uni et la France coopèrent de façon rapprochée en matière de puissance aérienne.
Par ailleurs, la publication par l’agence de l’innovation de défense, le 11 juillet dernier, du Document d'orientation de l'innovation de Défense (DOID) marque également une autre étape, qui permet de résoudre la délicate tension entre la nature foisonnante, si ce n'est imprévisible, de l'innovation et la nécessaire planification. Si la presse généraliste s'est focalisée sur l'engagement de spécialistes de la sciencefiction afin de faire de la prospective et du red teaming, la portée du document est bien plus large, puisqu'il établit une gouvernance de la stratégie des moyens dans un environnement dense en ruptures potentielles. Méthodologiquement, il est donc particulièrement important. •